Notes : Je tenais à vous faire part d'un petit changement, même s'il n'a pas vraiment d'importance pour l'instant : Svarting n'a plus les yeux rouges, mais violets.

Voilà, voilà, bonne lecture !


Bien après que le camp fut dressé et que chacun eut reçu sa part de ragoût, Hayderys laissa la Compagnie à ses bouffées de tabac et sortit du cercle de lumière dessiné par les flammes. Elle entreprit de contourner l'éminence rocheuse hérissée de pins sylvestre bruns-verts sous laquelle les Nains s'étaient abrités, puis prit son essor et se jucha sur le couronnement du promontoire dans un bref bourdonnement d'ailes. Là-haut le sol jamais foulé par le pied d'une quelconque créature bipède faisait un tapis de broussailles sèches et de terre friable ponctué de rochets couverts de lichen. Elle prit place sur l'un d'entre eux. Le paysage tout autours lui apparut alors comme une succession de reliefs acérés, de vallons plongés dans l'obscurité et de plateaux argentés par la lumière stellaire. Ça et là, apparaissait les lacets scintillant d'un cours d'eau. Les plaine frémissaient sous la brise, parcourues d'ondulations laiteuses, et contre la voûte étincelante se détachaient les arrêtes noires de monts lointains.

Un désir ardent monta dans sa poitrine, qu'elle refoula. Quand-bien même elle répondrait à l'appel des cieux, ce serait en tant que Semi-Fée. Or c'était Svarting qui se languissait des longs vols nocturnes et des grands courants d'air sur lesquels elle pourrait planer en silence.

La jeune femme retint un soupir mélancolique et porta la main à ses cheveux pour en retirer les épingles. Ses ondulations châtains se déroulèrent sur ses épaules. Elle tira son peigne et un flacon de son escarcelle, ôta d'un coup de dents le bouchon du récipient et versa une noisette d'huile au creux de sa paume. Elle en enduisit sa chevelure, la tête inclinée sur le côté, puis la démêla lentement. Malgré la lotion, des étincelles crépitèrent au passage du peigne. Sa tâche achevé, l'hybride releva ses cheveux en un chignon serré sur la nuque, sachant pertinemment que des mèches récalcitrantes ne tarderaient pas à revenir folâtrer autour de son visage.

Un cri étrange, à mi-chemin entre le crissement et le sifflement, lui fit dresser l'oreille. Hayderys ne distinguait pas grand chose de nuit, mais aucun mouvement alarmant ne sembla se déclarer dans les environs. Elle ne fut pas la seule que le feulement intrigua, car elle entendit Bilbo demander en contrebas :

- Qu'est-ce que c'était ?

La nervosité contenue de sa voix la fit sourire. Elle se leva et s'avançant au bord du tertre, observa les masses des Nains déjà endormis lovés dans leurs couvertures. Le feu craqua, et des escarbilles montèrent jusqu'à elle.

- Des orques, répondait Kili d'une voix grave.

La jeune femme fronça les sourcils. Un orque ne pouvait définitivement pas émettre un tel son.

- Des orques ? Répéta Bilbo, s'étranglant presque.

Et tandis qu'il se rapprochait du feu à pas vifs, Thorïn tressaillit et se redressa brusquement, le regard alerte. Il posa un regard sombre sur l'hybride quand elle quitta son perchoir pour venir se poser au côté du Hobbit.

- Des coupe-jarrets, précisa Fili. Ils doit y en avoir des douzaine. Les landes en sont infestés.

Ce disant, il fixa Hayderys, sur le visage de laquelle se peignait une suspicion ostensible. Lorsqu'elle avisa la lueur moqueuse dans les yeux verts elle secoua la tête, hésitant à prévenir son ami que les deux frères se jouaient de lui. Déjà, Kili reprenait, d'un ton bas et lugubre, en bon comédien :

- Ils attaquent à l'aube, quand tout le monde est endormit. Vite et en silence, pas un bruit. (Son timbre baissa encore et ce fut dans un murmure qu'il acheva:) Mais des flots de sang.

C'en était trop pour la jeune femme. Elle se détourna, étouffant un rire, et remarqua que Thorïn s'était levé. Lui ne semblait guère goûter à la plaisanterie. Dans son dos, les deux frères pouffèrent, n'ayant pas encore remarqué l'irritation de leur oncle.

- Vous trouvez ça drôle ? Asséna durement ce dernier.

Le regard du Seigneur des Nains était comme une brûlure de glace. Le visage pâle de colère, il s'avança vers ses neveux d'un pas fulminant.

