Doowap, doowap, choubidoopidoowap...

Bon. Je crois que je vous avais dit que ce chapitre serait prêt pour novembre, nous sommes en janvier, bref, bref, oublions tout ça.

J'espère que vous aimerez, on se retrouve en bas!

...

-Votre Majesté! La Sainte! S'il vous plaît!

-Mon fils, Votre Majesté, il est très malade...

-Sainte Astoria, protégez-nous...

Les clameurs s'élevaient de la foule parisienne massée sur le parvis de l'église, une foule délirante qui estimait voir devant eux le remède à tous leurs maux, mais qui hélait sa souveraine avec respect et dévotion. L'homme qui poussait son cheval à travers les corps serrés ne put que laisser un élan de ferveur presque religieuse envers la Reine de France le traverser.

Il était parti depuis si longtemps...

Serait-elle heureuse de le voir?

Il écarta ses doutes, son cheval faisant un écart effrayé sous lui lorsque quelque personnage lui frôla le ventre en se serrant près de lui pour passer, et décida de finir à pied. Il poussa la monture inquiète vers les murs d'une auberge sur la place, jetant les rênes et une bourse garnie à l'aubergiste qui tentait de se frayer un chemin vers lui, et mit pied à terre.

-Monsieur le comte de Calais, le salua l'aubergiste avec une révérence obséquieuse.

Il avait été déçu, en parvenant à Versailles depuis Calais, d'où il avait chevauché sans s'arrêter, s'octroyant seulement de brèves pauses pour changer de cheval aux relais postiers- la Reine, lui avait indiqué un garde, s'était rendue à Paris en la compagnie de la duchesse des lieux, comme tous les jeudis et samedis, où elle faisait l'aumône aux pauvres et touchait les malades. Le comte avait hésité, épuisé, à attendre son retour, mais avait préféré tourner bride pour dévorer en un temps record les quelques lieues séparant le palais et la capitale.

Il ne fut guère difficile de trouver l'endroit que la Reine visitait en ce jour, tant les parisiens, toujours dévoués et émerveillés par sa présence, se précipitaient séance tenante vers leur suzeraine. Il avait écouté les gens, en traversant la ville. Un-tel avait reçu une bourse pour son apprentissage de la cassette personnelle de Sa Majesté, et ne serait ainsi guère obligé de mendier comme devait le faire son père. Une-telle attribuait sa grossesse tardive aux prières de la Reine, alors qu'on lui avait assuré qu'elle ne pourrait plus enfanter. Beaucoup estimaient que le toucher de l'Infante guérissait les maladies, et qu'elle était envoyée par Dieu.

Théodore Nott se fraya plus aisément un passage à travers la foule, cœur battant la chamade. Comme il comprenait la masse populaire! Le visage d'un ange et la douceur d'une nonne- difficile de ne point attribuer toutes les vertus à Astoria d'Espagne...Il n'avait point prévu d'entrer si tôt de Calais, et en avait prévenu la Reine par un courrier quelques jours auparavant. La réponse qu'il reçut la veille était si attristée, si esseulée, qu'il ne put se résoudre à abandonner les côtés de la monarque un moment de plus. Calais se défendrait bien sans lui pour quelques semaines...

Il arriva au pied des degrés du parvis et leva les yeux, réprimant un léger sourire lorsque ses yeux tombèrent, d'abord, sur la duchesse de Paris- Pansy Parkinson, splendidement vêtue de vert émeraude et d'argent, tenait contre son nez et ses lèvres un mouchoir de soie qui, à n'en point douter, était noyé de parfum, et elle masquait à peine le dégoût couvrant son visage. Fallait-il que la Reine soit pieuse de parvenir à traîner jusqu'ici la si hautaine duchesse...!

