Aquarium.

Cet après-midi, le docteur Quinn se rend à la boutique de monsieur Bray en compagnie de Colleen. Cette dernière est revenu de Denver afin de passer ses vacances auprès de sa famille et comme elle a ramené un très bon bulletin trimestriel, sa mère estime qu'une récompense est amplement méritée. Dès que les deux femmes ont franchi l'encadrement de la porte d'entrée du magasin, elles trouvent le commerçant se tenant derrière son comptoir et celui-ci n'hésite pas à leur sourire.

« Bonjour Mesdames, magnifique journée pour faire des emplettes n'est-ce pas ?

- Bonjour Loren, lui répond le médecin avant de s'éloigner de sa fille pour avoir une petite conversation avec le vieil homme. Comme vous le dîtes, il fait tellement beau que je tenais absolument à en profiter et je ne suis pas la seule d'ailleurs. »

Le gérant lui sourit avant que cette expression disparaît de ses lèvres. Ensuite, Loren pointe son regard vers l'adolescente et s'aperçoit que cette dernière consulte un livre dont le sujet principal est basé sur de la fiction. En effet, l'auteur narre l'histoire d'un homme qui ne cesse de mettre au point des nouvelles inventions en espérant que ces dernières finiront par marquer l'histoire de leur utilité. Cependant, l'homme ne s'est pas gêné pour imprimer des croquis sortis tout droit de son imagination afin de permettre à ses lecteurs de mieux visualiser les objets en question.

« Je constate que tu es en train de céder à la plume de cet auteur. »

Comprenant que la phrase lui est destinée, Colleen lève la tête du livre et tourne son beau visage en direction du vieil homme. Là, elle ferme le bouquin tout en laissant l'un de ses index entre deux pages afin de ne pas perdre le fil de sa lecture et prend la peine de répondre.

« Oui et je connais déjà plusieurs de ses œuvres.

- Vraiment ? Poursuit Loren.

- Certaines de mes amies au collège possèdent quelques-uns de ses livres et elles ont été d'accord pour me confier son tout premier. Lorsque j'ai débuté la lecture, je ne pouvais plus m'arrêter et depuis ce moment, je ne cesse de dévorer ses histoires. Cet homme possède une imagination si débordante que je me trouve ennuyeuse à mourir si je devais me comparer.

- Et pourquoi le faire ? Lui demande le docteur Quinn. Envisages-tu d'être auteur à ton tour ?

- Bien sûr que non maman. Je veux devenir médecin comme vous et c'est aussi pour cette raison que j'étudie à Denver. D'ailleurs, je doute que je sois capable d'écrire d'aussi belles histoires que cet auteur. »

Curieuse, Michaela s'éloigne du comptoir dans le but de rejoindre sa fille. Une fois à ses côtés, la femme lui fait comprendre qu'elle souhaite jeter un œil à l'intérieur du livre à son tour et bien sûr, l'adolescente ne tarde pas à s'exécuter. Une fois que l'oeuvre est ouverte, le docteur prend le temps de lire quelques lignes et doit reconnaître que la plume de l'auteur est plutôt agréable. Sachant à quel point sa fille adore les livres, elle y voit là une belle occasion de lui faire un cadeau en récompense de ses notes excellentes.

« Si tu le souhaites Colleen, je suis d'accord pour te l'offrir. Quel est son prix ? »

Voulant répondre à cette question, la jeune étudiante tourne les pages pour arriver en tête de l'oeuvre et s'étonne de n'y trouver aucun chiffre rédigé au crayon à papier. Surprise et déçue à la fois, Colleen garde le silence et n'ose pas soumettre l'interrogation au commerçant, ce que sa mère ne se prive pas de faire.

« Loren ?

- Oui docteur Mike ?

- Quel est le prix de ce livre s'il vous plaît ?

- Je ne l'ai pas marqué à l'intérieur comme j'ai l'habitude de le faire ?

- Non car sinon, je ne serais pas en train de vous poser la question. »

L'homme hausse les sourcils, étonné de son manque de professionnalisme. Aussitôt, il quitte son poste d'observation favori pour s'approcher des deux femmes et s'empare du bouquin après avoir sollicité l'autorisation de la jeune demoiselle. Dès que le livre se trouve entre ses mains, Loren regarde à l'endroit habituel où il marque le prix et là encore, ce dernier reste interdit devant sa négligence.

