Changement de Direction

Résumé : Fili a une assez belle vie – il s'en sort bien à l'université, il s'entend bien avec son oncle et tuteur Thorin, et il ne saura probablement jamais ce que c'est d'être pauvre ou non-désiré. Puis Thorin accueille un enfant du système – Kili Écu-de-Chêne, un parent éloigné dont le passé est un total mystère. Soudain, la vie de Fili devient beaucoup plus compliquée. Mais peut-être qu'elle devient meilleure, aussi.

Note : Et voilà, on y est. La fic que j'attends de traduire depuis plusieurs mois maintenant. Je préfère vous prévenir, cette fic est très dure et vous verrez souvent des trigger warning en début de chapitre. Et le chemin sera long et douloureux. Mais ça en vaut tellement la peine ! (« Comme dans la précédente », me demande Noémie, et non. Plus que dans la précédente. Bien plus.)

Chapitre 1 :

Quand Fili rentra chez lui après ses cours magistraux un beau vendredi à la fin du mois de janvier, Thorin était assis à la table de la cuisine avec une tasse de café dans les mains et un air sur le visage qui signifiait qu'ils étaient sur le point d'avoir une sérieuse conversation. Cela, en soi, n'était pas tellement étrange – Thorin n'était rien sinon sérieux la plupart du temps – mais le fait que Thorin soit à la maison à quatre heures de l'après-midi était définitivement troublant. Fili marqua une pause sur le seuil, laissant tomber son sac sous le porte-manteau.

« Thorin ? dit-il. Est-ce qu'il s'est passé quelque chose au travail ?

- Non, rien de ce genre, dit Thorin. J'ai pris mon après-midi. »

Cela ne permit pas à Fili de se sentir mieux. Son oncle n'était pas exactement un accro du travail – il s'assurait d'être à la maison pour dîner avec Fili au moins cinq ou six soirs par semaine – mais prendre un congé au dernier moment n'était définitivement pas dans ses habitudes. Il devait donc être arrivé quelque chose. Mais à qui ? Fili lui-même allait bien, et il ne leur restait pas exactement d'autre famille, donc ce devait être l'un des amis de Thorin. Dwalin, peut-être ? Fili se laissa tomber sur une chaise face à son oncle avec une sensation désagréable dans l'estomac.

« Il est arrivé quelque chose ? demanda-t-il.

- Tout va bien, répondit Thorin. Mais j'ai reçu un appel de Bombur Befersson. »

Fili fronça les sourcils, essayant de resituer le nom. Puis il se souvint.

« Le gros type de la fête la semaine dernière ? Dit-il. Je ne savais pas que vous étiez amis.

- On ne l'est pas, exactement, dit-il. Mais Bombur est assistant social, et il m'a appelé pour me demander une faveur. »

Fili fronça les sourcils. Il n'arrivait pas à imaginer quelle faveur Thorin pourrait accorder à un assistant social, sauf peut-être lui donner de l'argent. Peut-être que c'était ça – de l'argent pour une œuvre de charité, un truc pour les enfants défavorisés. La fondation était censée se charger de ce genre de choses, mais les gens que Thorin rencontrait en passant l'approchaient parfois directement. En fait, ils approchaient même parfois directement Fili, quand ils découvraient qui était son oncle.

« Est-ce que tu lui as dit de s'adresser à la fondation ? demanda-t-il.

- Ce n'est pas ce qu'il a demandé, dit Thorin. Il a demandé si nous pourrions accueillir quelqu'un pendant quelques semaines.

- Quoi, comme un hôtel ? demanda Fili en haussant les sourcils. Quoi, il n'a plus d'espace sur son propre sofa ?

- Pas comme un hôtel. Comme un enfant placé.

- Un... quoi ? »

Fili fixa Thorin, se demandant s'il avait bien entendu.

« Un enfantdu système ? »

Thorin hocha la tête, le visage impassible, et Fili secoua la tête avec confusion.
« Mais- pourquoi pense-t-il que tu pourrais vouloir accueillir un enfant ? Est-ce qu'il appelle tout l'annuaire, ou quoi ? »

L'idée de son oncle – sévère, solitaire, pas le moins du monde en mal d'enfant – accueillant un gamin quelconque sur un coup de tête était tellement bizarre que Fili se surprit à éclater de rire.

