Belladonne était frigorifiée. Ses membres étaient glacés et, sans l'enfant qu'elle portait, elle se serait laissée mourir depuis longtemps.

Elle s'était rendue compte qu'elle était enceinte lorsqu'elle était arrivée à Fondombe mais elle savait qu'elle ne pouvait pas arrêter. Elle ne s'arrêterait pas avant d'avoir atteint les Monts de Fer. Elle devait continuer, elle n'avait pas le temps d'attendre. Mais la douleur dasn son estomac était trop forte à supporter, la bise mortellement froide fouettait sa peau et la nuit avançait, sombre et terrifiante. La pleine lune brillait dans le ciel mais ne l'éclairait pas assez pour lui montrer le chemin.

Elle rampa sur le côté de la Montagne, glissant et trébuchant sur la roche qui lacérait la peau de ses genoux, dans l'espoir de trouver une crevasse ou une grotte dans laquelle s'abriter.

Heureusement, après avoir passé un long moment à tâter les crêtes des rochers, elle finit par trouver ce qu'elle cherchait. L'entrée d'un tunnel qui menait profondément à l'intérieur de la Montagne. Elle rampa dedans, soulagée de pouvoir se protéger de la tempête qui faisait rage dehors et elle s'enfonça dans le tunnel. Encore et encore.

Elle poursuivit son chemin à tâtons un certain temps jusqu'à ce qu'elle aperçoive des éclats de lumière en face d'elle et plus elle se rapprochait, plus les lumières se faisaient plus fortes.

Et enfin, quand elle atteignit enfin la sortie du tunnel, elle se retrouva dans une salle pour le moins stupéfiante. Des monceaux d'or, d'argent et de pierres précieuses tapissaient le sol, empilés si hauts que Belladonne était certaine qu'ils devaient toucher le plafond qu'elle ne voyait pas.

Un trésor. Quel spectacle ! Mais plus qu'un spectacle, c'était une vue extrêmement effrayante. Car avec ce trésor se trouvait... une bête.

Une grande et grosse bête dorée aux longues griffes, à la queue interminable et au museau plus grand que son smial à Hobbitebourg.

-Un visiteur, déclara une faible voix sifflante comme celle d'un serpent qui instaura une vague de crainte dans son estomac.

Elle serra son ventre. Les yeux de la créature s'ouvrirent, révélant deux sublimes iris dorés. Les pupilles dilatées fixèrent son ventre rond.

-Deux, en fait, si je ne me trompe pas.

-Je vous en prie, implora Belladonne, elle n'avait pas fait tout ce chemin pour être brûlée vive par un dragon, elle avait vécu des choses bien pires que celles-là - ce qui n'était pas vrai mais là n'était pas la question. Je...

Mais la douleur qui la tiraillait fut si forte qu'elle manqua de s'évanouir. Elle cria et tomba à genoux. Ce n'était pas le moment pour que cela arrive mais elle ne pouvait rien faire pour l'empêcher. La créature ne fit aucun geste pour la manger, ce dont elle fut reconnaissante. Elle se traîna sur l'or jusqu'à ce qu'elle puisse se reposer contre un gros tas empilé.

-Tu ne vas pas y survivre, déclara la bête d'une voix neutre. C'est certain.

Belladonne le savait déjà. Les douleurs avaient commencé et jamais elle n'avait eu aussi mal de toute sa vie.

-Je vous en prie, répéta-t-elle, même si elle ne savait pas exactement ce qu'elle espérait de la créature.

-Je ne le tuerai pas, promit la bête, ce qui enleva une partie du poids qui pesait sur ses épaules, alors que la créature fit une pause. Et je ne te tuerai pas non plus. Tu le feras toute seule.

Belladonne poussa un nouveau cri, martyrisée par la douleur qui tiraillait son corps. Elle se sentait complètement déchirée.

-Sacquet, réussit-elle à prononcer en retombant sur le tas d'or. Il s'appellera Bilbon Sacquet.

-Bilbon, répéta la bête, son chuchotement retentissant dans toute la pièce. Sacquet.

Et elle cria encore.

/

Bilbon n'avait jamais connu aucune autre créature, auparavant. A part Smaug, bien sûr, mais le dragon et Bilbon se doutaient qu'ils devaient y avoir bien d'autres créatures sur cette terre. Et bien plus que cela. En revanche, Smaug lui avait dit qu'il n'y avait plus de dragons.

Oh bien sûr, il y avait d'autres créatures. Des ents, des elfes, des nains et des orques. Il lisait les livres restés intacts dans la bibliothèque de la Montagne pour en apprendre plus sur le monde. La bibliothèque appartenait initialement aux nains qui vivaient dans la Montagne avant l'attaque de Smaug. Au début, il pensait être lui-même un nain mais Smaug lui avait assuré qu'il n'était pas une de ces viles créatures.

