Voici le dernier chapitre de cette partie 2 !


Dimanche

Il est neuf heures et Albafica s'active en cuisine depuis déjà un moment. L'odeur des tartines grillées, de croissants chauds et de café a déjà recouvert celle de la peinture fraîche qui régnait jusqu'à présent. Bien que ravi d'avoir une cuisine intégralement équipée avec tout le matériel nécessaire, le jeune homme ne peut s'empêcher de songer que tous les appareils n'étaient pas forcément obligatoires.
Franchement, un presse-agrume électrique, si ce n'est pas une invention pour les flemmards ça… Et je ne suis pas sûr d'avoir besoin d'une cafetière électrique et d'une cafetière italienne, une seule suffirait largement. Il va falloir que je fasse un sacré tri entre le matos neuf qu'on nous a mis dans la maison, celui de Minos et le mien.
- Salut…
Albafica se retourne et sourit en voyant Sarpédon qui se tient sur le seuil de la porte, l'air hésitant.
- Bonjour !
L'air un peu impressionné, le rouquin observe la table recouverte par ce qu'on pourrait appeler un petit déjeuner digne de ce nom :
- C'est toi qui a fait tout ça… ?
Le jeune homme acquiesce :
- J'étais debout, autant servir à quelque chose. Tu veux boire et manger un peu ?
Sarpédon ne peut s'empêcher de songer que Minos va être servi comme un Prince à avoir Albafica à ses côtés au quotidien.
- Oui… ça sent tellement bon…
- Café ? Thé ? Croissant ? Tartine ?
- Je peux me servir, tu sais… répond le rouquin, un brin amusé et perplexe également par cette attitude.
On ne croirait pas que j'ai tenté de le tuer il n'y a pas si longtemps…
Son choix se porte sur le café chaud, le jus d'orange fraichement pressé et les céréales.
A peine a-t-il posé ses fesses sur la chaise que Rhadamanthe entre à son tour.
- Albafica, tu sais que tu n'es pas la bonniche de service, tu n'étais pas obligé de faire tout ça… remarque l'aîné des Juges.
Le jeune homme sourit en lui faisant signe de s'assoir :
- Je m'occupais, c'est tout. Je te prépare ton thé.
Rhadamanthe n'a pas le temps de protester, son interlocuteur est déjà en train de mettre l'eau à bouillir et extirpe du placard la boite de son thé préféré. Déboussolé par cette attitude si serviable, le Spectre du Wyvern tourne la tête vers Sarpédon et lui sourit :
- Bien dormi… ?
Son petit frère hoche la tête en versant du lait dans ses céréales.
- Quand pourra-t-on trouver un moment pour discuter ? s'enquiert Rhadamanthe en adoptant une voix douce pour ne pas que son cadet se sente pas oppressé malgré leur besoin d'avoir rapidement des réponses.
- Après le petit déj', si tu veux… répond Sarpédon à mi-voix et sans lever les yeux vers lui.
Albafica reste silencieux en servant le Juge. Si son attitude laisse les deux autres un peu étonnés, que dire de celle de Sarpédon… ? De fauteur de troubles qui tuait parce qu'il s'ennuyait, il est passé à un jeune homme qui semble mal dans sa peau et qui a presque l'air d'avoir peur des réactions de ses ainés.
Il pourrait nous réduire en miette si facilement et on dirait pourtant que c'est nous qui en serions capables à présent. Etrange… Est-ce qu'il joue la comédie ? Ou était-ce justement une comédie lorsque nous le pensions si « méchant »… ? Qui est le vrai Sarpédon ? Celui qui veut piétiner tout le monde ou celui qui a l'air de vouloir se cacher dans un coin… ?
Ses interrogations prennent fin lorsque Minos arrive dans la cuisine.
- Les plus belles fesses du monde ! s'exclame le Griffon en donnant une claque possessive sur celles d'Albafica qui rougit immédiatement jusqu'à la racine des cheveux.
Le jeune homme lui retourne un coup de coude dans le ventre pour le faire reculer en marmonnant :
- Prend ton déjeuner au lieu de dire n'importe quoi !
- Tu n'as qu'à me le servir, Sushi, tu sais ce que j'aime…
- Tu ne veux pas non plus que je déroule le tapis rouge sur ton passage depuis la chambre jusqu'à ta chaise ?
- Maintenant que tu le dis, c'est tentant, répond Minos en adoptant un air songeur.
Albafica roule des yeux agacés et pose une tasse de café devant son amant en se jurant que ce n'est pas parce qu'il lui a demandé mais pour le faire taire.
Rhadamanthe finit son café et se lève pour poser la tasse dans l'évier :
- Minos, tu n'oublieras pas de faire ton quota de livres, aujourd'hui.