« Tu sais Colleen, j'ai su par ta mère que tu avais reçues d'excellentes notes lors de tes derniers examens et je pars du principe que tu mérites une récompense, dit-il. Avec l'autorisation du docteur Mike, je suis d'accord pour te l'offrir mais bien sûr, je compte sur toi pour te montrer discrète car si les autres clients apprennent que je me suis montré généreux, ils seront en droit de venir me poser des questions.

- J'imagine monsieur Bray et je vous remercie énormément pour ce cadeau. »

Touchée par ce cadeau, Colleen aimerait prendre le vieil homme dans ses bras mais elle sait très bien que celui-ci n'est pas un grand amoureux des démonstrations affectives. Néanmoins, l'étudiante tient à remercier le gérant et cherche une façon de le faire. Soudain, alors qu'elle pense avoir trouvé une solution, la grande sœur de Brian se tourne vers sa mère afin de lui demander une faveur.

« Maman, pourrais-je faire un gâteau en rentrant pour l'offrir à monsieur Bray ?

- Je n'y vois aucun inconvénient.

- Et moi non plus, réagit le vieil homme. Je me souviens de la dernière fois où j'ai eu la chance de déguster l'une de tes tartes et je dois avouer que je me suis régalé ce jour-là.

- Dans ce cas, je ne vais pas m'attarder davantage. Encore une fois monsieur Bray, un très grand merci pour ce cadeau. »

Appréciant à sa juste valeur la générosité de celui qui se tient face à elle, Colleen prend tout de même le temps de déposer un baiser sur l'une de ses joues ridées avant de se diriger vers la sortie de la boutique.

Quelques heures plus tard, Michaela est de retour chez elle et dès qu'elle referme la porte d'entrée après son passage, elle aperçoit Colleen assit sur l'un des nombreux fauteuils que compte la pièce, installée devant la cheminée. Dans ses mains, le livre en question tandis qu'une tarte encore fumante repose au centre de la table. Amusée de la voir autant absorbée par le bouquin, le médecin n'ose l'interrompre et se déplace en essayant d'être la plus discrète possible. De son côté, l'adolescente abandonne sa lecture pour diriger son regard vers sa mère d'adoption.

« Comment s'est passé votre journée maman ?

- Très bien et je suis contente qu'elle soit terminée. Où est Katie ?

- Dans son berceau.

- Et elle est seule ?

- Non, Sully est à ses côtés. »

Michaela est contente d'apprendre que son homme est à l'étage et s'occupe actuellement de leur fille. Soudain, son ventre émet un gargouillis et à ce moment, Colleen sourit.

« Si vous avez faim, j'ai mis votre repas de côté mais il doit être froid depuis.

- Ce n'est pas grave Colleen et je te remercie de l'avoir préparé. Alors, comment est le livre que monsieur Bray t'a offert ?

- Passionnant, comme tous les autres et j'aimerais beaucoup m'offrir un objet qui est présenté dans l'une de ses pages.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Cet homme nomme cela un aquarium. C'est un récipient qu'on peut conserver chez soi afin d'observer la vie des poissons qui évoluent à l'intérieur.

- Vraiment ? »

Intéressée par l'objet en question à son tour, Michaela s'empresse de traverser la pièce afin de rejoindre sa fille. Une fois dans son dos, elle observe la page sur lequel est dessiné l'aquarium et doit reconnaître que cette sphère transparente est plutôt agréable à regarder. Néanmoins, elle ne pense pas que des poissons puissent s'épanouir pleinement dans ce cadre si restreint.

« J'avoue que cet aquarium est plutôt joli mais penses-tu avoir le temps de t'occuper de ces animaux si jamais on pouvait en acheter un ?

- J'en doute fortement maman. Avec mes études, je ne suis plus aussi présente à la maison et je ne peux pas vous demander de vous en occuper à ma place. Vos journées sont toutes aussi chargées que les miennes et je ne parle pas pour celles de Sully et de Brian. »

Michaela est soulagée de la sagesse de Colleen. Par contre, rien ne l'empêche de s'offrir cet objet si jamais il venait à être commercialisé un jour et surtout, lorsqu'elle aura son petit chez soi. Néanmoins, si elle se destine à être médecin et que ses journées soient aussi chargées que les siennes, aurait-elle le temps de leur consacrer quelques minutes par jour ? La femme de sciences en doute fortement.

« La tarte qui repose sur la table est pour monsieur Bray je présume ?

- Oui mais j'en ai fait une seconde qui repose avec votre repas. Elle a eu le temps de refroidir donc, vous pourrez vous servir une part si jamais l'envie se fait sentir.