-J'en ai vu beaucoup le jour où j'ai pris cet endroit à l'aide de mes flammes, avait-il dit. Et tu n'en es certainement pas un.

La première fois que Bilbon s'était vu lui-même, il avait sept ans. Il parcourait les niveaux supérieurs de la Montagne, là où les salles étaient en bon état, et avait déniché un miroir. En tout cas, c'est comme ça que Smaug appelait l'objet. Lorsqu'il avait vu son reflet, il avait poussé un cri et s'était réfugié dans la salle du trésor.

Smaug, qui avait une surprenante et éternelle patience pour Bilbon, lui avait soigneusement expliqué qu'il n'avait vu que son reflet.

Comme Bilbon se trouvait quelque peu différent des tableaux déchirés et lacérés accrochés dans les salles abandonnées, il se dit que Smaug avait raison. Ses oreilles étaient pointues, son nez petit et légèrement retroussé au bout, ses yeux grands et ronds, ses pieds longs et larges. Tout son corps était clair et lisse, hormis ses pieds. Il ne pouvait pas voir son dos mais quand il le touchait, il ne sentait aucun poil. Les miroirs avaient été une grande découverte. Car avant, il n'avait jamais vu son visage. Bien sûr, au début, il avait eu peur, mais avec le temps, il s'y était habitué. Voir son reflet lui donnait l'impression de ne pas être aussi seul que ça.

Inutile de dire que Bilbon ne savait même pas à quelle race il appartenait - cette race devait avoir des pieds semblables aux siens, ce qui était pour le moins étrange.

Alors, lorsqu'il entendit des voix dans le tunnel se disputer, il fut à la fois terrifié et terriblement curieux. Les voix flottaient dans l'air, résonnant jusqu'au tunnel, s'entrechoquant sur les murs pour venir jusqu'à ses oreilles. Au début, il crut que c'était peut-être des oiseaux qui, une fois, étaient entrés dans la Montagne, au grand dam de Smaug. Habituellement, il se serait fait un plaisir de les rôtir mais Bilbon l'avait supplié de les épargner car il adorait les oiseaux.

Mais les sons redoublèrent et il comprit qu'il ne s'agissait pas seulement d'une petite grive. Il se glissa à l'entrée du tunnel et se pencha vers la sortie pour comprendre les mots qui résonnaient sur les murs.

-Nous sommes arrivés jusque-là, nous ne pouvons pas faire marche arrière ! affirma une voix.

-Oui, admit une autre voix. Mais comment on tue un dragon ?

Ces mots lui glacèrent le sang. Ils étaient là pour tuer Smaug, son tuteur et protecteur, Smaug, qui l'avait nourri, raconté des histoires et appris à parler.

Smaug était en ce moment en train de dormir profondément, enterré sous un gros tas d'or et, bien qu'il était grand et intrépide, Bilbon avait l'impression qu'il était la créature la plus vulnérable qui soit.

Bilbon savait qu'il devait faire quelque chose.

-Nous devons trouver le passage, argua une troisième voix douce, logique et raisonnable que Bilbon aurait trouvé réconfortante si il ne savait pas de quoi ils parlaient. La prophétie dit qu'il sera révélé au clair de lune pour ceux qui le cherchent.

Bilbon connaissait le tunnel. Il était à mi-chemin de la sortie. Smaug lui avait même dit qu'il s'était révélé à sa mère, ce qui avait sauvé la vie de son enfant, même si cela n'avait pas sauvé la sienne. Il était long, sinueux et menait droit au bord de la Montagne où un chemin avait discrètement été tracé. Il avait toujours été caché et, jusqu'à maintenant, Bilbon n'avait jamais eu de raison de le craindre. Personne ne passait jamais trop près de la Montagne et si jamais cela arrivait, alors ils faisaient tout pour la dépasser très vite en espérant ne pas réveiller le dragon.

-Alors, nous camperons jusqu'à la nuit tombée, décida une nouvelle voix pleine d'autorité qui ne souffrait aucun argument.

En l'entendant, Bilbon sentit soudain son estomac se nouer, ce qui était... étrange. Cela ne lui était jamais arrivé avant. C'était comme une corde qui l'attirait vers cette voix. Il voulait l'écouter encore mais celui qui avait cette voix ne parla plus.

Bilbon entendit des bruits : des cliquetis tombant au sol et la conversation devint un peu plus légère.

-Alors, on mange quoi ce soir ?

L'estomac de Bilbon grogna à cette question. Il vivait d'oiseaux et de lapins qu'il trouvait dans le bois qui se trouvait non loin de la Montagne. Parfois, il avait même assez de chance pour attraper un cerf. Smaug les cuisait avec son feu et, une fois que Bilbon avait pris sa part, le dragon mangeait les os et tout ce qu'il en restait, ses dents crissant sous les bouchées.

