C'est en me planquant sous la moquette que je vous propose le dernier chapitre de ma courte fic. Plus d'un an pour l'écrire, il n'y a pas de quoi se vanter...

Bonne lecture !


J'ai soigneusement choisi mes mots, mes expressions, je me suis efforcé de cacher ce que cette «anomalie» pouvait avoir d'excitant et pas seulement pour moi. Je me doute bien que si le monde scientifique avait eu vent de cette mutation, John aurait terminé ses jours comme rat de laboratoire au mieux et sur une table de dissection au pire. Et cela, je ne le voulais pas. Il ne s'agissait pas de le garder uniquement pour moi, même si cette pensée m'avait effleuré au début je dois l'avouer. Mais enfin c'était John, l'homme courageux, droit, franc, tolérant, l'homme qui subissait mes colères et sarcasmes sans broncher, toujours prêt à me suivre sans se poser de questions et qui cachait soigneusement une personnalité complexe et tourmentée. A ce jeu, il était bien plus fort que moi.

Alors je me suis assis face à lui et je lui ai tout dit.


Il s'est installé face à moi, j'avais l'impression qu'il marchait sur des œufs. Il n'avait pas tout-à-fait tort d'ailleurs, j'étais prêt à lui exploser au visage. Mais avant de faire ce que je pensais évident, je voulais entendre toute l'histoire.

- Vas-y, je t'écoute.

- Bien. Te souviens-tu, lorsque tu es arrivé ici, des cauchemars terrifiants qui te faisaient hurler au milieu de la nuit ?

- Plutôt oui, merci du rappel….

- Je croyais qu'il s'agissait de mauvais souvenirs d'Afghanistan et je n'y ai pas prêté plus d'attention que nécessaire. Et puis tu as commencé à enquêter avec moi, tu faisais désormais partie du jeu si je puis dire et je n'avais aucune raison de garder un œil sur toi.

- Donc ?

- Jusqu'au jour où tu m'as félicité parce que, contrairement à mon habitude, j'avais fait disparaître les poches de sang du frigo. Je n'avais rien fait, John et j'ai cru que c'était Mycroft qui avait fouillé l'appartement en notre absence. Je suis allé le voir et là il m'a montré les bandes de surveillance. Et j'ai compris pour tes cauchemars...

- Et tu n'as pas jugé utile de me prévenir ?

- John, tu ne m'aurais pas cru, de même que je n'ai pas cru Mycroft qui était, je dois le dire, passablement secoué.

- Je dois le plaindre ?….

- Alors je t'ai piégé en quelque sorte.

- Ça ne m'étonne guère...

- J'ai remis des poches et elles disparaissaient plus ou moins régulièrement. Je n'y comprenais rien, tu mangeais et buvais normalement alors quoi ? J'ai eu beau chercher, il n'y avait rien qui te ressemblait. Dès lors, je t'ai discrètement suivi pendant tes sorties nocturnes, je me doutais que les gardes de nuit n'étaient qu'une excuse bidon et j'avais raison.

- Ce qui a dû te réjouir, n'est-ce-pas ? Un mutant sous la main, quelle chance !

Ses épaules se sont légèrement affaissées, il m'a fixé quelques secondes puis a continué.

- Je t'ai vu les combattre, John, je t'ai vu les guetter, les pister, les vaincre à chaque fois. Sais-tu que tu te déplaces tellement vite en combattant que j'avais l'impression de voir une ombre ? Sais-tu que toi seul entend et comprend lorsqu'ils parlent entre eux ? Sais-tu que tu es capable de bondir à une hauteur impressionnante ?

Il s'était levé, s'animait de plus en plus, emporté par sa fougue et son excitation. Ses yeux brillaient, il souriait malgré lui, ses mains volaient dans l'espace et moi j'étais à l'agonie.

- John, John, c'est fantastique ! Tu n'imagines pas le champ des possibilités, la chance qui s'offre à nous de combattre efficacement ces créatures ! On pourrait mieux les connaître, les piéger, les prendre à leur propre jeu, les éliminer, on pourrait étudier ta mutation, savoir comment et pourquoi tu sembles être le seul à combiner humain et vampire sans…

- JE NE SUIS PAS UNE BETE DE LABORATOIRE !

