Notes de l'auteur : Et voilà, cette petite histoire sans prétention est officiellement terminée. Je n'exclus pas la possibilité de faire une séquelle, mais je ne promets rien. Je suis déjà embourbée dans mes fics en cours et mes projets à venir. Mais sait-on jamais.

Guest : J'espère que la fin te plaira ! Je n'ai pas fait bien compliqué, j'ai écrit cette fic pour me détendre et écrire un truc simple et pas sanglant pour une fois… ^^

Bonne lecture !

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« Ah ok, c'était donc ça…

Appuyé d'un coude sur la table et penché au-dessus de son bol, Saitama fourra les udons dans sa bouche et les aspira avec un long slurp sonore, puis mâcha à pleines joues, bruyamment.

- Décholé de…

Saitama avala sa pleine bouchée et acheva sa phrase en pointant son disciple du bout de ses baguettes, un sourcil froncé.

- … t'avoir inquiété, Genos. Mais fallait pas. Je vais bien, promis.

Genos touilla ses propres udons du bout des baguettes d'un air morose, en acquiesçant sans conviction. Dans la lumière artificielle du petit restaurant, la vapeur qui s'élevait de la cuisine rampait au plafond et faisait gondoler les affiches de publicité collées au mur. Sur chacune figurait une starlette au sourire factice en bikini ou uniforme aux couleurs de cette chaîne de restauration.

Sans doute pour éviter les attaques de monstres et pluies de météorites et autres catastrophes courantes dans la ville Z, l'espace était situé en sous-sol, si confiné et mal aéré que les tables et murs suintaient de gras. Il y avait quelques autres clients aux tables voisines : un vieil homme qui marmonnait tout seul dans son bol de gyûdon, et deux mafieux à l'air patibulaire qui discutaient tout bas dans leur coin.

- Tu n'as pas faim ? Tu n'as toujours pas touché à tes udons… fit remarquer Saitama d'un air inquiet. C'est moi qui t'invite…

- Pardon, Saitama-sensei, soupira Genos en brisant finalement ses baguettes pour commencer à manger. Je vais manger.

Il avait passé près de dix minutes à résumer toutes ses tentatives de ces dernières semaines pour rendre le sourire à son maître, tandis que celui-ci mangeait sans même tenter de l'interrompre.

- Il est inutile de me mentir à présent, sensei… murmura Genos en portant les udons tièdes à ses lèvres. Vous n'avez plus besoin de le cacher. Je sais que vous allez mal. Je sais que vous souffrez. Et je veux vous aider. Il n'y a rien que je ne ferais pas pour vous.

Pendant que Genos absorbait ses udons et buvait le bouillon jusqu'à la dernière goutte, Saitama poussa un profond soupir en s'adossant à la banquette. Genos s'essuya la bouche du coin de sa serviette, alors que l'incinérateur dans son estomac carbonisait tout ce qu'il venait d'avaler.

- Oh, faut pas dramatiser non plus, lâcha Saitama d'un ton flegmatique. Bon ok, j'ai eu un petit coup de blues après ce combat décevant contre l'extraterrestre. Mais y avait pas de quoi te mettre dans tous ces états.

- Vous êtes resté une semaine en pyjama sans sortir, sensei. Vous aviez l'air triste. J'étais inquiet.

À son ton austère, Saitama cilla et adopta une mine contrite.

- Ah, vraiment… ? Je m'en rendais pas compte. C'est vrai que ça fait des années que je considère le combat comme mon unique raison de vivre, vu que c'était le seul truc qui me faisait encore me sentir vivant et éprouver des émotions.

Genos s'assombrit davantage, se sentant plus impuissant et inutile que jamais.

Saitama fourra sa main dans la poche de son jean encore taché de sang noir empestant le pétrole – Genos se rappela intérieurement de le laver dès qu'ils rentreraient à la maison – et en sortit son porte-monnaie pour compter les piécettes et les poser une à une sur la table, à côté de leurs bols vides, jusqu'à ce qu'il ait rassemblé le montant exact au yen près.

- Mais les choses sont différentes maintenant, acheva sobrement Saitama en se levant.

