Le jour s'était levé en Sibérie et les rayons timides d'un soleil pâle et froid tentaient de percer à travers les fenêtres de l'isba, en vain. La neige tombait encore en gros flocons dehors et formait un manteau épais et glacé dont la vision fit frissonner Milo du Scorpion qui, près de la fenêtre, s'étirait avec retenue. La nuit avait été longue pour le jeune grec mais bien que celui-ci se sente exténué, il savait qu'il ne parviendrait pas à trouver le sommeil avant un long, très long moment. Ses yeux bleus maintenant rivés vers Dégel et Kardia, le huitième gardien du Sanctuaire grimaçait légèrement, ses paupières lourdes, son crâne souffrant d'un léger mal. Son camarade Camus, assis à la place qu'il s'était attribué, scrutait le néant, l'esprit apparemment concentré sur des questionnements intérieurs. Camus venait tout juste de se rasseoir. Il avait été cuisiner quelque chose de chaud et de copieux pour chacun de ses camarades et était revenu de la cuisine avec trois bols d'une soupe fumante, oubliant apparemment de se servir lui-même. S'il avait légèrement tremblé en offrant les bols, Camus avait à présent retrouvé son sang-froid et demeurait muet et immobile. Dégel et Kardia, eux, mangeaient tranquillement, chacun enfermé dans ses propres pensées. La pièce était calme, très calme, même les crépitements du feu dans la cheminée avaient cessé alors que les braises s'éteignaient peu à peu. C'était peut-être la conséquence d'une trop longue discussion ; tout le monde tentait de réfléchir sur ce qui s'était dit. Cela faisait des heures que les faits avaient été énoncé, les questions soulevées, les théories avancées... Et toujours pas de réponse. Aucune de vraiment concrète en tout cas. Après que Camus eut expliqué à Dégel et Kardia ce qui était arrivé, tous avaient fini par chercher à comprendre le mystère des armures d'or, en vain. L'actuel Verseau s'était aventuré à supposer que si les armures s'étaient soudainement éveillées, c'était parce que les cosmos de Dégel et de Kardia, eux aussi, avaient fini par reprendre leur souffle. Personne n'avait eu une meilleure théorie à avancer et bien que celle de Camus ne soit pas fondée, elle était certainement la plus logique et la plus intelligente. Après tout, pourquoi pas?! Dégel avait supposé, à son tour, qu'il avait fallu du temps à leurs cosmos pour se régénérer et que, ceci fait, leurs anciennes armures, en ressentant leurs présences, s'étaient mises à résonner, comme pour entrer en cohésion avec eux. Du point de vue des quatre Chevaliers, aucune de ses théories n'étaient idiotes, mais la fatigue avait commencé à se faire ressentir et on avait vite perdu le fil de la conversation. Les esprits éreintés n'avaient bientôt plus été en mesure d'essayer de comprendre l'incompréhensible et on avait vite laissé tomber les questions les plus gênantes ; celles qui n'avaient pas de réponses, ou semblaient en tout cas ne pas en avoir. Le mystère des armures d'or était donc encore partiellement entier lorsque Verseaux et Scorpions avaient décidé de mettre un terme à leur session de recherche du savoir et que Camus s'était proposé de préparer de quoi manger. A présent, ils en étaient là. Tous muets, et pensifs. Les choses semblaient plus difficiles à assimiler que chacun ne l'aurait pensé, et la fatigue n'aidait pas. Camus n'avait de cesse de rechercher des réponses logiques sans y parvenir, Dégel, lui, se questionnait encore sur son cercueil de glace quand Kardia tentait de prendre en compte le fait qu'il avait survécu à la mort. Mais de tous, c'était Milo qui s'interrogeait le plus, passant par tout un tas de questionnements divers ; pourquoi? Comment? Quelles conséquences? Que devait-il penser? Que pensaient les autres? Était il en train de rêver ou tout cela était il bien la vérité? Qu'allait-il faire maintenant? Qu'allaient ils faire?

- Écoutez...

C'était la voix de Dégel, et elle fit sursauter tout le monde malgré son ton las. L'ancien Verseau posa son bol vide sur ses genoux et soupira doucement.

- On devrait tous se reposer à présent, la nuit a été longue.

