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Chapitre 7. Le prix du bonheur

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Ils sont en Italie dans les Abruzzes. Le soleil baigne les profondes gorges du Pescara et, depuis le matin, accompagne leur randonnée. Newt observe avec inquiétude son époux. Il est éreinté. Il faudra qu'il se nourrisse lorsqu'ils seront dans leur chambre. Lorsqu'il est ainsi épuisé par la vie au grand air, il a besoin de plus de sang. Ils retourneront demain au palais de la Ca' d'Oro à Venise. Là, il y trouvera la pénombre qui lui manque. La vue sur le grand canal que l'on aperçoit de la fenêtre de l'appartement mis à leur disposition par le baron Giorgio Franchetti est magnifique. Il ne s'en lasse pas.

— J'ai terminé ici, Adamias. Allons à Venise. J'ai hâte de faire cette promenade en gondole que tu m'as promise à l'île de Murano, lui dit-il avec un sourire tout en passant son bras sous le sien. Dans quelques jours, nous irons en Écosse et je te montrerai Poudlard.

— Tu m'en parles tant. Je suis impatient de mieux le voir que dans une pensine, raille-t-il en baisant le bout de ses doigts.

Après avoir exploré les bayous et en avoir recensé sa faune, tout au moins en partie, ils ont fait plusieurs voyages vers des destinations différentes. L'Égypte, la Norvège, la Roumanie puis le Mexique, ensuite l'Italie. Ils vivent ensemble des moments extraordinaires. Ils espacent leurs déplacements et demeurent de longs mois chez eux aux bougainvilliers. Il sait qu'Adamias en a besoin. Souvent pris par ses obligations lorsqu'il est en Louisiane, il s'absente un peu trop à son goût et quand il a terminé de consigner leurs découvertes, Newt s'y ennuie. L'inaction lui pèse.

Cela fait maintenant presque deux ans que son époux lui a offert le très bel anneau qui orne son annulaire gauche. Il y en avait de plus chers avec des diamants, des émeraudes. Il en a choisi un avec des aigues-marines, du ton exact des yeux de l'homme qu'il aime. Il a vingt cinq ans, l'âge où Adamias a été transformé. Il serait temps de le rejoindre. Il refuse de vieillir à ses côtés alors que lui reste jeune. Il a peur, c'est indéniable. Il a la sensation que les vampires vivent au ralenti. Ils ont vu, vécu tant de choses, d'époques différentes qu'ils sont un peu en décalage. Ils ont de l'expérience, des facultés étonnantes et n'en profitent pas. Oisifs, ils oublient leur inutilité dans des fêtes fantasques, dans des orgies effrénées. Adamias est différent, il se dévoue à sa communauté, il a des ambitions, des projets de réformes. Il veut avancer. Il se bat encore et toujours contre Viannay de Tourville qui s'accroche à son pouvoir. À son despotisme loin d'être éclairé. Et lui ? Sa vie, c'est l'étude de la faune et la flore au grand air, à la lumière. Vampire, que fera-t-il ?

— Tu rêves, chéri ? interroge Adamias.

— Non, je dois avouer que je suis fatigué. Il fait si chaud. Nous rentrons à l'hôtel ?

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— Nous faisons une partie d'échecs ? propose Adamias en l'enlaçant.

— Si je ne me fais pas insulter par la reine comme lors de la dernière, pourquoi pas, rétorque Newt avec un sourire.

— Tu avais commis une erreur grossière, ricane son époux.

— Peut-être que ta main qui palpait le haut de ma cuisse était pour une bonne part dans ma distraction ?

— Voyez-vous ça. Tu vas bientôt prétendre que c'est ma faute. Tu aimes Venise, murmure son mari les mains sur ses épaules, le visage sur sa nuque.

— Oui, c'est vrai. Je ne me lasse pas de voir l'agitation sur les canaux. Qu'il pleuve ou qu'il fasse beau, les couleurs de Venise sont magnifiques. Et le soir lorsque les palais sont illuminés, les gondoles noires qui s'y amarrent ont des allures de cygnes élégants.

Le grand corps s'appesantit sur le sien.

— Allons faire un tour ce soir après dîner, suggère son homme tout contre sa tempe. Si tu veux, je demande à Giorgio de prévenir un des bateliers.

Il acquiesce d'un signe de tête. Ils aiment sortir ensemble la nuit.

— Que faire en attendant ? souffle Newt qui préférerait aux échecs sorciers une occupation plus sensuelle.

— J'ai le sentiment que tu as déjà une petite idée, raille doucement Adamias.

— Ton corps sur le mien, ta bouche sur ma peau, tes mains qui me caressent, toi en moi, énumère-t-il. Moi qui te donne du plaisir.

— Que ta volonté soit faite, mon époux, répond-il en riant.

