Bonsoir, vraiment désolée pour le retard de ce chapitre. Je dois avouer qu'il était particulièrement difficile à écrire. Il fait aussi la taille de deux chapitres normaux, mais je n'arrivais pas à me résoudre à l'idée de le couper en deux. J'espère donc que vous avez du temps devant vous (ou que vous serez motivés pour le lire en plusieurs fois :p) et bien sûr qu'il vous plaira malgré tout.

J'en profite également pour remercier Gardie. Merci beaucoup d'avoir pris le temps de me laisser ton avis ! Je suis contente de voir que cette histoire t'a touchée. Tes mots m'ont vraiment fait plaisir et j'espère que la fin te conviendra!

Je vous souhaite à tous une bonne lecture !


Et pour le reste de l'éternité

Une semaine après la mort de Shizuo...

Le vide... Le néant... Le noir... Je suis éveillé et, pourtant, il n'y a que ça qui m'entoure. Je ne ressens rien. Mon corps est comme anesthésié. Mon esprit aussi. Il n'y a juste... plus rien. C'est comme ça depuis des jours, depuis que la lumière s'est brutalement éteinte. Quelque chose s'est cassé, ce n'est pas réparable. J'entends des voix au loin, mais elles n'arrivent pas encore à m'atteindre. Je ne veux pas qu'elles se rapprochent. Je suis bien ici, dans mon monde, à l'abri de toute pensée, de toute souffrance...

Mais le bruit est de plus en plus fort, je commence à avoir du mal à l'ignorer. Pourtant, je décide toujours de n'y prêter aucune attention. Allongé sur le lit, je fixe le plafond blanc avec une attention toute particulière. C'en est presque hypnotisant.

« Izaya, je sais que tu es là ! Ouvre-moi, je dois te parler ! »

La voix de Shinra s'élève alors à travers la porte et me parvient de plein fouet. Je ne lui réponds pas. Ce n'est pas la première fois qu'il vient. Généralement, il finit par abandonner au bout d'une bonne demi-heure. Il suffit juste d'attendre. Je dois simplement rester concentré sur ce monde si confortable.

« C'est ridicule, Izaya. Je vais demander à Celty d'ouvrir la porte si tu ne viens pas dans cinq minutes ! »

Quelle menace... Mais je reste obstinément silencieux. Qu'il s'en aille donc. Sa voix m'agace au plus haut point. Elle m'empêche de rester dans mon état de léthargie. Mais cette fois-ci, il ne fait pas ce que je veux... Lorsque j'entends la serrure céder, je suis ramené brutalement à la réalité. La douce illusion de vide se brise totalement, me laissant juste énervé. De quel droit entre-t-il ici sans permission ? Je ne fais alors aucun effort de courtoisie quand ses pas se rapprochent de la chambre. Mon regard ne se tourne même pas vers lui alors qu'il entre dans la pièce.

« Izaya..., soupire-t-il. Qu'est-ce que tu fais ici ?

– J'essaye de me reposer. Il est tôt, Shinra.

– Tu sais très bien ce que je veux dire. C'est l'appartement de Shizuo. »

En entendant son nom, je sens un désagréable frisson me traverser tout le corps. Je me redresse alors, hérissé.

« Va-t'en Shinra.

– Tu ne réponds plus au téléphone... Tu n'es même pas venu aux funérailles...

– Comme si ça avait une quelconque utilité. Entendre les condoléances hypocrites des gens, très peu pour moi.

– ... Je dois te parler, c'est important.

– Tu m'as déjà parlé ce soir-là, il n'y a rien à dire de plus. »

Je me détourne de lui et me dirige vers le salon. Je ne veux plus penser à ce qui s'est passé, plus jamais. Quand j'ai prévenu Shinra, il est venu directement, il a essayé de me réconforter, mais ses mots n'avaient aucun sens.

« J'ai discuté avec les parents de Shizuo... »

Arrête de prononcer son nom ! Je ne veux plus l'entendre !

« Le bail de l'appartement va être résilié, tu ne peux pas rester ici.

– Comme si c'était un problème.

– Izaya... Tu as ton propre appartement...

– En quoi ça te concerne, franchement ?

– Ce n'est pas sain...

– Pas sain ? Dit celui qui couche avec une femme sans tête. Je me demande comment tu fais pour ne pas gerber ! »

Ma voix siffle, méchante. Je veux l'éloigner, je veux qu'il s'en aille ! Shinra me regarde un moment, avant de jouer nerveusement avec ses lunettes. Ses yeux sont fuyants.

« Je ne veux pas te juger. Je sais que ça ne fait qu'une semaine... C'est juste que... Je m'inquiète pour toi et je ne crois pas que rester ici va t'aider à aller mieux.

– Tu n'as pas à t'inquiéter. Je m'en sors très bien. »

Je m'assieds sur le divan, affichant un sourire moqueur. Comme si j'avais besoin de son aide. Je sais ce que je fais. Je l'entends alors soupirer, avant de s'asseoir à mes côtés.

« Je peux comprendre que tu ne sois pas venu aux funérailles, mais je n'aime pas savoir que tu restes enfermé ici.

– C'est mon problème. Laisse-moi maintenant.

– ... Je suis désolé, Izaya... J'aurais voulu le sauver...

– Tais-toi. »

Je le coupe aussitôt. Je ne veux pas entendre ça. Shinra me lance un regard triste, mais je détourne aussitôt la tête.

« ... Bien... Je vais te laisser..., commence-t-il d'une voix hésitante. Mais je repasserai te voir.

– C'est ça... »

Lorsqu'il sort enfin de l'appartement pour rejoindre Celty qui l'attend dehors, je soupire de soulagement. Mes épaules s'affaissent légèrement. Il est parti... D'un pas lent, je retourne sur le lit. Le nez contre le matelas, je respire longuement l'odeur qui empreigne les draps...

Une semaine... Ça fait déjà une semaine qu'il n'est plus là. J'ai du mal à y croire. Même si je l'ai vu mourir, j'attends encore qu'il revienne. Je sais que ça n'arrivera jamais. Pourtant, quand j'entends du bruit, j'ai toujours l'impression que c'est lui... Je ferme douloureusement les yeux. À chaque fois, je dois me rappeler qu'il ne reviendra pas. Ça me fait mal, c'est insupportable.

La vision de son corps sans vie me hante. Je me demande où il est.. Est-ce qu'il m'observe de là-haut ? Est-ce qu'il s'est réincarné ? Ou... est-ce qu'il n'existe plus du tout ? Cette pensée est insupportable. Non, il est forcément quelque part... Peut-être même qu'il est encore ici, dans cet appartement...

Un sourire désabusé apparait sur mon visage. Moi qui ne suis absolument pas croyant, me voilà à espérer que les esprits existent. Je suis vraiment tombé bien bas... Mes doigts se resserrent sur les draps. Ce n'est pas possible, il ne peut pas ne jamais revenir. Chaque soir, j'espère me réveiller le lendemain dans une autre réalité. Les Dullahan existent bien. Saika aussi. Tout n'est donc pas si rationnel, pourquoi un miracle ne pourrait-il pas exister ?

Shizuo est parti... Et je suis mort en même temps que lui. Plus rien n'a d'importance à présent. Mes journées se succèdent sans intérêt. Je ne les vois même pas passer. Je dors beaucoup plus qu'avant et quand je suis réveillé, je me sens juste comateux. Je continue d'avancer comme un automate. Je saute la plupart de mes repas. Je n'ai même pas la force de me commander à manger. À vrai dire, je n'ai plus la force de ne rien faire. J'ai l'impression que le temps s'est arrêté. J'ai du mal à imaginer que la vie continue réellement dehors.

Je n'ai vu que Shinra depuis... Mon téléphone a sonné plusieurs fois, mais je n'ai jamais pris la peine de répondre. Mikado, mes soeurs, Simon, Kadota et même Shiki ont tenté de me joindre. Bien que pour Shiki, je doute que ce soit pour de simples condoléances... Ils m'ont tous laissé des messages, je n'en ai écouté aucun. Je ne veux pas entendre leurs platitudes. Je ne vois pas pourquoi je devrais supporter ça. Je veux juste... être seul...

Seul, je l'ai toujours été après tout et c'est ce qui me réussit le plus. Il n'y avait que Shizuo pour parvenir à combler ma solitude, aussi bien dans la haine que dans l'amour. Je voudrais tant le revoir, juste une seule seconde. Sentir sa peau, son odeur, entendre sa voix, ... Il ne peut pas être déjà parti. Je ne sais pas, je... Pour la première fois depuis bien longtemps, je ne sais pas ce que je dois faire. Comment suis-je supposé vivre sans lui ? À quoi est censée ressembler ma vie à présent ? Il y a quelque chose d'irréel dans son absence. Comme si c'était une anomalie qui n'allait pas tarder à être réparée...

Je ne sais même pas ce que je dois ressentir. Je me sens juste vide... Peut-être que c'est ce qui m'attend maintenant, une existence terne et sans intérêt... Je ne sais pas si Shizuo existe encore quelque part, mais je suis sûr d'une chose, moi, je suis en Enfer. J'ai l'impression d'être en plein cauchemar. Je vais forcément me réveiller à un moment ou un autre. C'est obligé, parce que je ne peux pas... je ne peux pas continuer à vivre comme ça...

Je m'enroule alors dans les couvertures et m'allonge sur le côté du lit que Shizuo utilisait toujours. Son odeur est encore là, comme s'il n'avait pas disparu. Je me raccroche à elle. Cette odeur, c'est la preuve qu'il a existé, que tout ce que l'on a vécu ensemble était réel. Elle m'apaise. En la reniflant, je peux presque sentir la main de Shizuo dans mes cheveux. Je souris alors légèrement. J'imagine sans mal sa présence derrière moi. Il veille sur moi. Sa chaleur me réconforte. Bercé par cette douce illusion, je m'endors paisiblement...


Trois semaines après la mort de Shizuo...

Assis à la table de la cuisine, je regarde nerveusement l'horloge. Ils ne devraient plus tarder maintenant. Je savais que ça finirait par arriver, mais j'espérais que ce se ferait plus tard. Que vais-je faire ? Je ne peux pas les laisser tout détruire...

« Ta famille va arriver. Ils vont prendre tes affaires... Ils vont t'emmener loin de moi... »

Ma voix n'est qu'un murmure.

« J'y ai réfléchi pendant des jours et des jours, mais je ne vois pas comment les en empêcher. Qu'est-ce que tu en penses... ? Oui, je sais, c'est ta famille, ils ont le droit d'avoir des souvenirs de toi... Non, je ne leur ferai pas de misère. Ne t'en fais pas... »

Je passe alors une main sur mon visage, avant d'éclater de rire. Je suis fou... Je ne sais pas exactement quand est-ce que j'ai commencé à parler à Shizuo comme s'il était toujours là, mais je ne peux plus m'en empêcher à présent. Je sais que ce n'est pas normal. Cependant, je ne vois pas comment je pourrais faire autrement. Prétendre qu'il y a toujours une part de lui ici est la seule chose qui m'aide à tenir. Mais cette illusion va bientôt se briser. L'appartement doit être vidé. J'ai envie de rester ici, mais sans toutes ses affaires, ce ne sera plus pareil. Ce sera juste une preuve de plus qu'il est définitivement parti. Alors, peut-être que ce sera plus simple pour moi de rentrer chez moi. Je pourrai toujours m'imaginer que Shizuo est ici, que l'endroit est resté intact. Oui, je ne devrais pas avoir de mal à faire ça...

Lorsqu'on frappe à la porte, je me lève péniblement et vais ouvrir. Je tombe alors nez à nez avec Shinra.

« ... Qu'est-ce que tu fais là ?

– Je suis venu te soutenir, sourit-il légèrement.

– ... Bien... Entre... »

Je m'efface pour le laisser passer. Je ne l'ai plus revu depuis deux semaines. Je pensais qu'il avait laissé tomber, mais finalement il est toujours là. Ça m'agace tout autant que ça me soulage.

« Celty n'est pas avec toi ?

– Non... Elle... Elle ne se sentait pas la force de revenir ici. »

J'acquiesce, tandis que Shinra regarde autour de lui.

« Tu n'as touché à rien...

– Non.

– ... Tu vas rester ici alors ? me demande-t-il d'une voix étrange.

– Non, je vais partir.

– Ah bien, soupire-t-il soulagé. Tu verras, c'est la meilleure décision possible.

– Si tu le dis... »

Je ne tiens pas à prolonger la conversation avec lui. De toute façon, il ne peut pas comprendre. Il ne comprendra jamais d'ailleurs puisque sa foutue femme est immortelle ! Il ne se rend pas compte de la chance qu'il a. Je le hais tellement pour ça.