Camus hocha la tête. Milo resta muet. Kardia, lui, s'empressa de soupirer à son tour, passant une main tremblante dans ses longs cheveux.

- C'est certain. Et je me sens épuisé... Comme si mon corps était vidé de toute énergie.

Dégel acquiesça sans peine. Il ne s'était déjà pas sentit au mieux de sa forme depuis son réveil mais c'était pire à présent que le sommeil l'écrasait. Camus observa son homonyme un court instant et s'empressa de se lever, encore très vif, jetant un coup d'oeil à Milo dont le silence l'inquiétait. Au-delà d'une quelconque fatigue qu'il devait éprouver, le Scorpion n'avait pas l'air bien. Camus pouvait d'ailleurs ressentir les quelques émotions négatives qui tenaillaient son camarade.

- Dormez autant que possible, votre séjour dans la glace a dû affecter vos corps plus que vous ne le pensez, lança Camus à l'intention de Dégel et Kardia qui, silencieux, l'observaient récupérer leurs bols vides.

Celui de Milo, posé à même le sol, était encore à moitié plein. Camus le ramassa quand même, l'empilant sur les autres en prenant bien soin de ne rien en renverser.

- Et vous? Demanda Kardia en observant un à un les deux lits installés dans la chambre.

Camus haussa les épaules. Milo semblait être retourné dans ses pensées et scrutait la neige tomber, dehors, par la fenêtre.

- Il reste une chambre vide et un canapé confortable. Ne vous inquiétez pas pour nous.

Le Verseau ne laissa pas le temps à ses camarades de répondre et se dirigea vers la sortie, entraînant Milo avec lui après s'être attiré son attention par quelques gestes répétés. Il était encore tôt, et paradoxalement très tard, lorsque les deux Chevaliers laissèrent Dégel et Kardia se reposer. Après avoir fermé la porte derrière lui, Milo s'installa sur le canapé du salon, les yeux grands ouverts, cernés, et soupira, s'attirant le regard interrogateur de son camarade Camus. Il y avait eu beaucoup de choses à assimiler cette nuit, il avait fallu pousser aussi loin que possible l'imagination tout en restant logique... Camus ne doutait pas que Milo ressentait, comme lui, une étrange et insondable fatigue que le sommeil ne pourrait pourtant pas effacer. Ce qu'ils leur fallait, à présent, c'était simplement penser à autre chose. Ça n'allait pas être évident, bien sûr, d'autant plus qu'il restait tant de questions sans réponses, mais Camus était bien décidé à reprendre le cours de la réalité, ne serait-ce que quelques heures, pour ne pas sombrer dans la folie.

- Milo...

Le Scorpion sursauta, relevant son regard bleu vers son frère d'arme et sourcillant presque aussitôt. Camus avait l'air épuisé. Sans doute aussi épuisé que lui.

- Je vais faire du thé, tu en veux?

Le huitième gardien mit un temps fou avant de n'esquisser un sourire amusé, et factice. Du thé... Ce n'était pas vraiment ce dont il avait besoin pour le moment. Ce qu'il lui fallait, c'était quelque chose capable de faire passer toutes les étranges conversations qu'ils avaient eu pour des raisonnements logiques.

- Une vodka passerait mieux... Lança Milo, cynique.

Camus, apparemment hermétique à cet humour, hésita un long moment avant de ne soupirer. Il se dirigea vers la cuisine, y déposa les bols et revint dans le salon avec deux petits verres et une bouteille de vodka. Milo écarquilla les yeux en observant son camarade servir les deux verres et s'emparer de l'un d'eux avec empressement. Il n'avait pas pensé que Camus le prendrait au sérieux. Et pourtant. Le Verseau approcha le verre de sa bouche et en bu le contenu d'une traite, grimaçant légèrement sous le regard ahuri de son camarade alors que l'alcool lui brûlait la gorge. Milo s'empressa de l'imiter sans rien dire. Le onzième gardien s'assit mollement sur le canapé, déposant le verre vide sur la table devant lui, et soupira longuement. Milo se resservit et en profita aussi pour resservir Camus qui, l'observant, ne dit rien, puis, le Scorpion leva son verre devant ses yeux, le visage encore très sérieux. Camus s'empara du sien et l'imita, par pure politesse, sans vraiment saisir la portée symbolique du geste.

