Il était tard. Les couloirs du bâtiment étaient sombres, la nuit étant déjà tombée sur San Francisco. Mon entraînement de volley s'était éternisé. Je n'avais pas voulu lâcher la balle avant de réussir un service parfait. Je comptais me donner à fond pour gagner ce match. J'étais exténuée, si bien que je traînassais un peu en me rendant à mon casier pour y récupérer des affaires. La coach m'avait confié un double de la clé du gymnase, puisque j'étais la capitaine de l'équipe. Le lycée était terriblement calme, c'était sérieusement différent de son agitation habituelle. Soudain, un bruit. Un son métallique, comme celui d'un casier qu'on refermerait un peu trop brusquement. Ce n'était pas le mien. Je me retournai vivement, les sourcils froncés. Les petites lampes murales éclairaient peu, mais c'était suffisant pour que je reconnaisse son visage pâle. Ses cheveux châtains avaient l'air bien plus foncés dans l'obscurité. Ses yeux gris me dardaient avec curiosité et il pencha la tête, surpris de me voir ici. Ian Carter. Mon pire ennemi.
"- Qu'est-ce que tu fais ici ? demandais-je."
Les mots étaient sortis de leur plein gré de ma bouche. Pour accéder à mon casier, j'avais été obligée de traverser entièrement le rez-de-chaussée du lycée et aucun bruit n'avait attiré mon attention. Comment Ian avait-il fait pour entrer ? Et d'ailleurs, pourquoi était-il entré ?
"- Rien qui ne te regarde, répondit-il d'un ton sec.
- Tu ne devrais pas être là.
- Pas plus que toi, en tout cas."
Je grinçais des dents. En l'espace de deux minutes, Ian avait réussi à me clouer le bec. Je détestais son talent de la répartie. Il devait certainement avoir quelque chose à cacher, mais je ne lui demanderai pas quoi, cela serait inutile. Quand Ian m'adressait la parole, c'était toujours pour sortir une vacherie, alors, à quoi bon lui poser une question ? Il me détestait, je le détestais. De bons ennemis, en somme.
Ian me fixait toujours d'un œil curieux, attendant certainement une riposte de ma part. Je soufflais. Le simple fait de le regarder m'exaspérais au plus haut point.
"- Je suis restée tard à l'entraînement, dis-je en croisant les bras. L'équipe joue un match important, samedi, je ne peux pas me permettre d'être à la traîne.
- Tu es toujours à la traîne."
Il avait prononcé cette phrase en faisant attention à bien articuler tous les mots. Je sentais une aura furieuse s'échapper de lui, comme si j'avais fait quelque chose de mal. Si j'avais eu l'audace de lui répondre, Ian n'aurait pas hésité à me casser le nez. Je fronçais de nouveau les sourcils, quel sauvage il faisait, celui-là. Mais ne désirant pas confirmer la force de ses coups, je m'étais seulement contentée de me retourner vers mon casier toujours ouvert pour y récupérer mes affaires. À peine eu-je le temps de faire un pas pour m'écarter que Ian me retint pas le bras.
"- J'espère que tu tiendras ta langue.
- Ne t'inquiète pas pour ça, je lâchai en me tournant vers lui, je ne sais ni comment ni pourquoi tu es là, mais sache que je ne couvrirai pas indéfiniment tes arrières.
- Je n'ai pas besoin de toi pour me protéger."
Nous nous jaugeâmes du regard pendant plusieurs minutes avant de nous séparer, sans aucune autre forme de politesse. Je me dirigeais vers la porte principale, tandis que Ian... Je jetais un coup d'œil derrière moi. Il semblait errer dans les couloirs, tel un fantôme qui hanterait un manoir le soir d'un vendredi treize. Il regarda à sa gauche, à sa droite, mit ses mains dans ses poches, les ressortit, fit craquer ses doigts, puis recommença son petit manège. Qu'est-ce qui clochait chez lui, bon sang !?
"- Et bien alors ma chérie, qu'est-ce qui t'as prit autant de temps ? Tu étais avec ton copain ?
- Maman ! Je suis juste restée plus tard que d'habitude à l'entraînement, pas la peine de t'imaginer des choses ! Je me défendais, outrée.
- Comment s'appelle-t-il, déjà ? Adrian ?
- Adrian est juste un ami, maman.
- Il t'a quand même invité à sa fête d'anniversaire, ce n'est pas rien ! s'enthousiasma ma mère, les yeux pétillants et avides de détails croustillant.
- Mais maman ! je protestai de nouveau, Adrian n'est vraiment qu'un ami. Et j'étais VRAIMENT à l'entraînement !"
Débarrassant la table à la va-vite, je rejoignis ensuite ma chambre, laissant ma mère seule avec ses questions plus stupides que gênantes. Papa finissait tard le mardi, alors on mangeait en tête-à-tête, maman et moi. L'absence d'identité masculine autour de la table permettait à ma mère de se lâcher et de se mêler de ma vie privée, plus particulièrement sur ma vie sentimentale. Encore une idée de ces magasines idiots, qui déblatéraient aux parents des manières toujours plus recherchées pour empiéter sur le peu d'intimité que leurs enfants possédaient.