- Vous trouvez matière à plaisanter d'une attaque d'orques ? Les réprimanda-t-il d'une voix sourde.

Affectée par son courroux, Hayderys pressa machinalement sa paume contre son épaule, là où sa vieille cicatrice s'était mise à fourmiller d'une douleur fantôme. Fili et Kili perdirent brusquement leurs airs goguenards au profit d'une mine contrite. Les yeux du cadet bondissaient de Thorïn au feu et du feu à l'hybride. Eut-elle été dragonne, celle-ci aurait cédée à son instinct, lequel lui criait de s'interposer entre les deux Nains avec un grondement de mise en garde à l'adresse du Roi exilé. Au lieu de quoi, elle ne fit que se mordre la lèvre, embarrassée.

- On ne pensait pas à mal, articula finalement Kili.

- Bien sûr que non, jeta roidement son oncle. Vous ne connaissez rien du monde.

Et sur cette rude remontrance, il fit volte-face. Comme s'il ne pouvait se tenir plus longtemps près des deux frères sans risquer de laisser déferler sur eux l'ire qui le submergeait. Les yeux d'Hayderys lui vrillèrent la nuque alors qu'il dépassait un Gandalf confortablement affalé contre un arbre pour gagner le bord du précipice et appuyait altièrement son pied contre une protubérance de la roche, les mains croisées dans son dos. Elle regarda les cheveux noirs onduler au gré d'un léger souffle d'air.

L'hybride croyait connaître la teneur de la haine qui l'habitait, et se figurait qu'elle était pleinement dirigée contre les pairs du Cracheur de feu. Mais le ressentiment qui noyait ses prunelles juste avant qu'il ne se détourne des flammes n'avait rien de comparable avec le regard qu'il avait autrefois appesantit sur Svarting.

Son corps d'emprunt dotait la jeune femme d'une sensibilité aiguë aux émotions. En cet instant, le fiel de Thorïn circulait tout autours d'eux avec l'intensité d'un tison porté à blanc et la fureur d'un torrent de montagne se ruant vers un précipice. Une rage ancienne, que le temps ne parvenait pas à émousser. Et il se tenait là, au bord du vide, irradiant du sentiment le plus corrosif qu'il ait été donné de voir à Hayderys.

Balïn rejoignit à pas mesurés les deux jeunes Nains et s'adressa à Kili en s'appuyant contre le mur de roc :

- Ne le prend pas mal, petit. Thorïn a plus de raison que quiconque de haïr les orques.

L'hybride se retourna vers lui à ces mots. Elle et Bilbo se tinrent cois, muselés par le sérieux solennel qu'une seule phrase de l'aïeul était parvenue à leur inspirer. Personne n'osait lever les yeux vers lui où vers Thorïn, et pourtant tous écoutèrent alors que Balïn reprenait d'une voix douloureuse :

- Après que le Dragon eut repris la Montagne Solitaire, le Roi Thror tenta de reconquérir l'ancien royaume des Nains : la Moria. Mais l'ennemi... nous avais devancé.

Hayderys se sentit prise de vertige. Tandis que le récit de Balïn rappelait ce jour funeste à la mémoire du descendant de Durin, l'esprit de la semi-fée s'y trouva implacablement entraîné, ballotté comme une feuille sur une rivière.

Alors se déroula devant ses yeux un champ de bataille infernal. Toute formation était rompue, chacun menait sa propre bataille dans une atmosphère poussiéreuse, saturée de vapeur de sang. Un soleil pourpre brillait sur les plates, flamboyait sur les heaumes et incendiait le fil des lames. Les Nains, vociférant, furibonds, se heurtaient aux orques, combattaient épaule contre épaule, titubaient, trébuchaient sur les corps et les blessés, s'efforçant de refouler leur ennemi.

Au cœur du chaos, étourdit par les cris, les muscles engourdis par l'impact des coups, le goût du cuivre sur la langue et la sueur lui coulant dans les yeux, se trouvait Thorïn. Il combattait sans armure, bras nus, brandissant glaive et bouclier rond. Sous ses pieds le terrain était glissant, détrempé par le sang. Il plongea sa lame dans le torse d'un orque, la retira en pivotant pour asséner son bouclier dans la tête d'un autre, trancha un troisième au niveau de la taille et frappa, tailla, cogna, détaché de toute pensée, de toute douleur. Il ne sentait plus le poids de la maille sur son dos, ne s'entendait plus rugir. Seul importait la lutte. Et l'adversaire qu'il abattait. Et le suivant. Et le suivant.

