NDLA: J'ai recommencé ce chapitre au moins trois fois avant d'être satisfaite et l'histoire est partie dans une direction que je n'avais pas prévu...pas ma faute, mes persos n'en font qu'à leur tête ^^ Du coup ce qui devait être un ou deux chapitres de transition avant la première année de Harry est devenu un mini-arc.

Comme toujours, merci énormément de continuer à me lire, à commenter l'histoire et à la suivre :3

ATTENTION : Langage vulgaire sur la fin !

Disclaimer: Aster et quelques OCs secondaires sont à moi, le reste appartient à J.K. Rowling

Correctrice: Not gonna die

Bonne lecture :)


ARC II

(Chapitre 10 à ?)


Chapitre 10

La terre est cendre et le ciel de feu.

Il court.

Un nuage de poussière explose silencieusement à quelques mètres de lui.

Il court.

L'arme automatique passée à son épaule meurtrit son dos à chaque nouveau pas sur le sol brûlant.

Il court.

Des formes sombres s'agitent de part et d'autre du champ de bataille. Gesticulent de façon grotesque avant de s'effondrer et de disparaître.

Il court.

Il s'enfuit.

La fumée l'intoxique et ses jambes sont de plomb.

Il tombe à genoux alors que le rideau brumeux s'écarte, dévoilant une silhouette familière.

Il hurle.

Un mot...un nom.

Lui-même ne l'entend pas tant le silence est assourdissant.

Pardon...pardon...

Elle sourit, une lueur de réconfort dans le chaos qu'est devenu son monde.

Mais le répit est court.

Le regard vire à l'horreur et la silhouette s'efface dans un soupir indicible.

L'obscurité retombe telle une sentence meurtrière, avalant tout espoir d'absolution.


03 Décembre 1990, Lowndes Square

Aster Evans se réveilla en sursaut, un cri au bord des lèvres. Rejetant ses couvertures, il s'assit sur le bord de son lit, la tête entre les mains. Il était en sueur.

Un cauchemar. Encore.

Un regard sur le réveil bas de gamme posé sur la table de chevet à côté de son lit lui indiqua qu'il n'était que cinq heures trente du matin. Au moins aurait-il réussi à dormir plus de quelques heures cette fois-ci.

Il tendit l'oreille, espérant ne pas avoir dérangé son neveu. Fort heureusement, il ne perçut rien suggérant que Harry l'ait entendu.

Malgré lui, un soupir de soulagement lui échappa. Il n'avait pas vraiment envie d'expliquer au garçon en quoi pouvait consister les cauchemars d'un adulte, et encore moins les siens.

Sachant que se recoucher ne servirait probablement à rien, Aster sortit discrètement de sa chambre, s'arrêtant tout de même devant la porte faisant face à la sienne pour confirmer sa première impression. Il l'entrouvrit légèrement, juste assez pour vérifier que le garçon était toujours dans les bras de Morphée. Satisfait et rassuré, il la referma avec tout autant de précaution avant de filer silencieusement le long du corridor dont il clôt aussitôt la porte pour s'y adosser.

Un foutu cauchemar.

Il passa rapidement dans la cuisine, se passer un coup d'eau sur la figure pour achever de se réveiller puis se dirigea vers le salon où il s'installa confortablement dans un fauteuil. Il frissonna tout le long du chemin : le sol était froid sous ses pieds nus et il se maudit de ne pas avoir pensé à récupérer une paire de chaussettes avant de quitter sa chambre. L'hiver était presque là après tout.

Le sol était froid...

Dans son rêve, il avait été brûlant, corrosif même...à tel point qu'il était presque étonné de constater que sa plante de pied était intacte.

Il essaya de se rappeler de ce qui l'avait réveillé, mais son esprit restait désespérément vide, les images s'étant déjà estompées. Ne restait plus que l'intense sentiment d'une terreur intangible qui lui enserrait le cœur.