Puis, ses yeux se murent lentement vers le spectacle que son amie de toujours contemplait. Un homme était allongé sur une paillasse sale, corps presque dénudé recouvert de plaques rougeâtres, fièvre dans le regard- un mourant. Une religieuse marmonnait des incantations à ses côtés, et une femme, vêtue d'or pâle, au ventre rebondi par une grossesse avancée, se tenait agenouillée près de lui, pressant un lange humide contre son front et murmurait de douces paroles qu'il ne put entendre. Sous les yeux émerveillés du comte, le malade sourit à pleines dents, comme s'il était heureux. Il marmonna quelques mots hachés en retour, la Reine se penchant pour mieux l'entendre, et elle sourit également, complice avec cet inconnu, ce fils de personne, ce pauvre mal-né. Le comte sentit son cœur battre dans sa poitrine. D'une part, la Reine ne courrait-elle pas un risque, si exposée auprès des souffrants? Mais d'autre part, y avait-il quelque chose de plus tendrement doux, que de voir cette princesse royale, épouse de roi, future mère de roi, agenouillée près des mourants comme si elle n'eut été que leur égale? Pour tout ce que la France comptait de noblesse, nul ne semblait voir ceux qui, jour après jour, vivaient, travaillaient, mourraient dans leur ombre, leur fournissant pain, vêts et bière, armes et service, qui tapissaient, élevaient, plantaient, soufflaient, cuisinaient, chauffaient. Nul, hormis elle, et non pour la première fois, en sa présence, Théodore Nott se sentit peu de choses, soudain. Il n'était guère digne de cette grandeur héritée depuis des dizaines de générations, n'avait rien fait que naître, et pourtant, il se différenciait de la foule alentour, qui était bien plus méritante des mains de leur Reine que lui.

La Reine murmura quelques mots encore, puis se tourna vers la nonne et elles se signèrent de concert, la souveraine glissant une pièce étincelante dans les mains de sa camarade de prière. Puis elle se leva, avec grâce malgré son estomac bombé de l'enfant d'un autre, et se dirigea vers la paillasse suivante, où une enfant était allongée. Son pas faillit brièvement, et, comme si elle pouvait déceler sa présence, elle tourna la tête vers la foule, et ses yeux croisèrent aussitôt ceux du comte.

Le temps, alors, sembla s'arrêter pour lui, alors qu'un doux sourire vint fendre les lèvres de sa Reine, et qu'elle s'illuminait davantage encore- devait-il être pêcheur d'espérer qu'elle soit aussi éprise de lui que lui d'elle! Malgré lui, le solennel comte de Calais sentit ses propres lèvres s'incurver en un semblant de sourire, alors qu'il redevenait enfant- un enfant amoureux, le plus joyeux des êtres du monde. Et sa Reine souriait, souriait...

Une explosion de mousquet retentit alors brusquement au milieu de la foule, et tout ne fut plus que panique.

La Reine s'effondra, et ce fut, pour le comte de Calais, comme si le monde, brutalement, s'arrêtait, comme si plus rien n'existait hormis ce corps rebondi chutant avec toute la grâce qui lui était caractéristique. Il se sentit inhaler alors que les hurlements de terreur et les cris stupéfaits commençaient à retentir autour de lui, puis son corps se mût de lui-même, se précipitant, montant les larges marches du parvis trois à trois. Les gardes de la Reine vinrent entourer leur souveraine, épées à la main- comme si cela pouvait avoir le moindre effet face à un mousquet- tandis que d'autres se jetaient dans la foule, écartant avec de grands coups la population qui se pressait pour quitter la place.

Théodore ignora les mouvements de foule derrière lui, y compris un nouveau tir de mousquet qui sembla atteindre un innocent spectateur, et parvint aux côtés de la Reine. Pâle, yeux écarquillés, sa tête posée sur les genoux de Pansy- laquelle était étonnamment paniquée, pour une femme de sa froideur naturelle- et une fleur de sang s'épanouissant sur son corset, la respiration de la monarque était laborieuse, mais elle accrocha le regard de Théodore et il y lut la terrible supplique- l'appel à l'aide absolu, la connaissance que sa vie était entre les mains de son comte.

-Le carrosse, hurla-t-il alors. Avancez le carrosse de la Reine!

Une des nonnes présentes vint se jeter à genoux devant Astoria, se signant brièvement, lui enserrant la main. La monarque lui murmura quelque chose d'une voix visiblement hachée, que Théodore n'entendit pas par-dessus le bruit ambiant, et la servante de Dieu leva des yeux terrifiés vers lui.

-Seigneur, s'écria-t-elle. La Reine accouche!

...