J'avais hurlé, je n'en pouvais plus. Sherlock a stoppé net, interdit.

- Tais-toi Sherlock, tu entends, la ferme ! Je t'interdis de continuer dans tes délires de docteur Mabuse ! Je ne sais plus qui je suis mais certainement pas un rat de labo ! Fous-moi la paix, ne m'approche plus jamais ! Je prends mes affaires et je m'en vais !

D'un bond, je suis parti dans ma chambre.


Je me suis laissé emporter et pourtant je m'étais bien juré de faire attention. N'importe qui aurait perdu la tête face à une telle mutation. Mais outre que je n'étais pas n'importe qui, John était plus important à mes yeux que tout le reste. Je ne voulais pas qu'il me croit capable de ne voir en lui qu'une monstrueuse curiosité scientifique, une sorte de chimère de laboratoire. Le «ne m'approche plus jamais !» qu'il m'avait craché m'avait crucifié et prouvait bien que je lui avais montré une facette de ma personnalité dont je n'étais pas spécialement fier.

C'est en arrivant devant la porte de sa chambre que j'ai entendu un « clic » suivi de plusieurs autres. J'ai défoncé la porte et je l'ai vu, debout, un revolver sur la tempe et l'index appuyant frénétiquement sur la gâchette. Bien qu'ayant anticipé sa réaction, mon cœur a eu un raté, le temps pour John de s'approcher de moi, saisir par les revers de ma veste et me plaquer violemment contre le mur en grondant :

- Où sont les balles, Sherlock ?

- Jetées.

- J'en trouverai d'autres.

- Lâche-moi et écoute-moi.

- Tu ne trouves pas que tu en as assez dit ?

Je me suis sèchement dégagé. Il a soupiré puis s'est assis sur son lit en me tournant le dos.

- Tu m'écoutes et tu avises. Malgré ce que tu sembles croire, il y a plus d'humain que de vampire en toi.

- Humain qui boit des poches de sang…

- Mais qui mange normalement aussi, et qui ne pense pas à saigner quelqu'un dès qu'il a faim mais plutôt à s'acheter un hamburger. Quelqu'un qui éprouve de l'empathie, de la compassion, qui sait où est le bien et où est le mal et qui se maîtrise sans même y penser. Tu aurais pu me briser la colonne tout-à-l'heure, aussi facilement que casser une allumette entre tes doigts et tu ne l'as pas fait. Pourquoi ?

- Je ne sais pas. Quelque chose m'a retenu, quelque chose me retient toujours d'aller trop loin sauf lorsqu'il s'agit de tuer ces créatures. Et là Sherlock, je n'ai plus rien d'humain.

- Bien sûr que si ! Tu les tues « proprement » si je puis dire, et rapidement. Tu n'es pas pourri de l'intérieur John.

- Mais pour combien de temps, hein, tu peux me le dire ? Combien de temps avant qu'un jour, une nuit, la soif de sang emporte tout sur son passage, combien de temps avant que mes canines ne se transforment en poignards, combien de temps avant que je ne t'égorge parce que j'ai faim, tu peux me le dire ?

Je n'en savais rien. J'aurais pu lui mentir, inventer de pseudos raisonnements scientifiques mais il ne m'aurait pas cru et surtout je n'en avais pas envie.


Il n'a pas répondu à ma dernière question. Je le voyais réfléchir à toute vitesse mais je savais qu'il ne me mentirait pas. En fait, il dansait sur un volcan et sa soif d'extraordinaire, d'absolu l'emportait sur toute notion élémentaire de sécurité.

- Je ne sais pas. Que veux-tu que je te dise ? Des mois, des années, demain ?

- Il faut que je parte.

- Pourquoi ?

- Parce qu'un jour je finirai par te tuer Sherlock. Je ne suis ni totalement humain ni totalement vampire. Ni chair ni poisson. Où est ma place ?

- Avec moi. Continue à les combattre, je t'aiderai.

- Tu sais bien qu'ils finiront par gagner.