Le temps n'existait plus, il n'y avait plus que l'instant. Maculé de sang, barbouillé de terre, il ne pensait pas à s'arrêter, ne voyait pas venir la fin de la bataille, ne s'en préoccupait pas. Il brûlait seulement d'anéantir les infâmes créatures qui se dressaient face à lui. Ces charognes qui osaient le défier en pénétrant sur ses terres. Il voulait venger chaque Nain qui tombait près de lui.

Soudain, par dessus le fracas de l'acier et les clameurs monta un long beuglement triomphal. L'attention se tourna vers le massif orque pâle au cuir couturé de cicatrices. Il se dressait, torse nu, féroce, ivre de sang, sous la lumière diffuse du soleil. Une masse d'arme au poing gauche. La tête du Roi dans l'autre.

Thorïn eu le sentiment qu'on venait de le précipiter dans un lac de neige fondue.

Ses oreilles bourdonnèrent. D'un seul coup il lui sembla que le calme régnait, alors qu'autour de lui la bataille faisait toujours rage.

Azog jeta son trophée avec mépris. La tête roula, auréolée d'une crinière grise, jetant des giclées de sang dans son sillage, avant de s'immobiliser sous les pieds des combattants.

La fureur du Prince Nain explosa.

Un mugissement monta du plus profond de son ventre. Il rugit à en sentir ses côtes vibrer, à s'en irriter la gorge, d'un hurlement fauve alimenté par une rage noire.

Thorïn se retrouva à lutter de nouveau. Un fer de lance fusa vers lui, il brisa la hampe avec plus de force que nécessaire et ouvrit la gorge de son assaillant. Sa lame en rencontra une autre, glissa le long du fil, plongea dans un défaut de l'armure, tandis que le bord de son bouclier défonçait le heaume d'un orque imprudent. Il poursuivit son chemin, n'accordant qu'une once attention à ceux qui tombaient sous ses coups, les yeux rivés sur Azog entre ces cils collés de sueur et de poussière. C'est à peine s'il avait conscience que le nombre de ses pairs se réduisaient autours de lui. Tandis que les orques semblaient se multiplier sur sa route, les Nains reculaient, abandonnés par Thraïr, privés de Thror, privés de meneur.

Et Thorïn fut devant l'orque pâle. Dévoré de haine, aveuglé par sa propre fureur. Désertée de toute raison, il se rua sur lui. Azog se ramassa, tourna sur lui-même avec un sourd grondement de gorge. D'un ample et puissant mouvement, la masse s'abattit. L'acier sonna, le choc se répercuta au cœur de ses os tandis que le bouclier du Prince Nain était arraché à son poing.

Il ne vit pas venir le second coup mais sentit la douleur dans son bras droit alors que son épée lui échappait. Il perdit l'équilibre, violemment projeté en arrière par l'impact. La mer d'affrontements et le ciel inondé de lumière se confondirent, tournoyèrent un temps infini tandis qu'il dévalait la déclinaison rocheuse de laquelle il avait été jeté.

Son omoplate rencontra la terre. Sa chute prit fin, le laissant sur le dos, le souffle coupé. Au-dessus de lui, Azog brandit sa masse à deux mains puis bondit. D'instinct, la main de Thorïn s'abattit sur une épaisse branche de chêne et l'étreignit. Il roula sur lui-même, en même temps que la tête à huit arrêtes le manquait pour s'écraser sourdement contre le sol.

L'héritier de Durin poussa un nouveau rugissement, ivre de rage. En un instant, il fut sur ses pieds. Déjà, l'orque assénait un nouveau coup et Thorïn ne trouva rien d'autre à faire que d'user du tronçon pour s'en protéger. Le vieux bois protesta sous ses paumes, mais tenu bon. Prit de folie meurtrière, Azog frappa une deuxième fois, et le bouclier de chêne tînt encore. A la troisième, ce fut Thorïn qui céda. Ses jambes se dérobèrent sous lui, incapables d'accuser le choc prodigieux auquel elles étaient soumises. Il ne lâcha cependant pas son écu de chêne.

Son être entier était tendu vers un unique objectif : vaincre. Il se releva, perclus de douleur mais supporté par un acharnement farouche. Son glaive était revenu dans sa main alors qu'il était à terre. Les dents serrées, ahanant, il esquiva un énième coup, et Azog, infatigable, souleva une fois de plus sa masse.