Delphini fut éveillée par des voix devant sa tente. Elle hésita à lever la tête, puis n'eut d'autre choix lorsque l'un des gardes annonça, d'une voix étouffée par l'épaisseur du tissu,

-Sa Majesté le Roi!

Fronçant les sourcils, la princesse de Hollande se redressa au moment même où son cousin germain pénétrait dans la tente, vêtu d'une tenue noire et argent, épée au côté. Plutôt que de l'interroger sur sa présence ici, alors que la nuit était depuis longtemps tombée, Delphini haussa un sourcil parfaitement dessiné.

-Il est d'usage de déposer les armes avant d'entrer dans les appartements privés d'une princesse royale, mon cousin.

Drago eut un sourire en lame de couteau, qui étincela à la faible clarté des bougies.

-Cette loi est-elle aussi valable pour le Roi?

-Mon Roi, peut-être point, reconnut-elle avec un reniflement dédaigneux. Mais vous n'êtes guère mon Roi, mon cousin.

Il écarquilla brièvement les yeux, puis éclata de rire.

-Sirius a raison- vous êtes particulière, ma cousine, répliqua-t-il. Vêtissez-vous. Je vous puis envoyer une demoiselle, si vous le souhaitez. Nous avons à faire.

-Ah. Me conduit-on enfin à l'échafaud?

Le Roi de France pencha légèrement la tête de côté.

-Pour quel crime, Madame...? Oh, hormis celui d'avoir tenté d'assassiner l'Empereur d'Autriche, bien entendu.

Ils échangèrent un bref rictus. Si semblables, mais pourtant...

-Sirius a besoin de moi.

-Sirius avait besoin de vous lorsqu'il était l'héritier d'un Etat qui ne souhaitait guère s'engager dans ce conflit, répondit Drago avec une douceur non feinte. À présent qu'il commande les armées de son Empire, il n'a point besoin de vous.

Delphini eut un rire amer.

-La fratricide, mon cousin? Je suis de votre sang...j'eusse cru un tel mouvement digne de mon père, non de vous.

Le Roi leva les yeux vers la canopée de la tente avec un soupir.

-Je ne compte point vous tuer, ma cousine, et l'Empereur non plus. C'est une autre sorte d'échafaud qui vous attend, et si vous êtes chanceuse, une petite mort au bout...vêtissez-vous.

-Je suis vêtue, rétorqua Delphini en s'extirpant du lit.

Elle portait effectivement une robe grenat et blanche. Le Roi de France haussa un sourcil, et la princesse de Hollande eut un petit sourire.

-Je ne suis point assez sotte pour demeurer dévêtue dans un camp ennemi, cousin.

Drago eut un rictus et lui présenta son bras, qu'elle saisit.

-Ils diront ce qu'ils souhaitent de la dynastie des Black, cousine, répondit-il d'une voix amusée. Ils ne les font guère sots, chez nous.

Ils s'engagèrent hors de la tente et furent aussitôt encerclés par une dizaine de soldats de la garde personnelle du Roi, qui les accompagnèrent discrètement tandis qu'ils parcouraient le camp en silence, avant de pénétrer dans l'immense tente réservée à Sirius Black.

Le propriétaire des lieux était assis avec une nonchalance élégante dans un fauteuil de velours, coupe de vin à la main et poignée d'amandes dans l'autre, qu'il dégustait avec plaisir. Les yeux de Delphini le parcoururent avec un mépris seulement égalé par l'amusement du jeune Empereur, puis s'arrêtèrent sur un homme au teint blafard, tout de noir vêtu, ses cheveux gras et noirs tombant en un rideau autour de son visage malsain.

-Votre Majesté, Votre Altesse Royale, murmura celui-ci d'un ton doucereux avec une légère révérence.

-Monsieur le Cardinal Rogue, répliqua Drago en lâchant le bras de Delphini. Sommes-nous prêts?

-En effet.

-Et le second témoin...?

-Sera moi, Votre Majesté, dit le Cardinal Severus Rogue.

-Parfait. Alors procédons, interrompit Sirius en se levant, posant sa coupe et ses amandes non loin.

Delphini constata alors qu'il était vêtu pour chevaucher.

-Avez-vous une confession à faire, mon enfant? demanda le Cardinal en se tournant vers la princesse de Hollande.

