Bon, je sais qu'il n'est jamais raisonnable de commencer une histoire quand on en a une autre en cours, mais comme la patience n'est pas une de mes qualités premières (entendez par là : je suis exceptionnellement impatiente, tout le temps), je n'ai pas résisté, et voilà le premier chapitre. J'en ai quinze d'avance sur cahier, trois sur ordinateur, et je pense poster, comme pour "Illusions", un chapitre par semaine.

On ne peut pas dire que cette histoire brille par son scénario original et fouillé, mais j'avais envie depuis longtemps d'écrire une sickfic sans me préoccuper du reste (par "le reste", entendez l'intrigue : pas de planète à explorer, pas d'ennemis à combattre, pas de plan foireux, tout se passe à bord du vaisseau). Vous allez me dire que je suis un peu sadique, surtout avec Spock qui s'en prend quand même plein la figure dans toutes mes fics, et vous n'aurez pas tort, mais le but, là encore, outre de rendre vulnérable mon Vulcain préféré, est d'aller creuser un peu la psychologie des personnages (et, accessoirement, de montrer à quel point McCoy est un docteur exceptionnel).

Je suis partie d'une citation de la série originale qui m'a marquée (et que je vous mets en exergue) et du côté "schizophrène" de Spock, partagé entre les deux parties de sa personnalité. L'histoire se passe après Into darkness - à mon avis, c'est à ce moment que tout bascule pour Spock, qui commence à accepter son humanité sans trop savoir comment la gérer. Il va falloir attendre un peu avant d'en arriver au côté vraiment psychologique de la chose, mais je vous promets que ça va venir. Je vous avoue que je ne suis pas très sûre de moi pour cette histoire qui me tient cependant très à cœur, donc, vraiment, n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez.

"Being split in two halves is no theory with me, Doctor. I have a human half, you see, as well as an alien half, submerged, constantly at war with each other. Personal experience, Doctor. I survive it because my intelligence wins out over both, makes them live together."

« Etre divisé entre deux moitiés n'est pas une théorie pour moi, docteur. J'ai une moitié humaine ainsi qu'une moitié vulcaine, submergées toutes deux, constamment en guerre l'une contre l'autre. Une expérience personnelle, docteur. J'ai survécu parce que mon intelligence a réussi à vaincre ces deux parties, à les faire vivre ensemble. »

« L'imposteur » (The enemy within) - Star Trek TOS, saison I, épisode 5

Chapitre 1 : Premiers symptômes

La première fois que Spock doit prier le capitaine de répéter un ordre qu'il vient de lui donner, parce qu'il ne l'a pas entendu, il a 30.22 ans. Jamais auparavant, sauf circonstances exceptionnelles et particulièrement critiques, il n'a été victime d'une quelconque baisse de ses capacités physiques. Il n'a jamais eu à fournir d'efforts pour rester concentré sur ses tâches quotidiennes. Il ne s'est jamais « senti mal ». Et parce que les Vulcains ne peuvent pas tomber malades, du moins pas de la même façon que les humains, cette possibilité ne lui vient pas immédiatement à l'esprit.

Et pourtant…

Six mois s'étaient écoulés depuis le scandale qui avait suivi la mort de l'amiral Marcus et le départ de l'Enterprise pour la mission de cinq ans qui lui avait été attribuée. Six mois dans l'espace. Six mois de découvertes, d'exploration de nouvelles planètes, de tentatives plus ou moins réussies de communication avec des civilisations inconnues.

Six mois sans réel problème.

Bien sûr, le docteur McCoy n'avait de cesse de se plaindre du manque de prudence de leur capitaine, qui se retrouvait plus souvent qu'il ne l'eût fallu à l'infirmerie, et si l'on avait demandé à Spock son avis – ce que James Kirk s'abstenait bien de faire – il eût certainement donné raison au médecin en chef. Jim avait tendance à se montrer inutilement téméraire, et certaines missions à l'origine parfaitement banales auraient pu s'achever de façon tragique bien trop souvent au goût du Vulcain. Cependant, comme le disait l'ingénieur en chef, M. Scott, la chance semblait être de leur côté. Spock ne croyait pas à l'existence d'un principe aussi dénué de logique que la chance, mais il devait admettre que ces derniers 6.28 mois avaient été exceptionnellement calmes, quoique non dénués d'intérêt. Le moment le plus dangereux de leur voyage avait été leur rencontre avec une étrange créature grouillante de tentacules qui les avait attaqués sur Dosaria. Aucun mort à déplorer, trois blessés légers – dont, encore une fois, le capitaine, mais il était difficile de l'empêcher de participer à des expéditions qu'il était supposé commander. C'était du moins ce que le premier officier avait répondu au docteur McCoy, qui aurait clairement préféré savoir Jim sur la passerelle 24h/24, pendant que l'équipe au sol se débrouillait sans lui comme elle le pouvait.