Heureusement, je n'ai pas à rester longtemps avec lui. De nouveaux coups brefs sur la porte m'avertissent de la présence des parents et du frère de Shizuo. Je vais leur ouvrir et les laisse entrer tout en les saluant du bout des lèvres. Mon coeur s'accélère en leur présence. Ça fait un long moment que je ne les ai plus vus. Ce n'est même pas moi qui les ai prévenus de la ... la disparition de Shizuo. Je n'aurais jamais pu le faire, c'est Shinra qui a dû s'en charger.

Namiko se tourne alors vers moi. En voyant son visage, je me tends encore plus. Elle a l'air d'avoir pris dix ans de plus. Je peine à la reconnaitre, tant la tristesse déforme ses traits. Ses yeux sont brillants, mais aucune haine ne les illumine, malgré mes craintes. Elle s'approche de moi et, sans que je m'y attende, m'entoure de ses bras. Je me fige aussitôt, mais ne la repousse pas.

« J'aurais aimé te voir à la cérémonie, chuchote-t-elle dans un sanglot. L'urne de Shizuo est dans le salon, viens bientôt la voir, d'accord ?

– ... Je ne sais pas...

– Fais-le avant qu'il ne soit enterré. S'il te plait... »

Mal à l'aise, je ne peux qu'acquiescer. Elle s'éloigne alors tout en serrant mes mains. Je sens la tristesse accaparer chaque parcelle de son être. Elle a l'air si petite et fragile. Est-ce que je lui fais la même impression ? C'est horrible. Je ne veux aucune pitié, même de leur part. Je détourne alors le regard de ses yeux bien trop sincères pour le poser sur Kichiro et Kasuka. En cet instant, il serait difficile de nier leur lien de parenté. Ils se ressemblent tant... Bien droits, le visage neutre, ils donnent l'impression d'arriver à contrôler leurs sentiments, mais leurs yeux ne peuvent mentir. Ils sont dévastés. Leur souffrance est bien trop visible, comme celle de Namiko. Je ne peux pas supporter cette vision. J'ai l'impression de suffoquer. Ma respiration devient alors plus saccadée. Ils n'ont pas le droit de me montrer leur tristesse. Je refuse de la voir... Je refuse... ça rend les choses bien trop réelles... Shizuo... Tu ne peux pas nous laisser dans un tel état...

« Izaya... »

La voix de Kasuka me fait tourner la tête. Il me regarde curieusement, une légère lueur d'inquiétude dans le regard. Non... Il ne faut pas qu'il me fixe de cette façon... Je vais bien... Je vais bien...

« Hmm le mieux serait peut-être que vous commenciez à faire le tri des affaires de Shizuo, déclare alors Shinra tout en posant une main sur mon bras. Izaya et moi, on va prendre un peu l'air. On vous rejoint très vite. »

Sans me laisser le temps de dire quoi que ce soit, Shinra m'entraine avec lui à l'extérieur. Je titube, me laissant presque porter par lui. Il me fait alors m'asseoir sur un petit muret. Ma respiration ne va pas mieux. J'ai mal au ventre. Je sens que je vais vomir. Je gémis d'inconfort alors que la bile me monte à la bouche.

« Penche-toi en avant et respire profondément. »

Je l'écoute, désireux de faire passer cette horrible sensation. Il passe une main sur mon dos, le caressant avec une douceur insoupçonnée. Ma respiration se calme petit à petit. Son geste me fait du bien.

« Tu te sens mieux ?

– ... Oui... »

Je me redresse légèrement. Il me regarde avec une bienveillance qui ne lui ressemble pas vraiment. Du moins, je ne l'ai jamais vu regarder quelqu'un comme ça, à part Celty peut-être. Je soupire fortement, chassant les tensions qui me paralysent le ventre.

« ... Je ne veux pas être là quand ils feront le tri. Tu n'as qu'à leur dire que j'ai mis de côté ce que je souhaitais garder, qu'ils voient si ça leur convient.

– D'accord, répond Shinra. Attends-moi ici, je vais leur expliquer. »

Il s'éloigne rapidement. Je remarque alors que mes doigts tremblent un peu. Je respire fortement. Je pensais que je pourrais le faire, mais je n'y arriverai pas. Je ne peux pas rester là, à les regarder vider l'appartement de Shizuo, comme s'il n'avait jamais existé. Mais plus que tout, je ne peux pas supporter de voir leur douleur. Je préfère m'éloigner, fuir toute cette souffrance.

Lorsque Shinra vient me rejoindre, il affiche un sourire forcé, avant de reprendre la parole.

« Ils sont d'accord.

– ... Bien.

– Que veux-tu faire ?

– Je vais marcher un peu... seul.

– Ah..., souffle-t-il visiblement déçu. Je comprends... Je vais rester ici, si tu as besoin de quoi que ce soit...

– Ça ira, merci. »

Je lui parle un peu sèchement, ce n'est pas ce que je veux, c'est presque plus fort que moi. Soupirant, je plonge mes mains dans mes poches et m'éloigne d'un pas lent. Je ne suis plus sorti depuis trois semaines. Les rues d'Ikebukuro me paraissent si vides... Comment aies-je pu y trouver un quelconque intérêt auparavant ? Je marche sans but. J'ai l'impression de me retrouver dans un autre quartier. Même si les lieux me paraissent familiers, il y a tout de même quelque chose qui cloche...

Au croisement d'un carrefour, je m'arrête sans faire attention aux gens qui m'entourent. J'ai une étrange sensation, comme si j'étais suivi. Je peux presque sentir le frôlement d'une poubelle sur ma droite. Je me retourne, m'attendant à entendre un retentissant : "I-za-ya !", mais il n'y a personne... il n'y aura plus jamais personne...

Mon estomac se tord quand je me rends compte que tout ça vient de mon imagination. Shizuo ne viendra plus jamais me chasser d'Ikebukuro. Il ne viendra plus jamais... Je reste alors immobile. Les gens passent à côté de moi, sans que j'y fasse attention. C'est comme s'ils n'existaient pas. Tout est flou. Jamais je ne m'étais senti aussi seul. Je ne peux pas supporter ça. J'ai l'impression que je vais étouffer. Le noeud dans ma gorge se serre de plus en plus. Je vais exploser... Non... Pourquoi suis-je sorti ? J'étais très bien dans ma bulle, à l'abri de tout. Je veux que cette sensation de vide revienne. Je ne peux pas supporter cette souffrance... Je ferme les yeux. C'est horrible. J'ai l'impression que Shizuo est partout. Marcher dans ces rues sans le croiser n'a aucun sens. Ce n'est pas possible. Je ne peux pas... J'avance alors de quelques pas, perdu. Je regarde autour de moi, sans rien reconnaitre. Où suis-je ? Je ne peux pas être à Ikebukuro... Tout tourne autour de moi. Je n'arrive plus à respirer. Les gens commencent à me regarder bizarrement. Je ne supporte pas leur regard. Non... Je vous interdis de me fixer comme ça... Je ne peux pas...

Angoissé, je fais rapidement demi-tour et retourne à l'appartement de Shizuo. J'ai besoin de retrouver son odeur, d'être rassuré. Etre dehors sans le voir nulle part, ce n'est... juste pas possible... Je veux être entouré de quatre murs et de fermer la porte à double tour. Je ne veux pas être confronté à cette horrible vérité. J'ai la tête qui tourne. Je me sens mal. Je ne peux pas être dans les rues, j'ai besoin d'être au calme. Mais à peine aie-je remis les pieds dans l'appartement que l'air me manque. Mes yeux se brouillent alors que je vois les parents de Shizuo ranger ses affaires dans des boites. Non, ils n'ont pas le droit ! Shizuo en aura peut-être encore besoin ! Il ne faut pas jeter tout ça !

Je suffoque. C'est impossible. Je deviens fou... Shizuo... Pourquoi ne fais-tu rien pour les en empêcher... ? Je ne peux pas voir ça. Mes mains tremblent. J'ai envie de les frapper, de leur faire du mal. Il faut que je m'éloigne de ça. Je reprends alors mon téléphone et appelle un taxi. Je rassemble ensuite mes affaires, sans un regard pour personne. De toute façon, c'est à peine s'ils font attention à moi. Ils sont dans leur propre monde. Mais lorsque je m'apprête à franchir la porte, Shinra me retient.

« Qu'est-ce que tu fais ? me demande-t-il. Tu t'en vas déjà ?

– C'est mieux comme ça... Ce n'est pas ce que tu voulais ?

– Si, mais... Enfin... c'est un peu soudain.

– Ça n'a rien de soudain. J'avais prévu de partir aujourd'hui. Quelques heures en plus ou en moins, qu'est-ce que ça change ? »

Il reste silencieux, comme s'il ne savait plus ce qu'il devait dire. Je sors alors pour attendre le taxi. Pourquoi ne peut-il pas comprendre ? Je n'ai plus ma place nulle part. Et je refuse de voir l'appartement de Shizuo complètement vide. Je ne peux pas, je préfère partir. Je suis lâche, c'est vrai. Je l'assume. Je dois m'éloigner de tout ça. Mais, quand le taxi arrive, je ne peux m'empêcher de regarder derrière moi pour imprimer une dernière fois les lieux dans ma tête. Dans peu de temps, il ne restera plus rien de ce que j'ai vécu avec Shizuo. J'hésite à nouveau. Je pourrais rester. Même si les affaires de Shizuo ne sont plus là, l'appartement restera imprégné de sa présence.

Je secoue alors la tête. Non. Ce serait bien trop dur. Chaque fois que mon regard se posera quelque part, je remarquerai ce qui a changé et je me rappellerai immédiatement qu'il ne reviendra pas. Le mieux, c'est d'être dans un lieu neutre. Shizuo n'est venu qu'une seule fois dans mon appartement. Rien ne sera là pour me faire prendre conscience qu'il n'est plus là. Rassuré par ma façon de penser, je monte alors dans le taxi, posant mes affaires à côté de moi. Le trajet se fait en silence. Je regarde fixement mes genoux, refusant de me laisser distraire par le paysage. Lorsque je suis de retour à Shinjuku, je ne peux m'empêcher de soupirer de soulagement. Ici, au moins, c'est normal que Shizuo ne soit pas là. Ce quartier a toujours été mon territoire. Il ne s'y est aventuré que quelques fois. Je me sens mieux d'un coup. Je peux à nouveau regarder par la fenêtre. Rien ne me choque dans la vue.

Quand j'arrive devant chez moi, je rentre rapidement après avoir payé le chauffeur. Être à nouveau dans mon appartement me fait un drôle d'effet. J'ai l'impression de le redécouvrir. J'y suis pourtant venu plusieurs fois au cours de ces derniers mois, mais tout me semble différent. Ça me fait bizarre de revenir ici. Pour éviter de trop y penser, je décide de déballer mes affaires. Je les range sans réfléchir. Mais quand je passe à la caisse que j'ai ramenée de chez Shizuo, mes mouvements se figent. Mon coeur se met à battre rapidement. Merde, pourquoi est-ce que je n'arrive pas à contrôler mes émotions ? Je respire fortement, avant de me forcer à me ressaisir.

Mes doigts tremblent lorsque je ressors le kimono bleu que j'avais offert à Shizuo pour le mariage de Shinra et Celty. Je ne m'attarde pas trop dessus et prends une de ses chemises qu'il mettait le plus. Elle porte son odeur... Je sors d'autres objets que je range directement en essayant de ne pas trop y réfléchir. Mais ce qu'il reste dans la caisse ne peut pas me laisser indifférent. La photo... La seule photo où on est tous les deux. Je la regarde un moment. Je ne savais même pas que cette photo existait avant de la découvrir par hasard en rangeant les tiroirs de Shizuo.

Je me sens mal... Les larmes me montent aux yeux. J'essaye de les retenir, mais c'est bien trop dur. Elles se mettent à couler sur mes joues, comme des traitresses. Je n'en peux plus. Shizu-chan, pitié... reviens... Je ne peux pas vivre sans toi... Je n'y arriverai pas. Pourquoi es-tu parti ? Tu n'avais pas le droit de m'abandonner... Tu étais censé être la seule personne qui resterait pour toujours à mes côtés. Je ne peux pas croire que je ne te reverrai jamais...

Je veux juste que tu reviennes, même si c'est pour me haïr comme avant. Je n'arrive plus à respirer. J'ai mal de tête. Aide-moi, Shizu-chan. Je t'interdis de me laisser seul ! Mon corps tremble de plus en plus alors que les larmes ne cessent de tomber. Ce n'est pas juste ! Pourquoi a-t-il fallu que tu partes, que tu sois malade ? Tu ne méritais pas ça, je ne méritais pas ça.

Je me tiens le ventre de douleur. J'ai l'impression de mourir. Ma respiration se fait haletante. Je n'arrive plus à faire semblant... Non... Non... Dis-moi que ce n'est qu'un cauchemar... qu'une mauvaise blague pour me punir de tout ce que je t'ai fait... Pitié... Je t'en prie... Dis-moi que tout ça est faux... Plus rien n'existe... Ce n'est pas possible... Même ce qui me définissait a disparu. Mon amour pour les humains, mes envies de les observer sous toutes leurs facettes, mes désirs de chaos, plus rien n'existe. Reviens... Aide-moi... Je t'interdis de me laisser seul ! Je t'en supplie... Ne m'abandonne pas...