-Je suis Huguenote, rétorqua-t-elle d'une voix sèche.

Les yeux sombres du Premier Ministre français étincelèrent de déplaisir, mais il ne répondit guère. Il hocha la tête en direction de Sirius, et celui-ci saisit brusquement les mains de Delphini. Elle tenta brièvement de se dégager, mais rencontra les yeux moqueurs de l'Empereur et se tint alors coite, le fixant avec défi en retour.

-Nous sommes réunis ici afin de témoigner devant Dieu de l'union de cet homme et de cette femme, dans la crainte de Notre Seigneur, commença le Cardinal.

Delphini laissa échapper, malgré elle, un faible cri, mais se reprit aussitôt. Elle coula cependant un regard de reproche en direction du Roi de France, et entendit les ricanements bas des deux monarques en réponse, comme s'ils partageaient là une plaisanterie intime.

Elle s'entendit à peine répondre, mais la voix de son fiancé résonna longuement dans sa tête lorsqu'il consentit à la prendre pour son épouse. Enfin, il lui lâcha les mains, sans un baiser, sans un regard, et se tourna vers Drago.

-Je pars immédiatement, énonça-t-il. J'ai beaucoup de lieues à couvrir.

-Sans consommer le mariage, mon cousin? demanda Drago d'un air innocent. Comment votre charmante épouse s'en remettra-t-elle?

-Comment la vôtre s'est-elle remise de sa nuit de noces? rétorqua aussitôt Sirius.

Le Roi de France tiqua.

-Je serai de retour bientôt, avec mon armée, promit Sirius. D'ici là...

Il salua Drago d'un hochement de tête, fit un clin d'œil insolent à Delphini, et disparut hors de la tente.

-Il me suffira donc d'une annulation, décréta la princesse- ou était-elle impératrice, à présent?- d'une voix caressante.

-Je serai curieux de voir une Huguenote faire une telle demande au Pape, ricana Drago en retour. Profitez bien de vos nouveaux quartiers, ma cousine.

Sur ces mots, et en compagnie de Severus Rogue, le Roi de France disparut à son tour, laissant Delphini seule dans la tente de l'Empereur.

-Soyez maudits, tous les trois, souffla-t-elle en réalisant ce qu'une nuitée passée ici lui coûterait. Me voici vierge mais tout de même ruinée!

...

La chaleur était insoutenable, montant de cent corps pressés ensemble parmi les velours et les soieries, les fenêtres fermées. Un bruit incessant montait de la foule rassemblée, tous se disputant discrètement les meilleures places, juste face au lit où la jeune Reine de France était allongée, haletante, poitrine bandée par un tissu sanglant, visage pâle et jupons relevés tandis qu'une demie-douzaine de sage-femmes s'agitaient entre ses cuisses et à ses côtés.

-Je me meurs, murmura-t-elle. Du frais! Du frais!

-Ouvrir une fenêtre inviterait le Diable à s'emparer de l'enfant à venir, décréta l'une des sage-femmes tandis que d'autres hochaient la tête, alors que toutes suaient et la souveraine davantage encore.

Astoria laissa échapper un sanglot.

-Tout me brûle, ôtez cet enfant de moi!

-Patience, Votre Majesté, patience...

-Sa tête, sa tête apparaît, poussez!

Les courtisans, excités, se bousculèrent d'autant mieux, guettant avec avidité l'entrejambe exposée de leur monarque alors qu'elle donnait la vie.

Ce fut ainsi, ensanglantée et apeurée, soumise à mille yeux voyeurs et en une chaleur étouffante, que Théodore Nott la retrouva tandis qu'il se glissait dans la chambre personnelle de la Reine. Des larmes coulaient des yeux fermés d'Astoria tandis qu'elle gémissait, coulant sur ses joues sans la rafraîchir, et il serra les poings, ne désirant qu'aller à son côté en sachant fort bien qu'il n'y serait guère le bienvenu.

Comme sur le parvis, comme si elle eut sentie sa présence, Astoria tourna la tête vers lui, ouvrant les yeux.

-Théodore, supplia-t-elle d'une voix faible en tentant de tendre la main. Près de moi, venez près de moi, oh, Théodore, Théodore...