« C'est un parent éloigné, ce garçon, dit alors Thorin. Il n'a pas d'autre famille, du moins pas qui – soit disponible, et bien qu'une famille ait accepté de le prendre, ils n'auront pas de place avant quelques semaines. C'est pour ça que Bombur est venu vers moi. Il m'a donné la possibilité de décliner. Je lui ai dit que j'aimerais rencontrer le garçon. Je lui ai aussi dit que je voulais que tu viennes avec moi à ce moment-là. Je n'ai aucun désir de faire entrer qui que ce soit dans cette maison contre ta volonté, ne serait-ce que pour une courte période. »

Fili resta bouche bée.

« Tu y penses ? dit-il. Juste parce que c'est un cousin éloigné ?

- Il s'appelle Kili, dit Thorin. »

Et les mots moururent dans la gorge de Fili. Kili. C'était un nom familial, depuis des générations. Le nom que sa mère avait toujours dit qu'elle donnerait à son second fils – aurait donné, si le père de Fili n'était pas mort un an seulement après la naissance de Fili. Quand Fili était enfant, il avait eu un ami imaginaire nommé Kili. Un frère imaginaire, avait toujours dit sa mère avec un sourire.

Que ce soit simplement à cause de son silence, ou parce que ses pensées étaient visibles sur son visage, Thorin sembla penser qu'il avait accepté. Il hocha une fois la tête, fermement.

« Il est de la famille, Fili, dit-il. Nous ne pouvons pas détourner le regard de la famille. Tu es d'accord, bien sûr. »

Et ça recommençait, Thorin Écu-de-Chêne, toujours sûr que tout le monde devait être d'accord avec lui. Mais quand bien même, Fili n'était pas sûr de l'être. Oui, le nom était un choc – Kili, familier depuis des années, comme un vieil ami dont il aurait perdu le contact – mais un cousin au quatrième ou cinquième degré n'était de la famille qu'au sens très vague, et de plus, Fili était à peu près sûr que les gosses du système étaient une mauvaise nouvelle. Mauvaise nouvelle comme drogue, crime, en-veut-à-tout-le-monde mauvaise nouvelle. Et en faire entrer un dans la maison sans savoir quoi que ce soit à son sujet ?

« Je ne sais pas, dit-il enfin. C'est très soudain.

- Tu viendras avec moi pour le rencontrer demain, dit Thorin. Ensuite nous pourrons décider. Si tu dis non, je le respecterai. C'est aussi ta maison, ici. »

Fili hocha la tête.

« D'accord, dit-il. Je viendrai. »

Le lendemain – samedi – Fili fut debout tôt. Ce n'était pas normal pour lui, mais il s'était réveillé dans la pénombre de l'hiver avec des bribes de sa conversation avec Thorin tournant dans sa tête. Un cousin. Un gosse du système. Il était sorti la nuit dernière avec ses amis – non qu'il ait passé un super moment, étant donné à quel point il avait été préoccupé – et Thorin était au lit quand il était revenu. Et ce matin, il avait réalisé qu'il ne savait rien de ce Kili sinon son nom. Quel âge avait-il ? Pourquoi était-il dans le système ? Il ne savait même pas exactement comment ils étaient apparentés. Et une idée le frappa, comme un coup dans l'estomac – et si c'était une arnaque ?

Peut-être que ç'aurait été une idée bizarre pour la plupart des gens, mais Fili avait grandi en guettant cela, depuis que sa mère était morte quand il avait dix ans et qu'il était venu vivre avec Oncle Thorin. Thorin avait hérité de l'entreprise familiale après avoir quitté l'armée, et il était un puissant homme d'affaires maintenant, ce qui signifiait qu'il était très, très riche. Ça n'avait pas été trop mal à l'école – naturellement, Fili avait été envoyé en école privée, donc la plupart des gens qu'il voyait tous les jours avaient des parents bien lotis – mais à chaque événement où il se rendait avec Thorin, il était entouré de gens qui buvaient ses paroles. Ça lui plaisait quand il était plus jeune, mais ces jours-ci ça l'ennuyait juste. Les gens ne voulaient jamais argumenter avec lui, et c'était incroyable le nombre de gens avec qui il avait eu une ou deux conversations qui décidaient soudain qu'ils étaient ses meilleurs amis. Il savait, aussi, que c'était dix fois pire pour Thorin – pas que Thorin semble beaucoup s'en soucier – et il se demandait toujours si c'était ça plutôt que l'inclination naturelle de Thorin envers la solitude qui faisait que son oncle n'avait qu'un seul véritable ami.