- Et tu sais déjà que je vais me faire plaisir. Je suis très gourmande lorsqu'il s'agit de dévorer tes pâtisseries. Non seulement tu feras un excellent médecin mais je suis convaincue que tu feras une excellente épouse. »

Touchée et gênée par cette conversation, Colleen se met à rougir avant de baisser son visage pour dissimuler son mal-être. Connaissant par coeur les réactions de sa fille adoptive, Michaela juge utile de ne pas en rajouter mais se contente de déposer un baiser affectueux sur la magnifique chevelure de l'adolescente. Par contre, elle ressent une envie au plus profond d'elle-même et ne se prive pas pour échanger à ce sujet.

« Une fois que tu auras terminé la lecture de ce livre, tu penses que tu pourrais me le prêter pour que je puisse le lire à mon tour. »

Suite à cette proposition, Colleen tourne son visage afin que son regard croise celui de sa mère et se montre plutôt emballée.

« Cela me ferait très plaisir.

- Je suis contente de l'apprendre et si jamais je trouve ce livre tout aussi passionnant que toi, je ferais mon nécessaire pour te procurer tous ses romans et de cette façon, nous aurons une passion en commune. Cela serait très agréable de nous offrir des soirées consacrées à la lecture et nous accorder quelques minutes pour échanger sur nos ressentis. Que penses-tu de cette idée ?

- Je suis partante maman, merci beaucoup. »

Colleen aime cette femme qui se tient à quelques centimètres d'elle et cette dernière remercie sincèrement le seigneur de l'avoir mise sur son chemin, lorsque sa véritable mère s'est faite mordre par ce maudit crotale. Certes, son père aurait pu lui offrir tous les livres qu'elle aurait désirés grâce à la fortune de sa nouvelle femme et vivre sous le toit d'un homme qui se montre intéressé que par l'argent, non merci. Voulant se montrer honnête, l'étudiante ouvre son coeur.

« Maman ?

- Oui Colleen.

- J'ai conscience que je ne vous le dis pas assez mais sachez que je vous aime vraiment. Tous les jours, je remercie le ciel d'avoir fait de moi votre fille et pour tout cet amour que vous m'offrez, je suis fière d'être un membre de votre famille. »

Cette fois, c'est au docteur Quinn de se montrer touchée et comme d'habitude, elle ne peut s'empêcher d'attraper Colleen pour une étreinte affective. Tandis que le câlin perdure sur plusieurs secondes, des pas sur les marches de l'escalier se font entendre. Curieuse, Michaela libère la jeune lectrice et se tourne légèrement vers la voie boisée pour se rendre compte que l'individu qui le descend n'est autre que Sully. Ayant remarqué l'attitude des deux femmes, l'homme s'en veut d'avoir brisé ce moment et n'hésite pas à réclamer autant d'attention à son tour.

« Que dois-je faire pour finir dans les bras de ma charmante épouse ?

- Sully. »

Contente de le voir après la dure journée de labeur qu'elle vient de vivre, le docteur abandonne l'adolescente au profit de son mari. Dès que celle-ci se tient face à lui, le couple s'embrasse à aussitôt, Sully se montre tendre comme il a l'habitude de le faire. A l'instant même où elle se tient dans ses bras, la femme se montre curieuse au sujet du bien-être de leur fille.

« Tu as réussi à l'endormir ?

- Oui mais ce n'était pas facile.

- Je m'en veux tellement de ne pas pouvoir passer plus de temps avec elle.

- Mais rien ne t'empêche de prendre des vacances. Maintenant que Andrew travaille en ville, tu pourrais très bien diriger tes patients à son cabinet pour quelques journées. Je ne pense pas que tes patients y verraient un inconvénient et puis tu as une vie de famille après tout. »

Le docteur Quinn ne dit rien car son homme a raison. Toutefois, elle ne se sent pas prête pour abandonner ses patients car elle aime voler à leur secours lorsque le besoin se manifeste. Toutefois, elle ne peut pas se permettre de prendre Katie à son cabinet car si jamais une intervention doit avoir lieu, cet enfant est beaucoup trop jeune pour observer une opération surtout si celle-ci comprend une hémorragie des plus importantes. Non, cet enfant est très bien là où il se trouve et heureusement que Sully, Brian et Colleen sont là, sans compter sur Dorothy qui adore s'en occuper. Quelques minutes plus tard, Michaela se tient devant le poêle de la résidence et attend tranquillement que son repas réchauffe.