Pendant quelques minutes, il se contenta de respirer calmement et, finalement, son malaise finit également par se dissiper.

Les cauchemars ne lui étaient pas étrangers : ils étaient le lot de tous ceux qui avaient embrassé la même carrière que lui et il n'était pas rare que ses songes soient hantés de visages morts et de corps déchirés. Il avait appris à vivre avec.

Il remarqua un livre entre-ouvert laissé à l'abandon sur la table basse en face de lui. Le Chien des Baskervilles titrait sur la première de couverture. Apparemment, Harry s'était dernièrement découvert une passion pour les aventures de Sherlock Holmes. Il avait déjà dévoré Une Étude en Rouge et Le Signe des Quatre d'une traite la semaine dernière. Il faudrait quand même qu'il rappelle à son neveu de ne pas laisser traîner ses affaires dans toute la maison.

Il reposa le livre en prenant soin de marquer la page à l'aide d'un bout de papier. L'horloge murale indiquait qu'il était à présent presque six heures trente passées, une heure raisonnable pour un petit-déjeuner.

Il venait de finir de poser le couvert dans la salle à manger quand Harry apparut dans l'encadrement de la porte, les yeux encore bouffis de sommeil. Il fit signe au garçon de prendre place, lui ébouriffant affectueusement les cheveux au passage.

Le nez dans sa tasse de café, Aster soupira en réalisant que cela faisait maintenant plus de cinq mois qu'il avait récupéré la garde de son neveu. Qu'il avait quitté l'armée et remanié sa vie du tout au tout. Et bien qu'il n'oserait sans doute jamais l'admettre à quiconque, ce changement avait été très certainement pour le mieux, que ce soit pour le garçon ou pour lui-même.

Les formalités administratives pour le changement de garde avaient duré quelques semaines, mais pas une seule fois les Dursley ne lui avaient mis des bâtons dans les roues. En fait, lorsqu'il les avait croisés au tribunal au sortir du bureau de la Juge des Affaires Familiales, ils avaient carrément eu l'air soulagé de s'être débarrassé du garçon. Seule la perspective de finir une nuit dans une cellule grisâtre et grillagée avec une dizaine d'autres types plus ou moins éméchés avait permis à Aster de maintenir son calme face au sourire de ravissement malsain qu'arborait son beau-frère. Il n'avait pas non plus voulu effrayer son neveu qui l'accompagnait et qui était déjà bien assez nerveux. Heureusement, l'audience en elle-même s'était déroulée en toute sérénité, les papiers avaient été signés sans accroc et tout le monde, Harry en tête de liste, s'en était satisfait.

D'un autre côté, retourner à la vie civile n'avait pas été chose facile et des années ne suffiraient pas à effacer totalement les habitudes qu'il avait acquises lors de son temps dans l'armée. S'adapter au rythme de travail du SID avait également été un challenge de premier ordre. Bien qu'il en soit techniquement le dirigeant, il n'avait absolument aucune expérience en tant qu'inspecteur la première fois qu'il avait mis les pieds dans les bureaux de la brigade. Cela avait mené au début à quelques conflits avec ses collègues quant à ses manières de faire.

Enfin, surtout entre King et lui.

Aster avait beau se targuer d'avoir une bonne dose de tolérance en général, cette femme avait un certain don (et même un don certain) pour lui porter sur les nerfs. C'était une véritable tête de mule à qui la notion de respect de sa hiérarchie semblait échapper. Ou peut-être que c'était juste sa tête qui ne lui revenait pas.