Sa voix s'acheva sur un hurlement inhumain tandis que son enfant tentait de rejoindre la lumière du jour, mais, comme une obsession, un mantra, la Reine hurlait son nom:

-Théodore, oh, je vous en prie! Théodore, Théodore, Théodore!

Que soient maudits les marieuses et les parleurs, maudits aussi les prêtres et les nonnes, maudits les chirurgiens et les Rois et les dieux du ciel et de l'Enfer, car Théodore connaissait, et à présent Astoria connaissait aussi, l'Enfer véritable: celui de respirer sans vivre, de vivre sans aimer, de survivre, de n'être qu'une infime partie de soi tant que l'être aimé est loin, est interdit. Il fit un pas en avant, puis un autre, prêt à mourir s'il le fallait, mais il lui fallait vivre, elle- et comment pourrait-elle vivre s'il n'était pas là, s'il ne la protégeait pas de son amour?

La foule s'agitait autour de lui, décrochant à présent le regard de la Reine blessée et en couches pour le porter sur lui, puis de nouveau sur la Reine, comme si une vérité se faisait jour. Les sourcils se fronçaient de suspicion, les lèvres se plissaient de condamnation, et il s'arrêta.

Il mourrait sans elle, certainement. Mais la rejoindre était la condamner, non la sauver.

Son amour, aussi fort soit-il, ne valait guère le savoir d'un chirurgien, ne pourrait la protéger. Bien le contraire. Cette foule assistait à leur amour éclatant au grand jour, et il pouvait bien mourir, qu'était la vie sans elle? Mais elle ne pouvait le suivre, non. Elle allait accoucher d'un petit prince, qui un jour régnerait sur la France, elle devait être là pour élever son fils, un fils aux yeux gris et cheveux blonds. Il ne pouvait aller à elle.

Il ne pouvait la rejoindre, ni demeurer près d'elle, laissant ses suppliques la condamner.

Il la regarda dans les yeux, espérant lui communiquer, en un instant de faiblesse, tout ce qu'elle était pour lui.

Tout pour elle, tout par elle, rien sans elle.

Et il fit demi-tour, les courtisans ébahis, n'osant comprendre, s'écartant sur son chemin alors qu'il rejoignait la porte. Astoria gémit à nouveau, puis sa voix explosa en une prière déchirante,

-Théodore! Théodore, s'il vous plaît! Restez...Théodore! J'ai besoin...Théodore!

Il jeta ouverte la porte à la volée, se sachant couard, se sachant condamné par les appels de celle qu'il ne pouvait aimer, et se pressa dans la fraîcheur du couloir, fuyant effectivement, alors que la voix de la Reine le suppliait, ses cris de douleur et de peine résonnant dans le palais, ne comprenant pas pourquoi, lui qu'elle aimait entre tous, l'abandonnait en son heure de besoin.

-Théodore, Théodore, Théodore!

Il descendit les degrés, hagard, errant comme un damné jusque rejoindre ses propres appartements, si loin de ceux de la Reine, où il ne se donna guère la peine de verrouiller la porte. Il lui semblait entendre, à chaque battement erratique de son cœur qui ne vivait qu'au rythme de celui de la Reine,

-Théodore! Théodore! Théodore!

Une fine couche de poussière recouvrait son bureau personnel,couvert de courriers et de pétitions, où il n'avait point posé pied depuis des mois. Il se laissa choir dans son fauteuil, tête entre les mains, revoyant sans cesse le visage torturé de sa Reine.

-Théodore! Théodore! Théodore!

C'était à le rendre fou. D'un revers de bras rageur, qui le vida de toute volonté, il jeta à bas tout ce qui encombrait son bureau. Les enveloppes s'envolèrent, parsemant le sol d'un tapis jaunâtre. Ses yeux parcoururent les enveloppes sans les voir réellement. Feu son père s'était donné la mort après de longs mois de folie- était-ce héréditaire? Vivait-il les mêmes émotions que son géniteur, tantôt colérique, tantôt défaitiste?

-Théodore! Théodore! Théodore!

Son père avait-il aimé une femme qui lui était interdite, tout comme lui? Ses yeux sombres s'étaient-ils posés sur une Reine, ou une Sainte, jusqu'à lui ôter toute raison?