De son côté, Sully se pose sur l'un des fauteuils libre et discute avec sa femme d'un certain sujet.

« Je me suis rendu à la réserve aujourd'hui mais on a voulu m'empêcher de passer.

- Pour quelle raison ? Demande celle qui se tient devant le poêle.

- Visiblement, j'excite un peu trop les Indiens qui s'y trouvent avec mes idées et les soldats chargés de les surveiller rencontrent des difficultés à les garder au calme après chacun de mes passages.

- Ce prétexte est un peu ridicule.

- C'est aussi mon avis. Je me dois de trouver une solution pour continuer à les voir et tout faire pour les aider à vivre leur vie comme avant.

- Rien ne sera comme avant Sully et tu le sais aussi bien que moi.

- Oui et cela m'énerve. »

Sully tente de se contenir mais la rage qu'il abrite tout au fond de son coeur envers les membres qui composent l'armée en charge de surveiller la réserve ne cesse de grandir. Les tribus auxquelles appartiennent Nuage Dansant et les autres amérindiens étaient sur ces terres depuis de nombreux siècles et savoir que des gens interviennent pour les brider afin de satisfaire un président à l'esprit fermé, très peu pour lui. Cependant, si une révolte devait se produire, l'homme est convaincu que les politiques et l'armée se feront un plaisir de les pourchasser et ils ne prendront aucun gant pour mettre un terme à leur existence puisqu'à leurs yeux, ces êtres constituent une véritable menace. L'homme sait se montrer particulièrement stupide lorsqu'il tient les rênes du pouvoir entre ses mains.

« Il serait bien qu'on invite Nuage Dansant à déjeuner avec nous. Je suis sûre que cela pourrait l'aider à se changer les idées, propose Michaela.

- Et je lui en ferais part dès que je le verrais. Si seulement je pouvais être plus utile. »

Frustré, Sully se lève de son siège et traverse la grande pièce pour se diriger vers la porte d'entrée de la maison qu'il a construite de ses propres mains. Suite à son déplacement, le médecin s'interroge et lui soumet sa question.

« Où vas-tu ?

- Je vais fendre du bois et puis j'ai besoin d'être un peu seul. »

Le propriétaire des lieux déserte sa maison tandis que son épouse l'accompagne du regard. Elle comprend parfaitement ce qu'il ressent car elle se reproche également d'être toute autant impuissante. Soudain, la femme songe à un petit détail qui aurait tendance à l'inquiéter si elle n'obtient pas une réponse rassurante.

« Dis-moi Colleen, sais-tu où se trouve ton petit frère ?

- Il passe la nuit chez l'un de ses copains. Vous ne le saviez pas ?

- Non et j'avoue que j'aurais aimé qu'il m'en parle.

- Cela s'est fait à la dernière minute docteur Mike et puis il vous a attendu une partie de la soirée pour vous en parlez. Cependant, comme vous n'avez pas l'air de vouloir rentrer à la maison, il s'est tourné vers Sully pour lui demander son autorisation. »

Là encore, le docteur se reproche d'être autant absente auprès de sa famille et souhaite se pencher sur ce souci lors des jours à venir pour trouver une solution afin d'alléger son emploi du temps. Elle a besoin de conseil et elle le sait. C'est aussi pour cette raison qu'elle demande l'avis de sa fille.

« Dis-moi Colleen, si tu étais à ta place, que ferais-tu ?

- A quel sujet ?

- Ma disponibilité auprès de vous.

- Sincèrement, je l'ignore car il m'est encore difficile de me voir en tant que mère de famille, épouse et médecin.

- Pourtant, toi et Andrew êtes devenus très proches et je suis persuadée qu'ensemble, vous allez réaliser de grandes choses.

- Docteur Mike ! S'offusque Colleen.

- Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai dit quelque chose qui ne fallait pas ?

- Ma relation avec Andrew ne concerne que lui et moi et ce n'est pas parce que j'aime passer du temps avec lui qu'une relation autre qu'amicale est envisagée. De toute façon, je n'ai pas le temps d'y songer car mes études me prennent beaucoup de temps.

- C'est vrai. Excuse-moi de m'être montrée indiscrète. »

Colleen ne dit rien et se réfugie une nouvelle fois dans sa lecture. Certes, elle apprécie énormément le docteur Cook mais de là à se projeter dans le futur avec lui, c'est encore une autre histoire.