Ils rugirent simultanément, unis dans leur volonté d'anéantir l'autre, dans leur détermination à porter le coup fatal. Masse d'arme et glaive fendirent lourdement l'air.

L'attaque de Thorïn porta la première.

Il y avait mit tout ce qu'il lui restait de force, y avait déversé toute sa fureur.

Cuir, chair, tendons, os, la lame trancha l'ensemble d'un seul coup. Le membre coupé cracha un geyser de sang qui l'éclaboussa. Azog recula, hurlant de douleur.

Par la suite, la folie de la bataille atteignit son paroxysme.

Soudain les guerriers Nains se trouvaient au grand complet derrière l'héritier de Durin, et sur un cri de ralliement amplifié par une vigueur nouvelle, Thorïn mena la charge. Ils fondirent sur les orques qui se repliaient, entraînant leur champion vaincu. Les cris de triomphe résonnèrent jusqu'au cœur de la Moria alors que les Nains décimaient les rangs de leurs ennemis. Les cœurs battaient à tout rompre dans les poitrines, brûlants d'un désir inaliénable de revanche. Ils déferlaient comme la colère déferlaient en eux.

Mais malgré leur prodigieuse unité, malgré leur hargne, ils continuaient à tomber sous les coups de l'ennemi.

Les Nains chargèrent et périrent. Ils poursuivirent et périrent. Ils vainquirent et périrent.

Un déchaînement d'émotions s'était abattu ce jour-là sur le peuple des Montagnes : De la plus funeste détresse à la plus incandescente des rages à la plus noire des peines. Elles s'immisçaient dans l'esprit d'Hayderys, qui survolait ce jour depuis un autre temps. Et l'hybride crut bien être broyée de l'intérieur par d'aussi violent mouvements de l'âme. Puis, au moment où il lui sembla ne pas pouvoir tenir plus longtemps avant qu'un gouffre fatal ne s'ouvre en elle, tout cessa.

Pas tout, songea-t-elle en s'apercevant que flambait toujours un cœur supplicié. Mais c'était autrement plus supportable que mille.

La jeune femme n'était plus aux Portes de la Moria, mais sous des étoiles et des pins en flammes. Les lueurs pourprées dansaient sur le visage de Thorin, qui se ruait vers un immense orque pâle monté sur un ouargue blanc. Elle le regarda la dépasser, ses semelles écrasant l'humus fumant au rythme des palpitations de son cœur, et sentit le dégoût et la fureur de l'héritier d'Erebor passer sur elle comme une vague de chaleur. Ceci n'est pas encore arrivé, déduisit-elle du crochet qui luisait au bout du moignon d'Azog. Mais si l'orque est en vie, où est-il à présent ?

Cette fois, son don se fit obligeant, et son esprit quitta la nuit de feu pour filer vers une autre nuit. Les étoiles reculèrent dans le ciel. Hayderys fila avec elles jusqu'à une autre nuit. Les ressentiments qui avaient manqués de la consumer ne se faisaient plus sentir, et le silence régnait parmi les ruines solennelles qui l'entouraient. Résidus d'un ancien édifice qui avait du être majestueux en son temps, il n'en restait désormais qu'une ligne de piliers et d'arches couronnant une butte. Juché sur les débris comme sur un trône, un immense ouargue couché dans son dos tel un dossier de fourrure immaculée, Azog s'adressait en langue noire à une meute d'orque.

Où donc cette scène se situait-elle ? S'agissait-il du présent ? L'hybride obtint une partie de réponse lorsque l'ouargue blanche émit un grondement ténue et releva sa lourde tête pour braquer sur elle ses prunelles jaunes Alerté, Azog suivit son regard, mais ne sembla rien détecter, car ses yeux de requins reflétèrent une lueur vaguement perplexe. D'abord prise d'une envie de ricaner, la jeune femme fut brusquement transit lorsque son regard cessa de voguer et s'arrêta à l'emplacement de sa présence immatérielle.


Elle ouvrit tout à coup la bouche pour aspirer une grande goulée d'air, prise d'un violent tressaillement. Ses yeux -ses véritables yeux- s'ouvrirent sur un couvert de pins vaguement illuminés par la lueur d'un feu, devant lequel se découpait un visage grave ombragé par un large chapeau d'où pendaient des cheveux filasses. Des mains étaient crispées sur ses épaules avec une poigne de rapace. Quelque-part, hors de son champ de vision, Bilbo demandait :

- Et l'orque pâle ? Que lui est-il arrivée

Ce à quoi Thorïn répondit en sifflant d'une voix sourde :

- Il a rampé jusqu'au trou d'où il était venu. Ce monstre est depuis longtemps mort de ses blessures.