-Théodore! Théodore! Théodore!

Une des lettres perdues attira son regard. Il reconnaissait cette écriture élégante, féminine et pourtant affirmée. Il se leva, marchant sur son courrier, pour la saisir, et la décacheta avec des mains qui ne tremblèrent pas.

Elle savait, elle aussi, après tout.

Monsieur le Comte de Calais

Je vous écris ce jour en toute hâte aux suites des lettres que j'ai reçues de ma fille, l'Infante Astoria. Dusse cette lettre tomber entre de mauvaises mains, elle nous condamnerait tous- vous, elle et moi, et sans doute d'autres- mais je n'ai plus d'autres recours. Ma fille est Reine, et vous souvenez-vous de la conversation que nous eûmes, un matin étouffant de Madrid, dans les jardins de l'Escurial? Vous souvenez-vous des mots que je vous y ai tenus? "Aidez-la, et je vous aiderai, moi." Car à travers ses lettres je n'ai point affaire à une Reine de France, mais à une enfant. Une enfant dont le mari est en guerre ouverte au plus bas des serpents que le Bon Dieu mit sur cette terre pour nous châtier. Ma soeur, la Reine Narcissa, fut tuée par les basses mains des créatures de cet Huguenot au sein même de notre catholique palais, et Astoria, je n'en doute guère, sera la prochaine.

Mon devoir de Reine me dicte les courriers que je lui envoie en retour, de garder tête haute et âme pénitente, mais mon devoir de mère me dicte celui-ci que je vous envoie, et c'est une supplique!

Emmenez-la! Enlevez-la de Versailles au dos de votre plus vif coursier, et cachez-la! Soyez heureux tous deux, loin d'ici, loin de l'Europe même s'il le faut. Elle mourra si vous n'agissez pas! Ses ennemis, les ennemis de la France, de l'Espagne, sont trop nombreux et ma fille est en danger. Vous l'aimez, je le sais, je l'ai vu, alors enlevez-la, et ne donnez pas votre vie pour elle car elle aura besoin de vous, besoin d'un protecteur, d'un chevalier. Laissez son propre enfant derrière s'il le faut, Drago saura le protéger comme il ne sait la protéger, elle. Faites-lui en dix autres afin qu'elle oublie le premier. Faites tout ce qu'il faut, peu importe la bassesse ou la hauteur, pour la maintenir en vie et heureuse, car il n'y a qu'avec vous qu'elle le peut être!

Enlevez la Reine de France, mon fils, et Dieu vous le rendra!

Avec mon amitié

A.

Il demeura de longs instants avec cette lettre décomposée et tachée de larmes entre ses doigts, yeux parcourant le papier mille fois, tantôt fébriles, tantôt las. La Reine d'Espagne, la mère d'Astoria, lui conseillait la victoire de l'amour sur le devoir. Et Andromeda n'avait-elle pas raison? Astoria ne venait-elle point d'être attaquée, au sein même de son royaume, au sein d'un royaume qui l'adulait?

Il vérifia la date- elle avait rédigé ce courrier un mois auparavant, avait risqué sa couronne, sa vie mêmes pour sauver son enfant en les exposant, tous trois, à mille déshonneurs. Malgré lui, il vit, du coin de l'esprit, une petite maison coquette emplie de rires d'enfants quelque part loin d'ici.

Et Astoria ne l'avait-elle pas supplié, elle aussi?

-Théodore! Théodore! Théodore!

Il ne sut combien d'heures étaient passées, mais le soleil se couchait à l'horizon, nimbant la pièce d'une glorieuse teinte orangée, promettant mille lendemains délicieux, lorsque les cloches se mirent à sonner. Doucement d'abord, puis avec plus de hargne, un rythme sobre, solennel, qui n'était point tout à fait le battement donné pour la naissance d'un prince royal. Théodore y prêta à peine attention. Il allait s'enfuir, et amener avec lui l'amour de sa vie.

On frappa à sa porte, et elle s'ouvrit un instant plus tard, laissant apparaître l'un de ses valets, chapeau entre ses mains.

-Monsieur le comte, souffla l'homme au visage blême.