Bornée et cynique à outrance, Joan King était une femme qui n'avait pas sa langue dans sa poche, pas plus qu'elle ne mâchait ses mots. En parcourant le dossier de la jeune trentenaire métis, Aster avait découvert qu'elle avait été abandonnée tôt par ses parents, une famille de sang-pur qui n'aurait pu souffrir le déshonneur de compter une cracmolle dans leur nombre. Elle avait passé une bonne partie de son enfance dans un orphelinat du Merseyside, près de Liverpool avait-il noté avec intérêt, avant d'être adoptée par un couple de sorciers la veille de ses quinze ans. La situation relativement aisée de sa nouvelle famille lui avait permis de poursuivre des études universitaires couronnées de succès à Manchester, d'où elle était sortie avec une double maîtrise en droit et psychologie criminelle.

Si le dernier domaine lui avait semblé incongru tenant compte du tempérament fougueux de sa collègue, Aster avait dû néanmoins reconnaître que King n'avait pas son pareil pour retourner la tête de leurs suspects, ce qui était, il fallait bien l'avouer, drôlement pratique. Enfin, quand elle ne poussait pas le bouchon trop loin. Sa propension à taper sur le système de tout et n'importe qui était en effet plus qu'impressionnante.

A l'extrême opposé, il y avait Lawrence Shepherd. Le quasi-quinquagénaire était un de ces détectives de la vieille école qui préférait se fier en tout lieu à son instinct, excellent par ailleurs. Inspecteur au CID depuis maintenant vingt ans et détective au SID depuis quinze, l'homme était un véritable pilier pour l'unité, et Aster ne comptait plus le nombre de fois où il s'était reposé sur l'expérience de l'homme à ses débuts dans le métier.

Avant de se rendre compte qu'administrativement, Lawrence ou « Law » comme il insistait qu'on l'appelle, était une catastrophe ambulante. Si Aster avait une sainte horreur de tout ce qui se rapportait de près ou de loin à de la paperasse, son senior semblait la fuir comme la peste accompagnée du choléra et de la variole. Et là non plus il ne comptait plus le nombre de fois où il avait dû le harceler pour qu'il lui rende ses rapports à temps. A cela s'ajoutait une maladresse chronique qui semblait le poursuivre à chaque fois qu'il n'était pas directement sur le terrain.

Jovial par nature et sérieux en service, l'homme cachait néanmoins une facette espiègle qui le poussait régulièrement à balancer de grands seaux d'huile sur le feu pour son simple amusement. Notamment lorsqu'Aster se prenait la tête avec King. Ou avec le Chef Hale. Ce qui leur avait valu à tous toute une série de sermons, mais ça c'était encore une autre histoire.

Marié à une charmante sorcière (si ça ce n'était un superbe oxymore) depuis pas loin de vingt-cinq ans comme il se plaisait à leur rappeler chaque jour à l'approche de leur anniversaire de mariage, il avait eu avec elle deux enfants. Son aîné, Tristen, était un fier Poufsouffle de cinquième année qui venait tout juste de recevoir son badge de Préfet et officiait dans l'équipe de Quidditch de sa maison pour laquelle il occupait le poste de Batteur. Sa cadette, Luann, était une jeune Serdaigle de deuxième année qui deviendrait à en croire son père la plus jeune Ministre de la Magie. Dans le genre papa gâteau, il n'avait pas vu ça depuis que James Potter avait posé les yeux sur son fils tout juste né. Sa chère et tendre Elvira, quant à elle, travaillait pour le Département de la Justice Magique du Ministère, ce qui, une fois encore, pouvait se montrer relativement commode, surtout lorsqu'ils avaient besoin de renseignements que le Département des Aurors se faisait une joie de garder pour lui.

Et puis, il y avait Connor MacAllen. Fraîchement diplômé de l'Académie de Police depuis à peine trois ans, il avait d'abord rejoint les rangs du MI5 où ses compétences d'analystes et sa connaissance approfondie des nouvelles technologies avaient été grandement appréciées. Jusqu'à environ deux mois avant l'arrivée d'Aster au sein du SID lorsque le jeune homme était devenu le témoin totalement involontaire d'une intervention du Département des Aurors.