- Oui, oui… répond le concerné en tournant sa cuillère dans sa boisson.
Imitant l'exemple de son aîné, Sarpédon se lève à son tour et débarrasse son verre et son bol, avant de quitter la cuisine en embarquant le reste de son café.
Retroussant les manches de sa chemise, le Spectre du Wyvern commence à faire la vaisselle entreposée dans l'évier en faisant signe à Albafica de prendre également cinq minutes pour se poser.
Le jeune homme finit par s'assoir à côté de Minos avec un verre de jus de fruits :
- Au fait, maintenant que les ennuis sont terminés, j'aimerai bien pouvoir reprendre le travail dès demain. Comment je fais pour traverser la mer jusqu'en Grèce, tu as songé à un moyen ?
- Tu es un Poisson, non ? Ce n'est pas loin, tu n'as qu'à nager, rétorque le Spectre avec un sourire taquin.
- Alors non seulement j'arriverai trempé, mais en plus je risque d'attirer l'attention des humains… Tu tiens tant que ça à ce que je me fasse griller ?
- Tu n'auras qu'à me rejoindre au garage pour que je te réchauffe si tu as peur d'attraper un rhume.
- A ce que je vois, Minos drague dès le petit matin… commente Aiacos en pénétrant à son tour dans la cuisine.
Il attrape un bol dans le placard et le remplit à ras bord de céréales sur lesquelles il rajoute du lait :
- Ne t'inquiète pas, Fica, il y a un scooter des mers tout neuf qui n'attend que toi au petit port de l'île. Nous sommes suffisamment proches du continent pour que tu puisses l'utiliser.
Le Griffon se hérisse en fusillant son frère du regard :
- T'étais pas censé le dire ! C'était une surprise !
- Oups… répond le Garuda qui ne semble pas désolé un seul instant. Quel gaffeur…
Il esquive la main tendue de Minos qui essaye de l'étrangler, attrape une cuillère au passage et repart.
-…Un scooter… ? répète Albafica.
Le Spectre du Griffon hoche la tête et croise les bras sur son torse en maudissant son bavard de petit frère.
- Oui… Je comptais te le montrer tout à l'heure…
Le sourire aux lèvres, Aiacos n'écoute plus la suite de la conversation entre les deux amants et entre dans le salon. Avec un soupir de bien être, il s'affale dans le canapé et pose ses pieds sur la table basse. Il attrape ensuite la télécommande en se félicitant intérieurement d'avoir demandé aux Spectres d'installer la télé et de la brancher correctement.
Le Spectre du Garuda se met à zapper sur les différentes chaînes et prête à peine attention à Rhadamanthe qui passe derrière lui quelques minutes plus tard. Son grand frère gagne le balcon du salon et referme à moitié derrière lui la porte-fenêtre.
- Par quoi suis-je censé commencer… ? demande Sarpédon accoudé à la rambarde du balcon.
Comprenant que son ainé vient de rejoindre le plus petit de ses frangins, Aiacos se désintéresse soudain de l'écran télévisée et se met à tendre l'oreille pour écouter la conversation grâce à son ouïe fine.
- Commençons par ta mort, si tu le veux bien. Ton Livre n'est pas signé et nous ignorons dans quelle prison tu as été envoyé. Pourquoi ?
- Pourquoi ? Je l'ignore moi-même en réalité.
-… Comment ça… ? Tu es forcément passé devant l'un de nous trois.
Le rouquin secoue négativement la tête en regardant le fond de sa tasse :
- Je suis mort et quand j'ai repris connaissance en Enfers, je n'étais pas comme toutes les autres âmes qui attendaient votre Jugement. Personne ne me voyait. Ni les morts autour de moi, ni toi, ni Minos, ni Aiacos. J'ai pensé qu'il s'agissait d'une erreur, d'une sorte de beug et que vous alliez de toute façon avoir mon Livre entre les mains tôt ou tard, qu'il serait alors signé et que je serais jugé comme les autres. Mais ça ne s'est jamais produit et je ne sais pas pourquoi.
Stupéfait, le Spectre du Wyvern fixe son cadet du coin de l'œil, n'osant croire ce qu'il entend :
- Tu… Tu es en train de me dire que durant tous ces derniers siècles tu as erré aux Enfers, sans que personne n'ait la moindre conscience de ta présence ?
- Oui. Quoiqu'Hadès savait que j'étais là, j'ai pu communiquer avec lui plusieurs fois.
- Pourquoi ne nous l'a-t-il pas fait savoir dans ce cas ? Nous aurions peut-être pu t'aider !