Théodore se tourna vers lui, repliant la lettre entre ses doigts, mais son valet n'y prêta guère attention. Il ouvrait puis refermait la bouche, sans savoir, apparemment, que dire, mais une rumeur s'élevait des couloirs bondés de Versailles, une rumeur de surprise et de désolation.

-La Reine est morte!

Le sang de Théodore se glaça, commençant dans ses doigts, montant jusque son coeur, et la rumeur enflait, grossissait, passait les murs du palais dans des courriers déjà rédigés, destinés à l'Europe entière.

-La Reine est morte! La Reine est morte!

-Théodore! Théodore! Théodore!

Le valet lui parlait, mais le comte ne l'entendait guère, ne le voyait même plus. Il n'y avait plus rien, plus rien hormis cette supplique déchirante,

-Théodore!

Contrée par ce cri terrifié,

-La Reine est morte!

Et cette glace dans ses veines, et le courrier d'Andromeda d'Espagne qui lui brûlait les doigts.

La nuit était pleinement tombée. Le valet était parti, lorsqu'enfin, Théodore de Calais se leva, tendant vers une bougie la lettre de la Reine d'Espagne. Il la regarda brûler jusque ce que n'en demeurent que cendres, puis il s'assit à son bureau et en ouvrit l'un des tiroirs, où se trouvait un petit coffret qu'on lui remit après la mort de son père. Il l'ouvrit lentement, avec des gestes méchaniques, et en tira poudre et balle et pistolet. Il remplit ce dernier, la balle d'abord, puis la poudre tassée dans le barilet. Et sans un mot, sans ciller, il porta le pistolet à sa tempe, une dernière pensée lui occultant l'esprit, un mot, une citation qu'il ne parvenait à replacer mais qui remontait des tréfonds de sa mémoire pour le cueillir à sa dernière heure:

J'ai de vous voir beaucoup,

Plus grande envie

Qu'un prisonnier de voir sa liberté

Ni qu'un aveugle a de voir la clarté

Ni qu'un mourant de se revoir en vie...

...

Drago Malefoy, yeux rougis- mais certainement n'était-ce qu'un effet de la faible lumière des bougies de la tente- écoutait, tête entre ses mains pâles, les faits relatés par le chirurgien envoyé depuis Versailles, et qui avait assisté les derniers instants de la Reine.

-Sa Majesté était affaiblie par la blessure qu'elle reçut à Paris, murmurait-il sobrement. Elle avait perdu beaucoup de sang. Le premier enfant vint assez aisément, un bon garçon, gros et gras qui ravira Votre Majesté.

Le chirurgien jeta un regard inquiet au Roi, qui n'avait pas bougé malgré l'annonce de la naissance de son fils. Il était pourtant couramment admis, à la Cour, que le Roi et la Reine n'avaient aucun amour l'un pour l'autre, mais il ne pouvait s'empêcher de sentir que sa propre vie, en cet instant, ne tenait qu'à un fil. Pour la postérité, il serait celui qui avait laissé mourir la plus pieuse et la mieux aimée des Reines de France.

-Puis un second enfant se présenta, fondement en premier, pressa-t-il. Il déchira la Reine qui ne put l'accoucher. Nous pensions l'enfant mort et ne songions qu'à Sa Majesté, mais Elle demanda son confesseur, et ils s'entretinrent quelques moments, tant la Reine avait peu à dire. Elle...elle laissa de l'argent de sa cassette personnelle à plusieurs églises et confréries de Paris et de Versailles, et puis elle sombra et ne se réveilla plus. J'achevai de tirer l'enfant d'elle, un second garçon, lequel, à notre grande surprise, se mit aussitôt à pleurer. Il est plus chétif que son aîné mais vivra, Votre Majesté. La Reine était, alors, déjà morte.

Toujours point un mot de la part du Roi. Le chirurgien remua nerveusement, doigts s'entremêlant. Certainement, le Roi demanderait sa tête, et ce ne serait peut-être point sans mérite. Dieu n'avait sûrement pas voulu rappeler auprès de lui sa plus loyale missionnaire, alors ce devait forcément être l'oeuvre des Hommes, son oeuvre à lui spécialement...

-Merci, Dr Krum, énonça la voix grave du Premier Ministre.