Confus, Genos se leva à son tour pour suivre son maître qui sortait du restaurant. Accompagnés par la voix forte de la gérante qui les remerciait machinalement pour leur fidélité d'une voix criarde, les deux héros sortirent dans la nuit et prirent le chemin du retour. Genos se plaça épaule contre épaule avec son maître, le scrutant du coin de l'œil – Saitama semblait détendu, les mains dans les poches et un léger sourire aux lèvres.

Pourquoi donc souriait-il ?

- Je ne comprends pas, sensei. Qu'y a-t-il de différent ?

Ils passèrent devant un distributeur de boissons qui grésillait en clignotant, et les flashs de lumière dessinèrent les traits du visage neutre de Saitama.

- Je vais pas te mentir, Genos. L'exaltation du combat me manque et je donnerais tout pour me battre à fond contre un adversaire assez fort pour vraiment me mettre en danger, mais… j'ai d'autres choses dans ma vie, maintenant. D'autres choses qui me font me sentir vivant.

Genos haussa les sourcils avec surprise.

- Quelles choses ? J'ai assidûment observé et analysé vos faits et gestes 24h/24 pendant des mois, sensei, fit observer le cyborg d'un ton dubitatif. Et je n'ai rien remarqué de ce genre depuis que je vis avec vous.

- Ben…

Saitama évitait son regard, nota intérieurement Genos. Tout en marchant dans la rue sombre et déserte, il regardait le ciel étoilé, les mains plongées dans les poches.

- … Je suis entré dans l'Association, et même si je n'ai aucun fan ni aucune reconnaissance, ça me donne un objectif à long terme et un emploi fixe. Et puis surtout, il y a toi, Genos.

- … moi ?

- Depuis que tu vis avec moi, je ne m'ennuie plus et je me surprends parfois à apprécier ma vie, à me sentir vivant, et même à ressentir à nouveau des émotions.

- Sensei… ? souffla le cyborg en écarquillant les yeux.

- Différentes que celles que me procuraient les combats, précisa Saitama en haussant vaguement les épaules. Moins intenses, moins fortes, plus sereines, mais quand même. Je crois que je m'étais pas senti aussi bien depuis… je ne sais même plus quand. Peut-être depuis toujours.

Muet de stupeur, Genos sentit son réacteur principal vibrer sourdement dans son torse et une myriade d'émotions le saturer. Avait-il bien entendu ? Se pourrait-il que cette solution qu'il avait recherchée avec tant d'acharnement… c'était lui ?

- Saitama-sensei, vous voulez dire que… je suis votre nouvelle raison de vivre ?

- Mouais non, t'emballe pas non plus, j'irais pas jusqu'à dire ça, grimaça Saitama en se massant la nuque, visiblement embarrassé. Ce que je veux dire c'est que… j'ai été seul toute ma vie, je me suis toujours senti détaché des autres… et depuis que tu vis avec moi, qu'on se voit tous les jours, que tu me pousses à avoir des interactions humaines et à tenter de nouvelles choses… c'est la première fois que je me sens vraiment lié à quelqu'un. Et j'sais pas… c'est plutôt sympa. Je ne me sens plus seul. Je me sens humain.

Genos sentit l'huile s'accumuler dans ses yeux et manquer de déborder, mais il parvint à la retenir – Saitama-sensei n'aimait pas le voir pleurer, et son huile était très difficile à détacher. Pour une fois, le cyborg était à court de mots, réduit au silence par un trop-plein d'émotions. Sans s'en rendre compte, il avait ralenti le pas et se trouvait quelques mètres derrière son maître lorsque celui-ci s'arrêta et s'accroupit pour tendre une main à un chat noir qui traversait la rue, la queue recourbée en point d'interrogation.

L'animal allongea le cou et renifla les doigts avec une curiosité mêlée de méfiance, et pointa un bout de langue râpeuse pour en lécher la paume, ce qui tira à Saitama une ombre de sourire étrangement triste. Il tenta de caresser la tête du chat noir, mais celui-ci s'aplatit souplement au sol pour éviter la caresse et s'esquiva à petites foulées.

- Mais je sais que je ne dois pas trop m'y habituer… ajouta Saitama en regardant l'animal grimper sur un muret pour s'y percher. Parce que quand tu auras compris que je n'ai rien à t'apporter, quand tu seras devenu assez fort pour vaincre ton ennemi et accomplir ta vengeance…

Saitama se releva lentement, tournant le dos à son disciple.