Et maintenant ce gamin, sorti de nulle part, envoyé par quelqu'un que Thorin connaissait vaguement et supposément un lointain parent.

Hum.

En tout cas, Fili aurait une chance de dire non quand ils auraient rencontré le gamin. Kili. Et il dirait non, décida-t-il. Si c'était une arnaque, le gosse serait probablement le charme incarné, mais Fili serait prêt pour ça. Il resta allongé dans son lit, fixant le plafond tandis qu'une lumière grise commençait à filtrer à travers les rideaux, et il décida : il serait prêt. Et il dirait non.

Le bureau de l'assistant social était un endroit sombre, une pièce de la taille d'un timbre-poste emplie de piles de papiers dans un immeuble de bureaux de style soviétique sur la périphérie de la ville. Même si le soleil brillait dehors, la lumière ici semblait grise et quelque peu sinistre. Pas un super endroit où passer un samedi matin, songea Fili, gigotant sur le siège inconfortable. À côté de lui, Thorin était assis, le dos droit et immobile. L'entraînement militaire qui jouait, sans doute.

La porte s'ouvrit brusquement et Bombur passa la tête. Il souriait d'une façon dont aucun personne contrainte de travailler un samedi ne devrait sourire.

« Désolé de vous avoir fait attendre, dit-il. Kili est prêt pour vous maintenant. »

Thorin se leva et entra à sa suite, et Fili le suivit, regardant la peinture écaillée dans le corridor avec dédain. Comment Bombur réussissait à sortir du lit chaque matin pour aller travailler, il était incapable de le deviner. Et c'était avant d'aborder le fait que son travail consiste basiquement à fraterniser avec des criminels et des délinquants.

« Et voilà, dit joyeusement Bombur. »

Il ouvrit une porte quelconque et entra. Thorin et Fili le suivirent, et se retrouvèrent dans une petite pièce avec une table, quelques chaises, un tapis gris à l'air sordide, et une fenêtre donnant sur un autre immeuble de bureaux de style soviétique. Sur l'une des chaises, face à la porte, se trouvait un gamin brun maigrichon qui avait peut-être quatorze ans. Ses cheveux étaient longs et emmêlés, et il portait un sweat à capuche miteux qui donnait l'impression d'avoir sa place dans une boutique de charité. Il leva les yeux quand ils entrèrent, puis les abaissa rapidement sur ses mains, serrées face à lui sur la table.

« Kili, dit Bombur, voici ton cousin, Thorin Écu-de-Chêne. »

Il désigna Thorin de la main, qui hocha brièvement la tête, fixant Kili avec une étrange expression sur le visage.

« Et son neveu, Fili, dit Bombur. Bien, je vais aller nous chercher des rafraîchissements pendant que vous discutez. »

Il tapota Kili sur l'épaule en partant, lui adressant un grand sourire et un clin d'œil avant de désigner le gamin d'un signe de tête, comme pour dire, eh bien vas-y, je suis sûr que vous allez être les meilleurs amis du monde.

C'est ce qu'on verra, songea Fili, avant d'aller s'asseoir à côté de Thorin derrière la table.

« Bonjour, Kili, dit Thorin. »

Le gamin – Kili – leva les yeux vers Thorin sans complètement lever la tête, comme s'il ne voulait pas le regarder droit dans les yeux.

« Bonjour, dit-il. Enchanté, Monsieur Écu-de-Chêne.

- Thorin, s'il te plaît, dit Thorin. »

Il se tourna ensuite pour regarder Fili.

« Salut, dit Fili. Comment ça va ? »

Kili le regarda du coin de l'œil.

« Bien, dit-il. Comment allez-vous ?

- Ouais, ça va, dit Fili en étrécissant les yeux. »

Quoi que ce gamin soit d'autre, il n'était définitivement pas le charme incarné. Ni n'avait aucune forme de charme, du moins pour l'instant. Cela dit, ça ne voulait pas dire qu'il ne se jouait pas d'eux.

