Même en fin de journée alors que le soleil allait bientôt disparaitre sous les collines à l'horizon, la canicule laissait ça et là, des stigmates dans le paysage artificiel de l'aéroport. Des mirages miroitaient à la surface des pistes de décollage. Il semblait que la chaleur elle-même prenait vie et s'incarnait dans des fantômes éthérés, brouillant la limite entre vision et réalité.

Le goudron qui longeait les dalles de béton des pistes d'atterrissage, fondait et répandait cette odeur écœurante si caractéristique. Tous les relents synthétiques s'accentuaient sous le soleil brûlant, pneus, plastiques, asphalte, kérosène, et cachaient les maigres parfums timides des gazons jaunis, ratatinés et suffocants. Les terre-pleins décoratifs n'arboraient plus aucunes fleurs depuis le début de l'été et seuls les squelettes de brindilles torturés témoignaient encore de leur gloire passée. La terre s'asséchait jusqu'à laisser apparaitre des crevasses profondes qui s'érodaient doucement en poussière et ainsi opacifiait les nombreuses vitres du hall des arrivées.

La municipalité restreignait la consommation d'eau alors la poussière, le champ libre, devenait maître du paysage et tel un parasite affamé recouvrait tout et s'infiltrait partout.

Les voitures, les avions et les bâtiments s'uniformisaient sous cette couche sale et ocre.

L'ocre était la couleur de la canicule. Pas une fissure, pas un brin d'herbe, pas une parcelle de béton n'étaient épargnés. Ni même les chaussures de Marine qui attendait immobile, derrière un préfabriqué.

La poussière conquérante gagnait du terrain à chaque seconde, doucement, sournoisement et s'emmêlait dans ses mèches rousses, ternissait l'éclat de son armure d'argent, poudrait son masque.

Marine l'essuya avec sa manche pour dégager ses yeux.

Si elle restait ainsi, assez longtemps sans bouger, qui sait, peut-être deviendrait-elle une statue de poussière ? Et comme la femme de Loth devant la ville de Sodome, s'émietterait-elle au soleil ? Cette chaleur inhabituelle qui s'abattait sur la Grèce depuis plusieurs semaines, l'épuisait et lui sapait le moral.

Marine fut soudainement tirée de ses divagations par l'apparition de la cosmos-énergie d'un spectre.

Elle était ténue mais bien présente et provenait de l'immense parking de l'aéroport de Thessalonique qui se vidait petit à petit de ses visiteurs.

L'aura noire étouffait l'atmosphère encore plus brutalement que la canicule et comme un parfum musqué trop entêtant, saturait l'environnement et surpassait les effluves de goudron et de plastique.

Marine pouvait localiser la position du spectre derrière un poids lourd garé sur la moitié du parking dédiée aux transport de marchandises. Elle s'approcha prudemment en se faufilant de voiture en voiture. Mais une camionnette se gara juste devant elle, lui bloquant la vue. Des employés de ménage en descendirent en claquant les portières. Ils riaient fort.

L'aura noire s'agita. Le spectre devait les observer. Ou peut-être avait-il sentit la présence de Marine ?

Tout en discutant, les deux employés enfilèrent leurs blouses en vinyle bleu pastel et sortirent deux chariots. Ils allumèrent un petit poste de radio portatif et cherchèrent une station en fumant une clope pour une dernière petite pause avant d'entamer le travail. Le cosmos du spectre disparut subitement.

Marine dut attendre que les deux civils s'éloignent pour ne pas les mettre en danger. Enfin, ils jetèrent leurs mégots dans la poubelle de leurs chariots et se mirent à les pousser comme deux ménagères de moins de cinquante ans à la sortie d'un hypermarché.

Une fois les deux hommes à bonne distance, Marine contourna la camionnette, et se retrouva nez à nez avec le spectre d'Hadès.

Pendant un instant leurs regards se croisèrent, les yeux exorbités du spectre face au masque inexpressif de l'Aigle, l'un comme l'autre surpris de se retrouver dans cette situation. Chacun hébété et tétanisé devant l'ennemi avec pour se défendre, un cosmos tronqué et faible.

Le temps ne resta pas suspendu bien longtemps. Les deux adversaires eurent un mouvement de recul simultanément et se mirent en garde.

Le surplis, violet et noir comme les couleurs du deuil, miroitait tel la carapace d'un formidable insecte sous les derniers rayons du soleil qui disparaissait à l'horizon. En contraste l'armure de l'Aigle rayonnait de reflets rouges et bleus, vifs et chaleureux comme les plumes d'un oiseau exotique et flamboyant. La nuit contre le jour. La lumière contre l'obscurité. La vie contre la mort.

Le spectre n'attaquait pas. Il devait avoir reçu des ordres de discrétion et restait indécis.

— Ou alors il a peur. pensa Marine. Il est terrifié. Son cosmos est à peine perceptible. Il est encore plus instable que le mien et il ne parvient peut-être pas à le contrôler.

Marine sans plus attendre attaqua. Elle lança la fameuse technique qu'elle avait enseignée à son disciple.

Par les météores !

Ses poings volèrent de plus en plus vite jusqu'à former un écran infranchissable et foncèrent sur l'ennemi comme une pluie de météorites.