- Je crois qu'il ne voulait pas vous embarrasser avec ça. Lui-même a tenté de faire quelque chose, tu sais, mais il a échoué, il avait bien réussi à invoquer le Livre de mon Ame mais il a eu exactement le même problème que Minos a rencontré : on ne peut rien écrire pour décider de mon sort. Le Grand Seigneur des Enfers n'allait tout de même pas s'abaisser à avouer à ses Juges qu'il n'arrivait à rien… et si lui ne pouvait rien, qu'est-ce que vous trois auriez pu changer… ?
Rhadamanthe reste silencieux, choqué par les révélations entendues. Enfoncé dans le canapé, Aiacos continue d'écouter en fixant d'un œil morne les images qui défilent sur l'écran télévisé. Il n'ose imaginer la solitude ressentie très certainement par son plus petit frère. Toutes les âmes ont une deuxième chance, à quelques rares exceptions près. La plupart sont bien entendu jetées dans les tourments des Prisons, mais elles finissent toujours par en sortir… soit pour aller dans un autre Cercle, soit pour être réincarnée. Mais dans le cas de Sarpédon, cela signifie qu'en un sens, l'Enfer entier a été sa cellule durant des centaines d'années et qu'il n'avait vraisemblablement que le Maître des Morts pour compagnie… et encore… Le Dieu des Enfers ne pouvait certainement pas passer son temps libre à jouer les nounous pour une âme perdue.
Comment une telle chose est-elle possible… ?
Essayant de masquer la stupéfaction qu'il ressent toujours, Rhadamanthe reprend ses questions :
- Et ton envie d'aller sur l'Olympe et de t'en prendre à notre père est motivée par quelle raison ?
Sarpédon fronce légèrement les sourcils en serrant sa tasse entre ses mains comme s'il voulait la briser d'une simple pression :
- Me venger. Il a toujours veillé sur ses fils et il m'a abandonné, il m'a laissé de côté.
- Est-ce que tu n'exagères pas un peu ?
- Non ! rétorque le rouquin presque en colère en tournant ses yeux verts en direction de son ainé. Minos et toi, vous avez toujours tout eu. Vous n'avez rien à regretter de l'époque de Knossos mais Zeus ne s'est jamais penché sur mon cas à moi !
Un semblant de sourire étire les lèvres de Rhadamanthe :
- Allons, Zeus ne s'occupait pas de nous non plus, à l'époque. La preuve, nous avons tous les trois été élevés par Astérion et par Europe tant qu'elle a vécu.
- Et après ? A votre mort, vous avez eu le droit de ne pas être mort finalement ! On vous a nommé Juges, on vous a donné un boulot ! Zeus est intervenu auprès d'Hadès pour que ce dernier fasse de vous ce que vous êtes ! Vous avez ensuite été nommés Généraux et vous avez obtenu le droit de remonter à la surface tandis que je restais coincé en Enfers !
Aiacos ne fait plus semblant de regarder la télé, il quitte le canapé en laissant l'écran allumé et rejoint ses deux frères sur le balcon. Sarpédon lui jette un coup d'œil avant de le désigner à Rhadamanthe :
- Pourquoi c'est lui qui a été choisi pour être le troisième Juge et pas moi, par exemple ? La logique aurait voulu que s'il y avait toi et Minos, le troisième aurait dû être moi !
Aiacos croise les bras sur son torse en intervenant :
- Petit jaloux. Je t'apprendrais que j'ai été le premier à être nommé Juge, Radis et Minou ne sont arrivés que bien après. Et je ne sais pas si on aurait pu être quatre…
Le rouquin affiche une moue peu convaincue et reprend :
- Et Zeus m'a laissé mourir à Troie. Je sais de source sûre qu'il voulait intervenir pour me sauver mais qu'Héra l'en a empêché et il l'a écouté ! Cette garce a plus d'impact sur ce pseudo père des Dieux que son propre fils !
- Je ne peux que reconnaître que Zeus est franchement nul comme père, approuve Aiacos. Mais ne te venge pas pour ça, ignore le. Minos est son chouchou, on le sait… les autres n'ont plus qu'à se taire. Il a eu beaucoup d'autres enfants et tous n'ont pas eu de la chance. Tout le monde n'est pas un Apollon qui obtient le droit de vivre sur l'Olympe, malheureusement.
Sarpédon jette un nouveau coup d'œil au Spectre du Garuda. Il ne s'est jamais penché sur le passé de ce dernier, le voyant toujours comme l'intrus qui le remplaçait. Se pourrait-il qu'Aiacos ait aussi eu à souffrir d'un mauvais traitement du à leur irresponsable de Père ?
- Donc, reprend posément Rhadamanthe, tu as réussi finalement à revenir. Comment ?
