Bonjour !

Je suis affreusement navrée du temps que j'ai mis à rédiger ce septième chapitre ! Ayant dû faire face à un certain nombre de difficultés ces derniers mois, j'ai eu un mal fou à me concentrer et à trouver le temps d'écrire... Mais j'y suis parvenue ! Merci, par ailleurs, à Ami.M, Monica da Silva, Louloute4, Space D Estrella Blanche, Iyfaelyn, Leanaphantomalfoy et Airi-chan787 : les reviews que vous m'avez adressé à propos de la partie précédente m'ont fait extrêmement plaisir, et m'ont motivée à continuer !

Dans un autre registre, je tiens également à remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont eu la gentillesse de répondre au sondage que j'avais mis en place. Vos participations m'ont été d'une grande aide !

Voici pour cet en-tête. J'espère de tout cœur que « Faithful to fear » sera à la hauteur de vos attentes, et j'ai hâte de lire vos commentaires sur son compte !

Les personnages dont il est question dans cet écrit sont protégés par un copyright et ne m'appartiennent pas, les droits relatifs à ces protagonistes fictifs étant détenus par le studio MAPPA (bien que certains soient de mon invention).


Il était plus d'une heure du matin, et la nuit glaciale voyait son habituel silence hivernal rompu par les chants des vagues et des embruns, qui s'écrasaient et éclataient paresseusement sur la rive. Les alentours, tout comme la plage, étaient déserts. Non loin du bord de l'eau, Yuri et Otabek étaient assis sur un large drap élimé, également emmitouflés l'un contre l'autre dans une grande couverture de laine, que, pour des occasions comme celles-ci, le Kazakh conservait toujours dans le coffre de sa moto. Tout en terminant leur repas, ils discutaient.

- « Franchement, il aurait pu se retenir de te mater comme ça et de jouer sur les mots, ce con de caissier ! Grogna le blond, aspirant une longue gorgée de milkshake. J'aurais bien laissé mon poing saluer son joli minois !

- C'est vrai qu'il n'était pas très discret, pouffa le concerné, portant à ses lèvres une cuillerée de son sundae. Mais depuis quand es-tu jaloux que quelqu'un essaie de me séduire ?

- « Pas très discret » ? Il te draguait carrément ! Rétorqua le cadet, hilare, enfonçant son gobelet presque vide dans le sol. Et ça m'emmerde depuis que t'as pas l'air d'être contre !

- Il faut avouer que c'est toujours flatteur de constater qu'on plaît. Sans compter que, lorsque ça t'arrive, tu n'y es pas vraiment réfractaire, toi non-plus ! Rit le plus âgé, délaissant à son tour son dessert et dégageant délicatement une mèche du visage de son petit-ami. Souviens-toi de ce garçon d'origine Indienne qui n'arrêtait pas de te sourire dans la salle d'attente de l'Agence de Voyage, la fois dernière. Crois-tu que je ne t'ai pas vu lui rendre ses coups-d'oeil charmeurs ?

- Il était mignon et il me fixait ! J'y peux rien si je kiffe les hommes à la peau mate et qu'en plus, je les attire, s'esclaffa le second, esquissant alors un sourire malicieux tout en posant sa main sur l'une des cuisses de son condisciple. Mais y a rien qui me plaise plus que la façon dont toi, tu me regardes. »

Sur ces mots, il amorça un mouvement pour se redresser afin de s'installer sur le bassin de son conjoint, mais, le surprenant, celui-ci l'arrêta, plaquant doucement sa paume sur son torse.

- « Qu'est-ce que t'as ? Tu flippes à l'idée que quelqu'un nous surprenne ? Questionna, dans un rire, le plus jeune. T'en fais pas, si on se planque correctement sous la couette, personne pourra rien remarquer. De toute façon, il est presque deux heures : y a pas un chat dans les environs. Ou alors t'es pas d'humeur. C'est ça ? Je peux comprendre.

- Non... Enfin... Si, d'une certaine manière, répondit calmement l'intéressé, braquant un regard troublant vers les yeux clairs du Russe. J'en ai très envie, mais... Pas cette nuit. Je... J'ai avant tout besoin de ta tendresse. Tu m'as manqué, Yuri... »

Ému, le dénommé resta silencieux quelques secondes. Puis, prenant soin de chasser de son esprit ses pensées sensuelles, il se rapprocha, et embrassa Otabek avec douceur. Timidement, celui-ci glissa sa main sur sa joue, puis dans ses cheveux, laissant sa bouche aller contre la sienne en une réponse presque hésitante. Yurio, touché par la fragilité manifeste de son petit-ami, murmura une parole apaisante contre ses lèvres, une nouvelle, puis une autre, tout en l'allongeant, lentement, sur le drap. Dès lors qu'il le surplomba, il pressa chastement son corps contre le sien, approfondissant leur baiser avec toute la délicatesse dont il se savait capable. Encouragé par les frissons de bien-être de son amant, il se donna pour mission de caresser chaque parcelle atteignable de sa peau hâlée, en des gestes absolument dénués d'érotisme, dans le seul but de le rassurer. Il le fit donc, plus amoureux que jamais, au rythme tranquille du flux et du reflux agitant l'eau salée.

Le lendemain matin, peu après cinq heures, ils étaient rentrés chez eux et avaient dormi d'un trait, jusqu'aux environs de quatorze heures trente, où ils avaient fini par convenir qu'il était temps qu'ils se lèvent. Tout juste sorti de la salle d'eau, installé sur l'un des hauts tabourets disposés devant le comptoir de la cuisine à l'américaine, une tasse de café brûlant en main, le brun s'apprêtait à l'entamer, lorsqu'une sonnerie tonitruante le tira de ses pensées.

- « Yuri, ton portable ! Annonça-t-il d'une voix forte.

- J'arrive ! Lui répondit la « Fée », entrant dans le salon la seconde suivante, vêtu de son peignoir et occupé à nouer sur sa tête une petite serviette éponge. Bordel, j'avais oublié à quel point je déteste le sable ! J'en avais partout dans les cheveux ! Je viens à peine de réussir à en venir à bout alors qu'on est entrés dans la baignoire en même temps ! Ça m'apprendra à me lancer dans un combat de catch avec toi !

- La prochaine fois, porte un bonnet de bain ! Plaisanta le plus vieux depuis son siège. À propos de sable, il va falloir que nous changions les draps : nous nous sommes couchés sans y penser, mais nous les en avons parsemés ! Ce sera pour plus tard, ceci étant. Il vaut mieux que tu décroches, c'est peut-être important. »

Dans un hochement de tête, le Russe empoigna l'appareil, qui, poussé par les vibrations, venait de manquer de tomber de la table basse, et prit l'appel, sans regarder le nom ou le numéro qui s'affichait sur l'écran, saluant donc avec désinvolture l'individu se trouvant à l'autre bout du fil.

- « Salut.

- Bonjour, Yuri. Ici Zoria, répondit-elle, sur un ton particulièrement sec en comparaison de la douceur habituelle de sa voix.

- Oh ! Excusez-moi madame Altin, je voulais pas être impoli ! Je savais pas que vous aviez mon numéro, et comme j'ai pas le vôtre... Enfin... Désolé, bredouilla le patineur, gêné, lançant une oeillade au descendant de son interlocutrice. Je vous passe Ota...

- Non. C'est à toi que je veux parler en premier lieu. J'ai des questions à te poser, et je veux que tu sois honnête lorsque tu y répondras. Y es-tu disposé ? Le coupa la femme, autoritaire.

- Pardon ? S'étonna le jeune adulte, prenant place sur le sofa, soudain submergé d'un pressentiment qui le poussa à activer le haut-parleur, afin que son conjoint, qui venait de se lever pour le rejoindre sur le divan, puisse tout entendre.

- Ne fais pas l'idiot. Tu m'as parfaitement comprise. Ne t'échine pas à me demander des explications, je ne t'en fournirais aucune tant que tu n'auras pas formulé de réponse à mes propres interrogations. Je te demande de me dire la vérité. Vas-tu le faire ? »

Pris au dépourvu, le sollicité adressa un regard effaré à son compagnon, qui, assis près de lui et visiblement tout aussi surpris, hésita un instant, avant de lui donner silencieusement son accord. Aussi, le Saint-Pétersbourgeois entrouvrit les lèvres, finissant par claironner, avec autant d'assurance que possible :

- « Oui, madame.

- Très bien, lança Zoria, toujours froidement. Sache que je n'ai aucune intention de te ménager, je vais donc me montrer directe. As-tu, oui ou non, déjà eu des relations sexuelles avec mon fils ?

- Quoi ?! Ne pu s'empêcher de s'exclamer le blond, ouvrant de grand yeux. De quoi est-ce que vous... ?!

- Oui ou non, Yuri Plisetsky ?! Rétorqua la Kazakhe, presque menaçante.

- Madame Altin, commença le dénommé, franchement paniqué à présent, rivant de nouveau ses iris émeraude vers son petit-ami, qui, pâle comme un linge, ne réagit pas immédiatement, puis, très lentement, acquiesça tout de même, d'un hochement de tête, l'incitant à honorer sa promesse. Nous... Je veux dire... Oui...

- Depuis combien de temps avez-vous ce genre de contacts ? Poursuivit la femme, la voix vibrante de ce qui ressemblait à de la rage.

- Écoutez, vous devriez en parler avec...

- Combien de temps ?!

- Depuis... Presque trois ans. »

Angoissé au possible, le propriétaire du smartphone supplia, silencieusement, le brun de l'aider. Alors, ce dernier - apeuré mais conscient qu'ils n'avaient plus d'autre choix que de se montrer coopératifs - déposa une caresse sur son avant-bras, lui faisant ainsi s'avoir que continuer de mentir n'était pas nécessaire, en dépit des risques que cela impliquait.

- « Quelle est la nature exacte de vos rapports ? Continua la quarantenaire, dont la colère était évidente. Êtes-vous de simples amis malgré tout ?

- Non, souffla le cadet, peinant à dissimuler son extrême nervosité. Nous... Nous sommes un couple. »

Un silence pesant tomba séance tenante, et se prolongea une longue minute, jusqu'à ce que Zoria, à présent très calme de par son abasourdissement, ne s'exprime de nouveau :

- « Dans ce cas... Voici ma dernière question : êtes-vous amoureux l'un de l'autre...?

- Je... Oui, madame.

- Je veux parler à mon fils, répondit aussitôt la susnommée.

- Tout de suite, acquiesça le Russe, tendant l'appareil à son amant, qui s'en saisit fébrilement.

- Bonjour, maman, déclara-t-il, très anxieux.

- Qayırlı kün, meniñ kişkene snejïnka*... Tout ceci, est-ce la vérité ? S'enquit-elle, indéniablement peinée.


* « Qayırlı kün, meniñ kişkene snejïnka »: signifie « Bonjour, mon petit flocon de neige» en Kazakh.


- Écoute... Avant tout, je tiens à t'expliquer pourquoi j'ai choisi de ne rien te dire : je te sais ouverte et tolérante, mais s'agissant de moi, non pas d'un inconnu, j'avoue avoir eu peur que tu perçoives cette relation homosexuelle d'un mauvais œil... Si tu m'avais demandé de changer... J'en aurais été incapable. Je t'aurais forcément désobéi, déçue... Je désirais à tout prix éviter de prendre ce risque, alors je me suis tu... Quant aux propos de Yuri... Ils sont exacts. Je l'aime, sincèrement... Il ressent la même chose pour moi. Nous sommes ensemble depuis presque aussi longtemps que nous habitons le même appartement... Et, en oubliant que mon métier est en cause, il est la principale raison pour laquelle je ne veux pas me marier...

- Je vois... Met donc le haut-parleur, qu'il m'entende, lui aussi... »

La fonction en question étant d'ores et déjà active, aucun des deux patineurs ne bougea, attendant avec angoisse que la Kazakhe poursuive, ce que, à nouveau, elle ne fit qu'au terme de plusieurs instants, ayant visiblement des difficultés à accuser le coup.

- « Je suis très blessée que tu m'aies menti... Malgré tout, je... Je ne peux pas t'en vouloir, je comprends que tu aies été effrayé par les conséquences dans l'hypothèse où tu te serais confié à moi... Mais je n'en suis pas moins enragée... ! Mon chéri... Quelle a été mon erreur ? T'ai-je élevé en t'apprenant, sans le vouloir, à considérer la supercherie comme un gage de sécurité ? T'ai-je enseigné à craindre la différence, jusqu'à la tienne, et à te bercer de remords ? Si tel est le cas, j'ai commis une grave faute... C'est à moi de te supplier de me pardonner... Veux-tu bien faire preuve d'indulgence à mon égard...?