- Yiamas, lâcha Milo.

Camus se sentit rougir légèrement sans trop savoir pourquoi. Était-ce l'accent grec de Milo?! Peut-être était-ce simplement la fatigue? Ou la vodka? Ce second verre serait, de toute façon, le dernier du Verseau.

- A la tienne, souffla Camus dans un français parfait.

Alors qu'il allait boire, Milo se retint et jeta un coup d'oeil hébété à son camarade.

- Ça... ça ne ressemble pas à du russe.

Camus sourit pour lui-même, d'une manière à peine perceptible. Il fit habilement rouler le petit verre entre ses doigts fins et détourna finalement les yeux vers son camarade.

- Je ne suis pas russe Milo. Je suis français en fait...

Le Scorpion parut plus surpris que jamais, serrant son verre dans sa main immobile, écarquillant les yeux. Pourquoi diable n'était-il pas au courant de cela? Il avait toujours cru que Camus était russe... Il parlait russe, venait de Sibérie... Mais jamais encore il ne l'avait entendu prononcé un seul mot de français, et jamais encore il ne l'avait entendu parler de la France! Cela dit... il n'avait pas jamais vraiment fait attention à Camus. Et le Verseau était décidément bien secret. Le visage de Milo se détendit soudain et il se mit à rire doucement, s'attirant le regard de glace de son camarade.

- Français. J'aurais jamais deviné...

Le onzième gardien ne dit rien. Il avala son second verre de vodka, grimaçant de nouveau. Deux, c'était sans doute sa limite. Il retrouva vite son sérieux, reposant le verre, et alors que Milo penchait la tête en arrière, un sourire sur les lèvres, Camus se redressa.

- Prend la chambre Milo, je serais sans doute réveillé avant toi.

Le Scorpion ne parlementa pas. A quoi bon? Ils passeraient de longues minutes à s'échanger des politesses inutiles... Il se releva, lentement. Aucun mot ne fut échangé et Milo contourna son camarade, mais alors qu'il se dirigeait vers sa destination, il s'arrêta et esquissa un timide sourire.

- Alors, comme on dit chez toi : bonne nuit.

Camus écarquilla les yeux et observa son camarade s'éloigner. Quand Milo disparut de son champ de vision, le Verseau se sentit rougir. Il s'empressa de secouer la tête et fusilla la bouteille de vodka du regard, lui attribuant la responsabilité de l'étrange sensation qu'il venait de ressentir.