Il avait lu dans l'un des nombreux livres qu'il avait dévoré qu'autrefois, la Montagne était bordée de nombreuses forêts vertes et luxuriantes avec une faune en abondance. Le sol était jonché de fleurs et de plantes aux formes et couleurs diverses. Bien sûr, il avait déjà vu de la verdure. De l'herbe poussait sur un coin de la Montagne et quelques forêts avaient tenté de repousser après que les flammes aient embrasé la terre il y a de cela de nombreuses années. Mais il n'avait jamais vu une véritable forêt. L'idée était fort séduisante et Bilbon se mit à rêver d'une aventure.

Smaug lui avait dit de faire attention aux étrangers, bien sûr - non qu'il y en ait déjà eu auparavant - mais Bilbon était beaucoup trop curieux pour tout simplement les ignorer. Ces visiteurs, quels qu'ils soient, étaient une menace potentielle. Et une menace est une menace, peu importe le degré. Il était obligé de chercher plus d'informations, après tout. Smaug était celui qui l'avait protégé quand il était enfant et qui lui avait appris tout ce qu'il savait.

Smaug était la seule famille qu'il ait jamais eu, hormis la petite tombe où sa mère était enterrée. Celui qui voulait faire du mal à Smaug voulait aussi lui en faire et il ne pouvait pas permettre une telle chose.

Alors, il parcourut le reste du tunnel en prenant garde à ne pas faire de bruit et regarda silencieusement à travers l'entrée cachée.

Il y avait treize personnes, de grandes créatures solidement et fermement bâties, habillées de vêtements lourds et épais et chaussés de bottes tout aussi lourdes et épaisses. Bilbon portait lui-même des vêtements semblables qu'il avait trouvé sous les décombres.

Bilbon pensait que, comme ils étaient là pour tuer le dragon, il devait s'agir de nains. Smaug avait toujours dit que les nains étaient les seuls assez stupides pour penser être capables de vaincre un dragon. Les seules images qu'il connaissait des nains étaient celles qu'il avait vu sur les tableaux en lambeaux mais il notait déjà quelques ressemblances avec les nouveaux venus.

Smaug avait raison. Ils ne lui ressemblaient pas. Ils étaient forts et musclés là où Bilbon était souple et rond. Leurs oreilles étaient arrondies alors que les siennes étaient pointues et leurs pieds semblaient étonnamment fragiles. Bilbon était incapable de porter les bottes qu'il avait trouvées, pensant que ce serait bien trop douloureux.

Ils n'étaient peut-être pas comme lui mais peut-être savaient-ils ce qu'il était. Cette pensée était excitante. Il les vit poser leurs outils par terre et discuter entre eux.

Certains étaient très grands ou gros, d'autres petits et minces. Mais ce dont il était sûr, c'est qu'ils étaient tous de la même race. Leurs cheveux avaient une teinte que Bilbon n'avait jamais vu avant. Certains étaient aussi dorés que les écailles de Smaug, d'autres bruns comme la terre et il y en avait même qui avait des cheveux noirs comme l'eau la nuit.

Il commençait à faire sombre maintenant mais ils n'allumèrent pas de feu. Ce que Bilbon trouva - avec réserve - très intelligent. Si ils étaient là pour tuer le dragon, ils ne devaient en aucun cas l'avertir de leur présence. Bientôt, la lune se lèverait, révélant le passage, et Bilbon devait tout faire pour empêcher que cela arrive.

Mais que pouvait-il faire ?

Le plus gros des nains - qui avait une couleur de cheveux que Bilbon ne pouvait pas nommer - sortit quelque chose de son sac et en passa à ses camarades.

De la nourriture.

Bilbon n'avait rien avalé depuis le petit-déjeuner, alors cette vue cruelle et injuste le fit grandement souffrir. Il pensa, très brièvement, à se montrer. Après tout, il ne semblait pas être des gens mauvais. Ils riaient et plaisantaient, même si ils semblaient quelque peu stressés. Mais il se ravisa.

Il n'avait jamais vu des gens interagir entre eux. Il n'était pas un expert dans les relations avec les autres alors il préférait ne pas prendre le risque.

Cette nourriture lui semblait très appétissante. Il pouvait peut-être se faufiler et en prendre un peu.

Il était très discret : Smaug lui avait appris à être aussi léger qu'un courant d'air. Les nains lui tournaient tous le dos et personne ne surveillait le sac. Il pourrait...

Lorsque son estomac grogna bruyamment, il prit sa décision. Il se glissa hors de l'entrée cachée et rampa vers les autres.