- Maman... Tu m'as au contraire appris à être honnête, et fier, de mes forces comme de mes faiblesses. Seulement, certains événements survenus au cours de ma vie ont changé ma façon de concevoir les choses... Un jour, bien sûr, je t'en parlerais... D'ici là, saches que tu n'es en aucun cas la cause de mes tares. Elles ne proviennent que de moi...

- Comment se fait-il, alors, que tu doutes à ce point du bien-fondé de ta propre condition, Otabek...?

- Je n'en doute pas : je suis à l'aise avec mes préférences et ma situation. Mais, pour être honnête, si un aspect de l'éducation que j'ai reçue m'a effectivement poussé à dissimuler certains de mes traits de personnalité, il s'agit bien du fait que je me sois trouvé forcé de respecter tous les codes de notre culture, de ceux qui me semblaient légitimes à ceux qui me révoltaient. Afin de les honorer, j'ai prétendu être celui que les usages désiraient que je sois... Cependant, si je suis parvenu à me taire, je n'ai pas pu brider ma nature profonde, ni empêcher mes yeux de voir, moins encore mes sens de s'affoler...

- Veux-tu dire que tu n'es absolument pas attiré par les femmes...?

- Je les respecte, et je les admire pour leur beauté, leur clairvoyance, ainsi que pour toutes les qualités qu'elles possèdent dont la gent masculine ne pourra jamais se targuer... Mais elles ne me font pas vibrer. Il n'y a qu'auprès des hommes que je peux trouver la communion physique et spirituelle que je recherche... Aux côtés de l'un d'eux en particulier : Yuri. Je suis désolé, maman...

- Si tes excuses concernent le fait que tu sois amoureux de lui... Je ne peux pas les accepter. Ce pour une raison simple qui, je l'estime, devrait être une évidence pour tous, et que j'aurais dû prendre le temps de t'inculquer en priorité : s'en vouloir d'aimer équivaut à nier ressentir... Tu n'es pas un robot, tu as donc des émotions, des besoins... Je suis certes sidérée d'apprendre ton homosexualité, si tard de surcroît, et le fait de prendre conscience que tu ne me donneras jamais de petits enfants est douloureux, mais... Tu es mon seul fils. Je t'aime, en dépit du fait que tes choix puissent ne pas me convenir... Peu importe avec qui tu partages ton lit, ou à qui tu destines tout l'amour que tu as à offrir, si cette personne et ton mode de vie te rendent heureux, jamais je ne t'en blâmerais... En revanche, si tu fais allusion à ton silence... Je suis prête à l'oublier, à une condition.

- Laquelle ? Questionna le patineur à la peau halée, ému et quelque peu rasséréné.

- Lorsque Zarina, Veltana et moi viendrons assister aux Championnats du Monde dans un peu plus d'un mois, hébergez-nous au sein de votre appartement. Il est vrai que j'avais refusé ton invitation quand tu l'avais formulée il y a quelques semaines, par souci de ne pas vous déranger en période de compétition... Néanmoins, étant donné la situation, il me semble qu'un tel revirement n'est pas injustifié. Tes sœurs seront enchantées de passer du temps en ta compagnie. Quant à moi... Je ne connaissais Yuri que comme étant ton ami, mais il s'avère qu'il est également ton compagnon... Je veux donc le rencontrer de nouveau, cette fois-ci en tant que belle-mère. »

Aussi stupéfait que touché, ledit « beau-fils » écarquilla légèrement les yeux, refermant doucement ses doigts sur ceux de son petit-ami lorsque celui-ci prit sa main.

- « M'entendez-vous toujours ? Interrogea la dame. Je me dois de vous faire savoir, à tous les deux, comment j'en suis venue à avoir des soupçons.

- Oui, nous t'entendons.

- Bien... Ce qui m'a mis la puce à l'oreille est une vidéo, qu'un ami - qui l'a dénichée je-ne-sais-où sur le Web - a jugé bon de me montrer. L'on vous y voit danser ensemble, un Tango, si je ne m'abuse, durant une sorte de fête costumée... Et force est de constater que votre chorégraphie, si elle demeure très artistique, est plus que... Suggestive. J'avoue avoir été choquée, sur l'instant, par votre évidente proximité, ainsi que par certains... Mouvements, comme ce grand-écart latéral exécuté par Yuri, soupira-t-elle, l'intéressé s'empourprant immédiatement, soudain affreusement gêné. C'était une très belle démonstration de souplesse, j'en conviens... Cependant, j'aurais apprécié ne pas être témointe du fait que ton visage se soit retrouvé au niveau de... Du bas-ventre de mon fils, si tu vois ce que je cherche à sous-entendre.

- Bordel ! Je vais tuer Phichit ! Vociféra brusquement le blond.

- Phichit ? Demanda Zoria, surprise. Qui est-ce ?

- Un... Un ami, patineur lui aussi, l'informa Otabek après s'être éclairci la gorge, mal à l'aise à l'idée de celles que sa mère avait pu se faire d'eux par le biais de ce fameux contenu multimédia. Il est Thaïlandais, les cheveux de jais, la mine joviale... Tu apprécies généralement beaucoup ses performances lors des diffusions des compétitions.

- Oh. Oui, je me souviens de lui. Qu'a-t-il à voir avec cette histoire ?

- Il est très présent sur les réseaux sociaux, à tel point qu'il y fait étalage de toute sa vie... Ainsi que de celles de ses proches. Il a dû mettre en ligne ce que tu as vu, ou le transmettre à quelqu'un, qui n'était peut-être pas aussi bien attentionné qu'il le pensait et l'a diffusé, ce qui expliquerait que la personne qui te l'a montré y ait eu accès... En tout état de cause... Sache que nous faisons généralement preuve de beaucoup de discrétion en public : la soirée déguisée durant laquelle nous avons effectué cette performance était non-officielle, elle avait été organisée pour l'anniversaire de l'un de nos camarades, et nous y avions improvisé un concours de danse... C'était un simple jeu, nous ne savions pas que nous étions filmés. Je suis navré que tu aies compris par ce biais, j'aurais aimé t'en aviser moi-même...

- Ne t'en fais pas. Il s'est agi là d'un concours de circonstances. Je n'aurais probablement jamais vu cela si Tselmeg n'avait pas une si bonne mémoire des visages... Il t'a reconnu immédiatement. Mais enfin... Sois certain que j'aurais également voulu apprendre différemment ton attirance pour les garçons... De toute façon, l'on ne peut plus défaire ce qui a été fait, et je pense que tout ce qui devait être dit aujourd'hui l'a été... Nous discuterons davantage à votre sujet lorsque nous nous verrons.

- Bien entendu. Je suis très heureux que vous puissiez vous déplacer pour assister aux Mondiaux. Yuri et moi serons ravis de vous accueillir.

- J'en suis certaine. Sur ce... Je vais raccrocher. J'ai besoin de remettre de l'ordre dans mes pensées... Je te recontacterais durant la semaine, et ne parlerais pas à Arkhan de notre conversation. Contrairement à Zarina et Veltana, il n'a pas nécessairement besoin d'être mis au courant. Bonne chance pour vos entraînements : ils seront sans doute épuisants, soyez courageux. Au revoir.

- Nous le serons, maman. Merci. Embrasse mes sœurs pour moi. Bonne fin de journée.

- Vous... À... À la prochaine, madame Altin, balbutia le plus jeune, toujours embarrassé. »

La tonalité caractéristique de fin d'appel retentit alors, en un écho, comme pour sceller la fin d'une époque. Le mensonge avait cédé sa place au secret partagé.

Le samedi suivant, aux environs de vingt-heures trente, Yakov et Aleksey quittaient la patinoire, salués par leurs élèves, qui se trouvaient encore sur la glace. Si tôt les coachs partis, les jeunes adultes se mirent, comme toujours, à discuter avec animation, échangeant avis, conseils et observations sur l'entraînement qui venait de s'achever., tout en effectuant côte à côte de lents enchaînements de pas.

- « Tes backflips d'aujourd'hui étaient quasi-parfaits : t'es tombé que deux fois ! Franchement, tu m'as impressionné. Tu penses réussir ce saut en compét' ? Questionna Yurio, étendant puis levant l'une de ses jambes à la verticale - en continuant de glisser -, la maintenant à l'aide de l'une de ses mains pour détendre ses muscles.

- Certainement, oui. Ceci étant, je manque encore un peu d'aisance. Il faut que je le maîtrise à la perfection pour me permettre de le réaliser durant mon programme libre, lui répondit le brun, remuant son épaule et la frictionnant d'une main afin d'atténuer la légère douleur qui s'y diffusait.

- Alors bosse-le autant que possible. C'est le genre qui peut te rapporter pas mal de points, ou carrément un bonus si le jury est de bon poil. D'ailleurs, Aleksey et toi prévoyez de changer un peu tes chorés', ou elles sont définitives ?

- En théorie, je travaille actuellement leur version finale, mais, comme d'habitude, il reste toujours une possibilité que nous choisissions de modifier quelques détails au dernier moment. Et toi ?

- Pour le court, elle est carrément finalisée. Par contre, c'est pas le cas de mon programme libre. Yakov hésite toujours à accepter que j'ajoute un quadruple vers la fin, et on est pas encore certains pour le premier saut de ma combinaison du début de la seconde partie. À ton avis, Butterfly jump ou Death drop ?

- En fonction des éléments suivants, le Death drop me paraît plus approprié. Sans compter que tu performeras sur une mélodie assez rythmée.

- Ouais, pas faux. Et puis je le passe mieux que l'autre à la réception. J'en parlerais au vieux, il sera sûrement d'accord.

- Il y a de bonnes chances, oui. Au fait... Si nous allions boire un verre en ville ? Cette semaine m'a épuisé... Un peu de lâcher-prise ne serait pas de refus.

- Toi aussi, t'as envie de te mettre une mine ? Pouffa le Russe, exécutant un demi-tour afin de se retrouver face à son amant, dont il saisit le col, l'attirant avec lui – et contre lui - jusqu'à ce que son dos ne heurte doucement le parapet. Avec plaisir. Pourquoi on irait pas dans ce club gay où t'avais fait le DJ l'été dernier ? Le gérant nous adore, on pourra boire à l'œil.

- En effet, confirma le « héros », amusé, enroulant alors ses bras autour de la taille de son cadet, pendant que celui-ci nouait ses poignets dans sa nuque. J'en profiterais pour discuter avec lui, histoire de m'arranger pour retourner me produire au sein de son établissement.

- Bonne idée. J'adore te voir derrière les platines... Bizarrement, ton expression concentrée me donne toujours des envies, précisa le second, laissant échapper un rire lorsque les lèvres de son compagnon se glissèrent dans son cou, d'où elles migrèrent ensuite pour emprisonner les siennes, l'atmosphère de ce moment - chargée d'insouciance - leur rappelant leur premier baiser. »

Quelques heures plus tard, ils pénétraient tous deux dans le fameux club, aussitôt accueillis par le responsable.

- « Mes bad-boys sur patins préférés ! Enfin ! Je ne vous attendais plus ! S'exclama-t-il joyeusement, d'une voix forte afin de se faire entendre malgré la musique diffusée, échangeant une poignée de main avec chacun des intéressés.

- Salut, Ivan, lui répondit le benjamin, de même que son compère. Tu vas bien ?

- À merveille ! Et vous, alors ? Il y a du nouveau sur la glace ? Suivez-moi jusqu'au bar, on va discuter un peu ! »

Le Russe et le Kazakh, loin de se faire prier, lui emboîtèrent le pas, se retrouvant bientôt assis à l'endroit indiqué, entamant leur premier verre de la soirée. Le dénommé Ivan, aussi fantasque et d'agréable compagnie que de coutume, resta avec eux durant un moment, puis quitta son haut siège d'un petit bond.

- « En parlant de musique... Otabek, ça te brancherais de revenir jouer durant les week-ends, disons en début d'année prochaine ? Proposa-t-il. Ma sœur et quelques connaissances assurent le show à tour de rôle depuis un moment, mais aux environs de janvier, toutes mes recrues ne seront plus aussi disponibles qu'elles le sont actuellement, j'aurais donc besoin d'un remplaçant.

- J'allais justement t'en parler ! Confia le brun, souriant, terminant son verre d'une traite avant de poursuivre. Suite à la saison de patinage, je serais tout à toi.