Le spectre croisa les bras devant son visage pour mieux se protéger et tenta d'augmenter son cosmos. La chance n'était apparemment pas avec lui. Il arrivait à peine à l'enflammer. Cependant la chance n'était pas non plus du côté de Marine dont les coups n'atteignaient pas leur puissance habituelle.

Aucun ne parvenait à maitriser son cosmos. Le spectre recula encore et se retrouva acculé contre la fourgonnette. Il tenta de canaliser son énergie dans les paumes de ses mains pour projeter un bouclier. L'air vibra dans une pulsion libératrice. Les pneus éclatèrent, la carrosserie se déforma sous l'impact et l'Aigle fut projeté au sol.

Marine se releva immédiatement pour éviter les coups que son adversaire enchaina pour la défaire. D'un bond elle se plaça à l'abri derrière une décapotable. La voiture de sport se déforma dans tous les sens comme secouée par une tarentelle endiablée mais absorba les chocs.

Puis de nouveau tout s'arrêta.

Immobiles, les deux duellistes en position de garde, se jaugeaient. Bien conscients qu'aucun n'avait l'avantage mais que la moindre erreur serait fatale. Le reste n'existait plus.

Ni le parking, ni la chaleur, ni les nombreuses odeurs étouffantes.

Leur attentions restaient braquées l'un sur l'autre. La tension nerveuse montait. Leurs respirations saccadées et les battements fous de leurs cœurs se synchronisaient. Leurs cosmos crépitaient ensemble. Ultra-sensibles à la présence de l'autre, ils effectuèrent un étrange tango autour de la carcasse de la décapotable.

Un pas à droite pour l'un et un pas à gauche pour l'autre.

Pause.

Un pas en avant pour lui, un pas en arrière pour elle.

Pause.

Un bras qui se lève pour le spectre, un poing qui se dresse pour le chevalier.

Pause.

Une hésitation. Un tremblement

Pause.

Un élan. Une parade.

Pause.

Un geste brusque. Un réflexe.

Pause…

Cette petite danse intime, les yeux dans les yeux, fut brutalement interrompue par un cri en provenance du tarmac.

Un second spectre venait au secours du premier.

Marine sans réfléchir tourna les talons et prit la fuite vers les collines.

…..

La Vierge était en pleine méditation, il profitait d'un moment de calme avant le début des opérations. Il se tenait en tailleur, immobile sous un arbre en haut d'une colline le long de l'autoroute A2 qui reliait Athènes à Thessalonique. C'était sa position naturelle pour entrer en méditation. Il contrôlait chaque muscle de son corps jusqu'à les oublier et ne plus se concentrer qu'à laisser couler le flux de pensées comme l'onde d'une rivière qui court sans s'arrêter jusqu'à la mer. Ensuite l'esprit se vidait totalement et il pouvait atteindre d'autres niveaux spirituels.

Cependant, ce soir là, il avait bien du mal à vider son esprit car il avait encore en mémoire le rapport de Deathmask à propos de l'Equilibre. Les modalités et les subtilités du phénomène échappaient encore aux chevaliers mais ils en avaient compris les grandes lignes.

Shaka sentait dans tout son être les modifications évidentes que cela provoquait dans le Cosmos. Ce n'était pas uniquement son cosmos personnel mais aussi et surtout dans le Cosmos originel, la cosmo-énergie générale qui constituait le monde et liait entre eux les atomes de l'univers : le Cosmos avec un c majuscule que se partageaient tous les êtres vivants, des mortels aux dieux et tous les objets physiques de l'univers, des astres magnifiques comme le soleil au grain de poussière microscopique.

Tout vibrait de façon chaotique.

Shaka avait tenté des expériences. Juste après sa réunion avec Deathmask, les chevaliers d'or et le grand pope, il s'était enfermé une nuit dans son temple en grande méditation. Habituellement, il n'occultait que le sens de la vue pour mieux libérer son septième sens mais cette fois-ci, il avait également occulté ses autres sens petit à petit. Graduellement il avait anesthésié ses oreilles, puis son odorat et son goût, puis son sens du toucher. Son septième sens s'était affuté à chaque étape et Shaka avait ouvert de plus en plus son esprit sur le Cosmos originel. Chaque atome, chaque molécule de son corps vibrait à son rythme saccadé et irrégulier.

Depuis la résurrection des habitants du Sanctuaire, le Cosmos n'avait plus ce rythme reposant comme le battement doux d'un cœur serein. Les vibrations, sans raison aucune, s'emballaient puis s'arrêtaient brusquement pour ensuite se stabiliser puis s'accéléraient à nouveau comme les extrasystoles d'un cœur malade.

L'univers était perturbé, pas de beaucoup car ces modifications de pulsations étaient très subtiles. La vie quotidienne des êtres vivants n'était en rien changée. Les hommes, les animaux et les plantes vivaient leurs vies, les astres tournaient toujours autour du soleil et les deux marées se produisaient chaque jour.

Cependant pour qui puisait dans le Cosmos comme les chevaliers et les divinités, ces petits changements délicats bouleversaient leurs pouvoirs et leurs capacités.

Cette instabilité était préoccupante et rendait vulnérables tous les membres de la chevalerie. Shaka se demandait même si cela n'affectait pas également Saori dans son habilité à recevoir le cosmos d'Athéna.

Et il y avait les spectres. Eux aussi étaient touchés par le phénomène mais avaient décidé d'en tirer parti.