Le rapport ne mentionnait pas exactement ce qui s'était passé ce jour-là excepté que MacAllen avait eu droit à un ultimatum : soit il rejoignait le SID et mettait sa nouvelle découverte et ses compétences à profit, soit sa mémoire lui était tout bonnement effacée. De ce que lui avait dit Law, également présent le jour de l'accident, le jeune homme, alors sergent, n'avait pas hésité très longtemps.

MacAllen était sans aucun doute un atout pour leur unité : il était intelligent, vif d'esprit (la plupart du temps) et plein de bonne volonté...quand il restait dans le bureau. Sur le terrain en revanche, il perdait tous ses moyens et commettait bourdes sur bourdes, ce qui avait poussé Aster à le reléguer à la partie administrative, recherche et communication. C'était un travail certes assez ingrat car il regroupait pour la plupart toutes les tâches dont ni Lawrence, ni King (ni même lui s'il voulait bien se l'avouer) ne voulaient, mais comme le jeune inspecteur semblait s'y plaire, personne ne s'en plaignait.

Enfin tant qu'il tenait sa langue.

Comme il avait déjà pu s'en apercevoir avant d'être embauché, MacAllen était doté d'une curiosité débordante (et dévorante) et d'un amour du détail aussi inutile qu'impressionnant. C'était parfois bien pratique, car étant également doté d'une mémoire phénoménale, le jeune homme était une véritable mine d'information. Cependant, ses constantes questions le rendaient épuisant sur la longueur et cela lui avait valu de se faire rabrouer de nombreuses fois (notamment par King que son comportement exaspérait), ce qui ne faisait rien pour arranger une confiance en lui déjà vacillante.

Le bruit des couverts contre l'étain de l'évier le tira de ses réflexions sur ses collègues. Harry avait fini de manger et le regardait avec attention.

- Tout va bien Aster ?

Il avait refusé tout net que son neveu l'appelle « Oncle Aster ». D'une part, cela lui donnait l'impression de paraître deux fois son âge (et il n'était pourtant pas si vieux), et d'autre part, l'appellation n'évoquait pas de bons souvenirs chez Harry.

Il acquiesça et le garçon quitta la pièce, le laissant seul avec son café. Quelques instants plus tard, le grésillement caractéristique de la télévision résonnait dans l'appartement. Il le rejoignit quelques minutes plus tard, observant avec amusement Harry qui suivait avec attention les aventures du héros d'un dessin animé quelconque sur le petit écran.

- Qui gagne ? Demanda-t-il.

Il eut droit à un regard critique de son neveu avant que celui-ci ne se lance dans une explication détaillée de pourquoi le « gentil » allait gagner et le « méchant » perdre. Il l'écouta avec le plus grand sérieux du monde, souriant devant l'innocence du garçon. Si seulement le monde était aussi simple qu'une ligne bien droite et définie entre le blanc et le noir. Enfin, il aurait tout le temps d'apprendre.

Il déposa Harry à la St Peter's School, la petite école de quartier, aux alentours de huit heures avant de se diriger lui-même vers Scotland Yard. Il salua les vigiles à l'entrée, présentant son badge de détective avant de monter l'escalier du grand hall pour rejoindre les bureaux du CID. A peine eut-il mis un pied à l'intérieur que la voix du Chef retentit.

- Evans ! Dans mon bureau !

Aster grimaça. Le ton de son supérieur de présageait rien de bon.

Garett Hale ou le Chef Hale, comme tout le monde l'appelait, était le directeur du CID, et par conséquent son supérieur direct. Taillé comme une armoire à glace, c'était un homme imposant qu'il valait mieux ne pas se mettre à dos. Quand il avait commencé au Yard, Aster avait eu la conviction que le Chef le détestait. Plus tard, il s'était rendu compte que ce n'était pas le cas : l'homme était simplement un misanthrope avéré et endurci. En entrant, il se fit d'ailleurs la réflexion que le bureau de son supérieur était tout aussi austère que l'homme qui l'occupait : vide de toute touche personnelle à l'exception d'un cadre photo sur le coin d'un meuble.