- Tu n'auras plus aucune raison de rester avec moi, et tu me laisseras pour passer à autre chose.

- C'EST FAUX !

Saitama se retourna avec un pâle sourire.

- C'était pas un reproche, Genos. Tu partiras un jour, c'est normal. C'est la vie. Je m'y suis préparé. Tu vas quand même pas rester avec moi toute ta vie…

- Et pourquoi pas ? répliqua Genos avec fougue, ses yeux d'or brillant dans la pénombre.

Saitama cilla, le regardant comme s'il n'était qu'un enfant déraisonnable, ce qui offensa le cyborg qui serra les poings avec un cliquetis métallique.

- Tu sais pas ce que tu dis, soupira Saitama. T'es jeune, t'as de l'ambition et t'es destiné à de grandes choses. Tu fais une petite fixette en ce moment sur le secret de ma force, mais ça te passera.

Perché sur le muret, le chat bailla largement et ramena sa queue touffue autour de son corps en les toisant de haut.

- Il est vrai que c'est pour votre incroyable force que je vous ai suivi au début et ai voulu devenir votre disciple… articula sourdement Genos entre ses dents. Mais vous vous méprenez sur mon compte si vous croyez que c'est encore le cas aujourd'hui.

Saitama arqua un sourcil surpris lorsque Genos s'approcha pas à pas, la colère le nimbant d'une aura d'énergie brûlante.

- Je ne suis pas stupide, Saitama-sensei.

- J'ai jamais dit que tu l'étais, mais… se défendit Saitama.

Saitama tressaillit lorsqu'il lui agrippa ses épaules fermement, ses doigts de métal s'enfonçant dans l'étoffe de son sweat. Il soutint avec stupeur le regard intense de son disciple, la bouche entrouverte.

- Je sais très bien que jamais je ne pourrai acquérir votre force, sensei ! Vous croyez vraiment que je serais resté avec vous si c'était tout ce qui m'intéressait ?

- Euh…

- Saitama-sensei. Vous l'ignorez sans doute, mais si le docteur Kuseno se donne tant de peine à me construire un corps qui me permette de vivre comme un humain, c'est que j'étais devenu pire qu'une machine après la mort de mes parents. Je ne pensais qu'à la vengeance, et cette obsession me détruisait petit à petit, m'éloignant de l'humanité. Je n'avais qu'un seul objectif : trouver le cyborg fou et le tuer en m'auto-détruisant en dernier recours. Avant de vous rencontrer, je n'avais pas un instant envisagé la possibilité de survivre à ma vengeance, je me considérais comme déjà mort, uniquement en sursis le temps de venger mes parents. Mais maintenant, je sais que ma vengeance ne marquera pas la fin, mais le début d'une nouvelle vie que je compte passer à vos côtés. Je resterai avec vous pour toujours, Saitama-sensei, soyez-en assuré. Vous êtes la personne la plus importante au monde à mes yeux, et ce que je ressens pour vous est bien trop fort pour être placé sur le seul compte de mon âge.

La bouche entrouverte, Saitama dévisageait le cyborg avec de grands yeux stupéfaits. Genos réalisa qu'il s'était rapproché pendant son discours enflammé au point de sentir le souffle tiède de la respiration de son maître contre ses lèvres synthétiques.

Saitama cligna des yeux en déglutissant de manière audible, sans chercher à se dégager de la poigne de son disciple, puis fronça les sourcils d'un air confus.

- Genos…

Le cyborg frémit lorsque Saitama éleva une main pour la poser sur les doigts de métal broyant son épaule, et se sentit perdre tous ses moyens quand son maître plissa les yeux en l'étudiant attentivement.

- T'es sûr que t'es pas un peu amoureux de moi ?

Genos écarquilla les yeux, ses pupilles se rétrécissant au maximum, et il relâcha précipitamment l'homme pour se reculer de trois pas, comme s'il avait reçu un violent coup. Les bras ballants, Saitama le scrutait avec un mélange d'incrédulité et de curiosité, et Genos ne savait plus où se mettre. Il baissa les yeux, son esprit en ébullition face à cette question qu'il n'avait pas anticipée.