— Ils veulent en profiter pour nous ratatiner ! Les bougres nous souhaitent morts depuis longtemps ! avait déclamé le Cancer.

Shaka ne l'aurait surement pas exprimé en ces termes mais il était plutôt à l'unisson avec Deathmask. Les spectres voyaient dans cette mésaventure, une opportunité d'éliminer la chevalerie et de perpétuer les desseins d'Hadès.

Le chaos leur sied. Le chaos leur apportait espoirs et possibilités.

Exilés des Enfers, oisifs, ils n'avaient qu'un seul but pour justifier leurs existences : abattre le Sanctuaire, l'ennemi ancestral.

Peut-être pourraient-ils cette fois enfin vaincre la garde d'Athéna ?

Les Spectres avaient pour eux le grand avantage de n'avoir rien à perdre : premièrement leurs vies terrestres ne les intéressaient pas, ils ne vivaient dans des corps incarnés qu'uniquement pour servir Hadès dans son combat et non pour espérer atteindre l'épanouissement comme tous les êtres vivants qui eux au contraire, luttaient pour rester en vie le plus longtemps possible.

Deuxièmement, toute cette aventure n'était qu'un passage, ils avaient, eux, l'habitude et la certitude de ressusciter lorsqu' Hadès reviendrait. Ils avaient l'habitude de périr et d'une récompense après la mort, à l'inverse des chevaliers qui ayant connu les enfers étaient abimés et traumatisés par l'acte de mourir.

Shaka avait également remarqué que le retour de Saga avait renforcé le contrôle du Cosmos autour du Sanctuaire.

Comme l'avait laissé entendre Némésis, retrouver les chevaliers perdus permettrait probablement à l'ensemble des chevaliers d'Athéna de recouvrer la maîtrise complète de leurs cosmo-énergies.

Sept cosmos s'enflammèrent dans les environs proches et s'acheminèrent dans sa direction : l'Aigle et deux spectres par l'est, Cerbère et trois autres spectres par le nord-est.

— Ils ont mordu. murmura Shaka. Ses doigts égrenèrent machinalement les perles de son chapelet dont quatre avaient déjà perdu leurs éclats.

Marine et Dante se retrouvèrent et longèrent la quatre-voies, sur les hauteurs, courant de colline en colline. Les spectres toujours à leurs trousses.

Le trafic à cette heure commençait à se fluidifier, les gens en déplacement pendulaires seraient bientôt tous rentrés chez eux retrouver leurs familles pour le repas du soir. Le soleil se couchait et les automobilistes allumaient leurs phares.

Plus l'obscurité tombait, plus l'autoroute prenait la forme de deux longs serpents lumineux jaune et rouge ondulant dans la vallée.

Depuis son emplacement, Shaka avait une vue parfaite de l'aéroport de Thessalonique. Les rectangles balisés de spots de lumière des pistes d'envol, se découpaient dans la plaine au loin. Le ballet des avions décollant et se posant traçait des trainées de nuages dans le ciel.

Un Boeing entamait sa descente. Le dernier de la journée selon le programme de l'aéroport et en provenance de Russie.

Marine et Dante bifurquèrent le long de la bretelle de sortie et atteignirent l'aire de repos où attendait la Vierge.

Shaka sentait leur peur et leur nervosité.

Shaka ressentait leurs cosmos et le rythme précipité de leurs pas. Il ne se donna pas la peine de tourner la tête pour les accueillir. A quoi bon puisqu'il gardait toujours les yeux clos ?

— C'est l'heure. affirma-t-il de son éternelle voix morne et autoritaire alors que les deux chevaliers se plaçaient derrière lui.

En un éclair, quatre spectres les avaient rejoint et se positionnaient en ligne devant eux comme une armée prête à l'assaut sur le champ de bataille. Une rangée de silhouettes noires à peine visible qui se fondait dans les ombres et l'obscurité du soir.

Le silence ne dura qu'un instant et fut brisé par l'un des spectres.

— Tiens ! Il y en a un troisième ! Alors, fini de courir les cocos ?!

Tous étaient essoufflés par leur course et l'excitation du combat à venir. Ils haletaient bruyamment, contrastant avec la Vierge immobile en position du lotus, son cosmos à peine perceptible et concentré dans les deux anneaux que formaient ses pouces et ses index.

— Bon ! On est pressé comme vous … Nous ne voudrions pas rater l'atterrissage de vos petits camarades… Alors on va arrêter de jouer à qui courra le plus vite et commençons les choses sérieuses ! AHHHH !

Le spectre incendia son énergie et attaqua, suivi par les trois autres. Ils chargèrent avec une admirable coordination. Leur garde était parfaite aussi solide qu'une muraille de forteresse, bloquant toute contre-attaque ennemie. Dante et Marine reculèrent, les bras en position de défense.

OHM !

Shaka relâcha son cosmos et sa réplique fut terrible. Impitoyable comme toujours, le visage impassible, Shaka de la Vierge venait de battre ces quatre adversaires d'un seul coup.

Les spectres s'immobilisèrent en plein élan. Leurs cris d'attaque toujours coincés dans leurs gorges. Les surplis se fissurèrent puis leurs corps tombèrent au sol un par un dans de funestes bruits mats. Morts en un instant, leurs perles du chapelet s'obscurcirent.