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Rien n'avait préparé Kardia du Scorpion à un tel bouleversement de sa vie quotidienne. Les années avaient filé, si vite, et le monde semblait avoir tellement changé. L'ancien Chevalier d'Or du Scorpion s'était levé avant tout le monde, et l'après-midi était presque déjà passée. S'il avait tenu a reposer son corps, Kardia considérait que son esprit, lui, avait suffisamment dormi. Alors, plus éveillé que jamais, son cerveau bouillonnait. Kardia observait chaque objet inconnu avec envoûtement, se questionnant sur son utilité, les conditions de sa création, de sa fabrication. Depuis quelques minutes, il s'était enfermé dans la cuisine et son attention était portée sur le réfrigérateur. Il observait l'étrange porte qu'il n'osait ouvrir et se demandait ce qu'elle renfermait. Il y avait déjà tellement d'objets qu'il avait observé sans les comprendre, et pourtant son esprit se sentait toujours en quête de savoir. Il aurait voulu réveiller Dégel, le mener à ses découvertes et les partager avec lui. Mais Dégel dormait. Et Dégel devait continuer de dormir selon Kardia. Il avait paru très fatigué dès le moment où il avait ouvert les yeux, la veille, et le Scorpion avait bien pris conscience que son camarade avait, plus que lui, besoin de beaucoup de repos avant de ne se remettre de leur... hibernation. Kardia soupira, s'appuyant contre la table. Il songeait à présent à Dégel, à ce qu'il avait fait pour lui, pour lui sauver la vie, et plus rien d'autre n'avait d'importance. Jamais encore le Verseau ne lui avait offert plus belle preuve de son amour, mais Kardia craignait que tout cela n'est eu raison de l'énergie de son camarade. Oh, bien sûr, il s'en remettrait! Dégel n'était pas du genre à se laisser abattre et Kardia ne doutait pas que d'ici quelques jours il retrouverait toute sa mobilité, sa prestance... Pour l'heure, le Verseau avait besoin de repos. Il n'était pas chose aisée d'élever son cosmos, il s'agissait d'un exercice compliqué et fatiguant, et ajoutez à cela quelques années passées dans la glace... Kardia esquissa un sourire amusé, s'il avait su, un jour, que la glace, cette glace dont il n'était pas vraiment fervent, lui sauverait la vie. Le Scorpion redevint sérieux. Non, pas la glace. Dégel. C'était Dégel qui lui avait sauvé la vie, et cela au péril de la sienne. Quel acte remarquable. Kardia n'avait jamais douté de l'amour que lui portait le Verseau mais l'idée qu'il ait pu risquer sa vie pour la sienne le retournait. Ce n'était plus seulement des mots mais des actes qui lui avait prouvé à quel point Dégel tenait à lui. Soudain, le Scorpion se redressa et quitta la cuisine, sur la pointe des pieds, pour rejoindre la chambre qui abritait son ami. Sur le canapé du salon, Camus semblait dormir à poings fermés et Kardia l'observa un court, très court instant. C'était fou à quel point il lui ressemblait. Même prestance, même aura... Et cette façon singulière qu'il avait de se protéger avec ce masque de glace. Kardia atteint rapidement la porte de la chambre et l'ouvrit, se faufilant dans la pièce avec discrétion. Dégel dormait encore, une main posée sur son torse, les lèvres très légèrement entrouvertes. Le sourire du Scorpion illumina son visage. Il était si beau. C'en était douloureux tant il était beau. Mais son visage n'était plus exactement le même, il y régnait un voile, comme une cicatrice, témoin d'une insondable souffrance. Dégel avait côtoyé la mort, trop longuement, à peut-être trop de reprises ; la mort des autres, peut-être même la sienne. Kardia frissonna, sentant une terreur lui enserrer le cœur. Peut-être Dégel avait-il, comme lui, frôlé la mort, néanmoins il s'en était sorti et jouissait à présent d'une nouvelle vie. C'était l'essentiel. Le Scorpion s'assit sur le lit de son camarade, l'observant intensément comme il avait toujours eu l'habitude de le faire. Il ne songeait plus aux étranges objets qu'il avait remarqué, il ne songeait même plus à l'époque dans laquelle il s'était éveillé, il ne songeait plus qu'à Dégel. Sa main frôla le visage du Verseau qu'il se permit de caresser avec tendresse et celui-ci frémit légèrement, dans son sommeil. Kardia esquissa un sourire béat, le genre de sourire que seule la présence de Dégel pouvait créer. La vision de Dégel endormi l'avait toujours ravi. Il se souvenait particulièrement de ces matins ensoleillés, en Grèce, avant la Guerre, avant toutes ces folies. Il se souvenait du corps nu et encore frissonnant de son amant lorsque celui-ci s'éveillait de leurs nuits d'amour. Il se souvenait du sourire sur le visage du Verseau, de sa voix douce, encore endormie, lorsqu'il soufflait son prénom pour le saluer. Il se souvenait de son regard, de cet appel indéchiffrable à le serrer contre lui, encore et encore, et encore. Ce qu'ils avaient été heureux. Pouvaient-ils l'être de nouveau? Kardia observa le visage de Dégel alors que la vision de ses souvenirs s'effaçait. Dégel n'était plus le même. Il n'y avait plus de sourire sur son visage, plus d'expression de plénitude, plus même la moindre lueur de bonheur. Dégel avait vu la guerre, il l'avait vécu, et les dernières minutes de sa première existence avaient dû être bien pénibles... Mais Kardia l'aimait, et cet amour le guérirait de tous ces maux. C'était une promesse de la part d'une Scorpion, un engagement.

- J'avais peur que tout ça ne soit qu'un rêve...

Kardia sursauta, recentrant son regard sur celui de Dégel. Les yeux ouverts du Verseau parcourait son visage.

- Je t'ai réveillé?

Dégel secoua la tête, doucement. Son regard était encore éteint, comme si la flamme de son cosmos n'y brûlait plus.