- Beka ! Pas devant ton mari, il va me jalouser ! Minauda, faussement, l'homme, assenant d'une tape affectueuse l'épaule de son interlocuteur.

- Ne te vexe pas, mais Yuri n'a rien à craindre de toi, « Daddy Ivy » ! Rit ce dernier, bon-enfant.

- Sinon, je te rappelle qu'on est pas mariés, ajouta l'« époux », amusé.

- Pas sur le papier, mais ce n'est qu'un détail !

- Qu'est-ce que tu racontes comme conneries, encore ? S'esclaffa le plus jeune, terminant à son tour l'alcool qu'il avait en main.

- Voyons voir... Vous habitez ensemble, vous avez déjà rencontré la famille de l'autre, vous avez la même passion, le même métier, vous ne vous entraînez jamais séparément, vous échangez vos fringues, vous avez un compte épargne, et même un animal de compagnie ! Si ça, c'est pas une situation maritale !

- Ok, toi, ça va vraiment pas mieux : plus le temps passe, plus tu débloques ! Lança Yuri, hilare. Retourne bosser, au lieu de dire de la merde !

- Mais j'y retourne, de ce pas ! D'ailleurs, mon caramel, je te veux derrière les platines dans une demi-heure, pour une petite impro' de vingt minutes. Ça permettra à ma frangine de faire une pause. Quant à toi, chaton, n'hésite pas à harceler mon barman : c'est gratuit pour vous ! »

Et il disparut au cœur de la foule dansante... Laquelle, à l'heure prévue, le fut encore davantage : Otabek, affublé d'un casque, avait endossé avec brio son rôle de DJ. Depuis le bar, son petit-ami l'observait, sirotant une vodka-soda en battant le rythme de sa main libre, un léger sourire venant ourler ses lèvres lorsqu'il se sentit submergé par une première bouffée d'excitation, qui, il le savait, annonçait le début d'une longue série. En effet, elles se firent de plus en plus nombreuses à mesure que la performance se prolongeait, se diffusant plus franchement au sein de certaines zones de son corps, aussi s'y laissa-t-il aller, se mettant à adresser à son amant des coups d'œil et des signaux provocateurs, lui certifiant que l'envie que lui inspirait son talent pour le mixage était toujours aussi vivace. De longues minutes durant, ce petit jeu de séduction se poursuivit, allant jusqu'à saccader légèrement – sous l'urgence du désir - la respiration de l'admirateur. Jusqu'à ce que le Kazakh, ayant achevé son set, ne le rejoigne, et, sans lui laisser le temps d'esquisser un geste, ne lui prenne son verre, qu'il termina en une gorgée avant de se saisir de sa main, l'entraînant séance tenante vers les toilettes situés en fond de salle, contournant habilement les groupes de fêtards. Brièvement, Yuri crut entendre quelqu'un appeler leurs noms, mais n'eut pas l'occasion de s'en assurer : en l'espace d'un instant, il se retrouva enfermé dans l'une des cabines, puis plaqué à la paroi de bois par un baiser fougueux.

- « J'ai bien failli tout envoyer valser, susurra l'aîné. La façon dont tu me déshabilles du regard chaque fois que je performe est vraiment dangereuse...

- Désolé, mais t'es... Horriblement sexy, dans ces moments-là, souffla l'ex-spectateur, un son à mi-chemin entre le rire et le gémissement lui échappant lorsqu'il sentit sa boucle de ceinture être défaite prestement, puis une paume se loger sous son pantalon. Tu veux vraiment qu'on fasse ça ici ? Je croyais que t'aimais pas t'envoyer en l'air dans les lieux publics...

- Il est vrai que je n'apprécie guère faire l'amour dans ce genre d'endroits, confirma le second, resserrant ses phalanges sur la hampe de chair rude au travers du sous-vêtement, allant également mordiller le lobe de son ami, lui arrachant une nouvelle exclamation sensuelle ponctuée d'un frémissement. En revanche, je n'ai rien contre le fait de m'occuper de toi... Comment dis-tu cela, déjà ? « Vite fait, bien fait » ?

- Très intéressant... T'as quelque chose de précis en tête ? Répliqua l'autre, à la fois amusé et particulièrement excité, n'obtenant en guise de réponse que l'écho feutré que produisirent les genoux de son conjoint lorsqu'ils touchèrent le sol, puis le bruissement qui résulta du geste par le biais duquel il abaissa son bas, délogeant de sa prison textile ce qui faisait de lui un homme. »

Le Russe voulu ajouter quelque chose, mais le contact de la bouche de son partenaire le freina dans son élan. Par automatisme, il agrippa la poignée de la porte, ainsi que la chevelure de celui qui n'avait pas son pareil pour l'électriser. À plusieurs reprises durant les minutes qui suivirent, des clients entrèrent dans l'enceinte des sanitaires, poussant le plus jeune à se montrer aussi silencieux que possible, jusqu'à ce que son condisciple - sans interrompre ce qu'il avait entrepris - ne glisse l'une de ses mains entre ses cuisses... Et, la seconde suivante, Yuri ne put contenir un éclat de voix sonore, bientôt suivi par d'autres, plus fébriles, alors qu'une nouvelle sensation l'envahissait, ses hanches se retrouvant secouées par de petits spasmes aussi extatiques qu'absolument involontaires.

- « Ah... ! Bordel... T'es un foutu sadique...! Tu sais que les deux en même temps, ça... Mh...! Ça me tue, geignit « la Prima », tout en empoignant plus fermement les mèches sombres, le contrôle de sa respiration lui échappant davantage à chaque pression exercée sur cette partie si sensible de son anatomie. C'est trop bon... Je vais forcément faire du bruit si... Ah...! Si tu continues...! Gémit-il, tressaillant d'autant plus sous les effleurements d'une précision presque obscène que lui infligeait la langue du brun.

- Ne te retiens pas, souffla ce dernier, la lasciveté de sa voix secouant l'autre d'une décharge de désir. Je veux t'entendre, rajouta-t-il, en une référence évidente aux mots qui - il y a quelques semaines de cela - lui avaient été adressés dans une certaine chambre d'hôtel, à Almaty. »

Le blond, saisissant aussitôt où il voulait en venir, eut un petit rire, qui s'acheva sur une note érotique tandis que le second reposait ses lèvres sur lui et approfondissait tous ses mouvements, submergeant d'énièmes vagues de délice le corps mince qui tremblait sous ses attentions. De nouveau, une personne passa la porte et s'enferma dans la cabine voisine, mais, cette fois, le patineur ne chercha pas à être discret, étant si proche du paroxysme que faire preuve de pudeur ne l'effleura même pas. Et, en effet, il ne tarda pas à sentir l'orgasme le submerger, puis s'évader hors de lui, le gémissement étouffé que son compagnon laissa échapper à cet instant ne faisant que renforcer sa fièvre. Le cœur affolé et le souffle plus que désordonné, Yuri renversa mollement sa tête contre le mur, tandis que son alter-ego ralentissait ses gestes intenses, provoquant quelques derniers soupirs... Puis il recula, déglutit, et, calmement, s'attela à rhabiller son cadet, le laissant reprendre contenance.

- « Wow... Tu m'avais encore jamais fait un coup pareil, finit par déclarer le natif de Moscou, esquissant un sourire et rivant ses yeux clairs vers ceux, plus obscurs, qui venaient de se diriger vers son visage. Si ça te prend chaque fois qu'on va en boîte, je veux bien souscrire un abonnement...

- Te rendre heureux est l'objectif qui se trouve en tête de ma liste, tu devrais le savoir, rétorqua le brun, dans un rire, tout en se remettant debout, avec autant de détachement s'il venait d'effectuer une action aussi banale que répondre au téléphone. Sortons d'ici et retournons dans la salle principale : j'ai envie de boire et de danser avec toi jusqu'à ce que nous soyons trop fatigués pour tenir debout.

- C'est cool, comme programme, opina le plus jeune, profitant de leur proximité pour la réduire encore davantage, l'air de rien. Par contre... »

Le Kazakh prit un air interrogateur, mais n'eut pas le temps de questionner son ami que celui-ci empoigna la bosse qui déformait le tissu de son jean, le faisant écarquiller légèrement les yeux sous la surprise.

- « Pourquoi tu fais cette tête ? S'en amusa Yuri. Tu croyais quand même pas que j'allais te laisser sortir de là avec une érection aussi peu discrète ? Adjoignit-il, avant - à son tour – d'embrasser Otabek, dont la raison s'effondra, si bien qu'il ne lui vint même pas à l'idée de protester, aussi se laissa-t-il envahir, lui aussi, par la chaleur intense qui se diffusait au creux de ses reins, les caresses pressées que son partenaire entama une fois que ses doigts eurent franchit le tissu ne tardant pas à lui arracher un premier gémissement rauque. »

Et si, après cela, tous deux auraient finalement volontiers continué sur leur lancée, ils durent néanmoins quitter leur cachette lorsqu'il devint évident que leur occupation de l'endroit dérangeait un client, qui ne cessait de toussoter... Et à peine le brun eut-il fait un pas mal assuré à l'extérieur qu'il se figea, son colocataire, qui ne s'y attendait pas, le heurtant donc. Adossé au mur, les bras croisés et un sourire taquin aux lèvres, Christophe Giacometti était là.

- « Salut, mes chéris ! Alors comme ça, on pratique la prière et le lustrage dans les toilettes des clubs, maintenant ? Lança-t-il en leur adressant un clin d'œil, faisant aussitôt rire Otabek, qui en oublia sa gêne d'avoir été surpris. Vous grandissez tellement vite ! D'ailleurs, vos voix sont très sexy au moment de l'orgasme.

- Quoi ?! S'indigna Yuri, s'extirpant de la cabine en contournant son conjoint, qui, comme de coutume, ne paraissait pas choqué par les propos osés du Suisse. Me dis pas que t'es resté là tout le long à écouter ce qui se passait ?!

- Pour être honnête, je n'en sais rien. Tu as joui environ une minute après que je me sois mis à vous espionner, donc, j'imagine que vous aviez commencé depuis un petit moment, rit le patineur aux yeux noisette. En tout cas, j'ai tout de suite reconnu vos timbres si caractéristiques ! Et vos chaussures, aussi : on les voyait par l'interstice, rajouta-t-il, désignant l'espace existant entre les battants et le sol avant de s'avancer, jusqu'à celui dont le visage au teint hâlé était fendu d'un sourire amusé. Au fait, mon sucre brun... Tu as l'air de savoir t'y prendre. Pas que j'en doutais, mais je serais ravi de connaître la technique que tu as employée pour arracher des gémissements pareils à ce chat sauvage... À moins que ça ne soit un grand classique, du style ta jolie bouche sur la proue et l'un de tes doigts dans la poupe ?

- Fidèle à toi-même, tu n'y vas pas par quatre chemins, pouffa le questionné, d'autant lorsque le plus âgé se mit à le couver d'un regard enjôleur tout en effleurant sa clavicule, légèrement découverte par son tee-shirt.

- Pas touche, pervers ! Siffla la « Fée », donnant une petite claque sur le poignet du charmeur, qui recula aussitôt et – hilare - leva les mains comme pour déclarer forfait. Qu'est-ce que tu fais ici, sinon ?

- À ton avis, mon petit fauve ? Je suis venu pour terminer de me préparer aux Mondiaux, directement sur le terrain ! Mon premier entraînement sur votre sol est prévu pour après-demain... Et c'est tant mieux : j'ai comme l'impression que le beau barman a des vues sur moi ! Je compte bien profiter de l'effet que je lui fais pour l'inciter à m'offrir quelques verres.

- « Le beau barman » ? S'étonna le Kazakh, tandis que son benjamin et lui se lavaient les mains. Je ne savais pas que tu aimais les hommes très tatoués.

- Ils sont dans mon Top trois. Et je mettrais mes patins au feu que ton cher et tendre est de mon avis !

- Dommage pour tes patins, Giacometti. Piercings, tatouages et jeans troués, c'est cool, mais généralement, ce genre de mecs satisfont pas mes critères... Encore moins celui-là : trop vieux et clairement pas mon style, dit le concerné. Mais si c'est le genre qui te fout le feu au cul, hésite pas. Bref ! On y va ? »

Sur ces mots, les sportifs retournèrent effectivement s'installer au bar. Ils y burent ensemble, jusqu'à ce que le couple, assez éméché, ne décide comme convenu d'investir la piste, où il se mêla aux autres danseurs, profitant du couvert qu'ils lui offraient pour se laisser aller. Ces minutes de frivolité défilèrent en l'espace de ce qui parut aux deux hommes un battement de cœur, et il était presque quatre heures du matin lorsqu'ils décidèrent de rentrer, en compagnie de Chris qui avait proposé de les véhiculer jusque chez eux. Néanmoins, quand tous trois parvinrent hors du club, ils eurent à peine le temps de faire quelques pas que, soudain, une voix furieuse les arrêta, les incitant à se tourner en sa direction.