Le soleil disparut derrière l'horizon, le crépuscule envahit le ciel et Vénus, l'étoile du berger, brilla de mille feux.

Shaka n'avait pas bougé d'un centimètre.

Dante et Marine reprirent leur souffle.

— Je sens encore une présence maléfique. chuchota-t-elle doucement comme si elle n'osait pas y croire.

— Oui. répondit Shaka. Il y a un cinquième spectre.

— Pourtant il n'y en avait que quatre devant nous ! s'étonna Dante.

— Sa présence est proche. Je sens son aura grandir.

Tu es doué chevalier mais il est trop tard.

Une voix semblant provenir du néant, résonna dans leurs oreilles.

Il y eut un flash de cosmos noir et les trois chevaliers s'immobilisèrent.

— Ah ! cria le Cerbère. Que se passe t-il ? Je n'arrive pas à bouger un muscle ?

Les nerfs de Marine ne répondaient pas non plus. Shaka était également bloqué dans sa position en tailleur.

Ah ah ah ah ! Vous voilà à ma merci !

Marine parvint avec effort à lever les yeux vers la provenance de cette voix moqueuse.

Dans les branches de l'arbre au dessus d'eux, un étrange cocon blanc gigotait et gonflait à toute vitesse. L'énergie qui s'en dégageait, grossissait de seconde en seconde.

Les deux chevaliers d'argent avaient beau tenté par tous les diables de se mouvoir ou de brûler leurs cosmos, ils ne parvenaient à rien. Petit à petit, ils sentaient avec angoisse, leurs poumons se compresser et se figer. Leur respiration devenait hachée et difficile. Si cela devait continuer, ils finiraient par étouffer.

Ah ah ah ! Ah ah ah ! Ah ah ah !

Le rire infernal continuait, la poitrine de Marine se compressait encore et encore au point de provoquer de terribles spasmes. Dante à ses côtés toussait et se cambrait de douleur.

Ah ah ah ! Ah ah ah ! Ah ah ah !

La cruauté résonnait dans leurs crânes. Les spasmes devenaient insupportables. La panique et la peur les submergeaient. Marine et Dante étaient réduits à deux pantins gémissants.

Un petit pli de contrariété se dessina entre les sourcils blonds de Shaka.

Une aura dorée telle une fleur qui éclot à la lumière du soleil au petit matin, s'ouvrit depuis son nombril et se répandit en rayons époustouflants tout autour de lui comme l'auréole de la statue de sainte Thérèse de l'église Santa Maria della Vittoria à Rome, en pleine extase divine, merveilleusement sculptée par Le Benin. Les rayons brillèrent jusqu'à devenir brûlants et aveuglants et enveloppèrent les deux chevaliers d'argent qui, comme touchés par la grâce, retrouvèrent leurs souffles. Ils tombèrent au sol.

Lorsqu'ils se relevèrent, ils avaient retrouvé toute leur mobilité et Shaka se tenait debout entre eux et l'étrange cocon de fils de soie blanc.

— Allez montre-toi ! La psychokinésie ne te sera plus d'aucune utilité maintenant. La Vierge joignit les paumes de ses mains et projeta sa force vers l'adversaire.

Le cocon se déchira et un spectre en surplis émergea. Ses ailes aux écailles multicolores se déployèrent gracieusement dans son dos. C'était un spécimen bien étrange pour un soldat d'Hadès. Sa silhouette fluette et ses couleurs vives étaient trompeuses et auraient pu lui donner un air joyeux et féérique si ce n'était la présence de deux yeux inhumains sans iris ni pupilles.

— Myu du papillon ! articula clairement Shaka.

Tiens ! J'ignorais être aussi célèbre dans les rangs d'Athéna… Je suis plus précisément, Myu de l'étoile terrestre féérique du Papillon.

— C'était l'adversaire de Mu pendant l'attaque du Sanctuaire ! se remémora Marine.

J'avais hâte de me frotter à vous, chevaliers ! J'avais hâte de venger mon général Rhadamanthe de la Wyverne. Et maintenant aussi mes compagnons ! La haine transparaissait dans sa voix enchanteresse.

— La vengeance est une faiblesse. le sermonna Shaka de son habituel petit ton supérieur. C'est indigne d'un bon combattant. Rhadamanthe n'est plus et tu vas bientôt le rejoindre...

Ah ah ah ! Quelle prétention ! Ne comprends-tu pas que tu es déjà perdu ?

Marine sentit de nouveau son corps se tendre et ses sens se troubler. Sa vision devint floue et ses tympans bourdonnèrent. Myu n'avait pas attendu pour attaquer. Il l'avait fait silencieusement sans prévenir. Des petits papillons fantomatiques voletaient par centaines tout autour d'eux et nappaient la colline d'un essaim scintillant surnaturel.

Fairy Thronging ! Ah ah ah ! Mes petits amis vont vous emporter tous les trois doucement dans les Enfers. Ah ah ah ! Le rire du spectre était toujours aussi malfaisant et sadique.

Marine allait bientôt perdre connaissance. Les genoux de Dante lâchèrent et il s'écroula, se rattrapant de justesse avec les bras. Shaka ne semblait pas atteint par le phénomène.

— Les Enfers ? Vraiment ? susurra-t-il, le mépris tintait dans sa voix.