Il fallait dire que, depuis l'affaire Khan, tous les membres de l'équipage, et particulièrement les officiers supérieurs, avaient tendance à se montrer inutilement protecteurs envers leur capitaine.

Spock, s'il devait dire la vérité, n'échappait pas à la règle.

Tout ce qu'ils avait découvert jusqu'ici s'était avéré non seulement peu dangereux mais également fascinant, et le Vulcain n'était pas le seul à employer cet adjectif spécifique pour décrire leur mission et les planètes dont ils exploraient la surface, bien que Jim, évidemment, préférât des termes plus spectaculaires tels qu'« excitant » ou « exaltant ».

Ils avaient quitté, quatre jours auparavant, une étrange planète appelée Zelna, peuplée d'une espèce télépathe et pacifique, incapable de communiquer autrement que par l'esprit, ce qui avait logiquement fait du seul Vulcain de l'Enterprise leur interlocuteur privilégié. En conséquence, Spock avait passé de longues heures sur la planète à essayer d'expliquer, sans prononcer un seul mot (un défi à la fois stimulant et épuisant), le but de la Fédération et de leur mission à travers l'espace. Il avait réalisé des dizaines de fusions mentales et essayé d'assimiler le plus vite possible les techniques télépathiques des habitants de Zelna, qui différaient de celles de sa propre espèce. Pour finir, ses interlocuteurs s'étaient montré grandement intéressés et leur avaient offert des spécimens remarquables, tant végétaux qu'animaux, qui allaient notamment permettre de grandes avancées dans le domaine de la médecine. Le docteur McCoy avait été absolument ébahi – et fou de joie, à en croire la manière totalement inhabituelle dont il avait chaleureusement remercié Spock avec une grande claque, visiblement amicale, dans le dos – face à la masse de connaissances nouvelles que le Vulcain avait réussi à collecter, et passait à présent la plupart de son temps dans le laboratoire numéro 9 (l'infirmerie était exceptionnellement calme ces derniers jours), à étudier les plantes et les microorganismes qui avaient été offerts à l'équipage de l'Enterprise en gage de bonne volonté de la part du peuple de Zelna.

Du moins, pendant qu'il étudiait, se taisait-il, ce qui était une nette amélioration par rapport à la semaine précédente, durant laquelle il avait bruyamment exposé son désaccord avec une décision prise par le capitaine avant de passer sa mauvaise humeur sur l'ensemble de l'équipage en général et le premier officier en particulier.

Quand Spock finit par remonter à bord du vaisseau, après plusieurs jours de négociations, avec un traité de coopération signé, il se trouva étrangement soulagé de quitter cette planète. Etrangement, car ses habitants s'étaient montrés amicaux, désireux de partager leurs connaissances, et particulièrement attentifs et bienveillants envers le Vulcain. Tout, depuis la première seconde où ils avaient posé le pied sur Zelna, s'était en réalité passé de manière optimale – et cependant, Spock sentait (un terme qu'il n'employait que rarement) que quelque chose lui avait échappé, quelque chose de désagréable qui n'allait pas tarder à le rattraper. Mais, comme il était peu fréquent qu'il eût des prémonitions, il décida de n'en pas tenir compte. Après tout, un tel pressentiment n'avait rien de logique, et ce qui n'était pas logique n'était pas pertinent.