- Expliquez-moi ça ! Rugit Hale en lui collant sous le nez une coupure de journal tirée du Guardian et datée du jour même.

UN INSPECTEUR DU CID TACLE UN SUSPECT DANS LA TAMISE

Ah...

- Alors ? J'attends une réponse aujourd'hui, Evans ! S'impatienta le Chef.

Quelque part l'homme lui rappelait un taureau, paré à foncer au moindre geste brusque.

- Hmm...il s'est enfui ?

A en croire la couleur rouge vif qui montait aux joues de son supérieur, ce n'était probablement la justification que celui-ci attendait.

- Et vous avez cru bon de l'envoyer valser dans le port ?

- Je l'ai sommé à plusieurs reprises de se rendre mais il a refusé d'obtempérer. A moins de lui tirer dessus, je n'avais pas d'autre moyen de l'arrêter.

- Et attendre les renforts, ça ne vous serait pas venu à l'idée, hein ?

- Il venait d'attaquer l'un de nos hommes, il était considéré comme dangereux monsieur et je n'ai pas voulu prendre de risques inutiles...

Aster voulut tenter de se justifier, mais le Chef ne lui en laissa pas le temps.

- C'était un suspect, Evans, un suspect ! Éclata-t-il. « Innocent jusqu'à ce que la culpabilité ait été prouvée » ça vous dit quelque chose ? On n'est pas en Amérique ici que je sache, nom de Dieu !

Un suspect certes, mais pour homicide et dont la culpabilité s'était justement avérée quelques heures après son arrestation. Et qui l'avait menacé d'une arme à feu. Les deux hommes le savait pertinemment mais le Chef était trop lancé pour s'arrêter maintenant.

- Pensez un peu à l'image que cela renvoie de nous, bon sang ! Vous n'allez pas nous faire des plaquages à la moindre suspicion quand même !

Aster laissa Hale s'époumoner pendant encore plusieurs minutes. Finalement, le Chef dut en avoir assez car il le congédia assez rudement après lui avoir assurer qu'il n'avait pas intérêt à recommencer.

- Pour une raison que j'ignore, le Commissaire semble bien vous appréciez, mais croyez-moi quand je vous dis qu'il va falloir vous décider à marcher au pas ! Ce n'est pas l'armée ici, Evans ! Nous avons des règles, des protocoles à respecter et si vous n'en tenez pas compte, je ne me gênerai surtout pas pour vous virer !

Et la porte lui claqua au nez.

Bon, ça aurait pu être pire, songea Aster en soupirant. Derrière lui, il pouvait entendre les quolibets de ses collègues. Rien de bien méchant, juste quelques railleries bon enfant. Ils étaient déjà tous au courant de l'affaire et plus d'un l'avaient approché la veille en le félicitant pour son action. Toujours était-il que lorsqu'il passa le bureau de Cortès et Pearce, il fut saisi de l'envie mesquine de leur rappeler que si le suspect en question ne leur avait pas échappé alors qu'il était sous leur garde, il n'aurait pas eu à lui courir après. Il se contenta d'un discret « à charge de revanche » et Cortès eut au moins la courtoisie de paraître un peu gêné.

- Je te revaudrai ça, ne t'inquiète pas, ajouta l'hispanique avec un léger sourire.

- Je n'en doute pas une seconde, répondit Aster avec une pointe de sarcasme. Où est Pearce ?

Il ne voyait le coéquipier de l'homme nulle part.

- Oh Walt ?

Cortès haussa les épaules.

- Même problème que d'habitude avec la gamine. Elle s'est encore fourrée dans une sale histoire et Walt essaie de calmer le jeu. Avec un peu de chance, elle s'en tirera avec juste une tape sur les doigts.