- « J'aurais dû me douter que j'allais te trouver dans ce quartier de pédés, saloperie ! »

Il s'agissait de l'homme contre lequel, quelques semaines auparavant, Yurio s'était battu afin de défendre Victor et Yuuri. Il avait l'air, ce soir encore, totalement saoul.

- « Qu'est-ce que tu fous là, connard ?! Rétorqua aussitôt le blond, amorçant un mouvement pour s'avancer vers l'ivrogne, cependant retenu par son conjoint et son ami, qui, incrédules, se jetèrent une œillade. Ta vie est si minable que ça, pour que tu viennes carrément ici t'en prendre à des homos qui t'ont rien demandé ?! J'aurais dû te fendre le crâne en deux, espèce de raclure !

- Le hasard fait vraiment bien les choses, tu trouves pas, la fiotte ?! Beugla l'autre. Je vais vous passer à tabac, toi et tes petites copines ! Et cette fois, je ferais ça bien !

- Alors viens, si t'en as les couilles ! Vociféra le susnommé, s'apprêtant à ajouter quelque chose quand le poivrot extirpa de sa poche un objet, dont jaillit une lame. Fais chier ! On se barre ! Se ravisa le patineur, saisissant immédiatement les manches de ses accompagnants et les entrainant avec lui, détalant à toutes jambes.

- Je vais vous taillader, bande de sodomites ! Hurla l'agresseur, les prenant en chasse sans attendre.

- Nom de Dieu, Yuri ! Qu'est-ce qu'il t'as pris de menacer ce type ?! S'écria sévèrement Otabek, tout en courant.

- Franchement, te taire n'aurait pas été un luxe ! Renchérit le Suisse, paniqué.

- Quoi ?! Sérieux, vous croyez vraiment que c'est le moment d'en parler ?! Cracha l'intéressé, jetant un regard derrière eux et constatant que leur poursuivant gagnait du terrain. Je vous expliquerais ! En attendant, accélérez et fermez-la, à moins d'avoir une idée à proposer pour qu'on se sorte de cette merde ! »

Sur leur passage, certains riverains se retournèrent, surpris, et ce n'est que quelques rues plus loin que Chris, qui fouillait frénétiquement dans son sac en bandoulière, lança :

- « J'ai une idée ! Je vais m'arrêter ! Vous, continuez sur environ quatre-cents mètres, ma voiture est garée là-bas, c'est une Berline rouge !

- Non ! Protesta le « Héros ». Il va t'éventrer si tu fais ça !

- C'est clair ! Soutint le « Punk ». J'ai aucune envie de voir tes boyaux étalés sur le trottoir !

- Faites-moi confiance ! Ça va fonctionner !

- Si t'en es si sûr, alors on s'arrête tous en même temps, et c'est pas négociable, « Superman » !

- D'accord ! À trois ! Un... !

- Deux... !

- Trois ! »

Tous freinèrent, firent volte-face, et une étrange détonation retentit : deux électrodes reliées à des filins venaient de heurter le poitrail de l'assaillant, lequel reçut une décharge qui le paralysa et le fit tomber, le couteau qu'il tenait allant ainsi s'échouer sur les pavés. Quelques minutes plus tard, les patineurs s'engouffraient dans le véhicule susmentionné et s'engageaient dans la circulation.

- « C'était bien un pistolet à impulsion électrique ? Questionna le Kazakh – installé à l'arrière - au terme de quelques minutes, une fois que tous eurent repris contenance. Où est-ce que tu as déniché ça ?

- C'est le genre d'avantage matériel que peut apporter le fait d'avoir séduit un représentant des forces de l'ordre de Genève, dit le plus vieux, s'arrêtant à un feu rouge.

- Et en vrai ? Tu le sors d'où, ce truc ? Insista le « Tigre », assis près de son petit-ami.

- Et bien, pour être franc, la plaisanterie que je viens de faire n'en était pas une : je couche vraiment avec un agent de police. On a commencé à se fréquenter il y a deux ans, et un matin, très tôt, alors que j'étais en chemin pour le rejoindre, histoire qu'on prenne un café ensemble avant qu'il aille travailler, j'ai été agressé violemment par un taré. Le gars n'avait apparemment pas apprécié la vue du drapeau arc-en-ciel brodé sur mon sac à dos... Autant vous dire que mes contusions, mes côtes fêlées et moi étions assez angoissés ensuite à l'idée de nous balader sans protection, alors je me suis confié à mon beau gosse en uniforme qui m'a promis une solution. Le lendemain, il débarquait dans ma chambre d'hôpital, me faisait signer quelques documents, photographiait mon passeport, et la semaine suivante, j'obtenais un permis, qui m'autorise aujourd'hui à détenir légalement n'importe quelle arme de catégorie B. Forcément, j'ai un peu flippé lorsqu'il m'en a donné une copie, accompagnée du Taser, mais il m'a rassuré en me montrant quelques textes de loi : même si une plainte est un jour déposée à mon encontre à cause de séquelles physiques ou mentales résultant du choc électrique délivré par mon anti-homophobe de poche, aucune charge ne sera jamais retenue contre moi tant que je serais en mesure de prouver que je l'ai utilisé dans le cadre de la légitime défense. Voilà.

- Je comprend mieux comment tu es entré en sa possession, dit le brun. Nous n'étions pas au courant, pour ton agression.

- Sans compter Elias, j'en ai seulement avisé ma famille. Ne vous vexez pas, mais je n'avais pas l'intention de vous en parler, et je ne l'aurais jamais fait si des explications ne venaient pas de s'imposer. Ce n'est pas pour rien que la presse n'a publié aucun billet à ce sujet : je me suis assuré que l'affaire ne s'ébruite pas, histoire d'éviter que mes blessures soient signalées à la Fédération Internationale de Patinage. Elle aurait été capable de refuser ma participation aux compétitions pour des raisons de sécurité. Mais enfin... Je suis assez content de cet engin : il nous a évité d'être déchiquetés.

- Ouais, on comprend, t'inquiètes. En tout cas, heureusement que t'étais là, lança le cadet, tandis que la signalisation passait au vert. Ce fils de chien aurait été capable de nous courser jusqu'à Moscou !

- À ce propos, tu as dit que tu « nous expliquerais », souleva Otabek, fronçant légèrement les sourcils, l'air soucieux. D'où connais-tu cet homme ?

- C'est vrai que je t'en ai même pas parlé, au final... Tu te souviens des bleus quasi-résorbés que j'avais sur la figure samedi dernier ? Ils dataient du soir où on s'est sépar-... Enfin, du samedi quinze : Victor et Yuuri m'avaient emmené boire un verre dans un bar de vieux, l'ivrogne était là... Il les a insultés, limite menacés, et comme j'étais bien bourré, je me suis jeté sur lui sans réfléchir. Il m'a rendu la moitié des pains que je lui ai collé, mais finalement, j'ai réussi à l'assommer, avec une bouteille, je crois... Bref, c'est ce même gars à qui t'as foutu un coup de Taser, Chris. Considère que t'es par procuration le deuxième garde du corps non-officiel des « Katsuforov », et le nôtre en passant ! »

Cette réflexion provoqua un éclat de rire collectif, puis le cadet reprit, changeant de sujet, soudain curieux :

- « Au fait, ton Policier sexy... J'ai cru comprendre que tu le vois toujours. C'est ton mec ?

- Oui, opina le concerné dans un sourire. Il y a presque un an, quelques semaines après mon agression, on est passés du statut d'amants à celui de couple.

- Il habite aussi Genève ? Vous comptez vous installer ensemble ? Continua la « Fée », visiblement intéressé, cette attitude lui valant un regard attendri du natif -d'Almaty.

- Je te trouve bien fouineur, s'en amusa Chris, lui jetant un coup d'œil dans le rétroviseur. Mais si tu veux tout savoir, c'est prévu, oui. On a déjà bloqué un petit loft très sympa en centre-ville. On s'y installera en début d'année prochaine, une fois que les compétitions seront terminées pour moi et que lui pourra poser quelques semaines de congé. En attendant, on alterne entre son appartement et le mien, selon nos emplois du temps.

- T'as intérêt à nous le présenter, quand on s'incrustera dans ton pays pour la finale du « Grand Prix ». Je tiens absolument à le voir en vrai, je suis sûr que tu t'es dégoté un canon !

- Je serais enchanté de le connaître, moi aussi, renchérit Otabek.

- Vous êtes mignons, mes chéris. Étant donné le contexte de votre venue en Suisse, ça risque d'être difficile de trouver un moment pour organiser une rencontre... Ceci étant, si Elias et moi venons vous chercher à l'aéroport lorsque vous arriverez, on aura largement le temps d'aller dîner en ville tous les quatre, histoire que vous fassiez connaissance, réfléchit tout haut le chauffeur. C'est décidé ! On sera là pour vous réceptionner. D'ailleurs, maintenant que j'y pense, vous pourriez loger dans mon studio pendant votre séjour. Ça vous éviterait de devoir aller à l'hôtel où vous devrez faire chambre à part. Qu'est-ce que vous en dites ?

- On en dit que, bordel, ça nous sauverait la vie ! Merci Chris, t'es génial !

- Je sais, j'incarne votre salut ! Mais tu me flatteras plus tard : on est arrivés.

- En effet, acquiesça Otabek, accordant son attention à l'avenue, familière, tandis que leur conducteur s'arrêtait sur le bas-côté. Au fait, nous avons invité Victor, Yuuri et Nikita à déjeuner, demain. Joins-toi à nous. Yuri aura tout loisir de t'encenser pour ta gentillesse !

- Cool ! Vitya m'a parlé du petit. Moi qui voulais le rencontrer avant les compétitions, ça tombe très bien. J'en serais ! Accepta joyeusement l'invité, coupant le moteur.

- Je suis ravi de l'entendre ! Néanmoins, réflexion faite... Il vaudrait mieux que tu ne reprennes pas la route, ce soir. Tu as bu quelques verres de trop, toi aussi. Ce ne serait pas prudent.

- Ne vous en faites pas, mon hôtel n'est qu'à une dizaine de minutes d'ici.

- Même pas en rêve, refusa le cadet. Tu montes, et tu pionces sur notre sofa. Il est hyper confortable en plus. »

Suite à cela, le Suisse passa effectivement la nuit au sein du logement de ses amis, lesquels, le matin venu, l'éveillèrent en sursaut, assez inententionnellement : en effet, Harley - qui s'était faufilée derrière la machine à café pour y dormir - avait fait un bond si brutal lorsque l'un de ses maîtres avait enclenché la cafetière que l'objet en question était tombé, se brisant sur le carrelage et éclaboussant du même coup le sol de la cuisine, ainsi que l'humain que l'on surnommait « chaton », qui avait vociféré une impressionnante succession d'insultes, dont le volume n'avait pas pour autant rendu inaudible le fou rire qui avait sitôt saisi son petit-ami. Cependant, la matinée s'était déroulée sans davantage d'encombre, et peu avant midi, la sonnette de l'entrée avait retentit. Aussitôt, le Genevois – qui se trouvait seul dans l'attente du retour de ses hôtes sortis acheter de quoi prendre l'apéritif et déjeuner - était allé ouvrir la porte.

- « Chris ! S'était écrié Victor, un grand sourire aux lèvres, se jetant sans attendre dans les bras de son meilleur ami.

- Mes amours ! Avait joyeusement claironné le concerné, en Français, accueillant Yuuri tandis qu'il se joignait à l'étreinte. Vous m'avez manqué ! Avait-il ajouté, berçant brièvement ses deux compères avant que ses yeux ourlés de longs cils ne se dirigent vers l'adolescent qui patientait, sagement, sur le pas de la porte. Bonjour Nikita ! Ravi de te rencontrer ! Si tu veux un câlin aussi, c'est gratuit !

- Merci, monsieur Giacometti, peut-être plus tard ! Avait pouffé le sollicité.