Ce n'est que quatre jours après leur départ de Zelna (le docteur McCoy était toujours enfermé dans son laboratoire, où il pouvait travailler sans être dérangé par ses rares patients, les laissant aux bons soins des autres membres de l'équipe médicale) que Spock comprit enfin que cette impression déplaisante ne provenait absolument pas de la planète en question, mais de lui-même. Il se sentait – encore ce mot si humain – inhabituellement fatigué, et une migraine, légère mais tenace, avait fait son apparition deux jours auparavant il lui semblait qu'un poids invisible et cependant parfaitement réel s'était posé sur sa poitrine à peu près au même moment, l'empêchant de respirer convenablement. Il lui avait été aisé, pendant ces deux jours, de ne pas tenir compte de ces légers désagréments, avec l'aide de la discipline vulcaine, mais l'impression générale de malaise était allée croissante. Il ne lui était plus possible, après quarante-huit heures de sensations de plus en plus inconfortables, de les mettre sur le compte de la fatigue mentale qu'il avait éprouvée ces derniers temps, après avoir maintenu pendant des heures des liens télépathiques épuisants.

Lorsque son temps de présence requise sur la passerelle arriva à son terme, il s'attarda quelques minutes, comme il le faisait toujours au cas où un officier eût besoin de son aide, mais n'alla pas, comme il l'avait prévu, s'enquérir des progrès du docteur McCoy sur ses dernières expérimentations. Au lieu de cela, il se retira dans ses quartiers, se demandant quelle ligne de conduite il devait à présent adopter. L'explication de son malaise était évidente, et, aussi surprenante et désagréable qu'elle fût, il ne lui servait à rien de la nier : il avait, selon toute apparence, contracté sur Zelna une maladie quelconque, dont les symptômes, après quelques jours d'incubation, commençaient à se manifester. S'il souhaitait être tout à fait honnête avec lui-même, il se devait d'avouer qu'il les ressentait bel et bien depuis deux jours déjà, mais l'idée qu'il pût être tombé malade ne lui était pas venu à l'esprit, puisqu'il s'agissait d'une situation qu'il n'avait jamais rencontrée. Cependant, aucune autre alternative n'était plus envisageable à présent.

Lorsque l'on a éliminé l'impossible…

Spock n'était pas certain d'être parfaitement à l'aise avec cette idée. Le système immunitaire vulcain, beaucoup plus efficace que celui des êtres humains, aurait dû logiquement le prémunir contre toute infection virale, comme il l'avait toujours fait jusqu'ici. Encore une fois, sa moitié humaine lui jouait des tours. Encore une fois, sa moitié humaine s'avérait faible, imprévisible, peu fiable. Encore une fois, sa moitié humaine trahissait celui qu'il essayait d'être.

Celui que tu es, corrigea-t-il immédiatement.

Il s'assit en tailleur sur son tapis de méditation et, fermant les yeux, prêta attention aux symptômes qu'il avait délibérément occultés pendant ces deux derniers jours, en les mettant sur le compte d'une lassitude passagère. La migraine n'avait ni augmenté ni diminué depuis la veille, mais elle était toujours là, persistante, insistante, et nulle méditation n'avait réussi à la déloger de la tempe gauche du premier officier. Il avait un peu froid, même dans ses quartiers pourtant bien chauffés, et ses membres lui semblaient plus lourds qu'à l'ordinaire, comme si la masse de son corps avait été légèrement modifiée – ce qui, bien sûr, était impossible. Il respirait moins bien que la veille (et, depuis 1.57 heures, il n'était pas certain de contrôler totalement certaines de ses inspirations), ce qui lui fit brièvement envisager la possibilité d'une séquelle provenant de l'une de ses premières missions à bord de l'Enterprise, la seule et unique fois de sa vie consciente où il avait été la victime d'une réaction immunitaire strictement humaine (et déplaisante). Mais cet épisode remontait à 1.23 années auparavant, et l'intervention chirurgicale qu'il avait alors subie rendait plus qu'improbables des conséquences si lointaines. De plus, les problèmes de respiration qu'il rencontrait à présent semblaient davantage liés à ses fosses nasales qu'à ses poumons – ce qui était, d'une certaine façon, plus gênant qu'inquiétant, dans la mesure où il en résultait pour le Vulcain une perte de près de 65% de son sens olfactif.