Ses paumes s'écartèrent et se tournèrent face à l'ennemi.

— Vois-tu, je connais bien les Enfers. J'y suis allé et de ce que j'en ai vu, les spectres ne font qu'y passer sans jamais en subir le courroux. Hé !

Le petit rire de morgue de la Vierge n'avait rien à envier à celui du Papillon. En matière de cruauté, le chevalier d'or avait également une certaine réputation.

Le sang de Marine se glaça en sentant l'inexorabilité qui se mêlait à l'extraordinaire cosmos que Shaka concentrait dans ses mains. Il leva un bras et baissa l'autre.

Que s'ouvrent les six mondes de la métempsychose !

La cosmos-énergie explosa tout autour du chevalier comme une bulle de savon qui éclatait. L'attaque du chevalier d'or de la Vierge s'abattit sur l'ennemi.

Les petits papillons se rassemblèrent autour du spectre mais ne protégèrent pas suffisamment Myu qui eut la sensation terrible de tomber la tête la première, dans un puits sans fond. Son esprit partit vers des contrées métaphysiques qu'il connaissait bien. De pire en pire, de malheur en malheur, le voyage était interminable.

Pour commencer, il parcouru l'Enfer, régi par son maître Hadès où les pêcheurs, damnés payaient leurs crimes pour l'éternité.

Ensuite, le monde de la faim et de la soif où la famine déformait les corps et les âmes.

Suivi le monde des bêtes, lieu de l'éternel combat des prédateurs sauvages.

Suivi l'enfer de la guerre où régnaient la violence et les batailles infinies.

Vint ensuite le monde des hommes qu'il venait de quitter, remplis de sentiments aussi bien positifs que négatifs.

Et enfin, Myu traversa le Paradis, le monde le plus impitoyable où la moindre petite faute, où la moindre mauvaise pensée, était impardonnable et conduisait à la damnation.

AHHH !

Les scènes les plus abominables défilaient dans son crâne, toutes plus affreuses et épouvantables les unes que les autres. L'expérience était traumatisante et destructrice pour l'esprit du spectre, incarné dans un corps à la psyché humaine. Myu ne pouvait s'empêcher de crier et de se débattre dans sa chute. Son corps bientôt commença à en subir les effets néfastes et dévastateurs.

Marine qui assistait à la scène ne parvenait pas à saisir clairement ce qui se tramait sous ses yeux. Le Papillon restait paralysé debout, les yeux dans le vague à hurler. Les petits insectes autour de lui, virevoltaient de façon de plus en plus effrénée et aléatoire. Ils devinrent de plus en plus éthérés jusqu'à disparaître intégralement dans l'obscurité du soir.

L'Aigle et le Cerbère recouvrirent leurs sens.

Shaka fit un pas en avant et rabaissa les mains sur son torse les paumes toujours en direction du spectre.

— Alors ? Où es-tu tombé Myu de l'étoile terrestre féérique ? Quel Enfer-t'a-il accueillit dans son sein ? se moqua le chevalier.

Le spectre d'Hadès, incapable d'une réponse cohérente concentra ses dernières forces et dans un soubresaut, projeta un ultime petit papillon à peine perceptible qui s'enfuit dans le ciel étoilé. Puis un filet de sang s'écoula de sa bouche et de son nez, ses yeux devinrent vitreux et Myu se renversa en arrière, de tout son long, sans vie.

Il gisait sur le gazon jauni, en haut de la colline aux côtés de ses compagnons d'armes. Il avait l'air plus petit. Des beaux guerriers d'Hadès, il ne restait que ces pauvres petites choses fragiles, pitoyables, brisées en pleine jeunesse. Les deux ailes chimériques se flétrirent comme les pétales fanés d'une rose.

C'était fini. Une nouvelle perle du chapelet de la Vierge s'assombrit.

— Quatre et cinq aujourd'hui… font neuf… compta Shaka tout bas.

Mais à peine l'avait-il annoncé que trois nouvelles perles blanches virèrent au noir.

— Oh ! s'exclamèrent les chevaliers d'argent.

— Il semblerait que Milo se soit mis au travail. constata Shaka.


Le corbeau noir survolait le tarmac, indiffèrent aux petits lapins qui pullulaient sur les pelouses le long des pistes d'atterrissage. D'un battement d'aile, il traçait des cercles à basse altitude en se méfiant des moteurs à réactions et des hélices des avions qui se posaient sur le sol de l'aéroport d'Athènes.

Ses yeux perçants cherchaient parmi les silhouettes humaines qui traversaient les pistes, les pilotes, les techniciens, les bagagistes, les hôtesses et les voyageurs.

Il croisa un deuxième corbeau qui lui, scrutait les voitures et les autocars. Il en croisa un troisième qui s'intéressait beaucoup aux hangars. Puis il croisa encore un quatrième qui perché sur la tour de contrôle venait brusquement de s'envoler dans un croassement distinctif. C'était le signal. Les quatre oiseaux noirs se regroupèrent et filèrent vers un champ à cinq cents mètres des pistes pour se poser au dessus d'un chêne liège.

— Alors ? demanda la voix autoritaire du chevalier du Scorpion.

— Il y a cinq spectres qui guettent derrière l'usine à l'est. répondit Jamian.