- « Monsieur » ? J'aime ce petit ! Avait minaudé Chris, faisant s'esclaffer le duo de coachs. »

La minute suivante, tous se trouvaient dans le salon, où les rejoignirent, quelques instants plus tard à peine, Yurio et Otabek, encore emmitouflés dans leurs manteaux et les bras chargés, d'alcools, de sodas et d'une demi-douzaine de pizzas brûlantes.

- « Bonjour à tous, lança le brun, disposant les flacons de verre et de plastique qu'il portait sur la table basse du salon, autour de laquelle étaient réunis les invités, qui répondirent en chœur au salut formulé, tandis que Fubuki et Harley jouaient ensemble dans un coin de la pièce.

- Wow. Sympa, tes cheveux, grande gueule ! Lança le blond à l'adresse de Nikita, déposant à son tour ce qu'il tenait sur le plateau de verre, avant de se défaire de son écharpe et de son blouson de cuir, aidant son conjoint à faire de même. Laisse-moi deviner : ta couleur pour le Grand Prix de cette année, c'est le rose doré.

- Tout juste ! Opina le surnommé, souriant. Et aussi le noir, pour être précis.

- Ce qui s'accorde parfaitement à son thème ! S'enthousiasma le patineur à la chevelure grise, passant une canette au Suisse.

- Oui, « L'iridescence », confirma le Japonais, tout en aidant Otabek à servir tout le monde. Puisqu'on en parle, quel est le tien, Yurio ?

- Rien que parce que vous continuez de me donner ce surnom crétin, vous méritez pas que je vous le dise, les « Katsuforov », plaisanta l'apostrophé, décapsulant une première bière qu'il donna à son petit-ami, puis une seconde qu'il porta à ses lèvres. Pareil pour toi, Giacometti : t'es toujours de leur côté, donc je te fiche dans le même sac. Patientez un peu, vous saurez demain.

- Et Nikita, tu l'oublies ? Rit Chris.

- Ce merdeux est déjà au courant, précisa le blond, adressant un clin d'œil à l'adolescent, qui le lui rendit, visiblement ravi.

- Ah oui ? Avant même que je ne le sache ? S'indigna, théâtralement, Otabek. Tu n'as pas voulu me donner la moindre précision, et Yakov non plus ! Je devrais être prioritaire !

- Depuis quand le fait que tu sois mon mec veut dire que tu dois tout savoir ? Rétorqua l'« admonesté », plaisantin, recevant en guise de réponse un sourire amusé, ponctué d'une caresse au bas du dos.

- Attendez... Vous sortez ensemble ?! Lança soudain le plus jeune, ouvrant de grands yeux.

- Ouais, depuis un bail. Genre trois ans, acquiesça le « Tigre », l'air étonné par la stupéfaction de son homologue.

- Ça ne t'était pas venu à l'esprit ? Demanda doucement le Kazakh.

- À aucun moment ! Je pensais que vous étiez juste colocataires, meilleurs amis au maximum... Mais en couple, je ne m'en serais jamais douté !

- Et bien maintenant, tu le sais ! Pouffa l'Asiatique, sirotant son verre de vodka-soda.

- C'est drôle : pour Kobuta-chan et moi, ça n'a pas eu l'air de te surprendre ! Dit Victor.

- C'est normal : vous êtes tous sauf discrets ! Le monde entier a deviné ce qui se passait entre vous à la seconde où tu as embrassé Yuuri en direct à la télévision, se défendit le « Caméléon », saisissant son verre de Cola et en avalant une bonne moitié, de la même manière que s'il s'agissait d'un remontant particulièrement efficace.

- Là, il n'a pas tort ! Renchérit le Suisse, hilare, avant de lever haut sa petite bouteille, aussitôt suivi par les autres adultes. Portons un toast à l'innocence de Nikita ! Et peut-être à son petit-copain ou sa petite-copine du milieu ? Dis-nous tout !

- Zdorovie**, gamin ! Claironna le blond, avalant une gorgée de bière puis poursuivant. Sois pas timide, on a tous flashé sur un de nos concurrents, ici. Victor sur Yuuri, et inversement, pareil pour Ota' et moi, et même Chris sur Victor, quand il était Junior.


** « Zdorovie » : signifie « Santé » en Russe. Diverses variantes existent, comme « Nu Davay vypieme », qui se traduit par « Allons-y, buvons », « Za nas », qui signifie « À nous », « Za mir vo vsem miré », littéralement « À la paix dans le monde entier », « Za lubov », soit « À l'amour », ou encore « Za vstrechu », « Aux rencontres ».


- Oui, mais il ne s'est jamais rien passé, opina le Genevois, rieur. Heureusement, d'ailleurs ! J'aurais eu du mal à accepter Yuuri : la polygamie, c'est pas vraiment mon truc, et puis je suis casé.

- De la polygamie ?! Je n'y aurais pas survécu, si j'avais dû partager Victor ! Lança le Japonais, affichant brièvement une expression affolée qui lui valut de recevoir un baiser sur la tempe, que son ancien entraîneur y piqua, la bouche en cœur.

- Écoutez, je... Je trouve ça vraiment génial que vous ayez tous un petit-ami, commença le cadet d'une voix plaintive, apparemment intimidé par le trop plein d'attention soudainement accordé à sa vie sentimentale. Et je n'ai absolument rien contre les gays – d'ailleurs, je soutiens à fond votre cause -, mais les garçons ne m'intéressent pas du tout !

- Alors qui est l'heureuse élue ? Peut-être la talentueuse Allemande, Amalia Eisenmann ? Ou bien la jolie Japonaise très douée, Fuyumi Ito ? Demanda Chris, curieux, recevant de la part de Nikita un mouvement de tête négatif.

- Je pencherais davantage pour la Française Ariane Garnier, affirma Otabek, appuyé par son amant qui était assez proche de la jeune fille évoquée et leva le pouce en guise d'acquiescement. Elle est prodigieuse sur la glace, surtout pour son âge, et vraiment jolie, pour ne rien gâcher, termina-t-il, adressant un petit sourire au benjamin, lequel s'empourpra de la gorge au front, arrachant une exclamation satisfaite sonore au reste de la petite assemblée.

- Ah ! J'en étais sûr ! S'enflamma aussitôt le natif d'Hasetsu, frappant joyeusement dans la main que son partenaire leva à son adresse.

- Ne... Ne vous faites pas de fausses idées ! Clama le suspecté, les pommettes cramoisies, semblant ne rien désirer davantage que disparaître sous terre afin d'échapper à cette situation. Je… Je la trouve très belle, c'est tout !

- « C'est tout », tu dis ? S'esclaffa Victor, s'adressant ensuite à ses concurrents. Si vous aviez vu la façon dont il la regardait, lorsqu'elle est venue saluer Yurio à la patinoire, la dernière fois !

- Oui ! Minauda Yuuri, trépignant sur place. Il en a loupé sa réception et a fini les fesses sur la glace ! C'était tellement adorable que nous n'avons même pas eu envie de lui faire un reproche !

- Ce que vous êtes niais ! Renâcla sans attendre le « Félin », le ton bougon mais le regard compatissant, témoignant de la sympathie qu'il éprouvait pour le tout jeune Senior, qui ne savait plus où se mettre.

- Je vous en supplie tous à genoux ! S'écria ce dernier, joignant ses mains en une prière. N'en parlez à personne ! Je me suis déjà senti suffisamment idiot quand elle a éclaté de rire après m'avoir vu chuter comme un débutant, je ne veux pas en plus qu'elle refuse de me parler si elle apprend qu'elle me plaît ! Pitié ! »

Trop attendris pour le taquiner davantage, ses coachs se levèrent et le gratifièrent d'une étreinte, lui promettant de tenir leur langue. Par la suite, les six patineurs déjeunèrent tout en discutant travail, échangeant avis et suppositions sur les compétitions à présent imminentes, ainsi que sur la conférence de presse dédiée au lancement de la saison, à laquelle ils participeraient tous d'ici moins de vingt-quatre heures : les secrets savamment gardés depuis des mois y seraient révélés, tels que les thèmes des programmes et certains éléments qu'ils contenaient, et diverses annonces allaient être faites officiellement, comme par exemple celle prévue par le couple Russo-Nippon. Leur élève, très impliqué, souleva la question des costumes qui seraient arborés par ses trois adversaires ici présents, lesquels les décrivirent de façon évasive, tenant malgré tout à converser intact l'effet de surprise jusqu'à leur première performance.

- « Et toi, petit ? Comment tu vas être fagoté ? S'enquit le blond, mordant dans sa part de pizza. Enfin, si ça te dérange pas d'en parler.

- Ça ne me gêne pas du tout ! Lui fit-il savoir, continuant avec un tel enthousiasme que tous esquissèrent un sourire. Celui de mon programme court sera totalement noir, avec un motif de feuilles d'arbres lamé en vert pâle et or qui s'enroulera comme un serpent de mes chevilles à mon bassin, quant au haut, il me recouvrira de la gorge aux bouts des doigts. Il y aura même des appliques constituées de cristaux irisés qui démarreront au bas de mes omoplates et passeront par mes épaules pour se rejoindre entre mes pectoraux ! Je l'adore déjà !

- Il m'a l'air superbe, mais pourquoi t'exprimes-tu au futur ? Interrogea l'Almatais, intrigué. Il n'est pas encore en ta possession ?

- Nous avons eu un petit contretemps, informa Yuuri, souriant. Si tout va bien, il pourra faire les essayages finaux mardi et le récupérer juste après. Par contre, en ce qui concerne son programme libre, son costume l'attend sagement dans notre penderie depuis quelques semaines ! Et le mieux, c'est que c'est lui qui l'a créé de toutes pièces ! Il est magnifique !

- C'est vrai ? Félicitations, ça doit représenter beaucoup de travail ! Comment est-il ? Demanda le Suisse, admiratif.

- Et bien... C'est un peu complexe, prévint le plus jeune. Pas tout à fait concernant la tenue en elle-même, bien qu'elle soit assez originale et difficile à décrire... Plutôt à un niveau identitaire.

- C'est-à-dire ? S'étonna la « Fée », haussant un sourcil inquisiteur.

- Montre-leur donc le clip, comme tu l'as fait pour convaincre tes coachs ! Proposa l'homme aux cheveux argentés de sa voix chantante, ayant achevé sa précédente besogne. Ceci étant, je vous préviens, tous les trois : assurez-vous que votre mâchoire est bien accrochée, ou elle tombera ! »

Trois acquiescements plus tard, Nikita connecta son téléphone portable à la télévision de ses hôtes, puis, depuis sa place sur le divan, entre ses professeurs, actionna la commande « play ». Sur l'écran plat, un gros titre immaculé s'afficha, pour lors en silence.

- « Qu'est-ce que ça veut dire, ce truc ? Bougonna le « Tigre ».

- « Tír na nÓg »... C'est du Gaélique, je crois, lui dit son compagnon. Dans mon souvenir, cela signifie « La Terre de l'éternelle jeunesse ». Dans la mythologie Celtique, il s'agit d'un lieu légendaire où le temps est aboli. C'est bien ça ? Termina-t-il à l'adresse du benjamin, recevant un hochement de tête ravi. »

Yurio s'apprêta à lancer une plaisanterie, mais la musique démarra, et la première image le fit taire : l'on pouvait observer la chute de flots de Kivatch - située au cœur de la réserve naturelle Russe du même nom – filmée en contrebas, et le son de l'eau se mêlait à un chœur clair de voix féminines, qui vocalisaient une litanie en Gaélique, dont la sonorité inhabituelle aurait pu être drôle si le chant n'était pas aussi agréable à l'oreille. Des plans mobiles de la forêt verdoyante l'accompagnaient, et s'il était évident qu'il s'agissait d'un clip amateur, il n'en demeurait pas moins particulièrement bien réalisé. Une silhouette humaine apparut alors, de dos, évoluant tranquillement entre les hauts arbres dont les frondaisons laissaient filtrer la lueur du soleil, laquelle donnait de l'éclat aux longs cheveux bruns bouclés aux pointes, coiffés à l'arrière du crâne en un nœud Celtique cerclé de petites bagues métalliques dorées. L'angle changea, filmant cette fois la personne de face : une grosse boucle rebondie échappée de sa coiffure cachait en partie son visage, mais l'on devinait qu'il s'agissait d'une jeune fille, dont la stature menue était rendue plus délicate encore par la pâleur de ses épaules et bras nus, ainsi que par les deux subtiles formes arrondies qui se dessinaient au niveau de son buste, sous le tissu de sa longue robe fluide - très simple, couleur bois de rose –, qui ne laissait apparaître ni son poitrail, ni ses pieds. Elle avançait au rythme de la mélodie Folklorique, regardant le sol autour d'elle à la recherche de quelque chose, ses pas faisant miroiter la lumière sur le Torque*** d'or qu'elle portait autour du cou.