Les yeux du chirurgien voletèrent brièvement vers le Cardinal, qui se tenait quelques pas derrière son maître, visage soucieux.

-Il y a autre chose, se lamenta le chirurgien d'une voix hâtive.

C'était décidé- si le monarque ne le faisait pas tuer, il se retirerait de Versailles pour s'en aller vivre son célibat dans quelque monastère.

-Le Comte de Calais, Théodore Nott, s'est présenté au chevet de la Reine. Elle l'appelait comme son cher ami...il a alors quitté la chambre, laissant seule la Reine, et la rumeur court qu'ils étaient amants, acheva-t-il avec une grimace. D'autant que...le valet du comte a rapporté à son maître la mort de la Reine, et dans la nuit, Calais...Calais se suicida, comme feu son père, d'une balle dans la tête.

A cela, le Roi leva enfin les yeux. Lorsqu'il parla, sa voix était éraillée.

-La Reine sera inhumée avec tous les égards dûs à son rang, dit-il, et le Cardinal en personne apportera une pétition au Pape afin de la voir béatifiée.

Severus Rogue ouvrit la bouche, puis la referma lentement et hocha la tête.

-Ceux répandant des rumeurs sur une éventuelle liaison entre la Reine et le Comte seront fouettés et verront leurs privilèges et biens confisqués par la Couronne, selon la gravité de l'infraction, poursuivit-il. La cause officielle de la mort de Théodore Nott sera naturelle, de maladie ou d'accident, ce qu'il vous plaira, et il sera inhumé auprès des siens, à Calais, avec les égards dûs à notre amitié et à son rang.

-Un suicidé! siffla Rogue, mais Drago l'ignora.

-Les héritiers de la Couronne, poursuivit le Roi avec froideur, seront protégés en tout instant. Ils ne verront que deux nourrices de confiance et la duchesse de Paris aura à charge d'organiser leur baptême dans les plus brefs délais. Ils auront pour noms Scorpius Hypérion, en l'honneur du père de leur mère, et Lucius Drago, en l'honneur du père de leur père.

Avec un bref hochement de tête, le Roi quitta la tente dans le silence de la nuit, laissant le Dr Krum et le Cardinal seuls.

...

Bon, on a connu des chapitres plus légers, c'est vrai. Celui-ci est particulièrement court mais il s'y passe tellement de choses- l'attaque sur Tori, son accouchement, sa mort, celle de Théo, le mariage de Delphini et Sirius...je préfère vous laisser digérer tout ça et repartir pour le reste dans un nouveau chapitre.

1. Vous serez peut-être étonné de savoir qu'autant de monde assiste à l'accouchement de la Reine, mais c'était la coutume de l'époque- cela permettait d'éviter qu'il y ait un éventuel échange entre deux bébés. Par exemple, si une fille naissait au lieu d'un très attendu garçon, ou si le bébé était faible et risquait de mourir. La présence d'autant de "grandes gens" à une naissance royale- particulièrement lorsqu'elle concernait l'éventuel héritier au trône- était donc monnaie courante, afin de garantir la "royauté" du bébé.

2. Le couplet passant dans la tête de Théodore Nott avant son suicide est de Joachim du Bellay, poète qui vécut au siècle précédent. Il me paraissait tout adapté.

3. L'outrage de Rogue- "Un suicidé!"- tient au fait que les gens se donnant la mort étaient vus comme "impurs" et n'avaient pas droit à une inhumation par la Sainte Eglise, puisque la Bible considère le suicide comme l'un des plus grands crimes qui soient. Ici, la tentative de Drago de réhabiliter la mémoire et de sa femme, et de son ami, est de faire passer la mort de Théo comme étant de causes naturelles pour lui ouvrir les portes du Paradis. On remarque que Rogue n'ose pas râler plus que ça ;)

4. Je suis désolée. Astoria et Théodore étaient prévus de mourir depuis que j'ai commencée à écrire cette fiction.

5. Que pensez-vous que le mariage de Delphini et Sirius nous réserve?

6. Quand pensez-vous que le prochain chapitre apparaîtra?

7. Que pensez-vous manger pour le dîner, et le premier qui dit "lasagnes" peut-il me garder une assiette?

Bisous, à bientôt!

DIL.