Les jointures de ses doigts toujours blanchies autour de sa tasse, le benjamin des frères accepte cependant de répondre :
- Au fil des années, j'ai senti que j'emmagasinai petit à petit de la force, du Cosmos, mais pas encore assez. Quand je suis mort à Troie, Thanatos et Hypnos sont venus emporter mon corps et je ne sais pas trop ce qu'ils ont fichu mais j'ai fini par comprendre que je devais me débarrasser d'eux pour pouvoir revenir pour de bon avec mon corps physique. Et comme j'étais au courant de la création d'Albafica, j'ai vu là également l'occasion de ramener Milétos.
- Tu as donc le pouvoir de pouvoir ramener les morts sur Terre ? s'enquiert prudemment l'ainé des Juges.
- Oui, mais seulement de façon provisoire. Pour les garder vraiment en vie, il faut faire l'espère de rituel comme je voulais faire avec Albafica.
Aiacos et Rhadamanthe échangent un coup d'œil un peu incertain. Ce pouvoir est normalement propre à leur Maître !
Sarpédon s'écarte de la rambarde du balcon et tourne le regard vers la porte fenêtre d'un air qui signifie clairement qu'il souhaite que l'interrogatoire prenne fin pour aujourd'hui.
- Si je pige bien, tu ne veux aucun mal au Seigneur Hadès ? demande Aiacos.
- S'il y a bien un Dieu à qui je refuse de faire du mal, c'est bien lui, répond son petit frère.
- Où est-il ? interroge alors Rhadamanthe d'une voix légèrement pressante. On sait par Athéna que tu as frappé Alone et depuis nous n'avons plus de nouvelles.
Un silence accueille la question. L'interrogé fixe un point invisible dans le lointain, au-dessus de la mer qui entoure l'île, le regard un peu absent. Alors que le Spectre du Wyvern s'apprête à reposer la question, Sarpédon reprend la parole, l'air ailleurs :
- Il va bien, ne vous inquiétez pas. Il a lutté constamment pour essayer de reprendre le contrôle sur Alone et il est fatigué. Il se repose, à l'abri et en attendant son retour il sait les Trois Juges parfaitement aptes à prendre les bonnes décisions.
- Et la Guerre Sainte, alors ? Il a conscience qu'elle n'est ni gagnée, ni perdue ? demande à son tour Aiacos.
- Oui. Il est lui-même las de ces querelles incessantes entre Athéna et lui-même et il est plutôt content de voir que la paix a été conclue entre les deux camps.
- Donc… nous avons le droit de rester ici, sur Terre ? Alors que nous n'avons pas gagné ?
- Du moment que vous faîtes votre boulot et que vous répondez tous présents s'il a besoin de vous, oui. Après tous ces siècles passés en Enfers, les Spectres ont enfin le droit de rester sur Terre, sans avoir besoin du prétexte de la Guerre Sainte.
- Cool ! s'écrie Aiacos ravi.
Moins enthousiaste, Rhadamanthe dévisage une nouvelle fois Sarpédon, impressionné de le voir répondre aussi rapidement et sans hésitation.
Est-ce vrai ? Ou est-ce qu'il ment ?
- Comment sais-tu tout ça ? Tu as vu le Seigneur Hadès ?
Le rouquin ne répond pas et quitte le balcon pour rentrer dans la maison. L'ainé des Juges n'insiste pas, comprenant qu'il ne tirera rien de plus de son petit frère pour aujourd'hui.
- Tu te rends compte, Rhada ? On est enfin libre ! Nous ne sommes plus obligés de rester pendant des années en Enfers dans l'attente d'une nouvelle Guerre !
- Je me rends compte, oui.
- Je vais dire tout ça à Minos !
Le Spectre du Wyvern reste seul sur le balcon tandis que le Garuda rentre en courant dans le salon pour informer le Griffon des dernières nouvelles.
Que penser de tout ceci ? Bien sûr, j'avais déjà remarqué qu'il y avait des différences dans cette Guerre, entre Thanatos et Hypnos qui prenaient trop les commandes, notre Maître qui n'arrivait pas à lutter contre son hôte humain, l'arrivée de Sarpédon… même l'existence d'Albafica est une différence majeure. Sommes-nous en train d'entrer dans une nouvelle ère ?
En attendant, nous ne savons toujours pas pourquoi Sarpédon a été mis à part en Enfer, ni comment il a réussi à accumuler ce Cosmos. Est-ce seulement un Cosmos ? Il est bien plus puissant que nous… Et il y a cette histoire avec son livre d'Ame que nous ne pouvons pas signer.
Rhadamanthe soupire doucement.
Je suppose que nous aurons les réponses à ces questions en temps et en heure.


Voilà, c'est la fin de la Partie 2. Et comme je vous aime et que vous êtes des petits veinards, vous pouvez dès à présent lire le long prologue de la partie 3 ! Pour celà, faite une petite recherche "les cent pétales d'une rose partie 3", j'ai ouvert une nouvelle fic histoire que ce soit plus propre et plus clair... Bonne Lecture !