« Les Packers, dit Thorin, après un moment de silence gêné. Est-ce que c'est un groupe ? »

Kili lui adressa un regard inquiet.

« Excusez-moi ? dit-il.

- C'est sur ton sweat, dit Fili. Les Packers. Et non, Thorin, ce n'est pas un groupe, c'est une équipe de sport américain, du basket ou un truc comme ça. »

Il roula un peu des yeux en direction de Thorin, et Thorin haussa les sourcils en réponse, absolument pas embarrassé, comme d'habitude, de son absence totale de connaissance de la culture populaire.

« Est-ce que tu aimes le basket ? demanda Thorin en se retournant vers Kili.

- Euh, dit Kili en baissant les yeux sur le sweat, ce n'est pas – ce n'est pas le mien. Je ne sais pas, je n'en ai jamais vu. Du basket, je veux dire. »

Il fixa ses mains, et Fili vit qu'elles étaient tellement serrées que les phalanges viraient au blanc.

« Eh bien, qu'est-ce que tu aimes ? demanda Thorin. »

Il essayait de faire la conversation, Fili le voyait, mais, étant Thorin, il réussit à avoir l'air impatient, comme s'il était exaspéré par l'incapacité de Kili à porter des vêtements annonçant ses vrais intérêts.

« Euh, dit Kili. »

Il resta assis, très immobile et fixant très fort ses mains.

« J'aime bien – j'aime bien – »

Il leva les yeux vers Fili un moment, et Fili fut abasourdi par la peur dans ses yeux.

« – les avions, dit-il enfin.

- Les avions ? demanda Fili. »

Ne serait-ce que pour empêcher Thorin d'ouvrir la bouche et d'effrayer encore plus le gamin.

« Comme les leçons de vol, ou un truc comme ça ? »

Il n'avait jamais entendu parler de quelqu'un qui aime juste les avions. En quoi est-ce que c'était seulement un hobby ?

« Non, dit Kili. Je n'ai jamais – je veux dire, j'aime bien – les regarder. Les vieux, avec des hélices. Je regarde des documentaires. »

Il jeta de nouveau un regard à Fili, l'air à peine moins terrifié que la dernière fois.

« La Seconde – Seconde Guerre Mondiale, dit-il. Avec des avions. »

Eh bien, il n'y avait pas de doute à avoir : le gosse était tordu. Non seulement il n'était pas charmant, mais il était maladroit et ringard et tout simplement un mec bizarre. Pas si différent de Thorin, en fait, pensa Fili, à part qu'il était si timide. Peut-être qu'ils étaient vraiment apparentés, après tout.

« Le thé est prêt, dit Bombur, en arrivant avec un plateau chargé. Du lait, du sucre ? »

S'ensuivit l'agitation générale qui se produit toujours quand quelqu'un arrive avec du thé, et quand tout le monde fut doté d'une tasse de thé et d'au moins un biscuit (Bombur en empila quatre devant Kili, qui les fixa comme s'il craignait qu'ils soient empoisonnés), les choses semblaient un peu moins tendues. Bombur était un type bien, décida Fili. S'il y avait une arnaque, il n'était pas au courant.

« Comment ça se passe, alors ? demanda Bofur. Kili, et si tu parlais à Thorin et Fili de ta musique ?

- De la musique ? demanda Thorin. Est-ce que tu en joues ? »

Kili hocha un peu la tête, et Bombur lui donna un coup de coude bon enfant.

« Il veut savoir de quoi tu joues, dit-il.

- Du violon, dit Kili. Mais j'ai perdu le mien, alors je ne joue plus.

- Fili jouait du violon, aussi, dit Thorin. »

Il adressa un regard significatif à Fili, qui haussa les épaules.

« Ouais, quand j'étais gosse, dit-il. J'étais nul, par contre.

- Je suis sûr que non, dit Bombur. »

Mais Thorin éclata de rire.

« J'ai bien peur que si, dit-il. Il faisait un bruit atroce.

- Ouais, merci, marmonna Fili. »

Il jeta un regard noir à Thorin puis à Kili.

« Je suppose que tu es doué, toi. »

Kili croisa son regard et s'enfonça plus profondément dans son sweat emprunté.

« Non, je ne joue pas, dit-il. Je ne joue plus.