Je ne sais pas comment je suis censé agir à présent. On ne m'a jamais appris à faire face à une telle perte. Je suis perdu... Cette douleur... Pitié Shizu-chan, dis-moi qu'elle finira par partir...


Quatre mois après la mort de Shizuo...

Le temps passe à une vitesse folle. Je n'arrive pas à comprendre comment il peut passer si vite alors que je ne fais rien de mes journées. La plupart du temps, je reste allongé sur le lit à essayer de ne penser à rien. Je me sens alors déconnecté de mon propre corps. Ne plus rien ressentir, juste être une coquille vide... Il n'y a que dans cet état que j'arrive à tenir.

Les coups de téléphone ont fini par s'estomper. Voyant que je ne leur réponds pas, la plupart ont laissé tomber. Mais pas Shinra qui m'a laissé plusieurs messages, d'abord inquiet, puis fâché. Il m'en veut de ne pas être venu rendre hommage à l'urne de Shizuo avant qu'elle ne soit enterrée et, depuis, j'ai l'impression qu'il ne veut plus me parler. Tant mieux. Je préfère qu'on me fiche la paix. Mais, malheureusement, ça ne pouvait pas durer. Lorsque mon portable se met à vibrer, je regarde le numéro qui s'affiche avant de soupirer. C'est Shiki. Je l'évite depuis trop longtemps. Je sais qu'il ne serait pas raisonnable de continuer à l'ignorer. Je prends alors sur moi et décroche. Au moins, avec lui, je suis sûr de ne pas recevoir de stupides condoléances.

« Bonjour Shiki, comment allez-vous ? »

Je force ma voix sur un ton joyeux. Je n'aime pas jouer cette comédie. Ça me donne envie de vomir...

« Bien et toi ?

– Ça va...

– J'ai une mission pour toi, enchaine-t-il directement. J'ai besoin d'informations sur un nouveau gang qui sévit en ville.

– Je suis toujours en congé, Shiki. Vous m'en voyez désolé. »

Un silence désagréable s'installe. Même sans rien dire, il arrive à faire monter la tension. Je sens directement qu'il n'est pas content.

« Je sais que la situation n'est pas facile pour toi, mais j'estime t'avoir laissé assez de temps. Tu travailles pour moi, dois-je te le rappeler ?

– ... Non. Mais je suis sûr que vous pourriez trouver un autre informateur.

– Es-tu en train de me dire que tu souhaiterais ne plus travailler avec nous ?

– ... J'y pense. »

Je ne sais pas du tout comment il va réagir, mais l'idée me tirade depuis un moment déjà. Ma vie d'avant n'a plus de sens pour moi. Je ne me vois plus trainer avec les yakuzas. En plus, c'était ce que voulait Shizuo, que je m'éloigne de tout ça. En suivant ses souhaits, j'ai l'impression de me rapprocher de lui.

« Izaya, dois-je te rappeler les règles que tu as acceptées quand tu es devenu notre informateur ? Personne n'est autorisé à quitter le groupe de sa propre initiative. C'est à nous de décider de mettre un terme à notre collaboration, d'une manière ou d'une autre.

– ... Si sérieux comme toujours, Shiki. Une exception de temps en temps ne fait de mal à personne.

– ... Je passerai chez toi demain, déclare-t-il après un moment. Tâche d'être présentable. »

Sur ces mots, il raccroche. Je soupire alors, avant de reposer mon téléphone sur la table basse. Je laisse retomber ma tête sur le coussin de mon divan. Pourquoi doit-il venir demain ? J'avais espéré qu'il me laisserait tranquille et ne viendrait plus me chercher. J'ai été stupide. Je ne veux plus travailler pour lui, mais je ne vois pas comment je vais arriver à me défiler cette fois-ci.

Soupirant à nouveau, je laisse mon regard dériver vers l'écran de la télévision. Je verrai bien demain. Je n'ai pas envie d'y penser. Je ne veux plus penser à rien. Je me mets rapidement à somnoler devant une série quelconque.

À nouveau, le temps passe étrangement vite. Je me sens comme si j'étais pris dans un immense brouillard. Je suis vidé de tous sentiments. La douleur n'est plus là, mais je ne me sens pas mieux pour autant. Au moins, la douleur me donnait l'impression d'être encore un peu en vie. Maintenant, c'est juste comme si j'étais mort de l'intérieur. Il n'y a plus rien...

Le lendemain, je dois me forcer à me doucher et à m'habiller de façon correcte. Rien que cette tâche me semble insurmontable. C'est une simple contrainte qui était insignifiante avant, mais qui ressemble plus à un fardeau qu'autre chose à présent. Je range également l'appartement, me rendant compte que ça fait une éternité que je n'ai plus fait le ménage. Je sais que je me laisse aller, que ce n'est pas bien, mais je n'arrive plus à reprendre le dessus...

Je sais que ce n'est pas normal. Je ne me fais aucune illusion sur mon état. Et lorsque Shinra m'a parlé de dépression, ça ne m'a pas particulièrement surpris. À vrai dire, je n'en ai pas grand-chose à faire. Je ne vois pas l'intérêt de mettre un mot là-dessus. Ce n'est pas comme si ça allait changer quoi que ce soit de toute façon... D'ailleurs, je ne comprends pas ses reproches. Au moins, je continue à vivre. Ce n'est pas ce que tout le monde souhaitait... ?

Shiki arrive à dix heures précises, entouré de deux hommes de main à qui il demande de rester à l'extérieur. Il s'installe ensuite sur mon fauteuil sans demander la permission. C'est une habitude qu'il a prise. J'aimerais pouvoir lui dire de partir, mais je ne peux pas. Je n'y trouverais même rien d'amusant, alors qu'autrefois, lui tenir tête avait toujours quelque chose de jouissif. Je suis juste fatigué d'avance de tout ça. Devoir lui parler, faire semblant, je n'ai plus envie de faire tout ça. Je veux juste être seul et ne plus avoir à bouger ou à parler.

« Assieds-toi, Izaya. »

Sa voix est profonde et calme. J'ai toujours aimé son attitude posée, qui tranche tellement avec ses activités de yakuza. Sans discuter, je me mets en face de lui. Je reste silencieux. Je n'ai pas vraiment envie de lancer la conversation. J'aimerais juste qu'il s'en aille et que je n'aie plus à jouer cette comédie ridicule. En plus, je ne supporte pas son regard inquisiteur.

« Est-ce que tu dors ces derniers temps ? finit-il par me demander.

– Bien sûr, Shiki. Pourquoi est-ce que je ne le ferais pas ? »

J'affiche un sourire hypocrite sur mon visage. Je lui mens ouvertement, mais ça, ça ne change pas d'avant. Je ne tiens pas à lui dire que mon sommeil est complètement déréglé. Si je ne faisais que dormir au début, maintenant je n'arrive presque plus à fermer les yeux. Mes insomnies sont revenues, ne me lâchant plus.

« Je tiens à avoir un informateur en forme, alors tâche de régler ce problème. »

Cette phrase a le don de m'énerver fortement. Qu'est-ce qu'il croit au juste ? Que je sais mettre mes problèmes sur pause comme ça ?

« Ça risque d'être compliqué, Shiki.

– De combien de temps as-tu encore besoin ?

– ... Oh je ne sais pas, je dirais deux mois, une semaine, trois jours et six heures. Oui, ça me semble un délai raisonnable pour redevenir comme avant.

– Ne sois pas si arrogeant, informateur, réplique-t-il d'une voix sans appel. J'ai été assez patient avec toi. Ne pousse pas ta chance plus loin.

– Je ne reviendrai pas Shiki. J'arrête de travailler pour le groupe. »

À ces mots, il reste silencieux, me lançant un regard indéchiffrable. Je mentirais si je disais que je ne suis pas mal à l'aise. Même s'il n'en a pas forcément l'air, Shiki est un homme très dangereux.

« Tu sais ce que j'ai toujours pensé de toi ? reprend-il. Que tu n'es qu'un gamin immature qui ne sait pas ce qu'il veut. Tu t'amuses avec des choses que tu ne devrais même pas approcher. Ton problème, c'est que tu ne sais pas où est ta place. C'est ironique, j'étais sûr que tu finirais par te faire écraser par Heiwajima. »

Je ne peux m'empêcher de tressaillir en entendant son nom. Je ne supporte pas qu'il me parle de lui. Shiki ne rate rien de ma réaction. Il fronce légèrement les sourcils, avant de soupirer.

« C'est dommage, tu avais un certain avenir dans ce travail. Quel gâchis. »

Il se relève alors et s'éloigne vers la porte. Les battements de mon coeur s'accélèrent tandis que je l'entends parler à ses hommes de main. Est-ce qu'il va leur demander de m'abattre ? Peut-être que ce ne serait pas une si mauvaise chose... Et si c'était la solution que j'attendais sans plus y croire ?

Mes yeux se perdent dans le vide et, pendant seulement quelques secondes, un tas de pensées m'envahit. La mort m'a toujours terrifié, mais maintenant que Shizuo m'attend de l'autre côté, elle est devenue bien plus attrayante. Il m'en aurait voulu si je m'étais suicidé, mais si je me fais tuer, ce n'est pas ma faute. Il ne pourra rien me dire...

Malgré tout, lorsque les deux hommes pénètrent dans la pièce, la peur s'empare de moi. Je vais mourir... Je ne sais pas... je ne sais pas comment réagir... mais, au lieu de s'approcher de moi, ils se dirigent vers mon bureau. D'un geste brusque, ils écrasent mes ordinateurs sur le sol. Je me redresse alors d'un coup.

« Qu'est-ce que vous faites ?!

– Reste à ta place pour une fois, Izaya, me répond calmement Shiki. Et vous deux, fouillez le reste de l'appartement. »

Les hommes finissent de casser les ordinateurs, avant de renverser le bureau, puis la bibliothèque. Je comprends qu'ils sont à la recherche de tout document que j'aurais gardé sur les yakuzas. Mon regard se tourne alors vers Shiki.

« Tu...

– Le groupe a pris la décision de se séparer de toi, me coupe-t-il directement. Tu n'es plus à la hauteur, je n'ai pas l'intention de m'encombrer d'un informateur incompétent et inutile. Tu as de la chance, on a décidé d'être compatissant au vu de tes bonnes années de service. Tu auras la vie sauve, mais ne t'avises pas de nous approcher à nouveau et encore moins de vendre nos secrets à qui que ce soit.

– Je ne le ferai pas.

– Bien. »

Il observe attentivement ses hommes de main. Une fois qu'il est convaincu qu'il ne reste aucune information, il leur demande de partir. Lorsque nous sommes seuls, Shiki se tourne vers moi. Son regard est toujours aussi froid, pourtant je sens que l'ambiance a radicalement changé.

« Même si je ne l'approuve pas, j'ai choisi de respecter ton envie de partir.

– ... Merci.

– Prends soin de toi, d'accord ?

– ... Bien sûr Shiki. »

Je force un sourire sur mon visage, le faisant soupirer. Il secoue légèrement la tête, comme dépité par mon attitude.

« C'est sûrement dur pour toi, mais tu es fort. Tu arriveras à remonter la pente. Et si tu changes d'avis à l'avenir, tu sais où me trouver. »

J'acquiesce. Il me regarde un moment, avant de hocher la tête. Il s'éloigne alors, me laissant seul et perdu dans mon appartement complètement dévasté. Tout est par terre, mais ça m'atteint à peine. À vrai dire, j'ai du mal à réaliser ce qu'il vient de se passer. Je suis rarement surpris par les autres, pourtant je ne pensais pas que Shiki me laisserait partir aussi facilement. Il n'est jamais aussi conciliant d'habitude. Pourquoi s'est-il montré gentil avec moi ? Ça n'a pas de sens. Je ne suis censé être qu'un simple outil pour lui. Se pourrait-il que je me sois trompé sur toute la ligne sur lui ?

Je soupire. Ces derniers temps, toutes mes convictions s'effondrent les unes après les autres. Je ne sais plus ce que je dois croire. Mais je suis soulagé. Ne plus travailler pour Shiki m'enlève un grand poids sur les épaules. Je suis débarrassé de cette contrainte. Mais maintenant, qu'est-ce que je vais faire ?

Un immense vide s'empare de moi. Je n'ai plus rien. Tout ce qui me caractérisait disparait un par un. Que reste-t-il au juste de l'Izaya qui faisait frémir les autres ? Rien. Absolument rien. Je ne suis plus rien, plus personne.

Secouant la tête, je m'abaisse et commence à ramasser mes affaires. Cette tâche a au moins le mérite de m'occuper l'esprit. C'est tout ce dont j'ai besoin. Un geste après l'autre, être un automate, ne plus réfléchir. C'est bon, je peux avancer de cette façon. Une fois que tout est rangé, je vais m'asseoir sur l'appui de fenêtre et laisse mon regard trainer vers le bas. J'observe les gens qui marchent dans la rue. J'aimais le faire avant, il n'y a pas de raison que ce ne soit plus le cas maintenant. Ça va bien finir par revenir. Ce n'est pas possible autrement...