- Non. Mon esprit a senti ta présence.

Kardia esquissa un sourire. Lentement, il se pencha en avant et déposa ses lèvres sur celles du Verseau. Si celui-ci sembla se renfrogner une courte seconde, il finit par fermer les yeux et laissa son camarade lui offrir cet preuve de tendresse.

- Tu as pu te reposer? Demanda le Scorpion en se redressant légèrement, mêlant son souffle à celui de son amant.

Dégel le repoussa lentement et s'assit, passant une main dans ses longs cheveux. Il hocha la tête, rapidement, et s'empara de la main de Kardia.

- Tu as le regard triste, à quoi tu pensais?

Kardia esquissa un nouveau sourire, attendri, et secoua la tête à son tour. Il ne dit rien. Il se contenta de poser sa main libre dans la nuque de son amant et approcha son visage du sien pour lui offrir un nouveau baiser, plus tendre. Dégel se laissa embrasser et quand Kardia brisa leur étreinte, il plongea son regard dans le sien. Le Scorpion avait de nouveau les yeux pétillants et cela le rassura. Il avait cru un instant que... Il secoua la tête pour lui-même et posa son front sur l'épaule de Kardia pour que celui-ci l'étreigne comme il savait si bien le faire. Le Scorpion ne manqua pas de comprendre et serra le corps de son amant contre le sien, se redressant légèrement. Il s'enivra du parfum de Dégel, serrant plus fort à chaque seconde, jusqu'à ce qu'il sente le Verseau lui échapper lentement. Dégel s'était rendormi, là, dans ses bras, un léger, très léger, sourire au bord des lèvres.

