Note : Bonjour tout le monde ! C'est avec un soulagement certain que, dans le cadre du Challenge de Mai du Collectif NONAME "Hier encore", je vous propose cette fic en plusieurs chapitres (mais je ne sais pas combien pour l'instant). Pourquoi soulagement ? Parce que j'ai bien cru ne jamais y arriver et franchement je ne pouvais pas ne pas participer !

Cette fic se situera entre la prise du pouvoir par Napoléon III (1851) et la guerre franco-prussienne (1870). C'est une période à mes yeux extrêmement riche tant au niveau social qu'au niveau artistique (pour autant qu'il y en ait eu un à cette époque, mais ceci est une autre histoire...). C'est surtout l'avènement des grands magasins tels le Bazar de l'Hôtel de Ville (1855) - Les Grands magasins du Louvre (1855) - A la Belle Jardinière (1856) - Les Grands Magasins du Printemps (1865) - La Samaritaine (1869).

C'est aussi l'âge d'or des demi-mondaines ou encore "grandes horizontales" dont une des plus célèbres, la Païva, se fera construire au 25 avenue des Champs-Elysées, un hôtel particulier encore visible, de nos jours propriété du club privé anglais "Travellers Club".

Tout un programme !

Question d'Hermystic "En tant qu'auteur, quelles sont tes inspirations du moment ?" Vu le mal que j'ai eu à trouver une histoire pour ce challenge qui me tient particulièrement à cœur, je n'ai pas de réponse évidente. En général, il suffit d'une image, d'une phrase (ici du titre d'un livre) pour que ça se déclenche. Ou pas...


CHAPITRE 1 – ANGOULEME -1852

La cloche du couvent vient de retentir et comme si cela n'était pas suffisant pour tirer tout le monde du sommeil, Sœur Marie-de-la-Miséricorde vient taper des mains dans le dortoir.

- Debout Mesdemoiselles ! Le Seigneur n'attend pas, dépêchez-vous !

Un léger brouhaha, les pensionnaires sortent rapidement du sommeil, s'habillent et filent au réfectoire où les attend une soupe et un quignon de pain. Ce petit-déjeûner hâtivement avalé, elles filent vers les corvées qui leur ont été assignées. Aujourd'hui, Irène doit nettoyer seule le réfectoire, à genoux sur le carrelage mouillé, armé d'une brosse en chiendent et de savon noir. Elle frotte avec rage et s'imagine que c'est le visage de la Mère Supérieure qu'elle récure ainsi. L'image la fait sourire et la console de cette punition, une parmi toutes celles qui ont plu sur ses épaules depuis son entrée dans ce couvent, il y a dix ans.

Déposée là comme un paquet de linge sale par une mère qu'elle n'a jamais revue depuis, elle a grandi au milieu des horions et avanies de toutes sortes. Irène est une pensionnaire pauvre, une de ces indigente que les sœurs ne gardent que pour deux raisons : tout d'abord, elles peuvent ainsi se targuer d'accueillir et d'instruire toutes les jeunes personnes, quelle que soit leur condition. Leur réputation d'âmes charitables n'est pas mise à mal et les dons continuent à affluer. Ensuite ces pensionnaires constituent un réservoir de main-d'œuvre à bon marché, taillable et corvéable à merci. Les sœurs se paient ainsi sur les débours de nourriture occasionnée par ces pensionnaires sans le sou. Nourriture est un bien grand mot : soupe claire, harengs saurs, choux, pommes-de-terre, pain le plus souvent rassis à l'instar de la gelée de coing dure à s'y casser les dents.

Irène s'accommodait sans mal de ce régime plutôt frugal, elle n'avait jamais été une grosse mangeuse et sa minceur lui attirait souvent des moqueries qu'elle ignorait. Mais elle ne supportait pas les réflexions et humiliations des pensionnaires plus huppées, de celles dont les parents avaient titres, terres et qui seraient pourvues sans nul doute d'une dot consistante lors de leurs épousailles. Si ce couvent, comme tous les autres, prônait la charité chrétienne, il faut croire qu'elle était réservée aux manifestations extérieures car elle n'avait jamais cours dans ces lieux ceints de hauts murs. Moqueries, remarques acides, bousculades, Irène avait eu droit à tout l'éventail possible des avanies et Dieu sait qu'en ce domaine ses tourmenteuses ne manquaient pas d'imagination. Dévorée d'une rage infinie elle ne disait rien, baissait les yeux et courbait les épaules : elle n'avait nulle part où aller.

Justement, un petit groupe ricanant traversait le réfectoire et Irène soupira, sachant fort bien qu'elles allaient s'en prendre à elle une fois de plus.

- Tiens, Melle Souillon nettoie le sol !

- Où ça ?

- Et bien là, devant toi !

- Ho, je suis confuse, j'ai cru que c'était un paquet de linge sale !

- C'est pourtant vrai qu'il n'y a guère de différence…

Un pied chaussé d'une bottine de cuir souple et fin tapote près du seau d'eau. A quatre pattes, Irène récure toujours et ne dit rien. Son silence énerve.

- Remarquez, laver le sol lui permet de se laver les mains en même temps. Ça ne doit pas être si fréquent… Les gens de son espèce ne sont pas très propres (reniflement sonore), d'ailleurs ne trouvez-vous pas que cela sent fort mauvais ?

Concert de reniflements et gloussements en cascade. Irène a cessé de récurer.

- Allons, continue donc à frotter ! Ce couvent te fait déjà la charité de te nourrir, te vêtir et te loger, tu devrais lui en être reconnaissante plutôt que de jouer les paresseuses !

Irène se relève lentement et son bourreau. Interdite, cette dernière se tait. Irène sourit lentement et suit de sa langue une dentition parfaite, régulière et blanche. Son interlocutrice blêmit, on lui sait de fort mauvaises dents, elle ne peut se montrer raisonnables face aux sucreries. Puis Irène saisit son seau dont elle verse l'eau dans un grand geste circulaire. Piaillements frénétiques, les chaussures de ces demoiselles sont trempées.

Insolente, comment oses-tu ! Je vais de ce pas voir la Mère Supérieure.

Encore une semaine au pain sec et à l'eau, mais le jeu en valait vraiment la chandelle.