Mon corps tremble un peu de froid. Je l'entoure de mes bras, pour le réchauffer. Je sens avec délice les os sur mes doigts. J'ai perdu du poids ces derniers temps, mais ça me convient parfaitement. Au moins, j'ai l'impression d'avoir le contrôle sur mon corps et c'est bien la seule chose sur laquelle j'ai encore un semblant de contrôle.

Alors que j'essaye de me complaire dans la contemplation des humains, je sens mon portable vibrer. Je regarde l'écran et vois le nom de Mikado s'afficher. Encore. C'est le seul à essayer de me contacter encore régulièrement. Je ne le comprends pas. Pourquoi insiste-il à ce point ? N'a-t-il pas compris que je voulais qu'il me laisse tranquille ? J'ignore son appel et me tourne à nouveau vers la rue. Je ne ressens rien en observant les gens déambuler devant moi. Comment même aie-je pu trouver un jour ce spectacle intéressant ? C'est ennuyeux. Je me surprends encore moi-même à chercher une chevelure blonde parmi la foule... Quand un homme avec un costume de barman tourne dans ma rue, mon coeur s'arrête, je me redresse alors brusquement, avant de me rendre compte que ce n'est pas lui, ce n'est pas Shizuo... Et à y regarder de plus près, ce n'est même pas un costume de barman...

La douleur se ressert dans ma gorge. J'ai l'impression d'étouffer. Rapidement, je me dirige vers les toilettes et vomis le maigre contenu de mon estomac. Ma respiration est haletante. Je n'en peux plus... Je transpire, le coeur battant fortement dans ma poitrine... Ça ne s'arrêtera jamais. Je le sais maintenant. Jamais je n'arriverai à m'en remettre. Je ne peux pas vivre sans lui... C'est impossible... Je ne peux pas me laisser mourir, parce que je lui ai promis de continuer d'avancer, mais j'aimerais pouvoir le faire parce que ma vie n'a plus aucun sens pour moi.

Pardonne-moi, Shizu-chan. J'essaye. Je te promets que j'essaye, mais c'est bien trop dur...


Huit mois après la mort de Shizuo...

Contrairement à ce que les fictions tentent de nous faire croire, la mort ne devient pas plus acceptable avec le temps qui passe. À moins que ce ne soit juste moi qui ne suis pas normal. Je ne suis pas retourné à Ikebukuro depuis mon départ, je n'ai revu personne. Je me demande parfois s'ils pensent encore à lui. Est-ce que ce quartier se souvient de lui ? Huit mois... Tout le monde s'attend à ce que je sois passé au-dessus à présent, alors c'est l'illusion que je donne. Faire semblant, ça me réussit bien, même si j'ai du mal à ignorer la boule qui s'est logée dans mon estomac. Mais j'ai pris le pli depuis un bon moment. J'ai aussi trouvé quelques bonnes astuces pour m'aider. Après être retombé sur les somnifères donnés par Shinra, j'ai décidé d'en prendre tous les soirs. J'ai enfin pu dormir grâce à ça. Malheureusement, les effets commencent à diminuer, ce qui m'oblige à augmenter les doses. J'en prends aussi quand la souffrance devient trop intolérable et que je veux juste dormir pour tout oublier et ce, peu importe l'heure.

Shinra n'est pas au courant. De toute façon, je me moque pas mal de son avis. Il n'est même pas touché par la disparition de Shizuo. Seulement six mois après, il est parti en voyage avec Celty. Comment peut-il faire comme si de rien n'était ? Comment peuvent-ils tous continuer d'avancer comme si la mort de Shizuo ne changeait rien à leur vie ? Ça me dégoute.

Moi je... je n'y arrive toujours pas. Et chaque jour qui passe rend son absence plus dure à supporter, mais surtout plus concrète. À présent, il est mort depuis plus longuement que ce que n'a duré notre relation. Cette pensée me donne le tournis. Comment aie-je réussi à tenir jusqu'ici ? Et ce temps qui file et qui file. Est-ce c'est ce qu'a ressenti Shizuo lors de ses derniers mois ? Cette sensation que le temps lui filait entre les doigts ? Je n'arrive pas à le rattraper, je n'arrive pas à l'arrêter. Je ne me pose plus nulle part, je ne profite plus de rien. Je ne peux pas. Même si je le voulais, comment pourrais-je ne fusse que sourire alors qu'il n'est plus là ?

Perdu dans mes pensées, j'entends à peine qu'on frappe à la porte. Soupirant, je me force à quitter mon fauteuil pour aller ouvrir. Je tombe alors sur Shinra. Ce dernier me lance un regard sombre, avant d'entrer sans demander la permission. Il semble en colère. Ce comportement ne lui ressemble vraiment pas. Dans d'autres circonstances, ça m'aurait fait rire. Maintenant, je suis las. Que me veut-il encore ?

« ... Trois semaines. Ça fait trois semaines que je n'ai plus aucune nouvelle de ta part, siffle-t-il.

– Comme si ça avait de l'importance pour toi. Franchement, ça m'étonne même que tu l'aies remarqué. Tu n'étais pas encore en voyage avec Celty ?

– Combien de fois devrais-je te dire qu'on est parti en voyage de noces ? On n'avait pas le droit ? Shizuo aurait compris, lui.

– Je t'interdis de parler de lui ! Tu n'étais même pas son ami, tout ce qui t'intéressait, c'était sa force surhumaine !

– Moi au moins, il ne me haïssait pas pendant une bonne partie de sa vie ! réplique-t-il aussitôt.

– ... Comment oses-tu... ?

– ... Ecoute, ce n'est pas ce que je voulais dire... Je suis inquiet, d'accord ? Et puis, pourquoi est-ce que tu ne me réponds plus ?

– J'ai bloqué ton numéro. »

Il me regarde, surpris, avant de froncer les sourcils. Il m'observe alors avec plus d'attention et semble tiquer.

« Tu as encore perdu du poids.

– Non.

– Ce n'était pas une question, Izaya. Combien pèses-tu ?

– Je n'en sais rien.

– Très bien, allons dans la salle de bain et monte sur la balance.

– Non.

– Je ne te laisse pas le choix, réplique-t-il d'un ton sec.

– Ha ha, je t'en prie, arrête de jouer les amis qui s'inquiètent. Ce rôle ne te va pas du tout !

– ... Tu crois que je suis aveugle peut-être ? Tu penses que je ne vois pas que tu te laisses mourir à petit feu ? Je ne te laisserai pas faire !

– Tu es ridicule, Shinra ! La vérité, c'est que tu n'en as rien à faire ! Tu n'en as jamais rien eu à faire. Je parie même que tu as profité de sa mort pour lui prélever du sang et faire des expé... »

Un bruit retentit avant même que la douleur ne me parvienne. Il me faut quelques secondes pour me rendre compte que Shinra vient de me frapper en plein visage. Vacillant, je pose une main sur ma joue et le regarde, surpris. Ses yeux n'ont jamais été si expressifs. Il semble blessé et très déçu.

« Je n'aurais jamais fait une chose pareille..., commence-t-il d'une voix tremblante. Je sais ce que tu fais, tu essayes de me dégouter de toi. Mais ça ne marchera pas... tu peux dire ce que tu veux, je ne te laisserai pas tomber... J'ai déjà perdu un ami, je ne tiens pas à perdre le seul qu'il me reste. Je... Je n'ai pas pu le sauver, mais toi... je te jure que je le ferai, même si tu dois me haïr pour ça. »

Ma main retombe lentement le long de mon corps. Je baisse le regard, incertain. Il s'approche alors de moi d'un pas hésitant.

« Izaya... Tu ne peux pas continuer comme ça.

– ... Si tu as une solution miracle, je suis tout ouvert.

– Non, mais... je vois bien que tu t'enfermes dans une bulle où tu tentes de faire comme si rien ne s'était passé.

– Je veux juste redevenir comme avant où tout m'était égal, je ne vois pas en quoi c'est un problème.

– ... Tu ne peux plus redevenir comme avant, répondit-il d'une voix hachée. Personne ne le peut. »

Je le regarde à peine, mais ses mots ne me laissent pas indifférent. Cependant, si je ne peux pas juste revenir en arrière, qu'est-ce que je peux faire ? Accepter la réalité ? Affronter de plein fouet sa mort ? Bien sûr, je sais qu'il ne reviendra pas, mais jusqu'à présent, j'ai réussi à enfouir la plupart de mes émotions au fond de moi et de continuer à faire semblant, comme si ce n'était pas si grave que ça, comme si Shizuo était toujours là, quelque part. Si j'abats cette barrière... je ne suis vraiment pas sûr d'arriver à tenir le coup.

Shinra s'avance à nouveau et, sans que je m'y attende, m'entoure de ses bras et m'amène contre lui. L'étreinte est maladroite, pourtant je ne peux m'empêcher de la trouver confortable.

« Laisse-toi aller, tu peux te le permettre. »

Comme si cette phrase était le déclencheur dont j'avais besoin, je sens toute la pression de mon corps s'envoler. Les larmes me montent aux yeux, mais cette fois-ci, je n'essaye pas de les retenir. J'ai mal, j'ai tellement mal... Mes doigts se resserrent sur la blouse de Shinra. Il a raison, je ne peux plus continuer à faire semblant. La douleur est bien trop forte... Toutes sortes d'émotions me submergent alors, je ne peux plus les contenir.

« ... Je lui en veux, Shinra. Je lui avais pourtant promis que ce ne serait pas le cas, mais je lui en veux tellement... Il m'a donné trop choses... il n'avait pas le droit de me les retirer aussi brutalement...

– Tu peux être en colère contre lui.

– ... C'est surtout contre moi que je le suis. Je l'ai laissé tomber. J'avais tellement peur de sa mort, mais... une partie de moi... était contente qu'il s'en aille... Quel genre de monstre suis-je pour penser une telle atrocité... ?

– Ne dis pas ça, c'est normal Izaya. Il souffrait, il n'avait plus aucune vie. Tu as été soulagé de voir qu'il n'avait plus mal, tu as réagi de la bonne façon. »

Je ne lui réponds pas, mais je me sens rassuré par ses mots. Je m'agrippe alors encore plus à lui, me laissant complètement aller. Ça fait mal, ça fait du bien.

« ... Je suis désolé, reprend-il après quelques secondes. J'aurais dû être plus présent pour toi dès le départ, mais... je n'aurais pas su te soutenir comme il le fallait... Si je suis parti avec Celty, ce n'est pas par désintérêt, mais parce qu'on en avait besoin tous les deux... Crois-moi, je... je n'arrive pas non plus à croire qu'on ne le reverra plus jamais...

– ... Je ne t'en veux pas...

– Bien... Est-ce que... Tu sais, j'en ai discuté avec Celty et, si tu le souhaites, tu pourrais venir quelques jours, voire même semaines, chez nous. Ça te ferait peut-être du bien. »

Mes larmes se calment peu à peu. Je m'éloigne alors légèrement de lui, presque à regret.

« Merci, mais... je n'y tiens pas.

– Tu ne dérangeras pas.

– Je sais. Seulement... je préfère être seul.

– ... D'accord, si c'est ce que tu veux... Mais je t'en prie, arrête de repousser les autres. Je m'inquiète pour toi et je ne suis pas le seul. Tu te replies sur toi-même, ce n'est pas ce que voulait Shizuo. »

Je sais. Je sais tout ça. Tu n'as pas besoin de me le dire, Shinra. S'il peut me voir de quelque part, Shizuo doit être très déçu de moi.

« ... Je ne sais pas comment faire autrement...

– Essaye juste de reprendre ta vie en main. Fais le pour lui. Un pas après l'autre. Jour par jour.

– ... D'accord...

– Et fais attention à ton poids. Crois-moi, je ne te lâcherai pas là-dessus. »

J'acquiesce faiblement. Il ne me laissera pas tomber. Je pense que c'est la première fois que je m'en rends réellement compte. Son soutien m'apporte plus que ce que j'aurais pu croire. Je ne suis pas aussi seul que ce que je pensais. Ce n'est pas Shizuo, mais il est là malgré tout.

Lorsqu'il finit par partir, je me sens complètement épuisé. Vidé psychologiquement. Peut-être que j'aurais dû accepter sa proposition et partir avec lui, mais c'était trop dur pour moi. Je n'ai pas envie d'être confronté à son regard. Je ne sais plus quoi faire... Perdu, je me laisse aller sur mon fauteuil. Mes yeux se posent alors sur le livre qui est sur la table devant moi. Le Petit Prince... Je le lis presque tous les jours. Ce livre m'est très cher, surtout les mots écrits sur la première page. C'est la seule trace de l'écriture de Shizuo qu'il me reste. Mais maintenant, ce sont surtout ses paroles qui restent dans mon esprit. Je me souviens de chacun de ses mots...