Alors seulement Hayderys parvint à rassembler ses pensées. Elle réalisa qu'elle était couchée sur un tapis d'aiguilles, un jambe tordue comme si elle y était tombée à la renverse, et que celui qui l'agrippait aussi vivement pour vriller ses prunelles bleues dans les siennes n'était nul autre que Gandalf. Puis elle prit conscience des martellements affolés de son cœur dans sa poitrine et de son impérieux besoin d'air. Elle prit une nouvelle inspiration, puis balbutia :

- Gandalf ? Que... ?

- Qu'avez-vous vu, Hayderys ? Interrogea celui-ci dès qu'il s'aperçut qu'elle recouvrait ses capacités.

Elle fronça les sourcils, soudain méfiante. Se redressant sur un coude, elle donna une saccade pour qu'il libérât ses épaules, ce qu'il fit sans la lâcher des yeux.

- Comment savez-vous ?

- Ce qui fut, ce qui est, ce qui sera. Les Fées ont le don de voir tout cela. Je ne me doutais pas qu'il vous avait été transmit jusqu'à ce que je vous vois reculer loin de nos compagnons et vous écrouler ici-même. Vous étiez en transe et il m'était impossible de vous ramener. Qu'avez-vous vu ?

La jeune femme jeta un coup d'œil aux Nains attroupés à quelques pas de là. Elle n'en voyait que leur dos, car ils s'étaient tous levés, muent par le profond sentiment d'allégeance que le récit de Balïn avait réveillé en eux.

- Hayderys, la pressa le Magicien.

Elle reporta son attention sur lui.

- Il est vivant, souffla-t-elle.

L'air méditatif, Gandalf se recula et porta sa pipe à sa bouche. Ses yeux trahissaient une intense réflexion dont elle ne pouvait deviner l'objet. Cependant, il ne manifesta aucune surprise, pas plus qu'il ne lui demanda de qui elle parlait. Hayderys s'assit en tailleur, vérifia que la Compagnie ne pouvait pas l'entendre, puis s'insurgea à voix basse :

- Vous saviez ?

Le lieur de sort se contenta d'acquiescer lentement du chef.

- Vous saviez et vous ne le lui avez pas révélé ?!

Il cracha quelques bouffardes avant de se décider à se justifier :

- Disons que je m'en doutais fortement, mais il m'était impossible d'en être sûr. J'ai préféré ne pas alarmer Thorïn tant que cela n'était pas absolument nécessaire.

Elle le dévisagea, sidéré par son affront. Les Magiciens étaient bien tous les mêmes ! Et pourtant...

Pourtant alors que son don de clairvoyance venait de la plonger dans un état vulnérable, c'était vers lui qu'elle avait inconsciemment reculé pour mettre son corps physique en sécurité. Son instinct avait toujours été infaillible, et il avait vraisemblablement estimé que pour le cas présent, c'est auprès de Gandalf qu'elle serait le plus en sécurité. Manipulateur, menteur et trop malin à mon goût, mais pas foncièrement mauvais donc...

Hayderys se leva précautionneusement. Il lui semblait que le vacarme des combats sonnait encore à ses oreilles tel un bourdonnement lointain. Son sang chantait dans ses veines comme si la transe de la bataille peinait s'estomper. Une bataille à laquelle elle n'avait prit aucune part, mais qu'elle avait vécu à travers l'esprit des Nains. Et en particulier...

Son regard se posa sur Thorïn, qui exhortait ses compagnons à se reposer afin de reconstituer leurs forces pour la route qu'ils avaient à parcourir. Se sentant observé, l'héritier d'Erebor finit par se tourner vers elle. Cette fois, Hayderys ne chercha pas à se dérober face à cette figure sévère et inquisitrice qui se découpait du feu à contre-jour. Depuis sa position, elle scruta son regard, fouillant les deux éclats de glace qu'étaient ses yeux. Ce fut sans surprise qu'elle y découvrit ce qu'elle cherchait.

Le guerrier acharné de sa vision. Celui dont le désir de protéger les siens disputait férocement son cœur à la haine de ses ennemis. Celui qui se dressait pour combattre alors même qu'il était écartelé de l'intérieur.

Les Nains étaient décidément des créatures coriaces.

La jeune fille replaça une mèche volante derrière son oreille pointue. Demain, se promit-elle, elle aurait une conversation avec Thorïn Oakenshield.