Ma chambre n'était qu'un amas de revues, de livres et de journaux sportifs. La plupart parlaient de volley-ball, même si j'en avais plusieurs sur le football américain, le tennis et le handball. Un parcourt du combattant n'était pas représentatif du sentier porte-lit, que je devais traverser, matin et soir. J'attendais désespérément la venue d'étagères ou de bibliothèques parce ma chambre ressemblait plus à une caverne d'Ali Baba qu'à ma chambre. Je m'installais péniblement à mon bureau pour faire mes devoirs. Je me pinçais le nez en soufflant ; je n'avais pas encore ouvert mon livre de mathématiques que les "x²" et les "fonctions cubes" venaient assaillir mon esprit. Cette matière était vraiment détestable. Sa langue était compliqué et sa prononciation très fourbe. Je ne restais pas longtemps concentrée -à peine cinq petites minutes. De toute façon, je n'avais que ça à faire pour demain et Adrian pourrait sûrement me venir en aide.
C'est en me frottant les yeux que je compris que mon lit n'attendait que moi. Je ne pris même pas la peine de ranger mes affaires, que j'enfilais directement mon pyjama avant de me glisser dans les bras de mes oreillers. Je me couchai à 23h34, je ne vis pas mon réveil passer à 23h35.
C'est le matin. Je marche tranquillement dans les rues de San Francisco, sans but précis en tête. Entre mes bras, un gros sac remplie de babioles de toutes les couleurs. Je ne sais pas ce qu'il y a dedans. Autour de moi, les gens vaquent à leurs occupations et ne semblent pas faire attention à moi. Leur visage semble flou, comme si on ne voulait pas que je les reconnaisse. Je ne me sens pas très bien, j'ai l'impression que quelque chose de grave va se passer. Quelque chose d'horrible.
Soudain, je trébuche même si, et j'en suis presque certaine, il n'y a rien au sol qui puisse me faire tomber. Toutes les affaires présentes dans le sac s'éparpillent et je n'ai pas d'autre choix que de tout ramasser. Au bout de quelques minutes, peut-être de quelques secondes, je ne sais pas, une femme s'approche de moi et s'agenouille. Sans un mot, elle m'aider à ranger. À elle non plus, je ne vois pas son visage, pourtant, j'ai l'impression qu'elle me sourit. Je l'a vois belle, gracieuse. Dans mon esprit, elle m'apparaît comme une mère de famille aimante et attentionnée. Nous nous relevons et je veux l'a remercier. Les mots ne veulent pas sortir. Je reste muette et la femme s'en va. Autour de moi, tout s'assombrit. Le ciel se remplit de nuages sombres et j'entends au loin le tonnerre. Un crissement de pneus me fait sursauter. Je tourne la tête, à gauche, puis à droite. Je ne vois rien, le brouillard est épais. J'ai peur, je tremble. Je ne sais pas ce qui se passe. Je ne sais rien, rien du tout. J'avance sans le vouloir, une masse noire se dessine devant mes yeux. C'est une voiture, elle est arrêtée. Je m'approche encore un peu. Une femme est couchée, étendue sur le sol. Elle dort. Je l'a regarde un instant, que fait-elle au milieu de la route ? Son sac est à mes pieds. Je le saisis de mes doigts tremblants, j'ai la nausée. Je sors du petit sac à main une carte d'identité. Son visage est flou, mais je comprends que c'est la femme qui m'a aidé à ramasser mes affaires. Je ne sais pas où est passé mon gros sac, ce n'est pas grave. Je veux lire son prénom, son nom, mais je n'y arrive pas. Les lettres se mélangent, bougent comme si elles dansaient la valse. Mais qui est-elle ?
Je comprends. Je comprends tout. Le sang coule et je ne fais rien. Je l'a regarde. Je ne suis ni triste ni heureuse. Mais la vue du sang me donne un haut-le-cœur et je vomis près de la roue avant de la voiture. Le conducteur à disparut.
La pluie s'abat sur moi. Je suis trempée. Le vent me décoiffe, me fait tourner la tête. La tempête fait rage mais je ne bouge pas. Je reste là, à attendre.
C'est de ma faute. Ma faute, à moi toute seule.
Cette femme ne dort pas, elle est morte, et c'est de ma faute.
C'est en pleure que je me réveillais, le cœur prêt à exploser et le corps tremblant, prêt à lâcher. L'image de cette femme en sang submergea mes pensées. Son corps inerte sur le sol, ses cheveux emmêlés entre ses doigts, ses jambes meurtries et qui ne fonctionneraient plus jamais. J'haletais comme si je venais de courir le marathon de New York, en vain. Ce cauchemar me hantait depuis plus d'un an. Je ne comprenais pas pourquoi je le faisais, ni pourquoi il se répétait en une boucle infinie. Il me fallut quelques instants pour me ressaisir. Mon réveil affichait cinq heures quarante-huit. J'allais me lever dans dix minutes, à quoi bon se rendormir ? Je me levais en titubant. En ce moment, mes nuits ne me réussissaient vraiment pas.