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Newt a voulu prendre le Poudlard Express qui, après avoir déposé sur le quai 9 3/4 son flot d'élèves en vacances, repartait vers l'Écosse. Adamias contemple son sorcier qui lui détaille le paysage qui file sous leurs yeux. Il est superbe. Tellement vivant. Il ne l'a jamais vu aussi animé. Il est content de revenir chez lui pour la première fois depuis deux ans, son amour. Est-il heureux ? Ils sont heureux ensemble, oui. Newt l'aime, il lui en a donné tant de preuves, mais il s'ennuie souvent en Louisiane. Newt a franchi le pas et lui a demandé de le transformer. Ce qu'il ne s'est pas décidé à faire.

Vivre une éternité avec lui, Adamias ne désire que ça mais il sait combien lui a souffert de cette semi rupture avec la vie extérieure. Newt n'a pas réussi à accepter les vampires. Même Callum. Eux sentent son mépris. Le mépris d'un sorcier. Impensable. Newt les juge vains et superficiels. Et peu respectueux de la vie des autres, de leurs calices. Il n'a pas tort. Adamias se bat pour améliorer la vie des vampires, les pousser à participer et à ne plus subir. Il voudrait avoir son époux à ses côtés dans sa lutte. Ce n'est pas le cas. Tant pis, il fait avec. Ce n'est pas le plus important.

La vie de Newt, c'est la nature, le grand air. Il parle aux animaux et aux plantes bien plus qu'aux humains. Peut-il l'arracher à cela et lui offrir une très longue vie dans l'ombre ? Pourtant, son mari est prêt à cela par amour. L'imaginer, n'est pas le vivre jour après jour. Est-il prêt, lui, à le perdre afin qu'il soit heureux sans lui ? Est-il prêt à risquer de perdre la vie de la main du bourreau vampire pour lui rendre la sienne ?

— Regarde, le pont ! N'est-il pas impressionnant ?

Il sourit. Newt s'est dressé et se tord le cou pour l'apercevoir plus longtemps.

— Tu sais, il ne va pas s'effondrer dans les minutes qui suivent, se moque-t-il tendrement.

— Tu m'estimes immature, soupire-t-il.

— Non, chéri. Je te trouve attendrissant. Je t'aime.

— Moi aussi, souffle-t-il. Tant.

— C'est encore loin ? interroge-t-il pour éviter que Newt n'aborde une fois de plus le sujet.

— Nous avons accompli la moitié du chemin.

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Newt se réveille dans les bras d'Adamias dans l'un des appartements de Poudlard consacrés aux visiteurs. A leur arrivée, ils ont arpenté l'école en long et en large. Il s'est fait un plaisir de la faire découvrir à son mari, lui narrant maintes anecdotes, raillant allègrement les travers des professeurs, racontant les facéties de Peeves ou du chevalier du Catogan. Faisant rire Adamias à maintes reprises. Ah. Son rire. Il aime son rire.

Aujourd'hui, ils vont affronter la forêt interdite. Partager ses recherches avec Adamias fait sa vie. Il lui a demandé de le transformer. Il veut vivre à ses côtés. Toujours. Lui partagera ses luttes. Il l'aidera à changer les choses et, comme maintenant, de temps en temps ils parcourront le monde. Ils seront simplement deux à se reposer à l'ombre.

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De retour de leur randonnée dans la forêt, ils longent le lac.

— Viens voir ! s'exclame Adamias qui s'attarde penché sur la rive.

— Quoi, le calamar géant ? le taquine Newt.

— Non, c'est nettement plus petit. Plus noir. Et tout poilu !

Il rebrousse chemin et s'agenouille à côté de son mari. Dégoulinant d'eau, un petit animal respire à peine.

— Un tout jeune niffleur, constate Newt. Pauvre petite bête. Que fait-il là ?

— On pourrait essayer de le soigner. Qu'en penses-tu ?

— Il n'a pas beaucoup de chance de survivre, tu sais.

— On ne perd rien à tenter le coup.

Ébène a survécu et leur fait vivre un enfer. Un niffleur n'est pas fait pour un appartement, même à Poudlard. Il doive le relâcher et lui ne s'y résout pas, au grand dam d'Adamias.

— Nous sommes des sorciers, non ? raisonne son époux. Aménageons lui un endroit pour vivre et il nous laissera en paix. Nous n'aurons pas dix fois par jour à réparer ce qu'il détruit. Comment une aussi minuscule créature peut-elle causer autant de dégâts ?

— Tu arriverais à ça ?

— Apporte ta vieille valise, chéri. Je ne suis pas mauvais en métamorphose.

— Je suis même certain que tu y excelles.

— Quel est le moment de la journée que tu préfères ? s'enquiert Adamias bien plus tard.

— L'aube que nous regardons ensemble.

— La saison ?

— L'été.

— Voilà.

— Montre !

Il reste ébahi devant la clairière qu'a créée Adamias dans un compartiment de son sac.