Aster hocha la tête d'un air entendu. C'était une affaire assez inhabituelle pour le CID mais connue de tout le service.

Et c'était le problème de Pearce et non le sien.


Joan King laissa son regard se perdre pour la énième fois sur la page du journal relatant les derniers exploits d'Evans. Du coin de l'œil, elle observait tour à tour l'homme en question qui discutait tranquillement avec Julian et le titre en lettres capitales du Guardian.

Elle ne savait pas quoi penser.

Il y avait quelques mois, elle avait classé son nouveau chef dans la catégorie des « parvenus » après tout, Evans n'avait pas pu gravir aussi vite les échelons de la hiérarchie sans avoir eu un peu d'aide par derrière elle en voulait pour preuve le fait qu'on lui ait refilé sans moufter le poste de Griffin.

Griffin, elle l'aimait bien. C'était lui qui était venu la chercher alors qu'elle venait de passer son concours d'officier. Il l'avait regardée droit dans les yeux en lui annonçant qu'il la voulait dans son équipe. Elle lui avait rendu son regard sans ciller avant de lui demander à son tour s'il cherchait à remplir ses quotas de minorités. Il avait haussé les épaules. « Ça je m'en cogne », qu'il lui avait dit. « Tout ce que je veux, ce sont des gens qui connaissent leur boulot. Qu'ils soient cul-de-jattes, manchots, noir ou blanc, j'en ai rien à cirer. Faut que juste que le boulot soit fait. » Il lui avait accordé sa confiance, à elle, la fille noire qui ne savait jamais quand se la fermer, et elle s'était bien gardé de la trahir durant les années pendant lesquelles elle avait bossé sous son commandement.

Malgré ses manières un peu bourrues et sa fascination étrange pour les rituels satanistes, le vieux détective avait été un pilier solide du SID comme du CID, quelqu'un qui connaissait son job sur le bout des doigts et sur qui l'on pouvait compter en cas de pépin. C'était un peu l'oncle bienveillant de la brigade, celui qui rassurait, le roc dans la tempête.

Et puis il y avait eu la débâcle d'avril dernier et il avait dû prendre sa retraite après un séjour prolongé à l'hôpital sans garantie qu'il retrouve un jour ses pleines facultés. Tout le monde le regrettait : c'était vraiment un type bien, un comme on n'en faisait plus ces jours-ci. C'était l'une des principales raisons pour lesquelles la nomination d'Evans à la tête du SID lui avait autant fichu les nerfs en boule.

L'autre raison étant celle qu'elle venait d'évoquer : elle le soupçonnait fortement d'être l'un de ces fils à papa, un de ces mecs qui n'avaient jamais eu besoin de fournir le moindre effort mais s'étaient quand même retrouvés en haut de la chaîne alimentaire. Colonel à même pas trente piges ? Ah ! On ne la lui faisait pas.

Elle haïssait ce genre de personnes. Vraiment. D'autant plus qu'elle en avait fréquenté (enfin, côtoyé par obligation) pas mal pendant ses années universitaires. Tous plus idiots les uns que les autres, plus prompts à faire étalage de leur richesse et à considérer dédaigneusement le « petit peuple » qu'à travailler. Simplement parce qu'ils n'en avaient pas besoin, parce que la fac n'était qu'une formalité et qu'un job bien payé les attendait dans la société du paternel une fois leurs études terminées études là encore, payées par la fortune familiale. Joan, elle, avait dû trimer sans relâche durant toute sa scolarité afin d'obtenir une bourse suffisante sans trop s'endetter derrière (elle n'avait eu non plus envie de trop se reposer sur la générosité de ses parents d'adoption).

Et la façon qu'avait eu Evans d'agir avec le commissaire la première fois qu'elle l'avait rencontré lui avait rappelé cette bande de prétentieux (surtout ce petit crétin d'Austin). Il était trop familier avec Lowell, prenait trop ses aises trop rapidement. Elle le trouvait arrogant. Et ça la fichait d'autant plus en rogne.