— J'étais certain qu'ils viendraient ! Hé hé hé ! ricana Milo.

Il se tourna vers ses deux congénères qui attendaient avec lui sous le chêne.

—Allez ! Tous en piste ! La formule est bien appropriée pour un aéroport ! Hé hé ! C'est partit !

Le petit groupe de chevaliers s'élança. Milo se plaça au milieu du champ, caché par un ballot de paille.

L'affaire était délicate, ils n'avaient pas le droit à l'erreur. Il s'agissait de ne pas mêler de civils au combat. C'était le mot d'ordre de l'opération : pas de victimes collatérales ! Chacun avait un rôle précis à jouer.

Jamian du Corbeau était l'éclaireur, le scout qui localisait précisément l'ennemi.

Nachi du Loup et June du Caméléon étaient les chèvres, les appâts sensés attirer l'ennemi loin de l'aéroport et le rabattre vers l'exécuteur.

Et cet exécuteur, c'était Milo du Scorpion, un chevalier d'or pour ne prendre aucun risque.

Car il s'agissait non seulement d'une distraction pour leurrer les spectres loin de Jean-Sébastien et de Maxence, mais également d'une occasion non négligeable de manger du spectre.

Milo avait encore en travers de la gorge l'attaque du juge Rhadamanthe qui n'avait pas hésité à massacrer plein de pauvres civils innocents en détruisant un pont du périphérique pour les atteindre lui et Kanon des Gémeaux. Athéna se refusait peut-être à une déclaration de guerre franche et ouverte mais les spectres ne semblaient pas avoir ces scrupules.

Alors quand les spectres viendraient à lui, le Scorpion serait impitoyable et les écraserait séance tenante.

L'équipe de Shaka qui était partit pour l'aéroport de Thessalonique, suivait la même stratégie de rabattage.

— Ils ont mordus !

Milo sentait clairement les cosmo-énergies des deux chevaliers de bronze et de cinq spectres se diriger vers lui. Le corbeau au dessus de sa tête, le survolait en cercles larges, code que tout se déroulait comme prévu.

Le visage du juge Minos du Griffon de l'étoile de la noblesse se fendait d'un sourire carnassier. Il avait envie de rire. Il avait une envie irrépressible de lâcher un rire tonitruant pour libérer la liesse et la folie qu'il ressentait au fond de son cœur.

— Courrez ! Courrez ! Courrez chevaliers d'Athéna ! Vous n'irez pas loin !

Sous ses yeux, ses hommes pourchassaient deux petits chevaliers de bronze. Lui, marchait lentement derrière eux.

— Est-ce bien prudent de les laisser y aller seuls, Maître Minos ?

— Ne fais pas l'oiseau de mauvais augure Pharaon ! Laisse-les s'amuser ! C'est rien de bien méchant ! Du menu-fretin ! Hihi ! Hihi ! Hihihihi ! Hihihihihihihihihihihihihihi !

Le rire était enfin sorti, fou et sadique ! Minos s'en délectait et le faisait durer comme on sirotait un bon vin.

Pharaon se détendit. Il était vrai que jusqu'à présent tout se déroulait comme prévu. Ils avaient une longueur d'avance sur les troupes d'Athéna qui ne s'attendaient à être interceptées dans la récupération des deux chevaliers potentiels. Ne sachant pas si les deux chercheurs russe et français arriveraient à l'aéroport de Thessalonique ou d'Athènes, ils avaient envoyés des hommes sur les deux sites. La présence des deux bronzes leur confirmait qu'ils allaient atterrir ici, à Athènes.

Le soleil disparut et la nuit tomba brusquement, plongeant les environs dans l'obscurité.

— Allez ! On se débarrasse gentiment de la vermine ! chantonnait Minos. Et ensuite on récupère les deux gugusses à la descente de l'avion !

Son cosmos projetait ses envies de sang à ses spectres.

— Allez les garçons ! Finissez-en ! Hihihihihihihihihihihihihihi !

Un second rire aussi dément que le premier, retentit et rebondit contre les parois de tôle de l'usine désaffectée devant laquelle ils se tenaient. Cependant il fut coupé en plein triomphe par l'arrivée d'un petit papillon fantomatique et immatériel à peine distinguable.

— Myu ?

Minos tendit le bras et l'insecte vint se poser dans le creux de sa main avant de s'évaporer pour toujours.

— Un message télépathique ! murmura le Griffon.

Myu du Papillon lui révélait le déroulé des évènements à Thessalonique.

L'équipe de spectres avait totalement été anéantie ! Pas un survivant ! Ils étaient tombés dans un traquenard pour les exterminer. Un frisson glacial parcourut l'échine de Minos.

Il devait rappeler ses hommes immédiatement. Avant que…

— Oh ! cria Pharaon à ses côtés !

Tout comme le Griffon, il venait de sentir à l'instant l'énergie fabuleuse de l'attaque d'un chevalier d'or. Trop tard !

Dans un champ à proximité, les cosmos des trois spectres venaient de disparaître subitement, ils avaient été massacrés !

— Non ! hurla Pharaon qui voulut se précipiter.

Minos le retint fermement par le bras.

— Inutile ! Ils nous ont roulé ! C'est une diversion, les deux chercheurs ne sont pas ici ! Ni à Thessalonique !