-Je dis juste, déclara un joyeux nain qui avait quelque chose d'étrange sur la tête. Que l'idée de me faire brûler vif ne me plaît pas vraiment. Il nous faut un plan.

-Je pensais qu'on en avait fait un sur le chemin ? répliqua le gros nain court sur pattes, celui qui avait les cheveux d'une couleur indescriptible pour Bilbon - peut-être comme le feu ou le soleil couchant. On a bien réfléchi avant de faire quoi que ce soit.

Bilbon était proche maintenant. Tellement proche. Sa main se glissa dans le sac et en sortit une tranche d'une viande qu'il n'avait jamais vu avant. Elle était froide mais les autres semblaient l'apprécier, alors Bilbon l'aimerait sans doute aussi.

Le plus gros nain se trouvait non loin de lui et lorsqu'il jeta un coup d'oeil vers lui, il se figea. Il avait des poils sur le visage. En fait, ils en avaient tous, sauf un. Bilbon trouvait ça pour le moins bizarre. Il n'avait jamais eu de poils sur son visage. La plupart avaient des poils très longs, allant de leurs lèvres supérieures jusqu'à pendre sous leurs mentons.

Bilbon se déplaça lentement en emportant la nourriture.

-Eh bien, nous allons trouver un plan, rétorqua le nain au nez et aux cheveux pointus, alors qu'il se trouvait près de l'entrée pour aller dire à Smaug ce qu'il avait trouvé. Et nous trouverons la bête et l'abattrons !

Les autres applaudirent, la bouche pleine de nourriture, et Bilbon ressentit une douleur à cette pensée. Son hoquet de stupeur fut suffisamment fort pour que l'étrange nain - qui avait quelque chose sur la tête - jette un coup d'oeil par-dessus son épaule vers lui.

Leurs yeux se rencontrèrent.

-Par Mahal ! s'exclama le nain en se levant d'un coup, attirant l'attention des autres.

Bilbon sut que, maintenant, il lui était impossible de reprendre le passage. Pas si il voulait protéger Smaug. Il devait trouver un autre moyen.

-Qui êtes-vous, au nom des Valar ?

Bilbon ne répondit pas. Il courut le long du chemin raide et étroit qui menait à la naissance de la Montagne. Il entendit quelqu'un l'appeler mais il ne s'arrêta pas. Alors, il perçut le bruit de lourdes bottes crissant sur la terre, et des voix crier.

Il continua à courir aussi vite que ses jambes le lui permettaient, encore, encore et encore jusqu'à ce qu'il atteigne le pied de la Montagne. Il s'élança alors vers les arbres pour se cacher. Il avait toujours été très doué pour l'escalade. Il avait l'habitude de grimper sur les piles d'or et était tombé plus d'une fois lorsqu'il était plus jeune et il se serait sans doute plus d'une fois rompu le cou si Smaug ne l'avait pas rattrapé par la queue pour le poser doucement par terre.

Il grimpa sur l'arbre le plus haut qu'il put trouver, priant pour que les feuilles clairsemées suffisent à le cacher. Les nains atteignirent rapidement le bas de la Montagne.

-Vous le voyez ? demanda le seul nain dont le visage n'avait pas de barbe.

-Il n'a pas pu aller bien loin.

-Séparons-nous, ordonna le nain effrayant. Nous pouvons couvrir plus de terrain si on fouille par deux.

Le plus gros nain fut le dernier à atteindre les arbres, le visage rouge et à bout de souffle. Bilbon se sentit coupable de les avoir fait courir.

-J'ai regardé dans mon sac.

-Et ? demanda un autre.

-Et il n'y a plus de viande.

-Alors, on a un cambrioleur sur les bras.

Bilbon ne savait pas ce que voulait dire ce mot mais il ne l'aimait pas. La voix qui avait parlé était celle pleine d'autorité qu'il avait entendu dans le tunnel. Le nain était à l'exacte image de sa voix. Ferme, majestueux, mais avec un côté sombre. Tout à fait charmant, pour être honnête. Bilbon ne savait pas si c'était une bonne chose ou non qu'il pense ça. Ce sentiment d'attirance revint plus vivement et il dut résister à l'envie de sauter de l'arbre pour se révéler.

Cette étrange sensation flottait à nouveau dans son estomac et il était certain que ça ne pouvait pas être bon, même si elle était agréable.

Bilbon resta là où il était jusqu'à ce qu'ils se soient tous suffisamment éloignés. Il descendit lentement avec une calme assurance puis s'empressa de remonter l'étroit chemin. Lorsqu'il atteignit leur camp, il hésita, se demandant si il devait prendre plus de choses. Mais il n'avait pas le temps et il se sentait bien assez coupable comme ça. Il sortit la viande de sa poche et la remit dans le sac avant de disparaître dans le tunnel pour trouver Smaug.