Mais dernièrement, elle s'interrogeait.

Après quelques mois, elle avait bien du se résigner à reconnaître qu'Evans, au fond, n'était pas un mauvais bougre. Il apprenait vite et faisait correctement ce pour quoi il était payé. Mais ses manières, sa façon d'agir et d'être l'agaçaient toujours autant...bon certes un peu moins qu'au début mais ça devait être la force de l'habitude.

Et elle ne lui faisait pas confiance.

En partie parce qu'elle ne savait pas quelle était la place d'Evans sur l'échiquier du grand patron (parce Lowell avait toujours un plan, toujours) d'autre part...c'était physique. Ils étaient comme chien et chat (et elle choisissait le chat, elle n'en était pas à remuer la queue devant le premier venu). Ils ne pouvaient pas se parler cinq minutes sans se bouffer le nez. Bon, pour être honnête, il lui fallait bien avouer qu'elle le cherchait souvent. Et le trouvait sans trop de problèmes tant il était facile de le faire sortir de ses gonds...Ou alors c'était juste elle ?

L'affaire Wendell, en revanche, l'avait fait paraître sous un nouveau jour. Assignée à l'origine au duo inséparable formé par Julian Cortès et Walter Pearce, Evans était intervenu en renfort lorsque leur suspect leur avait échappé, assommant au passage le sergent censé le surveiller et lui volant son arme de service (le pauvre Copperfield était d'ailleurs encore un peu sonné et Joan était sûre que le Chef n'allait pas le louper pour cette bourde). Aux dires de Walt, Evans avait piqué un sprint digne d'un coureur des JO et l'avait poursuivi sur les quais avant de se jeter dans ses jambes quand le prévenu avait fait mine de vouloir lui tirer dessus. Ils avaient tous les deux fini à l'eau mais le temps que le reste de l'équipe les rejoignent, Evans avait déjà maîtrisé et menotté leur fuyard.

Un sacré exploit, si l'on en croyait ses collègues.

Un sacré coup de bol que ça n'ait pas fini plus mal, avait hurlé le Chef.

Un fait divers intéressant selon le Guardian.

Pour Joan, cela lui prouvait qu'Evans avait au moins mérité sa place parmi eux. Peut-être qu'elle devrait se décider à se montrer un peu plus sympa avec le bleu (parce que oui, il avait beau être son supérieur, il restait le petit nouveau de l'équipe).

Affaire à suivre donc.

Joan replia le journal et le reposa sur un coin du bureau déserté de Law qui était on ne savait où. Quoique si elle devait deviner, elle parierait sans crainte sur la pièce de repos où se trouvait la machine à café. Elle promena tranquillement ses yeux sur le reste de la pièce.

C'était une matinée calme pour changer.

S'il avait été présent, Law aurait probablement lancé que les criminels avaient commencé à hiberner avec l'hiver qui approchait. Puis il aurait jeté un regard complice à Julian avant de se mettre à chanter « C'est l'ibère qui frappe à notre porte... ». Il l'avait déjà faite l'année dernière et celle d'avant également. Lui ne s'en lassait pas, Joan si. Heureusement pour eux deux donc, Law n'était pas là.

Une ombre passa devant Joan et elle leva les yeux pour croiser ceux verts d'Evans. Il s'était planté devant elle et considérait avec un air ennuyé le journal sur le bureau de Law.

- King, la salua-t-il d'un mouvement de tête distrait.

Elle aurait pu lui répondre de la même manière, hocher de la tête et en rester là, mais ce comportement entrait en conflit avec ses nouvelles résolutions.

- Salut.

C'était court, simple, et elle refusait de l'appeler « monsieur », « chef » ou quoi que ce soit d'autre. En plus, elle avait deux ans de plus que lui (elle avait vérifié).