De joie il n'y en avait plus une once dans le cœur du Griffon. Il n'appréciait pas qu'on se moqua ainsi d'un juge des Enfers ! La haine et la rage ravageaient tout son être et contradictoirement lui redonnaient la tête froide. Dégrisé, Minos réfléchissait à la marche à suivre.

Il devait absolument récupérer les chercheurs avant les chevaliers ! L'opération ne devait pas échouer.

Il ferma les yeux et laissa tendre ses fils psychiques dans toutes les directions, leur insufflant un peu de cosmos. Les fils se déployèrent autour de lui, de plus en plus loin, parcourant des kilomètres et des kilomètres. Ils formèrent un réseau épars et fin comme la toile d'une araignée. Il sentait précisément les chevaliers et le spectre près de lui, mais décida de les ignorer. Il fouinait plus loin à la recherche d'une étincelle. Par dessus l'aéroport. Plus loin par dessus Athènes. Encore plus loin par dessus la banlieue et la campagne. Par dessus les routes et les chemins. Par dessus le Pirée et les nombreux petits ports de pêche. Par dessus la mer et les îles. La cosmo-énergie des minéraux, des plantes, des animaux et des hommes le chatouillait comme des fourmis dans les doigts. Sa conscience se tendit sur tout son réseau comme une tarentule à l'affut de la moindre vibration d'une mouche sur sa toile. Plus loin, toujours plus loin et…

Là ! Au large du Sanctuaire, un écho répondit à son appel de cosmos.

— Je vous tiens ! éructa-il.

Sans attendre, il se téléporta avec Pharaon au Pirée. De nombreux bateaux de tourisme étaient amarrés, rangés pour la nuit. Après quelques déambulations au milieu des vacanciers ébahis de leurs accoutrements, il repéra un petit yacht à moteur, propre comme un sou neuf, petit et léger, bien profilé pour la vitesse et joyeusement baptisé « le vol-au-vent ». Le cadenas ne résista pas et avant que le gardien du port de plaisance n'eut le temps de réagir, le juge des Enfers et Pharaon avaient largué les amarres et filaient vers le large dans le noir de la nuit. Tant pis pour le riche propriétaire à l'humour gastronomique qui ne reverrait jamais son petit bijou !


Après être passé à la douane pour le contrôle de son passeport, Jean-Sébastien partit récupérer ses bagages au tapis roulant. Il lui sembla attendre une éternité avant que les bandes de plastiques rigides qui obstruaient l'entrée du tapis, ne se soulèvent et de voir débouler les premières valises comme un ogre géant régurgitant son repas. Très vite, il repéra son sac gris mais il dut patienter que sa petite valise qu'il avait ratée au premier passage refasse tout le tour du tapis n°6. Ayant enfin, récupéré toutes ses affaires, il se dirigea dans le hall des arrivées de l'aéroport international d'Héraklion en Crète.

Au milieu des chauffeurs de taxis en uniforme qui arboraient tous un petit panneau avec le nom du client qui avait réservé leur véhicule, un jeune homme aux longs cheveux blonds, lui aussi un panonceau blanc dans les mains où figurait le nom de Jean-Sébastien, souriait.

— Bonjour ! l'accueillit-il en russe lorsque leur regards se croisèrent.

Au même instant devant le tapis roulant n°2, Maxence trépignait. Sa seconde valise n'arrivait toujours pas. Cela faisait trois fois qu'il observait les deux mêmes sacs à dos rose fluo refaire tout le tour du tapis mais toujours pas de trace de sa valise à lui, celle avec toutes ses diapositives et ses documents. Toute sa conférence !

Deux touristes exubérants, habillés comme revenant de la gaypride, sortirent du sas de la douane et se saisirent des deux sacs avant de partir en riant et chantant un air à la mode. Maxence se retrouva tout seul devant le tapis vide qui fonctionnait toujours en tournant en rond autour d'une colonne. Après quelques tours à vide, il dut se faire une raison et oublia tout espoir de ne jamais revoir sa valise. Tout en trainant sa première valise, il se dirigea vers le guichet d'accueil du hall des arrivées pour se plaindre.

L'hôtesse était pleine de bonne volonté et avait beau faire des efforts, elle ne comprenait rien à son anglais baragouiné. Elle se contentait de sourire en hochant la tête sans jamais répondre à aucunes des interrogations irritées du jeune chercheur. Il fallait dire que Maxence parfaitement agacé et énervé, gesticulait beaucoup et ne faisait qu'aggraver son cas. La scène durait et commençait à devenir gênante, avec une longue file qui se formait dans le dos de Maxence, lorsqu'un jeune homme aux beaux cheveux blonds s'approcha.

— Bonjour professeur ! s'adressa-t-il dans un français parfait à l'accent chantant du midi. Je suis la personne chargée de vous accompagner sur l'île du Sanctuaire. Je vois que vous avez quelques soucis. Vous permettez ?

Et l'inconnu s'adressa en grec à l'hôtesse qui ravie de lui rendre service, passa quelques coups de fils. Après cinq minutes de discussion, le jeune homme s'adressa de nouveau à Maxence en français.

— Tout est réglé ! La valise a été mal étiquetée à Charles de Gaule et elle est arrivée à l'aéroport d'Athènes au lieu d'Héraklion. Elle vous sera livrée demain dans la matinée.