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Milo du Scorpion était perturbé. Allongé dans son lit, les yeux rivés sur le plafond blanc, le huitième Chevalier d'Or se remettait d'une nuit riche en émotions. En s'éveillant, il avait d'abord cru à un rêve, à présent il se souvenait des moindres détails, des moindres paroles échangées qui lui indiquaient que tout ce qu'il avait vécu était bel et bien la réalité. Dégel et Kardia étaient réels, leur réveil après de longues, très longues, années l'était également, les théories fumeuses, logiques, incroyables ou que savait-il encore l'étaient tout autant. Milo se prit la tête entre les mains, grognant pour lui-même. Il avait dormi, et il s'était endormi plus vite qu'il ne le pensait, mais se sentait pourtant extrêmement fatigué. C'était son esprit, surtout, qui se sentait éreinté. Éreinté d'avoir accumulé trop d'informations, éreinté d'avoir usé de son imagination, éreinté de... de tout, en fait. Milo finit par se redresser, lentement, laissant retomber la couverture sur ses jambes nus. En passant une main dans ses cheveux emmêlés, il jeta un coup d'œil par la fenêtre et se rendit compte que la neige avait cessé de tomber. C'était sans doute la seule et unique bonne nouvelle du jour pour le Scorpion qui, pourtant, n'en sourit pas. Un nouveau soupir et Milo se leva, ressentant presque aussitôt un souffle frais sur son torse nu. Saleté de pays! Aussi hostile et froid que Camus. Milo sentit une expression de surprise passer sur son visage. Camus... Camus, il s'en souvenait maintenant, ne venait pas Sibérie. Camus était français. Un sourire illumina les lèvres de Milo sans qu'il ne sache pourquoi. Oui, Camus était français, et après? Ça ne changeait rien pour lui? ...si? Milo secoua la tête. Ce n'était pas tant le fait que Camus soit français qui changeait quelque chose mais... le Verseau lui avait dévoilé une infime partie de ce qu'il était... pourquoi? Pourquoi lui? Lui qui était si... il n'était pas insupportable, pas de son point de vue, mais tout de même. Milo chassa toutes ces pensées de son esprit et s'étira sans retenue. Qu'est-ce qu'il en avait à faire de Camus après tout?! Après avoir passé un pantalon et une chemise, le Scorpion se décida à quitter sa chambre et s'empressa d'atteindre les escaliers pour regagner le salon. L'isba était calme, très calme, à croire que personne n'était debout. Et c'était en effet le cas. Ni Dégel, ni Kardia n'étaient présents dans la pièce, quant à Camus... il dormait. Allongé sur le canapé, ses longs cheveux reposant sur un petit coussin, le Verseau respirait modérément, le visage détendu. C'était sans doute la première fois que Milo lui voyait une telle expression ; une expression douce, reposée, vraie. Le Scorpion se surpris à rester là, immobile et muet et, finalement, se décida à rejoindre la cuisine dans laquelle il prépara du café, beaucoup de café. Il ignorait l'heure qu'il était, il savait simplement qu'il était tard et qu'il avait perdu sa journée à dormir. Il en avait eu besoin après tout, et puis il n'avait rien de très urgent à faire après tout. Bien sûr, il lui faudrait, à lui comme aux autres, informer le Sanctuaire et le Grand Pope de l'étrange situation dans laquelle il se retrouvait mais... eh bien, ça pouvait attendre. Milo s'installa à la table de la cuisine, une tasse d'un café fumant en mains, et scruta le néant. Il songeait à Dégel et Kardia à présent. Des Chevaliers d'Or, hein?! Verseau et Scorpion... Cela voulait donc dire qu'il y avait deux Chevaliers de chaque signe. C'est à cet instant précis que Milo fut frappé d'un éclair, comme si le Lighting Plasma d'Aiolia du Lion l'avait atteint. D'un bond, le Scorpion se redressa, les yeux écarquillés. Deux Chevaliers, une seule armure. Dégel et Kardia étaient la raison pour laquelle leurs armures d'or les avaient abandonné hier, et si... Ce n'était encore jamais arrivé, du moins pas que Milo le sache, que deux Chevaliers dignes de porter l'armure d'or demeurent dans la même ère. Cela aurait-il une incidence particulière sur sa vie, sur leurs vies, professionnelles? Milo se rassit lentement, cogitant. Kardia, le Scorpion, était un des derniers propriétaires de la huitième armure d'or. Est-ce que, dans ce cas, l'armure lui revenait de droit? Milo sentit son cœur se serrer. Il n'avait pas enduré son entraînement et attendu toutes ces années pour voir un autre lui prendre la chose à laquelle il tenait le plus, ça non! Le Scorpion fronça les sourcils. Il méritait son titre de Chevalier d'Or au moins autant que les autres et il ne laisserait personne lui retirer cela. Milo frappa violemment d'un coup de poing sur la table et se dirigea vers le salon. Son entrée manquait manifestement de discrétion puisqu'à peine sortit de la cuisine, il observa le corps de Camus se redresser dans un sursaut. Le Verseau tourna son regard encore endormi vers son visage et Milo l'observa sans rien dire avant de ne s'approcher de la boite qui renfermait son armure. Camus, un peu ahuri, se frotta un œil, puis les deux, et observa plus attentivement son camarade.

- Milo... qu'est-ce que tu fais?

Sa voix était douce et encore incertaine. Milo n'y fit pas vraiment attention. Il s'empressa d'ouvrir la boite qui renfermait son armure et l'observa avec une étrange inquiétude dans le regard. Elle était là, inchangée, et pourtant elle semblait avoir perdu de son éclat. Camus s'était levé à présent et il s'approchait lentement du Scorpion qu'il observait avec un nouvel intérêt. Milo ne lui prêta pas la moindre attention et s'empressa de s'emparer de son casque d'or. Il hésita longuement puis, finalement, le posa sur sa tête comme il avait l'habitude de le faire. Il ne se passa rien. Rien du tout. Milo sentit comme un soulagement dans son cœur et soupira doucement sous le regard inquisiteur de Camus. Puis, ça arriva. Soudain, le casque d'or s'envola littéralement, comme poussé par une force invisible, et retomba au sol dans une vibration sonore importante. Camus eut un mouvement de recul et se heurta au canapé sur lequel il avait dormi. Milo, lui, resta bouche bée un court instant avant de ne réitérer l'expérience. Il se passa exactement la même chose. Le Scorpion se redressa, dents et poings serrés. Deux Scorpions pour une armure. Camus ne pu empêcher son camarade de foncer jusqu'à la chambre où Dégel et Kardia s'étaient reposés mais en entendant la voix de Milo s'élever, il se hâta de le rejoindre. La porte était déjà ouverte lorsque Camus entra dans la pièce et Milo, face à face avec Kardia, fronçait les sourcils. Les deux Scorpions se fusillaient du regard, l'un véritablement en colère, l'autre une expression des plus agressives sur le visage. Camus eut le sentiment que tout cela allait mal finir. Très mal finir. Il ne fit pas attention à Dégel qui, réveillé à son tour, observait le spectacle sans rien dire.