Les traits d'Evans marquèrent sa surprise un quart de seconde avant que son expression ne se fonde en un haussement de sourcil interrogateur.

Joan l'ignora et replongea dans le dossier qu'elle était censée traiter.

- C'est moi ou il va neiger ? S'immisça une voix amusée dans son dos.

Lawrence Shepherd venait d'arriver, une tasse de café fumant dans les mains.

Joan lui rendit son sourire avec un cynisme tout choisi.

- T'as raison, t'es presque à l'heure aujourd'hui.

- Ouch ! Ma sensibilité...gémit Law en posant sa main sur sa poitrine.

Evans secoua la tête, dépassé par les enfantillages du senior de leur équipe.

Ce fut Connor qui interrompit l'échange avant que celui-ci ne dégénère. Le jeune inspecteur débarqua à toute berzingue dans la pièce, glissa sur le parquet et ne parvint à éviter de se ramasser la gueule par terre que grâce à l'intervention inopinée de Bywater qui stoppa sa chute. Sans prendre le temps de s'excuser, Connor commença à agiter le doigt dans la direction du vieux poste TV qui trônait sur le coin d'une armoire, là où tout le monde pouvait le voir.

- Faut l'allumer ! Il se passe quelque chose de gros ! Répétait-il.

Copperfield, qui était le plus proche, s'exécuta machinalement. L'engin grésilla un peu puis la chaîne d'info en continue s'afficha (pas besoin de télécommande, on n'en changeait jamais).

« ...sommes actuellement en direct devant la Banque Nationale d'Angleterre à l'angle de Chester Road et d'Ebury Street où un braquage vient d'avoir lieu... »

- Un braquage de banque ? C'est pas vraiment notre domaine ça, commenta Bywater.

« ...deux victimes parmi les clients... »

- Maintenant si, soupira Julian. Si y a eu meurtre, c'est pour notre pomme.

- Shh..., sifflèrent les autres qui écoutaient avec attention le reportage.

« Les deux criminels, des récidivistes déjà connus des services de police... »

Deux photos passaient maintenant à l'écran.

- On les connaît eux ? Fit Copperfield qui semblait s'être remis.

En tout cas, il avait déjà l'air plus réveillé qu'avant.

- Ils me disent rien, avança Joan. Faudrait vérifier avec l'équipe d'Oakhill.

Un murmure d'assentiment parcouru la salle.

« Les deux hommes, après avoir tenté sans succès de s'enfuir par la porte de service, se sont à présent retranchés dans le bâtiment attenant... »

Brusquement, la caméra changea d'angle et Joan entendit Julian étouffer un juron.

- Oh merde ! Laissa échapper Law sans plus de retenu.

Et personne n'aurait pu lui en tenir rigueur, même pas Evans qui était pourtant assez à cheval là-dessus. Elle ne l'avait d'ailleurs pas entendu piper depuis un moment. Joan tourna la tête dans sa direction pour voir ce qu'il en pensait. Sa réaction était très différente de ce qu'elle avait imaginé.

Blanc comme un linge, Evans appuyait de ses deux main sur la surface du bureau comme pour s'empêcher de tomber. Ses yeux, fixés sur le poste TV, brillaient d'un mélange inquiétant de peur et de panique.

« ...l'école primaire St Peter où ils retiennent en otage une classe entière d'enfants ainsi que leur institutrice. Le reste des écoliers de même que les autres enseignants ont pu être évacués... »

- Mince, c'est pas là qu'il est ton neveu ? Continua Law en se retournant à son tour vers Evans.

Oh.

Merde en effet.


TRIVIA - Personnages

Aster Evans – 30 ans (30/01/1960)

Joan King – 32 ans (19/05/1958)

Lawrence Shepherd – 42 ans (03/11/1948)

Connor MacAllen – 26 ans (24/08/1964)

Garett Hale – 48 ans (05/08/1942)

James Lowell – 60 ans (06/12/1930)