- Génial, dit Fili avant de se lever. Les WC ? demanda-t-il à Bombur.

- Au fond du couloir à droite, dit Bombur. »

Fili hocha la tête pour le remercier et sortit de la pièce. Il n'avait pas vraiment besoin d'aller aux toilettes, mais il voulait avoir une ou deux minutes à lui pour réfléchir, donc il y alla quand même et s'assit sur le siège de toilettes fermé, s'interrogeant.

Le problème, c'était que Kili n'était pas ce à quoi il s'était attendu. Il n'était pas charmant, définitivement, mais il n'était pas aigri et n'avait pas le comportement que Fili avait toujours cru trouver chez un gosse des rues. En fait, il ne savait pas vraiment si Kili était un gosse des rues ou pas – il n'avait toujours pas réussi à apprendre comment il s'était retrouvé dans le système. Ni charmant, ni en colère – s'il y avait un mot que Fili choisirait pour décrire Kili, c'était effrayé, et ça ne correspondait pas du tout à la façon dont Fili comprenait la situation. Quelle raison avait-il d'être effrayé ? Si Thorin ramenait Kili à la maison, il vivrait dans les bras du luxe. Sinon, Kili serait sans doute accueilli par quelqu'un d'autre. Il était inoffensif, après tout – aucune raison qu'il ne trouve pas quelqu'un pour le prendre.

Une chose était sûre, cependant, c'était que Kili ne ressemblait en rien au frère imaginaire que Fili s'était inventé quand il était petit. C'était même un soulagement, en quelque sorte – si Kili avait été rieur et téméraire comme le Kili que Fili avait imaginé, ça aurait été foutrement bizarre. En l'occurrence, Fili pensait pouvoir juste mettre de côté le fait qu'ils avaient tous les deux le même nom,bien que ce soit un nom inhabituel, et juger ce Kili sur ses propres mérites. Quels qu'ils puissent être.

Toujours indécis, Fili se leva et alla se laver les mains. La dernière chose qu'il voulait était que Thorin vienne voir s'il était tombé dans le trou. Il regarda dans le miroir, recoiffant ses cheveux là où ils faisaient des épis, et marqua une pause, fixant son T-shirt. Il l'avait pris dans le tiroir ce matin sans vraiment le regarder, et c'était un T-shirt qu'il portait rarement – la couverture d'un album, d'un groupe qu'il aimait quand il avait seize ans. Le nom du groupe n'était pas imprimé : à la place, il y avait juste l'image d'un avion. Un vieux, avec des hélices.

Fili le fixa.

Thorin attendait dans le couloir quand il sortit.

« Bombur a dit que nous pouvions utiliser son bureau, dit-il. »

Fili le suivit à l'intérieur, mais avant que Thorin n'ait une chance de parler, il secoua la tête.

« C'est pas une bonne idée, dit-il. Je crois qu'on devrait juste le laisser rester ici jusqu'à ce que l'autre famille soit prête. »

Thorin fronça les sourcils.

« Explique-toi, dit-il. »

Fili soupira. Manifestement Thorin s'était décidé dans l'autre sens, ce qui allait seulement rendre ça plus difficile.

« Écoute, dit-il, le gosse est bon acteur, je lui accorde ça. Mais voilà le truc – regarde mon T-shirt, Thorin. »

Il le désigna, et Thorin regarda, fronçant davantage les sourcils en voyant l'avion.

« Il se joue de nous, dit Fili. Il essaye de nous pousser à l'apprécier pour qu'on le laisse entrer dans nos vies. »

À ces mots, le froncement de sourcils de Thorin devint incrédule.

« Qu'est-ce qui te donne cette idée ? Pourquoi est-ce qu'un orphelin sans foyer ferait une telle chose ?

- Euh, parce que c'est un orphelin sans foyer ? dit Fili. Allez, Thorin, c'est pas comme si c'était la première fois que quelqu'un sans argent jouait sur notre sympathie. »

Thorin resta immobile un moment, fixant Fili sans expression. Puis il secoua la tête.

« J'ai peur de n'avoir pas été un bon modèle pour toi, Fili, dit-il. Ta mère serait déçue par moi. »

Fili se sentit soudain incertain de lui-même.

« Quoi ? dit-il. Pourquoi ?