"...Quand tu seras seul, que tu douteras, quand tu penseras que personne ne peut t'aimer, tu reliras ces mots et tu te rappelleras. Tu te rappelleras que tu as été unique pour moi, que je t'ai aimé et que je ne veux pas que tu sois triste ou que tu te laisses aller."

J'affiche un sourire désabusé. Comme si c'était aussi simple... Mais Shinra a raison... Je me dis que ça ne coûte rien d'écouter ce qu'il me propose. Essayer de reprendre ma vie en main, arrêter d'être dans ce brouillard confortable qui me rend insensible n'est peut-être pas une mauvaise chose. Un pas après l'autre. Jour par jour. Peut-être que je peux le faire. Peut-être que ce sera plus efficace que ma méthode actuelle... Je soupire fortement. Le moment est sans doute venu d'arrêter d'être lâche avec moi-même et d'affronter mes émotions. Je ne peux rien faire au fait que Shizuo soit mort, mais peut-être que je peux apprendre à vivre avec. D'une autre façon, dans la douleur, mais vivre quand même. Et accepter que je ne suis plus le même... Je vais essayer, pour Shizuo, pour Shinra qui ne me laissera de toute façon pas en paix. Ça en vaut peut-être la peine...


Neuf mois après la mort de Shizuo...

Avec des gestes précis, je remets de l'ordre sur mon bureau. Ça fait quelques jours que j'ai repris le travail. Pas avec les yakuzas, mais je reste informateur malgré tout, pour la police, pour le commun des mortels. Après tout, j'avais pas mal de clients en dehors de Shiki avant. Je relance les affaires doucement. Rien d'extravagant, mais c'est à nouveau un petit pas en avant.

J'essaye d'avancer, je continue d'essayer tous les jours. Parfois ça marche bien, d'autre fois pas du tout. Un pas en avant, deux en arrière, ça pourrait bien me correspondre ces derniers temps. Mais quand je n'y arrive plus, Shinra est toujours là pour me pousser. Je peux me reposer sur lui. Grâce à son aide, petit à petit, j'ai réussi à retrouver un quotidien normal. Je me lève à une bonne heure, je sors à nouveau – mais jamais à Ikebukuro – je mange à chaque repas. Ce n'est pas grand-chose pour les autres, pour moi ça reste beaucoup. Je vois également Shinra et Celty très régulièrement. Un semblant de vie s'installe. Mais je n'oublie rien. Je pense à Shizuo tous les jours. Je ne m'habitude pas à son absence, j'apprends à faire avec, un peu comme un amputé qui doit s'adapter à sa nouvelle condition.

La reprise du travail a été un sacré pas en avant. Retourner dans mon ancienne routine s'est révélé être un sacré soulagement. Et même si la douleur est toujours aussi présente, ça me fait du bien de reprendre les choses en main.

Chaque jour, j'essaye d'aller plus loin. Shinra a raison, je m'isole trop. Je prends alors mon téléphone dans mes mains. Je n'ai toujours pas répondu à Mikado, alors qu'il n'a cessé de me laisser des messages tous ces derniers mois. Je compose son numéro sans trop réfléchir. Aller de l'avant. Je dois au moins essayer pour Shizuo.

« Bonjour Izaya, résonne sa voix après quelques secondes. Je suis content de t'avoir au bout du fil.

– Bonjour Mikado. J'ai été pas mal occupé, je n'ai pas su t'appeler avant. »

Je souris, mentant ouvertement. Ce n'est pas grave. Ce n'est qu'un rôle de toute façon.

« Je comprends. Je suis désolé, je ne peux pas te parler longtemps maintenant, mais est-ce que ce serait possible de nous voir bientôt ?

– ... J'imagine.

– Parfait. Que dirais-tu de demain à seize heures ? Je passerai à ton bureau, si tu es d'accord ?

– Ça me va. À demain alors. »

Il me répond avec un enthousiasme qui me surprend. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi il est toujours aussi intéressé par moi après tout ce temps. Cette pensée me poursuit lorsque je raccroche. Qu'est-ce qu'il cherche ? Je comprenais son attrait pour moi auparavant, mais à présent ça n'a plus aucun sens. Je ne représente plus cette atmosphère mystérieuse qui l'attirait tant.

J'avoue que je suis curieux de le voir du coup. Quelle surprise va-t-il me réserver ? C'est bien la première fois depuis ces derniers mois que quelque chose attise mon intérêt. Je souris alors légèrement, avant de sortir un petit carnet que je garde précieusement dans le premier tiroir de mon bureau. Ce carnet est mon secret pour tenir le coup ces derniers temps. C'est la solution que j'ai trouvée pour continuer mon semblant de vie. Quand j'étais au collège, j'aimais écrire pour coucher tous mes sentiments sur papier en jouant avec les métaphores. Mais j'ai cessé de le faire quand j'ai décidé de me construire une grande barrière autour de moi. Y revenir maintenant était presque une évidence. Et puis, c'est une façon pour moi de pouvoir lui parler...

Je feuillette alors les pages, mes yeux parcourant rapidement les mots que je lui ai écrits. Parfois, ils sont très courts – Tu me manques – d'autres fois, ils sont plus longs. Mais ils me font tous du bien. Que ce ne soit qu'une fois ou plusieurs fois par jour, l'effet est le même. Ils me donnent l'impression d'être proche de lui, que même si je l'ai perdu, il est là pour moi... Je sors alors mon bic et commence à écrire un nouveau mot :

Tu vas être content, j'ai enfin rappelé Mikado aujourd'hui. J'ai même accepté de le voir. Tu vois, je suis capable d'aller de l'avant. Peut-être même que ça va être amusant. Ha ha, je sais ce que tu vas me dire, qu'il a un faible pour moi. C'était une de tes théories préférées. On verra bien, mais je t'avoue que je me demande ce qu'il me veut. J'ai presque hâte d'être demain. Ça faisait longtemps que ça ne m'était plus arrivé. Certaines choses recommencent à prendre du sens. J'espère que tu ne m'en veux pas pour ça. Crois-moi, je ne t'oublie pas. J'essaye juste de faire de mon mieux.

Je recommence à m'intéresser aux autres. Pas forcément de manière directe, mais j'ai discuté avec Shinra qui a pu me donner des nouvelles. Vorona est repartie en Russie. Elle a été très touchée par ta mort. Retourner chez elle était sans doute la seule solution qui s'offrait à elle. Tom, lui, continue son travail. Il parait qu'il a un nouveau partenaire, mais qu'il ne t'arrive pas à la cheville. En même temps, ce n'est pas étonnant, personne ne peut te remplacer. Shinra dit qu'Ikebukuro est devenu bien calme ces derniers temps. Mais si tu veux mon avis, les autorités doivent être bien contentes de ne plus avoir à remplacer les panneaux de signalisation toutes les semaines.

Oh Shizu-chan, un peu d'humour ! Tu sais, Shinra avait raison. Je dois voir jour après jour. Et aujourd'hui est un jour pas trop mauvais. Peut-être que ça va durer cette fois-ci. Je te raconterai comment ça s'est passé... Je t'aime.

Je referme le carnet, soupirant. Je n'ai parlé de ça à personne. De toute façon, je doute que Shinra comprenne. Il désapprouverait sans doute. Mais je m'en fiche. Parce que ça me fait du bien. J'ai besoin d'avoir ce lien avec lui, ça m'aide à continuer, à me lever chaque matin.

Le lendemain, j'attends avec impatience l'arrivée de Mikado. Pour la première fois depuis des mois, je suis retourné sur le site des Dollars. Il est toujours très actif et j'ai pu y apprendre des informations intéressantes, mais rien sur Mikado. Je me demande ce qu'il est devenu. Je ne me suis plus intéressé à la vie de mes chers humains depuis bien trop longtemps. Je suis complètement largué. Du coup, quand Mikado arrive, je suis plus que content de l'accueillir. J'ai l'impression de revenir à ma vie d'avant et ça me fait un bien fou.

« Bonjour Mikado, je t'en prie, assieds-toi. »

Je l'invite à s'installer en face de moi avec un sourire presque mesquin. Il m'observe alors avec attention. Je le sens un peu mal à l'aise, comme s'il ne savait pas comment commencer la conversation. Ça m'amuse. Les gens ont toujours peur de mettre les pieds dans les plats. Si ça m'irritait au départ, ça me donne envie de rire maintenant.

« Alors, tu as fini le lycée ? Tu dois être content.

– Oui, sourit-il. Même si l'université est d'un niveau supérieur. Je dois travailler à côté pour me payer mes études, mais je suis vraiment content.

– Boulot, université, ... C'est une vie plutôt banale que tu mènes là, Mikado. Qu'est devenu cet adolescent qui avait besoin de sensations fortes ?

– Disons que j'ai grandi, répond-il d'une voix un peu étrange. J'ai enfin compris que je pouvais apprécier une existence normale... J'ai eu ce déclic l'an passé... »

Je l'observe curieusement. Un déclic ? Serait-ce possible que...

« Tu sais, Izaya, même si je ne le connaissais pas très bien, j'ai été fort touché par le décès de Shizuo... Désolé, tu ne veux sans doute pas parler de lui.

– Non, c'est très bien... Dis-moi... de quoi tu te souviens de lui ?

– C'est Kida qui m'a parlé de lui en premier. Je devais absolument l'éviter, mais bien sûr je suis tombé rapidement sur lui. Je me souviens de la première fois que je l'ai vu, il t'avait frappé avec une poubelle. »

Il sourit légèrement, amusé par ce souvenir. Oh, je m'en rappelle bien moi aussi. Sale protozoaire, tu m'avais bien fait mal ce jour-là. Mais y repenser me laisse un gout amer dans la bouche. Je me sens pris de vertige. J'ai envie de vomir...

« Même s'il n'en avait pas l'air physiquement, j'ai tout de suite trouvé Shizuo impressionnant. Il dégageait une aura dominatrice et violente.

– C'est vrai. Il ressemble à un monstre déchainé la plupart du temps. »

Je retiens de justesse une grimace. Je parle encore de lui au présent. Heureusement, Mikado ne fait aucune remarque, mais je décide malgré tout de changer de sujet, mal à l'aise et me sentant toujours aussi mal. Si on continue là-dessus, je sens que je vais m'effondrer.

« Est-ce que tu vois encore Kida et Anri ?

– Kida, oui, assez souvent. Par contre, j'ai perdu contact avec Anri.

– Vraiment ? Pourquoi donc ? Je croyais que tu l'aimais. »

Je ricane, narquois. Je me sens à nouveau mieux. Reprendre le contrôle sur la conversation me plait. Je m'amuse même de son visage déconfit. Visiblement, ce n'est pas un bon sujet pour lui. Encore mieux, j'adore le sentir nerveux.

« Oui, répond-il après quelques secondes d'hésitation. On est sorti ensemble un moment, mais au final, ça n'a pas tenu. Je me suis rendu compte qu'elle ne m'apportait pas ce que je cherchais.

– Sais-tu seulement ce que tu cherches, Mikado ? »

Il reste silencieux, alors que mon sourire s'agrandit. Je me penche vers lui, la tête soutenue par mes mains. Puisqu'il ne me répond pas, je surenchéris. Retomber dans mes anciens travers me fait plus de bien que ce que je n'aurais cru.

« La vérité, c'est que tu es complètement perdu. Tu penses que tu peux te contenter d'une vie banale, mais ce ne sont que des mots. Dans le fond, c'est toi que tu essayes de convaincre quand tu m'en parles. Mais une fois les Dollars et Saika mis de côté, ton couple avec Anri a dû te paraitre bien ennuyeux. Au final, tu as besoin de cette adrénaline qui te fait te sentir vivant. »

Mikado finit par relever les yeux vers moi. Son regard est différent. Intéressant. Revoilà le Mikado qui me plait. Il a un côté manipulateur et étrangement dangereux qui dénote avec son attitude d'il y à peine quelques minutes.

« Tu te trompes, Izaya. Je ne suis pas complètement perdu, je sais très bien ce que je veux. Mais je ne suis pas stupide. Je sais que j'ai peu de chances de l'avoir. »

Je le regarde avec intérêt. J'aime cette lueur qui apparait dans ses yeux. Je ricane alors, le visage toujours posé dans le creux de ma paume, penché légèrement vers la gauche.

« Tu ne peux pas dire ça tant que tu n'as pas essayé. »

Je le provoque un peu, ayant hâte de voir quelle sera sa réaction. Visiblement, il prend ma phrase comme un signal parce qu'il s'approche de moi soudainement. Son mouvement me surprend à peine, mais il me met mal à l'aise. Je détourne alors la tête quand il se penche vers moi.

« ... Tu ne devrais pas jouer avec le feu, Mikado.

– Désolé, je ne voulais pas te brusquer.