*** « Torque » : il s'agit d'un collier (aussi décliné sous forme de bracelet) d'origine Celte, connu pour avoir été créé et porté par ce peuple, puis par les guerriers Gaulois en signe d'honneur. Il consiste en une épaisse tige métallique ronde ouvragée, généralement terminée par deux globes, des têtes d'animaux, des cubes ou, plus rarement, des figures humaines.


D'autres plans, montrant séparément trois jeunes filles - ravissantes et également vêtue telles des Celtes – défilèrent, puis l'une se retrouva seule à l'image, entamant un couplet en Anglais de sa belle voix douce, la vidéo alternant alors entre elle et la première adolescente. Qui, avec en main un bâton à l'extrémité scintillante – le contexte laissant deviner qu'il s'agissait de magie –, était occupée à reproduire une Triquetra**** à même la terre.


**** « Triquetra » : originellement utilisée en Art Celtique pour symboliser les choses, les entités ou les personnes allant par trois, la Triquetra a aussi été adoptée par diverses cultures au fil des siècles, aujourd'hui encore populaire chez, par exemple, les Wiccans, qui l'emploient en guise de représentation de la Déesse Triple du néo-paganisme, soit pour évoquer l'interconnexion entre l'Esprit, le Corps et l'Âme. On lui attribue donc, de nos jours, une signification religieuse, voire magique, si bien que l'on peut, par exemple, retrouver ce symbole sur la couverture du « Livre des Ombres » appartenant aux trois sœurs Halliwell dans la série télévisée américaine « Charmed ».


La seconde suivante, elle releva la tête, un sourire étirant ses lèvres : son tracé du symbole avait eu l'effet escompté, menant à elle celles qu'elle attendait, lesquelles l'entouraient, l'observant avec allégresse. En une seconde de temps, la vue du visage de la demoiselle, jusqu'ici dissimulé, provoqua l'abasourdissement général, excluant Victor et Yuuri qui avaient déjà vu la vidéo et trépignaient de fierté.

- « Putain ! S'écria le blond, ne pouvant cacher son étonnement. Gamin, cette fille, c'est toi ?! Demanda-t-il, adressant un regard effaré au garçon, qui confirma, hilare. »

Otabek et Chris étaient, quant à eux, restés bouche bée, et, une fois la surprise passée, Yurio les imita, tous trois admirant la stupéfiante androgynie de l'adolescent, que lui conféraient sa tenue, ses bijoux, sa perruque, et son maquillage à l'aspect naturel, qui adoucissait ses traits et agrandissait son regard au point d'effacer la moindre trace de masculinité. Cependant, ils n'eurent pas le temps de s'en remettre que Nikita leur donna le coup de grâce : dansant au centre du cercle formé par ses compagnes, chacun de ses mouvements diffusant – grâce à des effets spéciaux – des nuées scintillantes évoquant la magie dont il irradiait, il se mit à chanter à son tour, seul. Son accent anglais était imparfait, mais assurant, quant à sa voix, juste et forte, plus féminine que masculine, elle avait quelque chose de captivant, tandis qu'il glorifiait l'amour. Le patineur était à couper le souffle, s'avançant tour à tour vers les demoiselles qui effectuaient alors les chœurs, leur adressant des gestes délicats qui semblaient représenter des caresses et des bénédictions, jusqu'à ce que le refrain Gaélique ne soit interprété de nouveau, comme pour sceller la grâce accordée. Le clip était poétique, rayonnant d'une félicité amplifiée par le décor sylvestre, si bien que, jusqu'à sa fin, plus personne ne prononça un mot, le premier à le faire une fois le silence retombé étant le Kazakh :

- « Et bien... Je dois avouer que je ne m'y attendais pas le moins du monde. Ta transformation était incroyable, Nikita. Je savais que les Cosplayers les plus chevronnés étaient des maîtres dans l'Art du déguisement, mais à ce point... Sans parler de ton talent pour le chant. Bravo.

- C'est clair, c'est dingue ! Si j'avais pas reconnu tes yeux, j'aurais pas pu deviner que c'était toi, renchérit le Saint-Pétersbourgeois, appuyé par le Suisse, qui avait l'air hébété. Surtout que t'es... Je sais même pas comment l'expliquer. Les vêtements féminins te vont comme un gant, on dirait limite que t'as changé de sexe avant de les enfiler, et pourtant, quand t'es habillé comme un gars, t'as rien d'une fille... Les vieux ont raison, t'es un foutu caméléon. Je trouve ça génial.

- Merci, c'est gentil, souffla le cadet, visiblement aussi gêné qu'enchanté par tous ces compliments. Pour le chant, j'ai toujours eu la capacité bizarre de moduler ma voix, même après avoir mué, alors je peux m'adapter à presque tout, ce qui est plutôt pratique... Mais je n'avais jamais osé me produire en public jusqu'à mes premières prestations Cosplay sur scène. Quant à mon physique, j'ai juste de la chance : la plupart de mes amis ne peuvent pas jouer sur l'androgynie quand ils incarnent des personnages. En ce qui me concerne, il suffit d'un peu de maquillage pour me changer en femme. Il faut dire que je connais les bonnes techniques pour rendre l'illusion parfaite, et que mon âge aide. Je ne pourrais sûrement plus être aussi convaincant d'ici quelques années... En tout cas, je n'aurais jamais réussi à développer toutes ces compétences sans l'aide des autres membres de mon club.

- Depuis quand est-ce que tu l'as intégré ? Demanda Chris, visiblement intéressé.

- C'était il y a deux ans. Un peu par hasard, en fait... J'ai toujours été timide, ça me freinait beaucoup quand je patinais, alors j'ai eu l'idée de m'inscrire à des cours de théâtre pour apprendre à ne plus avoir honte de « me lâcher ». Mon père m'y a autorisé, je me suis donc rendu au local de l'association artistique de mon quartier, mais je me suis trompé d'horaire, et au lieu du club de Comédie, je suis tombé sur celui de Cosplay. La présidente m'a tout de suite invité à « visiter » leurs ateliers. Couture, coiffure, maquillage, bricolage, joaillerie avec « les moyens du bord »... Il y avait de tout. Je ne connaissais pas cet univers... Il m'a tout de suite fasciné, alors je me suis inscrit. C'est d'ailleurs cette découverte qui m'a fait tomber amoureux de la culture Japonaise, comme je l'avais expliqué à Yuuri. Depuis, je partage mon temps entre le Patinage et le Cosplay. Concernant la vidéo que vous venez de voir, c'était un partenariat que j'ai effectué avec un groupe de chanteuses amatrices rencontrées lors d'un concours de talents. Elles sont passionnées par la mythologie Celtique et écrivent ou reprennent des titres sur ce thème depuis longtemps. Comme j'adore ça aussi, on a décidé d'effectuer un featuring sur cette chanson et de tourner notre propre version du clip original. J'y joue la messagère des Dieux, et ma mission consiste à bénir ces jeunes femmes, et leurs amants, puis de les guider jusqu'à « Tír na nÓg », où ils pourront vivre éternellement heureux ensemble.

- Trop mignon, commenta ironiquement le « Tigre », esquissant une légère grimace qui fit rire Nikita. Plus sérieusement : je connaissais pas ce morceau, et je pige que dalle à la magie... Mais cette reprise, c'est du très bon boulot. Si t'en as fait d'autres, j'adorerais les voir. Pour en revenir au sujet de base... Si, du coup, j'ai bien compris, tu comptes te travestir pour ton programme libre ?

- C'est ça.

- D'où l'utilisation du terme « identitaire », souleva le « Héros ». Je comprends mieux.

- Je trouve l'idée géniale, mais ça ne risque pas de choquer le jury ? Demanda le Genevois, s'adressant au duo d'entraîneurs.

- Le jury, et même la Fédération Internationale ! Opina Victor, tout sourire.

- C'est notre but, confirma Yuuri. Pour que Nikita conserve sa réputation d'« original très talentueux » malgré son entrée chez les Seniors, il faut frapper fort, leur montrer de quoi il est capable, qui il est vraiment, sur la glace comme en dehors... Et puis, après ses prestations, personne ne lui en voudra, vous verrez, ajouta-t-il, glissant une caresse indéniablement affectueuse sur le bras de son protégé, qui lui adressa un sourire radieux. »

La conversation à ce propos se poursuivit un certain temps, et les invités ne quittèrent l'appartement du duo Russo-Kazakh qu'en début de soirée, après l'avoir aidé à tout ranger.

- « Enfin seuls ! Lanca Yurio, verrouillant la porte d'entrée. Franchement, je pensais pas réussir à les supporter autant d'heures d'affilé. Surtout le gosse.

- J'en déduis que tu as eu plaisir à les voir réunis chez nous, répondit le brun, adressant un léger sourire à son petit-ami lorsque celui-ci lui fit face. Et j'affirme que tu commences à affectionner Nikita.

- Ça m'exciterait presque, que t'arrive à me décoder tout le temps comme ça, rétorqua le blond, se rapprochant du second et glissant ses paumes sur son torse. Mais ça me met aussi en position de faiblesse, alors je préfère te priver d'une de mes volcaniques poussées de désir...

- Te connaissant, tu as donc également pris conscience que, cette année, la concurrence sera rude durant les compétitions, rit Otabek, ses mains se logeant doucement sur la taille étroite du Russe. Nous n'avons plus qu'à continuer de travailler dur pour être à la hauteur. Ceci étant dit, tu n'aurais pas forcé sur la bière ?

- Si, un peu, concéda l'autre. Tu sais quoi ? On va se poser devant un film, manger un truc rapidement puis aller dormir : je sens que demain, il va nous falloir beaucoup de self-contrôle pour pas cogner tout le monde. »

Cette proposition approuvée, ils s'y attelèrent, et lorsqu'ils rejoignirent leur lit, ils y trouvèrent le sommeil plus vite qu'ils ne l'escomptaient, pelotonnés l'un contre l'autre, tel qu'ils le resteraient toute la nuit durant, comme ils en avaient pris l'habitude. En effet, auparavant, s'ils étaient évidemment proches l'un de l'autre, leur timidité commune les avait souvent freinés dans l'expression physique de leur attachement, lorsqu'ils étaient seuls ainsi qu'en présence de tierces personnes... Mais, depuis leur brève séparation – qui les avait ébranlés - et les confessions du Kazakh concernant son passé, tous deux se découvraient peu à peu plus démonstratifs et spontanés au quotidien, si bien qu'ils parvenaient à présent à se comporter comme un couple en la plupart des circonstances, particulièrement en présence de leurs proches : ils osaient enfin - avec tempérance - être tactiles, presque affranchis de la gêne qui les avait toujours poussés à établir entre eux une distance quasi-réglementaire les faisant passer pour rien de plus que des amis. Et ils devaient avouer, en leur fort intérieur, que cette fluctuation était tout sauf déplaisante. Cependant, le lendemain, lorsqu'ils pénétrèrent ensemble dans l'enceinte du Palais de glace de Saint-Pétersbourg - où l'événement médiatique tant attendu était sur le point de se dérouler -, ils prirent conscience que leur nouvelle dynamique relationnelle allait les confronter à quelques difficultés supplémentaires, cette fois sur le plan professionnel : de par les événements récents, tels l'appel de Zoria, leur habileté à dissimuler la nature réelle de leur relation sans sourciller avait quelque peu perdu de sa superbe, et les deux sportifs - depuis quelques temps déjà soupçonnés par la presse malgré leur discrétion – craignaient, aujourd'hui plus que jamais, de tenir par mégarde un propos qui les trahirait... Le coming-out étant un luxe déguisé qu'ils ne pouvaient s'accorder pour le moment, aussi étaient-ils assez stressés. Par ailleurs, la conférence du jour était plutôt exceptionnelle dans son organisation : tous les patineurs et patineuses actuellement présents en Russie étaient là, assis presque côtes à côtes car séparés les uns des autres par leurs coachs, qui se trouvaient indubitablement installés à leur droite. L'on dénombrait ainsi Ariane Garnier, Mila Babicheva, Georgi Popovich, Yuri Plisetsky, Otabek Altin, Christophe Giacometti et Nikita Iegorov, respectivement accompagnés par Marine Bourgeois, Yakov Feltsman, Aleksey Droski et Josef Karpisek... Sans oublier Victor Nikiforov et Yuuri Katsuki, qui passeraient bientôt, lors de leur annonce commune officielle, du statut de compétiteurs à celui d'entraîneurs. Les journalistes, eux aussi, étaient nombreux, investissant la totalité de l'espace mis à leur disposition, et lorsque l'heure vint, les demandes fusèrent. Les jeunes femmes furent les premières à être interrogées, séparément, suivies de près par leur homologue très théâtral, puis par le Suisse, jusqu'à ce que le « Tigre » ne soit à son tour sollicité. Son entraîneur sélectionna quelques personnes, lesquelles posèrent à l'élève des questions assez judicieuses auxquelles il répondit avec pertinence, jusqu'à ce que la parole ne soit donnée au rédacteur en chef d'un magasine sportif Russe en ligne, célèbre chez les patineurs non moins pour la qualité de ses publications que pour ses airs de presse à scandale romanesque :

- « Adam Litovsky, de « Sports News », se présenta-t-il, une tablette tactile en main, avant de s'adresser au blond, qui l'observait déjà d'un œil torve. Yuri Plisetsky, vous concourrez cette année, comme durant les trois précédents « Grand Prix », contre votre homologue Kazakh, Otabek Altin... Lequel, si l'on en croit les informations qui sont en notre possession, est non seulement votre rival, mais aussi votre ami, et votre colocataire depuis plusieurs... ?