- Toi et moi, dehors! Souffla Milo sur le ton de l'agression.

Kardia esquissa un sourire. Un de ces sourires sadiques qui aurait effrayé n'importe qui. Mais Milo n'était pas n'importe qui. Milo était le Chevalier d'Or du Scorpion, le seul et l'unique.

- Rien ne me ferait plus plaisir, lança Kardia en continuant de sourire.

Son regard s'était animé d'une lueur étrange. Camus eut la même sensation en observant Kardia que celle qu'il avait eu la veille en observant Milo ; un prédateur prêt à fondre sur sa proie. Le Verseau sentit son cœur se serrer. Il craignait une chose. Il ne savait pas quoi exactement, mais il craignait que quelque chose n'arrive.

- Ça suffit!

Le ton de sa voix avait été plus agressif qu'il ne l'aurait voulu, mais il s'attira au moins les attentions des deux Scorpions. Milo lui lança son regard noir habituel, Kardia, lui, l'observa comme s'il le voyait pour la première fois.

- Kardia, vous comptez vous battre sans même savoir pourquoi? Et toi, Milo, tu ne peux pas essayer de parlementer un peu avant de t'emporter?!

Tous regardèrent Camus sans rien dire, ni même rien faire. Puis soudain, les deux Scorpions s'observèrent et semblèrent se calmer. Dégel profita de cet instant de répit pour se lever et s'interposer entre les deux, tournant le dos à Milo pour faire face à Kardia.

- Allez, calme-toi, souffla-t-il.

Ces simples mots suffirent pour que l'ancien Scorpion retrouve tout son calme. Ou était-ce parce que le regard de Dégel était ancré dans le sien, plus captivant et plus beau que jamais? Camus observa la scène en sentant une étrange boule se former dans le fond de sa gorge. Il n'était pas gêné à proprement parlé, ce n'était qu'un échange de regards, mais... cette ressemblance saisissante, comme s'il s'observait en compagnie de Milo... Alors que la pensée lui échappait, Camus se sentit cette fois-ci véritablement gêné et s'empressa de détourner les yeux vers Milo qui, une expression sombre sur le visage, fusillait encore Kardia du regard. Camus soupira et reprit contenance, exécutant quelques pas en direction de son camarade.

- Milo, qu'est-ce qu'il y a?

Le Scorpion s'emporta, posant son regard noir sur le onzième gardien.

- Tu as bien vu ce qu'il s'est passé avec mon armure, non?! C'est de sa faute!

Il avait pointé Kardia du doigt et ce simple geste avait suffit pour raviver la colère du second Scorpion qui, les dents serrés, repoussait Dégel avec retenue pour s'approcher de Milo. De nouveau, les Verseaux se virent dans l'obligation d'intervenir, se positionnant dos à dos pour maintenir les corps de leurs deux camarades, prêts à combattre de façon acharnée. Si Dégel s'évertua à repousser Kardia, Camus, lui, se contenta de mettre ses mains devant lui afin de dissuader Milo d'avancer davantage.

- Calme-toi, on va régler ça! Lança Camus en faisant signe à Milo de sortir de la chambre.

Ce n'est qu'après lui avoir répété les choses plusieurs fois que Camus obtint de Milo qu'il sorte de la pièce. Kardia se renfrogna devant l'air menaçant de Dégel et croisa les bras. Dégel soupira. Il était sûr d'une chose maintenant ; Kardia allait bouder. Et bien, qu'il boude. L'ancien Verseau jeta un coup d'œil désabusé à son successeur et tous deux soupirèrent de soulagement en observant les Scorpions s'éloigner l'un de l'autre.

- Que s'est-il passé? Questionna Dégel.

Camus, qui jusque là n'avait pas vraiment réfléchit à ce qu'il avait vu, sembla soudainement être frappé d'un éclair. Il écarquilla doucement les yeux et scruta le visage de Dégel.

- Je... je crois que les armures d'or ne savent plus à qui elles appartiennent...