– Il en faut plus que ça pour me brusquer. Mais je ne suis pas la personne qu'il te faut. »

Je me redresse, le coeur battant fortement, et lui tourne le dos. Je pensais que ça m'amuserait de jouer avec lui, mais ça me fait mal. J'ai juste l'impression de trahir Shizuo.

« ... Désolé, répète Mikado.

– J'ai du travail, il vaut mieux que tu t'en ailles.

– Ah... D'accord... Est-ce que je peux quand même continuer à t'appeler ? »

Je rigole tout en me tournant vers lui. Un sourire de dédain s'affiche sur mon visage.

« Pourquoi ne pourrais-tu pas le faire ? Je ne suis pas une petite chose fragile, Mikado. Tu n'as vraiment pas intérêt à me traiter comme ça.

– Bien, répond-il sur un ton nerveux. On se voit plus tard alors. »

Il se relève à son tour, il semble hésiter, mais n'insiste pas et s'en va après m'avoir salué. Dès qu'il est parti, je me dirige vers la salle de bain et passe un peu d'eau sur mon visage. Merde, j'ai complètement déconné. J'ai très vite compris qu'il était attiré par moi, pourquoi est-ce que je l'ai laissé faire ? Je suis complètement stupide. Shizuo est à peine parti que je m'amuse avec Mikado. Je suis dégoutant. Je ne vaux vraiment rien.

Une colère sourde s'empare de moi. Je frappe alors violemment le miroir face à moi. Ce geste me surprend, mais la vive douleur que je ressens me soulage. Le miroir se fissure, mais ce n'est pas ça qui attire mon regard. Mes yeux se posent directement sur mon poing. Je me suis ouvert la main. Le sang commence à couler le long de mes doigts. Ça fait mal... C'est une sensation agréable. Une étrange envie s'empare alors de moi. Je pourrais me laisser aller et enfoncer plus profondément un morceau de verre dans ma peau. Je suis sûr que ce serait libérateur. Céder est vraiment tentant. Mes mains tremblent légèrement. Je pourrais le faire... Je ne souffrirai alors plus... Je pourrai rejoindre Shizuo... Ce serait si facile. Un simple geste et tout serait fini... Mais ce serait comme cracher sur Shizu-chan et mettre à la poubelle tous ce qu'il voulait... Je ne peux pas faire ça... Respirant fortement, je prends alors mon téléphone et appelle Shinra. Il met un moment avant de me répondre.

« Désolé Izaya, commence-t-il directement. Je suis occupé avec un patient. Tout va bien ?

– ... Ah... Ce n'est rien. Je te rappellerai.

– Sûr ?

– Oui, ne t'en fais pas. Reste concentré sur ton travail. À plus tard. »

Je fais sonner ma voix de sorte qu'il ne s'inquiète pas, avant de raccrocher. Je soupire. Je dois arrêter de faire ça, de me reposer tout le temps sur Shinra. Il a sa vie après tout. Et moi, j'ai la mienne... en quelque sorte... Un rire me secoue alors le corps. Je suis pitoyable.

Je reste plusieurs minutes, assis à même le sol, à regarder mon sang qui coule. Ma blessure n'est pas très grave, mais je devrais quand même la soigner au lieu de me laisser hypnotiser par sa vue. Je deviens de plus en plus pathétique. Si les autres me voyaient comme ça, ils se moqueraient de moi et ils auraient bien raison... Je ne suis plus rien. Pas étonnant que je suis toujours seul. Qui voudrait être auprès de quelqu'un d'aussi dégoutant que moi ? Le mieux serait vraiment que je laisse le sang sortir de mon corps. J'aime cette vision. J'ai l'impression de voir la vie s'écouler hors de moi... A quoi en suis-je réduit franchement ? Mon attitude me donne envie de gerber...

Dépité, je n'arrive même pas à trouver la volonté de me relever lorsque j'entends qu'on frappe à la porte. Ça n'a pas d'importance. Je n'attends personne de toute façon. Mais quand j'entends, plusieurs minutes après, des bruits de pas s'arrêter juste devant l'entrée de la salle de bain, je tourne brusquement la tête, surpris. Comment est-ce possible que je n'ai pas rien entendu ? Mon regard se pose alors sur Celty. Evidemment, elle a du entrer en douce...

Elle s'approche de moi directement et se baisse pour regarder l'état de ma main. Son casque bouge alors de gauche à droite, dans un signe désapprobateur. Elle tape ensuite assez vite un message.

« Qu'est-ce qui s'est passé, Izaya ?

– ... Rien. Ma main a dérapé sur le miroir. »

Je laisse échapper un rire sans joie. Celty s'éloigne alors pour aller chercher des pansements. Elle nettoie ensuite ma blessure avant de la soigner. Je me sens étrangement bien en sa présence. On ne s'est jamais bien entendu, pourtant en cet instant précis, son aura m'apaise.

« ... C'est Shinra qui t'a prévenue, n'est-ce pas ?

Oui, il voulait s'assurer que tu n'avais pas de soucis. Pourquoi as-tu fait ça ?

– Pour rien. »

Elle semble me fixer avec intensité derrière son casque. Je suis toujours étonné de voir à quel point elle est aussi expressive sans tête.

« Je suis inquiète pour toi moi aussi. Tu as cherché à te faire du mal ?

– ... Peut-être... Je... Je ne suis qu'un monstre, Celty. »

Je lui avoue le fond de ma pensée, sans même essayer de me retenir. Je suis tellement fatigué de jouer à celui qui arrive à tenir le coup. Celty ne dit rien, attendant juste que je poursuive.

« Shizuo... Il méritait mieux que moi...

Pourquoi dis-tu ça ?

– ... J'ai joué avec Mikado. Je savais très bien ce qu'il voulait. Je l'ai provoqué, je voulais qu'il tente une approche, mais... j'ai trahi Shizu-chan. Ça me rend malade.

Tu as agi comme avant. Tu cherchais juste tes anciens repères. Et même, tu as le droit de fréquenter d'autres personnes.

– Non. Ce n'est pas ce que je veux. Il n'y a que lui qui compte.

... Je comprends... »

J'inspire profondément, essayant de me calmer. Je la regarde alors fixement.

« Comment peux-tu comprendre ça ? La mort... ça ne doit rien te faire à toi. »

Elle reste un moment immobile, avant d'écrire sur son PDA.

« Tu sais... Je n'ai jamais autant regretté de ne pas avoir retrouvé ma tête qu'en ce moment même.

– ... Pour savoir où est l'âme de Shizuo ?

Non. Parce que j'aurais aimé avoir des yeux pour pouvoir pleurer. »

Son bras se rabaisse après avoir écrit ces mots. Je me sens étrange. J'ai l'impression de la voir réellement pour la première fois.

« ... Il te manque ?

... Tous les jours. Je n'avais jamais connu ça. Ce sentiment est insupportable. Parfois je me demande à quoi ça sert d'être une Dullahan si je ne peux même pas sauver les gens que j'aime...

– ... Je ne savais pas que tu ressentais ça... »

Elle hausse les épaules, comme pour montrer que ça n'a pas d'importance. Mais c'est faux, ça en a. Celty secoue alors son casque, comme si elle pouvait lire dans mes pensées. Elle pose ensuite ses mains sur ma blessure dans un geste réconfortant.

« Et si tu venais chez nous ce soir ? Je ferai à manger.

– Je ne suis pas sûr de venir alors. »

Je rigole légèrement. Celty semble bien le prendre, vu que ses épaules se secouent sous l'effet de son rire silencieux.

« Je me suis améliorée depuis, je te rassure !

– Ha ha ha, dans ce cas, je veux bien tester. »

Je me force à me relever et tente de reprendre contenance. Il faut juste que je m'éloigne de ces morceaux de verre qui sont bien trop tentants, la suivre est donc surement la meilleure solution...

J'accompagne alors Celty jusqu'à chez elle. J'ai juste besoin de me détendre et de penser à autre chose...


1 an après la mort de Shizuo...

Mes pas sont hésitants lorsque je pénètre dans le cimetière. Je suis nerveux. C'est la première fois que je viens ici... J'avance vers le caveau des Heiwajima. Mon coeur se serre en lisant le prénom de Shizuo sur la pierre. Je m'arrête alors, mes yeux ne quittant plus ces inscriptions.

Je suis désolé, Shizuo, de ne pas être venu plus tôt. Mais, entre nous, ça n'a rien d'étonnant. J'ai toujours été si lâche... Je n'arrive pas à croire que ça fait déjà un an que tu es parti. Ça n'a aucun sens. Je n'arrive pas à comprendre comment j'ai réussi à tenir jusqu'ici. J'ai l'impression que c'était hier que tu es mort. Cette sensation d'ouvrir les yeux et de se rendre compte que ça fait déjà un an est vraiment désagréable. Tu sais, j'ai fait de mon mieux. J'ai repris ma vie en main. Surtout grâce à Shinra et Celty qui sont toujours derrière moi quand c'est un peu plus dur, mais malgré tout, je fais toujours semblant la plupart du temps.

Je pense que je ne pourrai jamais me faire à ta mort, mais j'essaye d'aller de l'avant comme tu le voulais. J'espère que tu es satisfait parce que tous ces efforts que je fais, je les fais uniquement pour toi, parce que je te l'ai promis. Sinon, il y a bien longtemps que je t'aurais rejoint...

« Izaya ? »

Je reconnais immédiatement la voix qui s'élève dans mon dos. Je me tourne alors pour faire face à Kasuka. Il me regarde un moment, le visage toujours aussi inexpressif, avant de s'avancer vers moi. Arrivé à ma hauteur, ses yeux se tournent vers la tombe de Shizuo.

« Tu te décides enfin à venir le voir ? me demande-t-il sur un ton neutre que je prends malgré tout comme un reproche.

– ... Oui. C'était juste... compliqué de le faire avant, mais je suis là maintenant. »

Il hoche la tête. Le silence s'installe alors que nous regardons tous deux le caveau qui nous fait face. Mais au bout d'un moment, il reprend la parole, me surprenant par sa question.

« Comment vas-tu ? »

Mon premier réflexe est de lui mentir, mais à quoi ça servirait ?

« ... Pas très bien. Et toi ?

– Pas très bien non plus, me répond-il avec honnêteté. Et pour mes parents, c'est encore pire.

– Je comprends... Ça fait un an, pourtant ça me semble beaucoup plus récent.

– Pour moi aussi, m'avoue-t-il. Parfois, je me fais la réflexion que je devrais appeler mon frère parce que ça fait longtemps que je ne lui ai pas parlé, avant de me souvenir... »

Je ne réponds pas à sa confession. Alors, je ne suis pas le seul à qui ça arrive ? Je ne sais pas trop pourquoi, mais je trouve ça réconfortant.

« ... Izaya, ça va peut-être te paraitre étrange, mais... je pense que ça ferait plaisir à mes parents qu'on organise un repas ensemble.

– ... Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

– Ils en ont besoin. »

Je le regarde, mal à l'aise. Je ne sais pas si je pourrai. L'absence de Shizu-chan se ferait bien trop ressentir... Je ne suis pas sûr d'être capable de la supporter...

« ... Je vais y réfléchir...

– Bien... Tiens-moi au courant. »

J'acquiesce. Le silence s'installe à nouveau, mais aucun de nous ne le brise cette fois. J'imagine que, comme moi, ses pensées se tournent désormais uniquement vers son frère...


Un an et trois mois après la mort de Shizuo...

Finalement, j'ai accepté l'invitation de Kasuka. J'imagine que c'est ce que tu aurais voulu, non ? Je ne suis toujours pas convaincu que c'est une bonne idée malgré tout. À vrai dire, je tente plusieurs solutions pour supporter ton absence. Certaines marchent, mais ça ne dure jamais. Enfin, l'importance, c'est que ça me permet de ne plus trop souffrir au moins l'espace de quelques heures. Et crois-moi, c'est toujours ça de pris.

Sinon, j'ai repris contact avec mes soeurs. Elles avaient l'air contentes de me revoir. Je pense qu'elles ont envie de renouer avec moi. Elles semblaient inquiètes pour moi, enfin à leur manière bien sûr. Tu sais à quel point elles peuvent agir bizarrement. D'ailleurs, entre nous, je m'en veux pour ça. C'est de ma faute si elles sont comme ça. J'ai décidé que j'allais essayer de me rattraper. C'est surement la moindre des choses pour toi, mais pour moi, c'est loin d'être aussi évident...

Que te dire d'autres à part ça ? Ah oui, je continue à voir Mikado, mais ça n'ira pas plus loin. Je m'en doutais déjà avant, mais j'en suis sûr à présent. Je n'aurai pas d'autres relations. Je vais me contenter de mon amour pour mes humains, sans m'investir davantage. Je ne veux plus jamais revivre ça. Je ne veux aimer personne d'autre, je ne veux perdre personne d'autre. Ce n'est pas ce que tu voulais, mais tu devras t'y faire... Désolé...