Il devait donc bel et bien s'agir d'un virus, qu'il avait, d'une façon ou d'une autre, contracté sur Zelna. Pour l'instant, les symptômes n'avaient rien d'alarmant et Spock était certain d'être en mesure de se débarrasser de la majorité d'entre eux grâce à deux heures de méditation. S'il avait été seul, il aurait laissé la maladie suivre son cours et disparaître d'elle-même, mais il lui fallait considérer une possible contagion. Il était donc de son devoir de se rendre à l'infirmerie avant d'avoir le moindre contact avec un autre membre de l'équipage. Ils n'avaient certes pas besoin d'une épidémie à bord de l'Enterprise, qui avait déjà subi un raz-de-marée de grippe levodienne peu de temps auparavant. D'un autre côté, aller déranger le médecin en chef dans ses recherches pour des manifestations physiques si peu préoccupantes semblait légèrement disproportionné. Certes, Spock aurait pu demander conseil au médecin qui était de service à cette heure, mais il n'avait aucune envie de se laisser examiner par le docteur Pantari.

Les Vulcains n'ont pas de préférence, se morigéna-t-il.

Ce n'est pas ta moitié vulcaine qui est malade.

Le premier officier, légèrement décontenancé par l'intervention inopinée de sa part humaine dans son esprit, était cependant décidé à lui donner satisfaction pour cette fois. Il avait toujours limité le plus possible les interactions avec le personnel médical, et le docteur McCoy était le seul dont il fût assez proche pour lui avouer ce qui, pour l'heure, lui semblait une trahison de son propre corps. Le médecin en chef serait à nouveau de service dans trois heures environ, ce qui laissait largement le temps à Spock de méditer avant d'aller le voir.

Il avait considéré les choses avec logique, il s'apprêtait à agir avec logique – alors pourquoi était-il assailli par des souvenirs qui, eux, n'avaient rien de logique ?

Pourquoi se rappelait-il Vulcain ? Pourquoi se rappelait-il…

Il sursauta brusquement, au bord du sommeil, et il lui fallut quelques instants pour réaliser qu'il était dans ses quartiers, à bord de l'Enterprise, et non pas dans le désert brûlant de sa planète natale.

Il avala douloureusement – autre symptôme, un irritation de la gorge qui se manifestait à chaque déglutition – et s'efforça de reprendre le contrôle de sa respiration, qui lui avait totalement échappé. Essuyant une goutte de sueur qui avait perlé sur son front, il se demanda ce qui venait de lui arriver.

C'était un rêve, murmura l'irritante petite voix.

Les Vulcains ne rêvent pas, se dit-il immédiatement en fronçant les sourcils. C'était un souvenir.

Cependant, ce qu'il venait d'expérimenter ressemblait fortement à ce qu'il savait des rêves. Il s'était renseigné sur cette spécificité humaine lorsqu'il était à l'Académie et ce qu'il en avait appris l'avait laissé quelque peu perplexe.

C'était un souvenir, se répéta-t-il.

Un souvenir qu'il n'avait pas volontairement convoqué, parce qu'il ne convoquait que très rarement des souvenirs de son enfance – il n'est jamais bon de raviver les anciennes blessures, il ne le savait que trop – mais un souvenir, et non un rêve. Après la destruction de sa planète, il avait failli se perdre dans ces souvenirs, y compris ceux qu'il s'était pourtant juré, des années auparavant, de ne plus jamais évoquer. Mais la perte avait été trop intense, trop brutale, trop soudaine…

Se perdre n'était pas une option.

Il prit une profonde inspiration et convoqua, au lieu de ces images nostalgiques et dangereuses, le souvenir qui l'intéressait – l'explication parfaitement vulcaine que lui avait fournie son père le jour où, pour la première fois, il avait vu sa mère malade. Elle n'avait rien de grave, une infection virale quelconque, mais il s'agissait d'une faiblesse typiquement humaine, avait commenté Sarek avec un rien de condescendance dans la voix. Il avait ajouté qu'il n'était pas envisageable que son fils ne fût pas immunisé contre de tels inconvénients.

Apparemment, il avait déçu son père dans ce domaine comme dans tant d'autres.

Peut-être n'était-il pas si totalement Vulcain qu'il se l'imaginait. Cette pensée l'obsédait depuis quelques temps, depuis la « mort » de Jim, en fait, et il avait beau la mettre de côté, l'occulter, essayer de l'enterrer dans les profondeurs de son esprit, elle refaisait surface, encore et encore, amenant avec elle son lot de questions insolubles.

Insolubles. Ce mot lui déplaisait. Ne pas savoir, ne pas comprendre le dérangeait.

Tout ce que tu viens de penser, tout ce que tu viens de ressentir, tout cela est humain, se dit-il en s'efforçant de vider son esprit.

Trop humain.