Tout en parlant, il poussait délicatement Maxence par l'épaule et le dirigeait vers la sortie. Il jeta le petit panneau en carton blanc qu'il trimbalait où était inscrit le nom du chercheur, dans la poubelle, juste avant de franchir les double-portes automatiques.

La chaleur vous coupait le souffle à peine un pas franchi à l'extérieur.

…..

Jean-Sébastien se tenait à l'arrière du petit bateau et agrippait le garde-fou. A son gout, il était bien tard pour prendre le large, le soleil se couchait et l'idée d'être perdu en pleine mer dans l'obscurité ne l'enchantait guère.

De là, il pouvait facilement observer le jeune russe qui lui servait de guide, discuter dans la cabine avec un second jeune homme typé asiatique et un vieux loup de mer qui devait être le capitaine. Souvent, Hyoga, c'était ainsi qu'il s'était présenté, se tordait le cou pour mieux l'apercevoir. Il semblait nerveux de le perdre de vue.

Jean-Sébastien se détendit. Le bon point sur le pont, était la brise marine rafraichissante qui le soulageait de la chaleur excessive. La Sibérie dont il préférait le climat ne lui avait jamais semblé si loin.

Le soleil disparut à l'ouest où ils se dirigeaient, dans un grand fracas de rouges et de roses éclatants, mais dans ce ciel sans nuages, cela ne dura qu'un instant et très vite le bel azur s'assombrit en bleu nuit. Le capitaine alluma les lumières du bateau. En réponse le second bateau qui les suivait depuis le départ de Crète, alluma lui aussi ses lampes. Il allait à la même vitesse et gardait la même distance. Jean-Sébastien y avait vu monter trois hommes qui eux aussi venaient clairement de l'aéroport. Leur taxi avait suivit le leur.

Pourquoi donc prendre deux bateaux au lieu d'un seul alors qu'ils semblaient se rendre au même endroit ? Il sentait qu'il y avait des choses qu'on ne lui disait pas. Qu'allait-il bien trouvé sur cette île ?

Le jeune chercheur leva le nez, l'étoile du berger qui se faisait timide jusqu'à alors, trônait à présent en reine du firmament. Les étoiles moins brillantes se découvrirent à leur tour et doucement les constellations prirent leurs places dans la voute céleste.

Comme le ciel était différent sous ces latitudes ! C'était évidemment en gros les mêmes que dans le grand nord, la Girafe, la Grande Ourse et la Petite Ourse tournaient autour de l'étoile polaire. Mais au sud, apparaissaient de nouvelles constellations : la Baleine, l'Aigle et le Verseau.

Ainsi sur la Méditerranée, il était facile d'imaginer les navigateurs de l'antiquité se repérer grâce aux étoiles. A la fois émerveillés et terrifiés par les légendes qu'ils leur associaient. Jean-Sébastien se remémora les histoires d'Ulysse, de Jason et de Thésée, les grands héros qui avaient pris la mer pour partir à l'aventure.

Qu'il était doux de rêvasser, bercer par le gentil roulis et la brise ! Mais soudain un étrange phénomène se produisit. La cabine du second bateau se mis à luire comme une enseigne lumineuse.

Immédiatement Hyoga et son ami sortirent en trombe sur le pont pour mieux observer ce qui se passait. Ils étaient tout excités et parlaient très vite en grec et en japonais.

La lumière continuait à pulser.

…..

Maxence, pensait qu'il allait défaillir. Il faisait déjà suffisamment chaud à quatre dans cette petite cabine et voilà que son jeune guide s'était soudainement mit à briller comme une luciole et à chauffer comme une bouillotte ! Que se passait-il ? On était proche de la combustion spontanée ! L'air devint suffocant, les parois vitrées se recouvrirent de buée.

— Misty ! cria le compagnon du guide, un jeune homme un peu plus âgé aux traits métissés.

Le guide paniqué, parlait vite en grec et rageait d'impuissance. Son collègue aboya des ordres rapides au marin qui pilotait. Ce dernier éteignit toutes les lumières du bateau. L'embarcation qu'ils suivaient depuis le début en fit de même et disparut totalement dans le noir du ciel et de la mer. Cependant, leur bateau à eux était toujours bien visible avec toute cette étrange énergie qui émanait de Misty et lançait un signal aussi fort que le phare d'Alexandrie.

Maxence ne comprenait rien mais il saisissait que l'instant était extraordinaire et grave. Les visages des deux hommes reflétaient la nervosité et la peur.

Misty brilla un petit quart d'heure pendant lequel, personne n'osa ouvrir la bouche. Puis la chaleur se calma et la lumière s'éteignit. Tous les quatre, émirent un soupir de soulagement.

La mer était totalement retombée dans l'obscurité. Rien ne permettait de distinguer les deux bateaux sur l'immensité noire.

Ils n'osaient toujours pas bouger. Mais brusquement, Misty et son compagnon levèrent la tête vers bâbord. Ils sortirent précipitamment sur le pont. Ils parlaient très vite et en un éclair furent recouverts de deux armures scintillantes dorée et argentée qui semblaient animées d'une vie surnaturelle.

Maxence n'eut même pas le temps de savoir s'il était terrifié ou époustouflé car un bruit de moteur tonitrua à l'ouest.

Le Vol-au-vent leur fonçait dessus et s'apprêtait à l'abordage !