Sur ce mot, je pose le bic sur le bureau et relève les yeux vers l'horloge. Il est presque l'heure. Merde, pourquoi est-ce que j'ai dit oui ? Je n'ai jamais aimé les réunions familiales, encore moins quand ce n'est pas ma propre famille. Je ne me sentirai surement pas à ma place... Mais il est trop tard pour faire marche arrière à présent. Le taxi est là, je ne peux plus reculer.

Je quitte alors mon appartement, avant de monter à l'intérieur du véhicule. Tandis que j'indique l'adresse au chauffeur, je me demande à nouveau ce qui a bien pu me pousser à accepter. Je ne suis pas sûr que ça va bien se passer. Pourtant, une part de moi a envie d'y aller, de leur faire face, mais surtout de me retrouver entouré d'autres personnes. Mais, malgré tout, je reste très anxieux. Comme la première fois que j'ai fait cette route. Je me souviens à quel point j'étais stressé quand j'ai rencontré les parents de Shizuo. Tout ça, ce n'est pas pour moi. Moi, je suis fait pour aimer les gens de loin. De très loin même.

Lorsque le taxi s'arrête, je sens un poids désagréable se loger dans mon estomac. Après avoir payé le chauffeur, je me force à sortir et à m'avancer vers la maison à pas lents. Je ne me sens pas bien. Je ne peux m'empêcher de penser que la dernière fois que je suis venu ici, j'avais la présence réconfortante de Shizuo pour me rassurer. Merde, je n'aurais vraiment pas dû revenir. Je me sens vide, comme incomplet. Ça n'a aucun sens d'être ici sans Shizuo... Je respire fortement. Il faut que je me ressaisisse... Je ne peux pas me montrer faible. Pas ici. Pas maintenant. Prenant sur moi, je frappe enfin à la porte. Après quelques secondes, celle-ci s'ouvre sur Namiko.

Je me sens alors terriblement mal à l'aise en croisant son regard vide de toute émotion. Elle a l'air tellement mal... Je culpabilise en repensant à la promesse que je lui avais faite et que je n'ai pas su – voulu – tenir. Mais alors que j'ouvre la bouche pour la saluer, un sourire étrangement doux apparait sur son visage. Il n'atteint pas ses yeux, pourtant je le sens sincère.

« Izaya... Je suis contente de te revoir. Entre, je t'en prie. »

Je la suis à l'intérieur... Je ne me sens pas bien. Ça se voit que Namiko n'est vraiment pas en forme. Je ressens sa tristesse. J'imagine que je devrais lui dire quelque chose, mais rien ne me vient à l'esprit. Aucun mot ne pourrait la consoler. Mais rester silencieux me met encore plus mal à l'aise. Je reprends alors difficilement la conversation.

« ... Je sais que j'aurais dû venir plus tôt... mais...

– Tu n'as pas à te justifier, me coupe-t-elle. Ce n'est pas à moi de te juger. »

Je trouve, malgré tout, que son ton est dur. Sans doute que je l'ai déçue. Cette pensée me fait me sentir étrangement mal. Ce n'est pas ce que je voulais, mais comment le lui expliquer ? Je ne veux surtout pas qu'elle croie que j'ai laissé tomber Shizuo...

Je soupire alors qu'on se dirige vers le salon. Depuis quand est-ce que je me préoccupe de ce que les autres pensent de moi ? Ça a toujours été ma force, cette indifférence qui me protégeait de tous jugements... Mais, à présent, je ne peux plus me cacher derrière ma grande barrière. Je me suis bien trop impliqué pour ça. Avant, j'aurais surement vu ça comme ma plus grande erreur, mais plus maintenant. Parce que, pour rien au monde, je ne voudrais effacer ces mois passés avec Shizuo...

Arrivé au salon, je retrouve Kichiro et Kasuka. Je les salue, avant de m'asseoir près d'eux, accompagné par Namiko. Mes yeux se posent rapidement sur une photo de Shizuo qui est posée sur la table. Ma respiration se bloque. Je détourne aussitôt le regard.

« Je dois t'avouer quelque chose Izaya, commence alors Kichiro après un moment de silence un peu dérangeant. Si on t'a invité, ce n'est pas seulement parce qu'on voulait te revoir. C'est également pour pouvoir te parler. »

Je fronce les sourcils, n'aimant pas du tout le sens que prend cette conversation.

« On voulait d'abord te remercier pour tout ce que tu as apporté à notre fils. On ne l'oubliera jamais. Et pour cette raison, tu seras toujours le bienvenu ici si tu en éprouves le besoin. »

Je hoche la tête d'un geste tendu. J'attends la suite...

« Ensuite, on voulait également te demander... » commence-t-il avant de s'arrêter.

Ses yeux sont brillants. Il doit prendre quelques secondes pour se calmer, avant de pouvoir reprendre.

« On voudrait savoir comment se sont passées ses dernières heures. Shinra nous a assuré qu'il n'avait pas souffert, mais il n'était pas là quand c'est arrivé... On se doute que tu ne veux pas en parler, mais... on a vraiment besoin de savoir... »

Ma respiration se bloque dans ma gorge. Je me sens pris de vertige. Je ne peux pas... Je n'ai parlé de cette journée à personne. Mettre des mots dessus... Non, je ne peux pas revivre ça. C'est bien trop dur.

« Je suis désolé... mais non... Je... Je ne peux pas.

– Je t'en prie, Izaya, intervient alors Namiko. Comment veux-tu qu'on arrive à faire notre deuil si on ne sait même pas comment il était avant de partir ? »

Je les regarde tous les trois, mal à l'aise, même si je peux comprendre leur demande. À leur place, ça me hanterait surement aussi. Je ferme alors les yeux un moment, essayant de me calmer. Ils ont le droit de savoir... même si ça m'oblige à revivre ça. Mon coeur bat fortement dans ma poitrine, ma gorge est sèche tandis que je me force à reprendre la parole.

« ... Shizuo... allait vraiment mal. Il ne se souvenait plus de rien, il souffrait... J'ai... il voulait que ça s'arrête... alors on a eu de la chance, on a réussi à passer une dernière journée ensemble... il a eu de légères absences, mais il était là la plupart du temps... Après ça... je l'ai aidé à... »

Je me prends la tête entre les mains, serrant fortement mes cheveux à leurs racines.

« Je suis désolé... Je l'ai tué... Je l'ai tué... »

Mon coeur bat très vite... Ma respiration s'accélère. Ça y est. Je l'ai dit. J'ai enfin pu dire à haute voix ce qui me hante depuis plus d'un an.

« ... Qu'est-ce qui s'est passé... ? me demande Kasuka d'une voix hachée.

– ... Il a pris les pilules en toute connaissance de cause, mais c'est moi qui lui en ai parlé...

– ... Alors... il est parti comme il le voulait... »

Les paroles de Namiko me surprennent tant que je relève le regard vers elle. Ses yeux sont brillants, pourtant elle semble étrangement soulagée.

« Il n'a pas souffert ?

– ... Non...

– Je vois... Merci, Izaya... Merci pour tout...

– Merci ? Vous avez entendu ce que je viens de dire ? Je...

– Tu as suivi sa volonté, m'interrompt Kichiro. Tu n'as pas à t'en vouloir pour ça.

– ... Vous saviez... ?

– Shizuo l'a plusieurs fois sous-entendu quand il était ici, mais j'ai toujours fait semblant de ne pas comprendre, avoue Namiko. Je n'aurais jamais eu la force de... de lui donner une mort digne... »

Je les regarde sans comprendre. Ne sont-ils pas censés se mettre en colère ? J'ai laissé partir Shizuo. Je l'ai abandonné.

« ... Mais... peut-être que j'aurais dû...

– Aurais dû quoi ? demande Kichiro. Il n'y avait rien d'autre à faire... Tu ne devrais pas te faire du mal pour ça... »

Ne pas me faire du mal ? Pourtant, ma culpabilité est bien une des rares choses à laquelle je peux me raccrocher. Elle est toujours là, elle ne me laisse pas seul... Pourquoi est-ce qu'ils ne s'énervent pas sur moi ? J'aimerais qu'ils me crient dessus. Je l'ai mérité... Je mérite même pire que ça...

Lorsque je rentre chez moi, deux heures plus tard, je me sens complètement vidé. Je me laisse rapidement tomber sur le lit. Shizuo a de la chance... avait... Ses parents et son frère sont bien trop compréhensifs. Même s'il n'y a que de la douleur dans leurs yeux, ils ne m'ont rien reproché. Alors que j'ai pris leur fils loin d'eux, je les ai même privés de ses derniers mois... Dans le fond, ils sont comme toi, Shizu-chan, si entier, si humain... Si mes propres parents avaient été comme ça...

Je soupire, je n'aime pas penser à eux. Pourtant, je le fais de plus en plus souvent ces derniers temps. J'ai hésité à les appeler, mais je sais d'avance comment les choses tourneront. Quoi que je dise, ils finiront par me faire des reproches, comme avant. Ils sont comme ça, toujours à se victimiser... Je ne t'ai pas menti, Shizuo, j'aimerais parler à mes parents, mais ils ne sont pas des parents. Je comprends maintenant que j'ai vu les tiens. Le mieux, ce n'est pas de les ignorer, mais de faire mon deuil. Jamais ils ne seront les parents dont j'ai besoin. Il faut juste que je l'accepte et que j'arrête de leur en vouloir. Cette rancoeur ne fait du mal qu'à moi. Je la ruminais sans cesse, mais tu m'as ouvert les yeux. Je vaux mieux que ça. Ce sont eux qui sont en tort, pas moi. Alors, je vais arrêter de me bousiller la vie en me reprochant des choses qui ne sont pas de ma faute...

Ma main attrape alors le livre du Petit Prince et je relis tes mots... J'ai longtemps cru que je n'étais pas quelqu'un qui pouvait être aimé à cause d'eux, mais toi, tu as réussi... Quelque part, tu m'as sauvé... Je pose le livre et tire une de tes chemises près de mon visage. J'en respire l'odeur pour me calmer... Oui, tu m'as sauvé... et je n'arrive pas à me pardonner le fait que je n'ai pas su en faire de même... Des larmes coulent silencieusement sur mes joues. Tu me manques, Shizuo... Tu me manques tant...


Deux ans et un mois après la mort de Shizuo...

« Pourquoi ce soir ?

– Allons Izaya, ne me dis pas que tu es déjà pris, se plaint Shinra au téléphone.

– Non, mais je n'avais pas envie de sortir.

– Tu ne sors presque jamais. Je m'inquiète pour toi.

– Tu ne dois pas, ça me convient très bien.

– Allez, s'impatiente-t-il. Celty a déjà tout acheté, tu es obligé de venir !

– Une personne de plus ou de moins, je ne vois pas ce que ça change...

– Franchement, tu abuses Izaya. Tu te plaignais toujours de ne pas être invité aux pots-au-feux et maintenant, tu refuses ?

– ... C'est vraiment petit ça... Bon et il y aurait qui ?

– Oh, les habituels. Alors tu viens ? Ça te fera du bien, j'en suis sûr ! »

Je soupire. Ce qu'il peut être têtu quand même... Même si, dans le fond, il n'a pas tout à fait tort...

« Bon d'accord... Je viendrai...

– Super ! Je t'attends pour vingt heures, ne sois pas en retard !

– Oui oui, à ce soir.

– À ce soir. »

Je raccroche, avant de reprendre l'écriture. Je n'aime pas quand on m'interrompt à ce moment-là.

Me revoilà, désolé. Figure-toi que Shinra m'a invité à un pot-au-feu, c'est bien une première... C'est étrange. Tu avais l'habitude d'y aller, toi, non ? C'est sans doute pour ça que je n'étais jamais invité. Tu sais, même si je ne lui dirai pas, j'en ai toujours voulu à Shinra de t'avoir préféré à moi. Je pense qu'on aurait pu faire un effort le temps d'une soirée, non... ? Non, c'est vrai. Je n'aurais pas pu m'empêcher d'essayer de t'énerver. Ça, ça aurait toujours été le cas, même si on s'était mis ensemble. Je me demande ce que ça aurait donné une histoire entre nous, sans ta maladie. J'évite de me dire qu'elle n'aurait sans doute pas existé parce que c'est inutile de penser comme ça...