— Dorénavant il se divise en deux. En actionnant ce levier tu peux lui rendre sa destination première. Voilà, une valise tout à fait ordinaire que n'importe quel No Maj' peut posséder. Là, tu as ta tente, tes objets sorciers, et tout ce que tu veux. Y compris le monde d'Ébène. Je n'ai en rien bouleversé tes souvenirs.

— Merci, mon âme, murmure Newt ému. Tu vas explorer ton monde ? suggère-t-il au petit coquin qu'ils ont enfin réussi à attraper. Ouf. Nous allons pouvoir souffler. Et ainsi il s'adaptera partout où nous irons.

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Ils sont à Poudlard depuis quinze jours. Par la fenêtre, Newt voit Adamias en pleine discussion avec son ancien professeur, Albus Dumbledore. Que peuvent-ils bien se raconter ?

— Vous avez tort, Adamias. Newton est jeune, mais il est fier et loyal. Il vous aime profondément. Si vous faites ça, son âme en souffrira.

— Il souffrira de vivre à l'ombre. Il dépérira.

— Vous vous trompez. Votre expérience ne vous donne pas le droit de prendre cette décision de façon unilatérale. Lui semble avoir fait un autre choix

— Je fais ce qui est le mieux pour l'époux que je chéris, dis gravement le vampire. Même à mes dépens. Même au risque de ma vie. Car je l'aime plus que tout.

— Vous risquez la sienne aussi.

— Dès que j'aurais vaincu Viannay de Tourville, je ferai abroger cette loi obsolète. Il sera en sûreté. Je vous demande de ne pas me trahir et de taire ma venue ici s'il pose des questions.

Adamias lui a fait l'amour. Avec passion. Avec tendresse. Il l'a mordu et il a ressenti comme toujours un plaisir foudroyant. Il s'endort bercé par les mots qu'il lui murmure. Demain, ils repartent en Louisiane.

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Adamias l'étend sur son lit, sur le côté dans sa position habituelle sur le lit de cet appartement londonien qu'il n'a vu qu'une fois auparavant.

— L'amour m'est rendu. Dix fois, cent fois plus fort. Newt. J'aurais tant aimé partager l'éternité avec toi. Comment vais-je survivre sans toi ? Tu n'es pas fait pour la vie des ombres, chéri, et moi pour celle de la lumière. Je ne veux pas te transformer et t'y condamner. Car il n'y a pas de retour possible. J'ai peur que tu sois malheureux et que tu dépérisses. Je n'accomplis pas des miracles, je serai impuissant. Il est dit que le bonheur n'est pas pour moi. Je veux que toi, tu sois heureux. Je ne serai jamais loin. Je veillerai sur toi, chéri.

Il pose sur l'armoire la valise que Newt traîne perdue parmi leurs bagages. Il ne sait détacher les yeux du visage si paisible. Il baise les paupières closes, chuchote des mots tendres, des mots fous, caresse du revers de la main sa joue, puis sa tempe. Il ne se résout pas à le quitter. Il lève enfin sa baguette.

— Oubliettes ! lance-t-il à mi-voix avant de s'agenouiller et de l'attirer entre ses bras. Maintenant, écoute-toi, mon amour : n'ôte pas ton anneau. Il y va de notre vie.

Newton s'éveille dans son lit. Il a fait un rêve bizarre. Il se souvient d'odeurs, de sensations, de bribes de conversations, de gestes de tendresse. C'est particulier. Tellement fort. Tellement réel. Il fixe à son doigt un large anneau qu'il ne reconnaît pas, il paraît très ancien. Les aigues-marines qui y sont enchâssées sont magnifiques. Il se rappelle une voix chaude et amoureuse qui lui recommande de ne jamais l'enlever. Une voix masculine.

Machinalement, il se lève, met de l'eau chauffer dans la bouilloire pour le thé. Sur la commode, sa valise. Où donc est-il parti ? Quand est-il rentré ? Il est troublé. Il l'ouvre pour prendre sa théière. Un petit museau pointu, des griffes d'une bonne longueur, un regard espiègle : un niffleur. Que fait-il là ? Dans son sac est aménagé avec beaucoup de soin un coin de vie pour le petit animal. Qui est parvenu à reproduire là son milieu naturel avec autant de minutie, avec la clarté du jour. Elle est si belle. L'aube d'un matin d'été, semble-t-il. C'est une idée merveilleuse. Il pourrait procéder ainsi pour d'autres animaux rencontrés. Comment a-t-il oublié ça ? La fourrure épaisse est douce sous ses doigts. Mais a-t-il oublié ?

— Adamias, prononce-t-il. D'où vient ce prénom étrange et inconnu qui franchit à plusieurs reprises ses lèvres comme un leitmotiv familier. Et ce vide à l'intérieur de lui, ce vide qui fait mal. Il ne comprend pas. Et, sans savoir pourquoi, pour la première fois de sa vie d'adulte, il se met à pleurer sous l'œil affligé d'un grand-duc perché sur le rebord de la fenêtre.

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.•*)FIN(*•.

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