- Parce que je t'ai apparemment appris à t'inquiéter de mon argent avant de considérer la situation désespérée de ta propre famille, dit Thorin. »

Et le dernier mot était lourd d'emphase.

« Elle n'aurait pas voulu ça pour toi. »

Un mélange de honte et de colère commença à remuer dans les entrailles de Fili.

« J'essaye seulement de faire attention à nous, dit-il, essayant de rester calme comme Thorin lui avait appris. Il sera placé d'une façon ou d'une autre, pourquoi faut-il que ce soit nous ? »

Thorin le regarda en silence, assez longtemps pour que Fili commence à avoir l'impression qu'il avait de nouveau dix ans et avait été surpris à voler des bonbons à l'épicerie du coin. Puis il désigna une chaise.

« Assieds-toi, dit-il. J'ai quelque chose à te dire. »

Fili s'assit, sentant toute son ancienne confiance en lui disparaître. Thorin s'assit face à lui et ne parla pas pendant peut-être vingt secondes. Ce fut un long, long moment.

Finalement Thorin soupira et posa ses mains sur ses genoux.

« Il n'y a aucune trace de la naissance de Kili, dit-il. Il n'y a aucune trace officielle de lui jusqu'à il y a environ deux ans, quand il a été dans un accident de voiture dans le Yorkshire du Nord. La voiture était volée, mais le conducteur est mort dans le crash. Il a dit que son nom était Kili Écu-de-Chêne à l'hôpital, quand il était encore très malade. Quand il a guéri, il a essayé de dire qu'il s'était trompé, que son nom était entièrement différent. Mais le nom avait déjà été entré dans le système, et, comme je ne doute pas que tu le saches, c'est un nom inhabituel. Naturellement, j'ai des gens qui guettent toute utilisation de Écu-de-Chêne dans les médias ou – d'autres bases de données, puisque la plupart de ces utilisations ont un rapport avec moi et nos affaires.

- Alors tu savais qu'il existait ? demanda Fili. Je veux dire, avant que Bombur t'appelle ?

- Je savais qu'un jeune homme qui se faisait appeler Kili Écu-de-Chêne existait, dit Thorin. Plus que cela, non. Il a disparu de l'hôpital peu après, et bien que j'aie essayé de le retrouver, je n'ai pas eu de chance. Jusqu'à ce qu'il se fasse arrêter pour avoir volé des sandwichs dans un supermarché à Canterbury il y a deux jours. Il a donné un faux nom, mais ses empreintes digitales étaient déjà dans la base de données suite à son séjour à l'hôpital. J'ai été alerté, et maintenant nous voilà.

- Arrêté ? dit Fili. »

Puis :

« Attends, alors Bombur ne t'a pas appelé ? C'est toi qui l'as appelé ?

- Je me suis arrangé pour qu'il soit désigné comme l'assistant social de Kili, oui, dit Thorin. Et je me suis arrangé pour que Kili soit amené ici. Pour que je puisse le voir.

- Tout ça pour un nom ? dit Fili. »

Il secoua la tête.

« Tu es en train de me dire que tu ne sais même pas s'il nous est vraiment apparenté ? Tu veux l'accueillir, même si tu sais que c'est un criminel et que tu n'as aucune idée de ce qu'il a fait pendant toute sa vie ?

- Oui, dit Thorin. Peut-être que je ne suis pas le meilleur nourricier qu'il pourrait espérer, mais je préférerais de beaucoup qu'il n'ait plus jamais assez faim pour voler de la nourriture. »

Il fixa durement Fili.

« Pense un moment à comment ça peut être. »

Fili pensa. Il pensa que peut-être ce Kili était juste du genre criminel. Peut-être avait-il été élevé par des voleurs qui n'avaient aucun scrupule à voler un sandwich, qu'ils aient faim ou non. Il pensa que ce gamin était apparu presque littéralement de nulle part pour jouer sur le côté sensible, jusqu'ici insoupçonné, de son oncle.

« Je pense quand même que c'est une mauvaise idée, dit-il. »

Thorin hocha lourdement la tête.

« Alors je vais dire à Bombur que nous ne pouvons pas le prendre, dit-il. »

Il se leva, l'air terriblement déçu.