Enfin, tout ça n'a pas d'importance. Revenons à l'essentiel. Je pense que tu seras fier de moi, j'ai arrêté de prendre les somnifères et j'arrive à bien dormir. J'ai aussi reconsidéré la proposition de Shinra. Je pense que je vais prendre des antidépresseurs. Je te rassure, je suivrai ses instructions. Je ne suis pas vraiment pour ce genre de médicament à la base, mais je sens que j'en ai besoin. Je continue de flotter, sans réellement vivre ma vie. Je ne vais pas bien, je fais juste semblant. Shinra pense que je m'empêche, inconsciemment, d'aller de l'avant. Il a raison, sauf que ce n'est pas inconscient. Je sais que je fais tout de travers. Rien que le fait de continuer à t'écrire est malsain. Mais je ne peux pas faire autrement. Peut-être que je ne suis pas fait pour être heureux... Ah, je vois d'ici tes sourcils se froncer. Tu ne devrais pas me regarder comme ça... Dans le fond, tout ce qui m'arrive est mérité. Je ne suis pas quelqu'un de bien. J'ai joué avec la vie des autres sans aucun regret, c'est normal que j'en paie le prix... Je l'ai accepté. Comme le fait que mes parents ne seront jamais là pour moi, j'ai accepté que je souffrirai toute ma vie. Peut-être même que c'est ce que je veux. Au moins, de cette façon, tu seras toujours avec moi... »

Je pose mon stylo, avant de secouer la tête. Pourquoi faut-il toujours que je me laisse autant aller quand je lui écris ? À croire que c'est plus fort que moi. Je ne devrais pas être si sombre parce que je veux vraiment aller de l'avant. Mais il y a toujours quelque chose qui me freine. Ces obstacles que je m'impose, je n'arrive pas à les surmonter. Il y a des hauts et des bas, mais les hauts ne durent jamais... Et je ne sais pas ce que je suis censé faire pour changer ça... Peut-être que je devrais juste arrêter de me prendre la tête.

Dans un sens, cette soirée chez Shinra tombe au bon moment. Ça me permettra de me changer les idées. Ces derniers temps, je ne suis pas beaucoup sorti. Je n'ai pas vu grand monde non plus. Je recommence à me replier sur moi-même. Il faut que j'arrête. Il est plus que temps que je fasse un réel pas en avant...

Lorsqu'il est l'heure, je me dirige vers l'appartement de Shinra. Ça me fait bizarre. Tout ça n'a pas vraiment de sens, mais comme rien n'en a ces derniers temps, je n'y fais pas attention.

Arrivé chez lui, je frappe à la porte. Quelques secondes plus tard, il vient m'ouvrir tout en affichant un large sourire.

« Bonsoir Izaya. Entre, entre ! »

Son ton excité est plus que suspect. Je le suis alors dans le salon. Mais j'ai à peine le temps de voir qui est là que tout le monde se lève et me hurle : "Bon anniversaire !"

Je reste immobile, clignant à peine des yeux. Quoi ? Il me faut bien quelques secondes pour me rendre compte qu'on est le quatre mai. Merde, c'est vraiment mon anniversaire. Comment aie-je pu oublier ça ? Mais surtout, pourquoi sont-ils tous là ? Mes yeux parcourent rapidement la pièce. Shinra, Celty, Mikado, Simon, Kadota, Yumasaki, Erika et Nami... Mais qu'est-ce qu'ils fichent ici ?

« ... Combien les as-tu payés au juste ?

– Quel humour, Izaya, rigole Shinra. Ils avaient tous envie d'être là pour toi.

– Viens t'asseoir ici. » me propose alors Kadota.

J'acquiesce et finis par m'installer entre lui et Nami. J'ai du mal à croire qu'ils soient tous ici... C'est vrai qu'ils ont tous essayé de garder le contact et de prendre de mes nouvelles après la mort de Shizuo, mais c'était surtout de la pitié pour la plupart d'entre eux, non ?

« Je n'en reviens pas que tu es repris le boulot, me dit Nami. Tu ne m'en as même pas parlé.

– Ha ha, je ne savais pas que je te devais des comptes.

– Pff, je disais ça pour toi. Tu es incapable de te débrouiller sans secrétaire.

– À vrai dire, depuis que je t'ai demandé de partir, tout va beaucoup mieux. »

Elle fait une moue contrariée, mais je vois bien dans son regard qu'elle se retient de rire. Je souris alors, me rendant compte que son ton piquant m'avait manqué.

« Eh, Izaya, tu veux boire quelque chose ?

– Avec plaisir Dotachin.

– Toujours avec ce surnom ? soupire-t-il.

– Oui, je trouve qu'il te va particulièrement bien.

– Tu ne changeras jamais.

– J'espère bien. C'est un vrai plaisir de t'ennuyer, mon cher Dotachin. »

Il rigole alors, avant de me regarder presque affectueusement...

La soirée se déroule dans une ambiance très sympa. Ils sont tous gentils avec moi, sans en faire trop. Je les sens étrangement sincères. Je prends alors plaisir à passer du temps avec chacun d'entre eux. Ils me parlent tous, me lancent des regards sans aucune haine. Shinra avait raison. Ils ont envie d'être là, avec moi. Pour la première fois depuis des années, je ris sincèrement et je me surprends même à m'amuser.

« Pff et dire que j'ai presque dû te forcer à venir ! se plaint Shinra tout en se resservant à manger. J'aurais eu l'air de quoi moi si t'étais pas venu ?

– D'un abruti, remarque ça n'aurait pas changé de d'habitude. »

Je ricane alors qu'il prend un air faussement vexé.

« Je suis content que tu sois là, surtout parce qu'il ne fallait pas que tu fêtes tes vingt-huit ans tout seul, réplique Shinra avec un large sourire.

– ... T'étais obligé de dire le nombre exact ?

– Vingt-huit ans, c'est un bel âge pourtant, surenchérit Simon.

– Bientôt les trente, se moque gentiment Mikado.

– Toi, tu ne perds rien pour attendre. »

Il me regarde avec douceur tout en rigolant. Je souris à mon tour, amusé. Je n'ai pas l'habitude de ça. D'être entouré, d'être embêté comme ça. Je me sens bien avec eux. Ont-ils toujours été comme ça ? Est-ce que c'est moi qui me privais de ça avec mon attitude ? Je me suis mis à l'écart des autres, me sentant trop différent d'eux. Pourtant, certaines personnes m'acceptent comme je suis...

Le temps passe, sans que je m'en aperçoive. Je ne me rends compte de l'heure avancée que lorsque Kadota et sa bande s'en vont. Je décide alors de partir à mon tour. Nami se propose de m'accompagner, ce que j'accepte. Je me dirige ensuite vers Mikado pour lui dire au revoir.

« Merci d'être venu.

– De rien, me sourit-il. Tu ne te doutais vraiment pas que c'était une soirée pour toi alors ?

– Non. Même si je comprends mieux maintenant pourquoi mes soeurs ont organisé une sortie à nous trois demain.

– C'est une bonne idée de leur part... Bon... J'espère qu'on se verra bientôt.

– Moi aussi. Au revoir Mikado.

– Au revoir Izaya. »

Je salue et remercie ensuite Shinra et Celty, avant de sortir avec Nami. Une fois dehors, l'euphorie me quitte aussi brusquement qu'une porte qui se claque. Mon sourire s'efface. Mon coeur devient lourd. La réalité revient me frapper de plein fouet, sans même que je m'y attende.

« Qu'est-ce qui se passe ? me demande Nami. Tu en fais une tête...

– ... Rien... C'est juste que... Je me suis vraiment bien amusé ce soir.

– Et c'est une raison pour te sentir mal ?

– Oui... Je l'ai oublié, Nami...

– Quoi ?

– Ce soir... Je n'ai pas pensé à lui une seule fois... Je l'ai juste mis de côté... »

Elle me regarde un moment, avant de s'approcher de moi et de poser sa main sur mon bras.

« Tu ne l'oublieras jamais, tu ne le mettras jamais de côté. Mais c'est normal que tu ne penses pas à lui à chaque minute de ta vie. C'est même une très bonne chose si tu veux mon avis. Ce n'est pas pour autant que tu l'abandonnes.

– ... Non, mais... un jour, peut-être que ça deviendra normal qu'il ne soit plus là... Je ne veux pas que ça arrive.

– ... Même si ça arrive, Izaya, ça n'effacera pas tout ce qui s'est passé entre vous. Tu as le droit de vivre, d'avancer. Et je suis sûre que c'est ce qu'il voudrait. »

Je la regarde un moment. Ses paroles me font du bien, même si elles n'effacent pas le poids qui pèse à nouveau sur mon estomac. Je me force néanmoins à lui sourire.

« Depuis quand es-tu aussi gentille ?

– Ne t'habitue pas à ça !

– Aucun risque... Dis, Nami, au lieu de ne rien faire de tes journées, ça te dirait de redevenir ma secrétaire.

– Pff, seulement si j'ai droit à une augmentation.

– Ah tu es dure quand même.

– C'est comme ça. »

Je ricane. Elle n'a vraiment pas changé... On s'éloigne alors ensemble. Je ne cesse de penser à ses paroles. Je crois que je commence à comprendre pourquoi je me bloque à l'idée d'aller de l'avant. Tout simplement parce que ça signifie penser de moins en moins à Shizuo. Et ce soir, je me rends compte que je ne suis pas encore prêt à m'éloigner de lui. Mais un jour, peut-être... peut-être... L'envie commence à naitre en moi en tout cas...


Cinq ans après la mort de Shizuo...

« Parle-moi.

De quoi ?

Raconte-moi ta vie dans cinq ans. »

Tu te souviens de cette conversation ? Moi, j'ai l'impression qu'elle date d'hier. Raconte-moi ta vie dans cinq ans... Alors par où commencer ? Peut-être par te dire que je vais bien. Je continue mon travail avec Nami, sans traiter avec les yakuzas. J'ai déménagé aussi. Je suis resté près de Tokyo, mais j'avais besoin de changer d'air. De prendre un nouveau départ. Je vois régulièrement Shinra, Celty, Mikado et Kadota. Les autres, un peu moins, mais je sais qu'ils sont là pour moi malgré tout.

Je sais que tu aurais aimé que je garde contact avec ta famille, mais tu sais, ce n'est pas aussi simple. Il y a trop de souvenirs douloureux. Les voir sans toi me fait trop de mal et je pense que c'est pareil pour eux. Parfois, il vaut mieux juste ne pas remuer le couteau dans la plaie. C'est quelque chose que j'ai fini par comprendre. Tu vois, je m'améliore.

Je voulais surtout te dire que tu ne dois plus t'en faire pour moi. Je ne dis pas que c'est tous les jours facile, mais j'avance, un pas après l'autre. Et depuis tout ce temps, j'ai fait un sacré chemin. J'arrive enfin à repenser aux moments qu'on a passés ensemble sans me sentir mal. Me souvenir de toi me fait même du bien maintenant. Tu m'as changé, tu sais ? Je ne vois plus les choses de la même façon à présent. Ma vie est différente d'avant, mais je ne le regrette pas. Parce que, même si tu n'es pas là, je ne suis plus seul...

Cinq ans... Pour certains, c'est une éternité. Pour moi, c'est le temps qu'il m'a fallu pour être capable de revenir ici. Sur cette plage qui représente beaucoup pour nous. Dès le moment où je me suis assis sur le sable, j'ai eu l'impression de ressentir ta présence à mes côtés. Peut-être que tu es vraiment là. Peut-être même que tu m'attends ici depuis le début. Désolé, ça a pris du temps. Mais je suis venu te dire quelque chose d'important. C'est la dernière fois que je t'écris. Aujourd'hui, je te laisse partir pour de bon. Ce ne sera pas facile, il m'arrivera encore de me sentir triste en pensant à toi, mais je ne veux plus m'enfermer dans notre passé. Ce n'est pas ce que tu voulais, ce n'est pas ce que je veux non plus.

J'ai fini par me pardonner de t'avoir donné ces pilules. Ça m'a pris cinq ans, mais je suis prêt maintenant. Prêt à aller réellement de l'avant. Je ne t'abandonne pas, je ne t'oublie pas. Tu seras toujours aussi important pour moi. Mais il est temps que je te laisse partir définitivement. Tu m'as tellement apporté... Alors laisse-moi juste te remercier une dernière fois. Merci de m'avoir regardé, de m'avoir haï, d'avoir toujours été là pour moi. Merci surtout de m'avoir aimé. Tu m'as montré que la vie n'était pas aussi noire que ce que je croyais. Tu m'as fait comprendre que ma solitude était un choix que je pouvais changer. Pour tout ça, je te dis merci. Je ne cesserai jamais de t'aimer, mais je suis prêt à accepter ta mort maintenant...et c'est grâce à toi. Je vois enfin ce qui est important. Je ne suis plus seul. Tu as tout changé, je ne l'oublierai jamais...

J'espère que ces mots arriveront à t'atteindre où que tu sois...

Adieu Shizu-chan...


... Et voilà, cette histoire est maintenant complètement terminée. J'espère que cette fin vous convient. J'ai essayé de faire de mon mieux.

A nouveau, j'ai une grosse pensée pour toutes les personnes qui sont touchées de près ou de loin par une maladie incurable et pour qui tout ça n'a malheureusement rien d'une fiction...

En tout cas, je suis vraiment curieuse de connaitre votre avis sur ce dernier chapitre et sur cette histoire en général... Je tiens à remercier tous ceux qui m'ont laissé des commentaires, mais également à ceux qui ont mis cette histoire en favori/follow. Ce soutien m'a beaucoup aidé ! Merci aussi à tous ceux qui ont lu cette fanfiction jusqu'au bout !

A bientôt, peut-être, pour une autre histoire !