- Exact, le coupa l'intéressé, méfiant. Et alors ?

- Et bien, reprit calmement l'homme, sans se démonter. Nous possédons également la confirmation qu'à maintes reprises, vous vous êtes rendus ensemble en centre-ville, tard dans la soirée, et y avez été les clients d'un bon nombre de bars et de clubs. Parmi ces établissements, plusieurs boîtes de nuit « Gays » ont reçu votre visite, spécifiquement l'une d'elles, du nom de « Central Station », située dans le quartier Lomonosova. Qu'avez-vous donc à dire, monsieur Plisetsky, monsieur Altin, à propos des rumeurs prétendant que vous êtes tous deux attirés par le même sexe et entretenez des rapports romantiques ? Les réfutez-vous ? »

La question était claire, presque insultante dans sa formulation, aussi directe que les amants l'avaient craint, et d'après l'air satisfait du chroniqueur, il avait encore de quoi étayer sa théorie. Coincés, le Russe et le Kazakh échangèrent un regard, confirmant à l'autre que la même pensée venait de les traverser : plusieurs fois, lors d'une période où ils sortaient beaucoup, ils avaient eu la sensation d'être suivis, et en étaient venus à la conclusion que des fans, ou des paparazzi en mal de scoops, les avaient pistés plus souvent qu'à leur tour, à l'affût d'un rapprochement ou de toute autre action suspecte de leur part. Aucun doute possible à présent, il ne s'était pas agi d'un effet de leur imagination. Quelques secondes, ils restèrent silencieux, puis ce fut Otabek qui s'exprima le premier, accordant son attention au reporter :

- « Nous ne les réfutons pas, commença-t-il, imperturbable, déclenchant une vague de murmures qui se tut dés qu'il poursuivit. Mais nous ne les confirmons pas pour autant. À propos du « Central Station Club », nous l'avons effectivement fréquenté : j'y animais régulièrement des soirées en tant que DJ, mon ami m'accompagnait afin d'assister à mes performances, ce qui, jusqu'à preuve du contraire, n'a rien de suspect. Concernant votre évocation des autres lieux où nous avons été vus, j'y répond qu'il ne me semble pas qu'apprécier l'ambiance festive de lieux catégorisés comme « Gays » signifie forcément que l'on soit homosexuel. Pour en venir au fait, Yuri et moi sommes conscients de l'image connotée que nous renvoyons et ne jetons la pierre à personne quant aux racontars qui circulent à notre propos, néanmoins, le trop plein d'attention que vous portez à nos sphères privées nous déplaît. Nous désirons que vous n'évoquiez plus ce sujet.

- Et puis merde, cracha le blond, visiblement exaspéré par les visages cupides levés en leur direction. Vous savez quoi ? Je m'adresse à vous tous, et je parle au nom de toutes les célébrités que vous avez un jour attaquées dans un de vos contenus sur leurs préférences ou leurs actions : franchement, ça nous fait chier d'être placardé en première page de vos torchons dès qu'on fait un pas de travers, et faudrait que vous vous rentriez dans le crâne que malgré nos statuts de personnalités publiques, certains aspects de nos vies ne regardent personne. Ça vaut pour Otabek et moi comme pour nos concurrents ! On a pas besoin de ce genre de publicité intrusive pour surprendre le public ! On le fait déjà grâce à nos talents, pas grâce à ce qui se passe hors des concours ou dans nos lits, et on a tous plus que prouvé notre dévotion pour notre métier, sans que vous ayez eu besoin de nous y aider ! Alors si ça vous rapporte tant que ça de nous ridiculiser, faites-le en vous moquant de nos sauts ratés, de nos costumes, ou même de nos thèmes, mais foutez-nous un peu la paix avec le reste : on a le droit de faire des conneries, d'aller où on veut, d'être amoureux, et rien de tout ça vous concerne ! Bref, mon ami et moi ne répondrons à aucune autre question de ce genre. De toute façon, si on avait quoique ce soit de sentimental à annoncer, on le ferait certainement pas pendant une conférence de presse, et ce qu'on a à dire sur nos programmes vous sera bien plus utile pour écrire vos articles que des infos sur nos orientations sexuelles ! Termina-t-il, aussi calmement que possible en dépit de sa colère, avant de s'adresser à Yakov, d'une voix plus douce. S'il te plaît, choisi un autre représentant. En espérant que celui-là ait un minimum de décence. »

Le coach, surpris par les réponses sans détours des « accusés », jaugea son apprenti, ne pouvant chasser les pensées tendres qu'il lui inspira. Il avait vu cet intenable rebelle au cœur d'or grandir, s'épanouir sur la glace, l'y avait aidé, et aujourd'hui, alors qu'il n'en aurait pas juré quelques semaines plus tôt, il avait devant lui non plus un adolescent tardant à mûrir, mais un homme, assurant et protecteur. Monsieur Feltsman ne pouvait le nier : il était fier de lui... Ce qui ne l'empêcherait pas de lui passer un savon monumental ensuite pour avoir employé un chapelet de grossièretés en direct à la télévision. Il porta donc son choix sur quelques journalistes supplémentaires, et la conférence se poursuivit sans davantage d'accrocs. Quand Victor et Yuuri annoncèrent officiellement leur retraite, la foule s'agita en un brouhaha échevelé, mais lorsqu'ils présentèrent Nikita - assis entre eux - comme leur élève, la nouvelle eut l'effet d'une véritable bombe. Et, dès le lendemain, l'on ne parla plus que d'eux, sur les réseaux sociaux comme dans les magasines, faisant oublier le coup de sang de Yurio ainsi que les soupçons de plus en plus prononcés qui pesaient sur son couple... L'espace de quelques jours. Car le vendredi suivant, le sujet redevint soudainement d'actualité :

Le brun, dans la chambre à coucher, était occupé à choisir la tenue qu'il allait porter... Lorsque la voix furieuse de son petit-ami se mit à retentir, le faisant sursauter, si bien qu'il en laissa tomber son pull-over. La seconde suivante, le blond entra dans la pièce à la manière d'un ouragan, faisant claquer brutalement la porte contre le mur.

- « Pizdec ! Idi na khuy, mudak ! Blyat !***** S'écria-t-il, donnant un coup de pied enragé dans sa table de chevet, la renversant, de même que la lampe qui s'y trouvait, laquelle se fracassa sur le parquet.


***** « Pizdec ! Idi na khuy, mudak ! Blyat ! » : une succession d'insultes assez vulgaire, qui signifie « Merde ! Va te faire foutre, connard ! Putain ! »


- Enfin, qu'est-ce qui t'arrive ?! S'exclama l'aîné, jetant un coup d'œil au luminaire brisé avant de rejoindre - inquiet - son conjoint, lequel était dans un état de nerfs presque effrayant et agrippait, plus qu'il ne tenait, son téléphone portable.

- Il m'arrive que cette raclure de journaliste à la con à publié des saloperies sur nous ! Répondit-il, les mains et la voix tremblantes de rage. « Yuri Plisetsky et Otabek Altin : ils nient publiquement leur relation amoureuse, mais l'argumentaire ne trompe personne ! « Sports News » vous révèle tout » ! Il est sérieux, l'enfoiré ?! Bordel, « Photos exclusives à l'appui », qu'il dit ! Je vais tuer ce sale fils de... !

- Yuri ! Le coupa le plus âgé, dissimulant de sa paume l'écran du cellulaire afin de capter le regard de son compagnon, qui releva vivement la tête vers lui, le souffle court. Calme-toi. On va lire cet article ensemble, et on avisera ensuite. Ce n'est qu'un titre accrocheur, les clichés et le billet qui l'accompagnent ne sont peut-être pas aussi terribles qu'ils en ont l'air. »

Ainsi, le couple se retrouva installé dans son salon, et étudia le fameux contenu... En arrivant à la conclusion qu'en fin de compte, il était plus inquiétant encore qu'ils ne l'avaient imaginé.

- « Seigneur, souffla le plus vieux, atterré. J'espère de tout cœur que mon père ne verra pas ça... »

Lentement, pour la énième fois, il fit défiler les photographies. Les moins compromettantes les montraient entrant dans des Pubs, buvant de l'alcool, marchant ensemble ou encore discutant, quant aux suivantes, elles étaient bien plus ambiguës, les représentant par exemple lors de danses où ils étaient très proches l'un de l'autre, parfois de façon assez sensuelle... Mais la plus problématique de toutes était sans l'ombre d'un doute la dernière : le paparazzo qui en était à l'origine les avait, semblait-il, approchés de très près sans qu'ils ne s'en rendent compte, et était parvenu à immortaliser l'un des rares baisers qu'il leur arrivait d'échanger en public... Et quel baiser ! Ils se souvenaient parfaitement de ce moment : le soir où les assignations du Grand Prix avaient été publiées sur le net, ils étaient sortis fêter l'événement, trop heureux de participer aux mêmes compétitions. Un verre en entraînant bien d'autres, ils avaient été ivres – et euphoriques - avant même une heure du matin. Leur énième shooter en main, ils avaient porté un toast :

- « À notre saison ! Avait claironné Otabek, levant son Ankle Lock.

- On va tous les écraser ! Avait renchérit Yuri, imitant son compère, avant d'avaler d'une traite son Jägerbomb. Tu sais... J'ai hâte de te voir patiner dans ton nouveau costume.

- Avoue-le : tu penses déjà à ce que tu me feras une fois que tu me l'auras enlevé, avait rétorqué le second, amusé, recevant en réponse un sourire renversant, si bien qu'il avait à peine réfléchi avant de ceindre la taille de la « Fée » et l'attirer contre lui, capturant ses lèvres. »

Le benjamin, grisé par la musique et l'allégresse de ce moment, avait aussitôt glissé ses paumes sur les hanches de son ami, et l'avait embrassé avec autant de désir et de passion qu'il lui en inspirait, un soupir lui ayant échappé lorsque leurs langues s'étaient enlacées, puis un gémissement, quand la cuisse de son amant s'était pressée entre les siennes.

- « Ota'... Tu m'excites, ça devient dangereux, avait susurré le plus jeune, enjôleur. On rentre ? Les Mondiaux, c'est pas pour tout de suite, alors je vais commencer par t'arracher ce « costume »-là...

- Ne me dis pas de telles choses... Sinon, comment veux-tu que je patiente jusqu'à pouvoir te faire l'amour ?

- Tentant... Mais je décline. Ce soir, c'est mon tour, avait malicieusement répliqué le Russe, ses doigts se déplaçant en une caresse, jusqu'à agripper les fesses de son compagnon.

- Je vois, avait soufflé ce dernier dans un rire. C'est si gentiment proposé. Comment refuser ? Avait-il ajouté, joueur, manquant néanmoins de piquer un fard au regard lourd de sous-entendu que lui avait adressé son partenaire. Allons-y. »

Ils étaient par la suite rentrés chez eux, persuadés que ce petit « dérapage » serait sans conséquences... Mais ils avaient apparemment fait erreur.