« Il ira dans cette autre famille d'ici quelques semaines, cela dit, dit Fili. »

Il commençait à se sentir coupable, même s'il disait seulement non pour le propre bien de Thorin.

« Je suis sûr qu'ils sont sympas.

- Peut-être, dit Thorin. Mais ce n'est pas sa vraie famille.

- Nous non plus, dit Fili. Allez, Thorin, tu n'es même pas sûr qu'il nous soit vraiment apparenté. Il aurait pu sortir ce nom de nulle part. Peut-être même qu'il a lu quelque chose sur toi sur internet. Pas besoin d'être un génie pour remarquer le nombre d'ancêtres qu'on a nommés Kili. »

Thorin fronça les sourcils dans sa direction.

« Tu ne le vois pas du tout, n'est-ce pas ?

- Voir quoi ? demanda Fili.

- Son visage, dit Thorin. C'est exactement le portrait de Frerin au même âge. »

Fili sentit sa mâchoire se décrocher. Son Oncle Frerin – le frère aîné de sa mère, et le cadet de Thorin – était mort quand il avait six ans. Il ne se rappelait pas grand-chose de lui en-dehors d'un rire tonitruant et de son habitude de chanter aux réunions de famille, mais il avait vu des photos, bien sûr. Naturellement. Et Kili – oui, il le voyait maintenant. Le nez, le menton. Kili ressemblait en effet à Oncle Frerin. Et à Thorin. Et même à maman.

Il ouvrit la bouche pour poser une autre question, mais Thorin était déjà parti. Fili secoua la tête. Donc le gosse ressemblait à Frerin. Et le nom – OK, il était probablement leur cousin. Mais qu'est-ce que ça voulait dire ? Pas grand-chose. Il avait été pris dans une voiture volée, et ensuite arrêté pour avoir volé de nouveau, donc ce n'était même pas comme s'il était un petit ange innocent, à la Oliver Twist. Ce n'était pas qu'il était contre retrouver des membres de la famille – il savait à quel point son frère et sa sœur manquaient à Thorin, et Dieu savait que papa et maman lui manquaient, chaque jour – mais il y avait sûrement un autre moyen que de ramasser des parents éloignés dans la rue et les ramener à la maison.

Il repensa à ce que Thorin avait dit, au sujet d'avoir tellement faim qu'on devait voler de la nourriture. Et il pensa qu'il y avait probablement de très bonnes banques de nourritures et – et des soupes populaires à Canterbury, et si le gamin s'était juste dénoncé il aurait été placé dans une famille et reçu beaucoup à manger. Il pensa à quel point c'était stupide, de voler quelque chose quand on pouvait l'avoir gratuitement si on demandait juste.

Il pensa, juste un moment, à quel point Kili avait eu l'air effrayé, dans la salle de réunion. Plus effrayé que quiconque Fili ait jamais vu.

Et il se leva.

Thorin était debout dans le couloir à discuter à mi-voix avec Bombur. Le visage de Bombur était sérieux, pour une fois, et il hochait la tête et jetait des regards vers la salle de réunion. Il leva la tête, cependant, quand Fili arriva rapidement vers eux.

« Hé, écoutez, vous ne lui avez pas encore dit, hein ? »

Bombur secoua la tête.

« Pas encore, dit-il.

- Alors, euh, dit Fili en se grattant l'arrière de la tête. Alors je pensais – écoutez, c'est seulement pour quelques semaines, pas vrai ? Alors, ouais, je suppose que ça devrait aller. »

Il regarda Thorin.

« Je veux dire, je pense. Si toi, ça te va. »

Thorin soutint son regard un moment, puis hocha la tête.

« Je suis content, dit-il. »

Il posa brièvement une main sur l'épaule de Fili.

« Ta mère serait fière. »

Et il se retourna vers Bombur.

« Nous pouvons le prendre maintenant, si c'est plus facile, dit-il. »

Bombur leur adressa à tous deux un sourire lumineux.

« Je vais aller le chercher, alors, dit-il. »

(-)

Oh bon sang j'ai tellement eu envie de gifler Fili ou de le secouer pendant que je traduisais ce chapitre ! Je sais pas pour vous mais moi ça me paraît tellement évident que Kili montre des signes de maltraitance ! Mais ne vous en faites pas, il va s'améliorer.