Avant que Saitama-sensei n'évoque la possibilité de sentiments romantiques une heure plus tôt dans leur appartement, jamais Genos n'aurait envisagé… ni même osé penser à…

Mais durant tout le trajet jusqu'au restaurant, et alors qu'il exposait à son maître tout ce qu'il avait fait pour lui, il n'avait pu empêcher un coin de son esprit de lui murmurer que c'était peut-être cela, ce qu'il ressentait vraiment pour Saitama. Pas seulement de la loyauté, de la reconnaissance ou de l'admiration, pas seulement l'affection et l'attachement qu'il avait éprouvé aussi pour ses parents avant leur mort, mais autre chose de plus… intime. Profond.

Le regard de Saitama pesait sur lui, attendant une réponse. Aussi s'efforça-t-il de se redresser et de se montrer aussi courageux que possible en dardant sur lui un regard digne.

- Peut-être, articula-t-il avec sérieux.

- Hein ? Peut-être ?

Genos acquiesça avec gravité.

- Je n'en suis pas sûr. Je ne suis pas expert en la matière puisque je n'ai jamais été amoureux avant. Il faudrait que je fasse des recherches pour le confirmer.

Les épaules de Saitama s'affaissèrent de consternation, et il baissa la tête, l'obscurité voilant son visage. Genos cilla lorsque son maître émit un étrange son, et… se mit à rire. À pleine gorge, en renversant la tête en arrière, si fort que les éclats de rire résonnaient dans la nuit et une larme perlait au coin de son œil.

Genos se figea sur place, les yeux écarquillés. C'était la plus belle chose qu'il ait vue de toute sa vie.

- Ce n'est pas drôle, sensei… protesta-t-il sans conviction alors qu'il ne pouvait s'empêcher de sourire à ce spectacle.

- Si, ça l'est ! rit Saitama de bon cœur. T'es incroyable, Genos !

Il s'était arrêté de rire, mais un sourire illuminait toujours son visage. Genos sentit sa nervosité se dénouer peu à peu, et de la vapeur s'échappa des plaques métalliques de son thorax.

- Ça ne vous dérangerait pas s'il s'avérait que j'éprouve ce… ce genre de sentiments pour vous ? demanda-t-il en baissant timidement les yeux.

Saitama haussa les épaules avec nonchalance, et passa un bras sur les épaules du cyborg, pressant chaleureusement la plaque métallique couvrant l'un de ses réacteurs.

- Bof, non, pas plus que ça. C'est même plutôt marrant, en fait.

- Marrant ? répéta Genos en cillant.

- Bah ouais… T'as un faible pour moi, la honte !

Genos fit la moue lorsque Saitama lui pressa la joue du bout du doigt en souriant de toutes ses dents, tandis que son réacteur central se remettait à surchauffer.

- Sensei…

- Dis, tu crois que tu vas perdre tes fans si elles apprennent que leur Prince Cyborg craque sur un héros de classe B ?

- Sensei !

- Ok, ok, j'arrête ! Allez viens, on rentre à la maison. Je vais te foutre la raclée du siècle aux jeux vidéo. »

Saitama lui tapota affectueusement l'épaule et le lâcha pour se mettre en marche, l'air d'excellente humeur. Genos s'immobilisa pour le regarder prendre quelques mètres d'avance, et sentit une émotion poignante éclore dans son substitut de cœur. Lorsque son maître se retourna pour lui faire signe de venir, il courut à petites foulées pour le rattraper et marcher épaule contre épaule avec lui.

Roulé en boule sur son muret, le chat noir entrouvrit paresseusement ses yeux pour regarder les deux silhouettes s'éloigner dans la rue, jusqu'à ce qu'elles disparaissent dans la nuit avec leurs rires.

FIN

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[Note finale de l'autrice : Les reviews sont toujours appréciées ! Même si l'histoire est terminée depuis des années, soyez sûrs que ça me mettra en joie. Même 20 ans après ! Pour tout vous dire, rien ne me ferait plus plaisir de recevoir encore des reviews sur mes fics quand je serai en maison de retraite. Et même quand je serai morte, je garantis que mon fantôme sera content.]