Relisant inlassablement l'article, perdus dans leurs pensées, ils ne virent pas l'heure défiler, si bien que lorsqu'ils reprirent leurs esprits, ils durent se préparer en quatrième vitesse, manquant d'arriver en retard où ils étaient attendus, soit chez Nikolaï. Le vieil homme, affublé d'un tablier, les accueillit avec son habituelle hospitalité, et une joie évidente, allant jusqu'à étreindre le brun. Très surpris, le jeune homme ouvrit de grand yeux, et hésita une demi-seconde avant de lui rendre son accolade chaleureuse : jusqu'ici, monsieur Plisetsky s'était toujours montré courtois et agréable envers le Kazakh, mais rarement aussi familier... Un changement qui n'était pas pour déplaire à son petit-fils, dont l'air hébété se mua bien vite en une expression ravie. Il bouillait encore de colère rien qu'à la pensée du contenu qui devait à l'heure actuelle être consulté par tout son entourage, mais la bienveillance de son aïeul envers son conjoint l'apaisa quelque peu. Et, comme il avait été convenu, tous trois se mirent aux fourneaux, préparant ensemble le dîner. Yurio, qui avait toujours adoré cuisiner avec son grand-père, suivait ses instructions à la lettre, avec une aisance presque enfantine, se détendant au fur et à mesure... Jusqu'à s'esclaffer face aux difficultés grandissantes que rencontrait Otabek : lui qui n'était doué que pour la pâtisserie ne savait plus où donner de la tête, et son air concentré, combiné aux bêtises qu'il faisait, rendait sa détresse hilarante.

- « Tu peux m'expliquer ce que tu cherches à faire, là ? Rit le blond, contournant la table de cuisine - emplie de denrées - afin de rejoindre son ami.

- Je tente de dégraisser ce morceau de porc, grommela l'intéressé.

- Tu donnes plus l'impression de t'entraîner à poignarder quelqu'un, ironisa le second, essuyant ses paumes sur son tablier, avant de bloquer le mouvement de son interlocuteur lorsque celui-ci fit mine de faire un nouvel essai. Doucement Ota', y a pas le feu. Commence par tenir correctement ton couteau, rajouta-t-il, ajustant alors délicatement sur le manche de l'ustensile la position des phalanges de son compagnon, qui lui accordait à présent toute son attention. Comme ça, c'est pas mal. Maintenant, regarde ta viande : faut que tu détermines où commence la « ligne » de gras. Non, pas ici. Ouais, c'est là. Place ta lame de façon à ce qu'elle s'appuie pile à l'intersection entre les deux parties que tu veux séparer. Si ta découpe est correcte, la couenne va finir par s'écarter naturellement et tu pourras faire le tour sans trop galérer ou gaspiller de la chair. Essaye.

- De cette façon ? Questionna l'autre, appliquant les conseils qui venaient de lui être donnés, constatant aussitôt leur efficacité. Oh... En effet, ça fonctionne, lança-t-il, l'air boudeur.

- Tu vois, c'est pas si compliqué, pouffa le second, déposant une caresse réconfortante sur la nuque de son condisciple, qui lui adressa un regard amusé. Courage, on a bientôt fini avec le salé. Après, on sera tes commis, Papy et moi, vu que c'est toi le meilleur Pâtissier ici. »

Tout en achevant d'équarrir les légumes, le plus vieux les observait, discret. À les voir si proches, il sentit une vague de tendresse à leur égard envahir sa poitrine, et chassa le douloureux souvenir de la tristesse qui accablait son petit-fils il y a quelques semaines de cela, lorsque sa relation avec cet adorable jeune homme semblait vouée à s'achever. Car, à présent, tous deux paraissaient avoir tourné cette page sombre de leur histoire, et Nikolaï avait la nette impression que cette épreuve avait non seulement renforcé leur complicité, mais également opéré certains changements en Yuri : il paraissait plus confiant, et, étrangement, plus adulte, dans son comportement comme dans sa façon de s'adresser à son conjoint, lequel parlait peu, mais démontrait par tous les autres moyens en sa possession son bonheur d'être auprès de lui.

Quelques poignées de minutes plus tard, le cadet s'éclipsa pour se rendre à la salle de bain, laissant seuls son condisciple et son grand-père.

- « Otabek, l'apostropha ce dernier. Peux-tu venir attraper ce saladier pour moi ?

- Tout de suite, monsieur Plisetsky, acquiesça le concerné, le rejoignant aussitôt de l'autre côté de la table - qu'ils venaient d'achever de nettoyer afin de pouvoir y concocter le dessert - et se hissant sur la pointe des pieds pour se saisir de l'objet en question, posé sur une haute étagère.

- Appelle-moi donc Nikolaï. Tu es étonnamment cérémonieux, pour ton âge ! Rit l'homme âgé, remerciant son interlocuteur d'un hochement de tête lorsqu'il lui donna le contenant.

- Yuri me le fait souvent remarquer, répondit le brun, esquissant un sourire. Mes parents m'ont dispensé une éducation stricte, c'est donc un automatisme pour moi... Mais je vous promets d'essayer de m'adresser à vous en usant de votre prénom.

- Je compte sur ta persévérance, dans ce cas. Et puisque tu parles de Yuratschka... Il y a quelque chose dont j'aimerais que nous discutions.

- J'y suis absolument disposé, déclara le Kazakh, dissimulant brillamment sa légère appréhension.

- Bien. Assieds-toi, ordonna calmement le plus âgé, s'installant lui-même sur l'une des deux chaises et attendant d'avoir été imité avant de commencer. Au tout début, lorsque j'ai compris, à l'entendre me parler de toi, que Yuri développait des sentiments amoureux à ton égard, j'ai été réticent à l'idée que vous vous liiez davantage : tu étais plus âgé, donc moins innocent, me faisant redouter l'influence que tu pourrais avoir sur quelqu'un d'aussi impulsif que lui... Autant te dire qu'après la performance que vous avez effectué à Barcelone - « Welcome to the madness », je crois -, mes à priori se sont renforcés... Cependant, lorsque Yuri est rentré en Russie après cette compétition, j'ai remarqué chez lui une évolution très positive. Dans la foulée, il m'a annoncé votre désir d'effectuer une colocation... J'ai alors exigé de te rencontrer au plus vite. Le week-end suivant, tu étais ici, sur le pas de ma porte, à ses côtés... Et, dès que je t'ai vu en personne, toutes mes appréhensions se sont envolées. Sais-tu ce qui m'a convaincu que je pouvais te faire confiance ?

- Non, mons-... Nikolaï, répondit l'intéressé, intimidé.

- Ton regard. Celui que tu m'adressais, profondément respectueux, alors que tu ne me connaissais pas. Celui que tu posais sur mon cher Yuri, comme la promesse de tous les bonheurs que tu avais à lui offrir. J'ai aussi vu ton intelligence, ton intégrité, ta générosité... Tout cela dans tes yeux. De même par la suite, à chacune de nos rencontres, et aujourd'hui encore. Je sais que ces dernières semaines ont été douloureuses pour vous deux. Par ailleurs, j'ai vu la conférence de presse, et je n'ai pas attendu votre visite pour être informé de l'article publié ce matin : il fait grand bruit. La suite des événements va certainement vous causer, à nouveau, beaucoup d'embarras. Il sera impératif que vous puissiez compter l'un sur l'autre... Tout comme durant les années à venir. Une raison supplémentaire pour moi de te parler dès maintenant. Ai-je ton attention ?

- Vous l'avez, assura le brun. »

Le « Tigre », qui venait de rejoindre le couloir attenant à la cuisine, entendit leurs deux voix retentir, aussi, curieux, il décida d'écouter leur conversation, dissimulé derrière un pan de mur.

- « Pour lors, je me porte bien, débuta l'aïeul. Mais je ne suis pas éternel. Un jour, peut-être pas si lointain, je quitterais cette vie... Y laissant mon petit-fils. Quand ce moment arrivera, tu seras le seul en mesure de le soutenir. Le seul également pour lequel il se relèvera : tu es parvenu à faire voler en éclats ses plus fortes défenses, à gagner sa confiance... Tu lui as aussi fait découvrir ce que l'on peut partager de plus beau avec un autre être humain. Pour cela, tu as une place immuable dans son cœur, et Yuri n'est pas de ceux que l'on peut abandonner : lorsqu'il aime, lorsqu'il souffre, il le fait sans limites. »

Le vieil homme s'interrompit, puis saisit paisiblement entre les siennes l'une des mains du Kazakh, qui, ému, le dévisageait.

- « Jusqu'ici, reprit-il. Tu as su le motiver, le protéger, le rendre heureux... Continue, aussi longtemps que votre amour durera : je te le confie. À toi, et à aucun autre. »

Depuis sa « cachette », le blond, très touché par ces propos, entendit son petit-ami chercher ses mots, devina la rougeur de ses joues, puis pu prendre connaissance de sa réponse, formulée sur un ton troublé, mais tendre :

- « Je vous remercie infiniment de la confiance que vous me témoignez... Je m'engage à prendre soin de Yuri, jusqu'à ce que nos sentiments l'un pour l'autre se soient définitivement taris. Bien que...

- « Bien que ceci ne soit pas près d'arriver », c'est cela ? Devina Nikolaï, visiblement réjoui.

- Tout à fait, opina doucement le brun. Je l'aime. Et lorsque nos problèmes actuels seront réglés, je compte bien le faire savoir au monde.

- En voilà, une bonne initiative ! Et, s'il te plaît, n'attend pas mon départ de cette terre pour lui demander de t'épouser. Je tiens à assister à la cérémonie.

- Je... Nous n'avons pas encore abordé ce sujet, répondit le Kazakh dans un sourire contrit, ses pommettes prenant quelques couleurs supplémentaires. Il faudrait, pour commencer, que j'arrive à rendre caduque l'union que l'on veut m'imposer... Mais, au delà de cela, aucun de nos deux pays n'autorise les homosexuels à se marier, malheureusement.

- Enfin, qui t'as parlé d'enfreindre les lois ? Le mariage civil est certes la forme d'engagement la plus répandue, mais bien d'autres existent, ne requérant en aucun cas l'approbation de l'État. Je pense notamment à la façon dont vos amis Victor et Yuuri ont prit la tangente : ils ont organisé des festivités à leur image, au cours desquelles ils ont signé symboliquement un faux contrat... Ainsi, leur statut d'époux n'est officiel qu'à leurs yeux et ceux de leurs proches, mais, après tout, n'est-ce pas le plus important ? N'oubliez pas qu'une telle célébration se fait par amour, non par conscience citoyenne. Alors, lorsque vous déciderez de vous unir, faites-le de la façon qui vous plaira, selon les préceptes qui vous sembleront légitimes, et oubliez les conventions sociales : à tous les points de vue, elles sont vos seuls freins. »

Sur ces mots, le vieil homme se leva, rajusta son tablier, et lança :

- « Yuratschka, rejoins-nous donc, plutôt que de rester caché derrière cette cloison. Le dessert ne se préparera pas seul ! »

Le susnommé sursauta, puis, plus gêné que jamais, entra dans la cuisine, fixant ses chaussures... Son air incroyablement embarrassé lui valant un regard attendri de son compagnon, et arrachant un éclat de rire au plus âgé. Le reste de la journée se déroula dans une ambiance très conviviale, aussi, quand les deux patineurs rentrèrent chez eux le soir venu, ils étaient rassérénés. Le fameux article leur était presque sorti de l'esprit.

Au matin du lundi, lorsque vint le moment de partir pour la patinoire, Yuri et Otabek échangèrent un baiser dans le hall de leur immeuble, en un ultime contact avant que le soir ne soit venu. En effet, à dater de ce jour, deux semaines seulement restaient avant les Championnats du Monde, et - ainsi que c'était le cas chaque année - le couple effectuait séparément ses quinze dernières journées d'entraînement intensif, afin d'éviter toute forme de distraction. A l'extérieur, de fortes rafales soufflaient, comme en un présage : la pression que tous deux allaient subir et s'infliger durant cette dernière ligne droite avait toutes les chances d'être harassante. Néanmoins, ils étaient prêts. Leurs thèmes étaient « La dualité caractérisant l'amour » et « La volonté ». Ils ne pouvaient pas perdre. Cette saison serait la leur.


Merci à vous de m'avoir lue ! J'espère que ce chapitre transitif vous a plu, et en profite pour vous informer que la chanson "Tír na nÓg", dont Nikita a effectué une reprise, est un titre du groupe "Celtic Woman", co-interprété par la chanteuse Allemande Oonagh. Je vous invite donc vivement à aller découvrir ce morceau, et son clip, via Youtube ! À très vite, pour la suite de "All I ever wanted was you" !