- Oui, non, qui peut le dire ? Peut-être y en a-t-il d'autres comme toi John, peut-être pouvons-nous les contacter, les fédérer…

- Tu délires. Tu vas vivre avec une épée de Damoclès qui finira par te tuer.

- Mais d'ici-là, agissons, bougeons ! Tu connais les moyens que Mycroft peut déployer, utiliser, il pourrait être d'une aide précieuse ! Laisse-moi essayer John !

Je lui ai demandé de me laisser seul. Il a eu un regard inquiet et j'ai ricané que du moins pour aujourd'hui, toute autre tentative de suicide pouvait être écartée.


J'ai refermé la porte et j'ai guetté derrière. Si au moins j'avais pu semer le doute dans son esprit… S'il disparaissait, s'il se … suicidait, je ne vois pas ce qui pourrait me retenir à la vie. J'ai lancé en l'air cette histoire d'autres mutants à fédérer parce que je ne voyais rien d'autre pour le détourner de son idée morbide. Je ne savais même pas si ce plan était viable mais si John y adhérait, sa réalisation prendrait plusieurs années pendant lesquelles je l'aurai à mes côtés. J'avais promis à Mycroft de le rappeler faute de quoi il allait envoyer une équipe de tueurs se charger d'expédier John dans un laboratoire. Mais avant, j'attendais que la porte s'ouvre à nouveau.

- Appelle Mycroft. Explique-lui ce que tu m'as dit. S'il refuse, je disparais. Mais avant, promets-moi une chose Sherlock. Si tu as le moindre doute, si tu sens que je me transforme, si mon côté vampire prend le dessus, élimine-moi sans pitié. Je ne veux pas finir comme eux.

J'ai promis et j'ai appelé Mycroft.


Depuis ce jour, nous parcourons le monde à la recherche d'autres «John». Mycroft nous a ouvert des moyens illimités et John s'est lancé à corps perdu dans cette quête. Nous n'en avons pas trouvé encore mais contrairement à ce que je pensais au début, je crois bien qu'il en existe, il faut juste savoir où chercher. John me demande régulièrement s'il est toujours humain, si rien n'a changé. Il n'a plus confiance en ses capacités de médecin.

Je lui mens. Il change imperceptiblement mais il change. C'est si lent que la «transformation» prendra certainement beaucoup de temps mais je crois que ce processus est irréversible. J'envoie à Mycroft des milliers de notes à ce sujet, des échantillons aussi quand je peux en avoir. Si John ne peut être sauvé, j'espère que cela servira de base de données pour les éventuels autres mutants.

J'ai trahi en partie ma promesse : John avait parlé de son côté vampire qui risquait de prendre le dessus mais ce n'est pas encore le cas.

Mais c'est en cours.


Je sais pertinemment qu'il me ment. Je me transforme très graduellement, de façon presque invisible, mais je me transforme. J'y vois la nuit comme en plein jour, je me réfrène pour ne pas boire toutes mes poches de sang en une seule fois, je suis plus rapide, plus endurant alors qu'au début, je me fatiguais vite. Je sais aussi que Sherlock collecte des échantillons pour les envoyer à Mycroft alors je me débrouille pour m'écorcher et laisser derrière moi un mouchoir avec quelques traces de sang ou je laisse traîner mon peigne pour qu'il y prélève quelques cheveux. Si mon cas est perdu, cela servira peut-être pour d'autres.

Hier, je me suis retrouvé avec un rat mort dans les mains. J'ai touché du doigt mes canines et j'ai compris : je l'avais saigné. C'est la première fois que je tuais pour boire et si j'ai été rempli d'horreur, le goût du sang a éveillé en moi quelque chose de terrifiant. Il faut absolument que je parte, que je m'éloigne de Sherlock, que je disparaisse définitivement.

J'aime cet homme et je sais qu'il m'aime aussi. Mais c'est impossible, je sais que si je reste, je finirai par tenir son cadavre entre mes mains. Il peut encore aider beaucoup de personnes même s'il ne s'en doute pas encore. Mais sans moi.

Je m'enfoncerai seul dans la cette nuit qui me terrifie.