Je n'avais jamais parlé de ce cauchemar à mes parents. Qu'allaient-ils penser de moi ? Je les imaginais, me regardant d'un air surpris, me disant que j'étais complètement folle, qu'un cauchemar qui se répétait depuis un an n'était pas normal. Et là, ils m'empoigneraient par les bras pour m'emmener très loin d'eux. Je secouai frénétiquement la tête. D'accord, j'avais peut-être un peu exagéré sur mes dernières pensées. Mes parents n'auraient sûrement pas cette réaction. Mais qu'importe, jusqu'à maintenant, je ne leur en avais jamais parlé, commencer aujourd'hui ne servirait à rien.
Je passai les grilles du lycée vers huit heures et quart. Malgré l'heure matinale, le lycée était déjà animé. Ça bougeait, ça gigote dans tout les sens, on ne savait pas où l'on posait les pieds, où est-ce que la foule allait nous porter. Mais alors que j'entrais dans le hall principal, les mouvements se firent plus lents, les élèves qui venaient d'entrer s'étaient arrêtés. On pouvait entendre des chuchotements, des commentaires soufflés à voix basse. Ne comprenant pas ce qu'il se passait, je me mis à observer autour de moi. La plupart des élèves avaient les yeux rivés sur un mur. Qu'est-ce qu'il y avait donc de si... Oh.
Le mur habituellement bleu clair avait viré au rouge. De grosses lettres, des mots. Un énorme mot avait été écrit sur le mur. Life is a joke. La vie est une blague ? Comment ça, la vie est une blague ? Pourquoi avoir écrit ça sur un mur du lycée ?
Je ne savais pas trop quoi penser. Cela devait être encore un pari idiot, lancé dans un groupe d'amis. Peut-être que la personne voulait simplement se faire remarquer. Je me pinçais la lèvre inférieure ; il faut vraiment être dérangé pour faire une chose pareille. Encore un petit malin qui se croyait tout permis. Quoi qu'il en soit, ce problème ne me concernait pas. Je passais donc mon chemin, pour aller rejoindre Adrian vers son casier.
Adrian était le capitaine de l'équipe de football du lycée. Il me dépassait d'au moins cinq centimètres, un vrai géant. D'épais cheveux blonds et de beaux yeux bleus, un vrai petit ange. Beaucoup de personnes pensaient que nous sortions ensemble, lui et moi, mais ce n'étaient que des rumeurs. Je m'imaginais très mal sortir avec un garçon comme lui, cela ferait bien trop cliché ! La capitaine de volley et le capitaine de football ? Non, non et non. Adrian n'était qu'un ami et c'était très bien comme ça.
Quand j'arrivais à son niveau, Adrian avait le nez fourré dans son casier.
"- C'est ça que tu cherches, Angie ? demandais-je en sortant de mon sac une clé USB orange.
- Quoi ? Qu'est-ce que tu d- Aïe !"
Adrian venait de se cogner contre le rebord de son casier. Je laissais échapper un rire moqueur, c'était souvent comme ça avec lui.
"- C'est ça que tu cherches ? je répétais en lui tendant le petit bout de pastique coloré.
- Ah, c'est quoi qui l'avait ! J'ai bien cru que je l'avais perdu !
- Tenez, je vous rends le Saint-Graal, chevalier Perceval, je répliquais, ironique."
Sa clé USB contenait toutes les chansons qu'Adrian avait composées avec sa guitare. Je l'avais légèrement emprunté pour écouter parce qu'il n'avait jamais voulu me montrer ses travaux. Angie me fixait, boudeur.
"- Toutes tes musiques sont vraiment magnifiques, ce n'était pas la peine de me le cacher ! Et puis tu aurais pu te douter que j'allais te la prendre de toute façon.
- Tu es insupportable, il souffla en me prenant dans ses bras."
Adrian faisait souvent ça. Me prendre dans ses bras c'était sa façon de dire "je t'adore même si tu me tapes sur les nerfs". La sonnerie retentit dans tout l'établissement. Je réussi à m'extirper des bras d'Adrian, je lui lançai un rapide "on se voit plus tard" avant de me diriger d'un pas plus que rapide vers ma salle de classe. Je détestaits être en retard en cours.
Je m'installais au fond de la classe, en essayant d'ignorer Ian qui me fixait d'un regard assassin. Si quelqu'un pouvait m'expliquer son problème, cela m'aiderait beaucoup. Depuis quelque temps, Ian ne pouvait pas me voir. Pourtant, je ne lui avais rien fait qui puisse le mettre dans cette état.
Je sortais ma trousse et mon cahier pour les poser devant moi, mais un petit bout de papier vint attirer mon attention. Il était seulement plié en quatre et mon nom était écrit dessus. YOUR life is a joke.