Comme prévu, je poste ce dernier juste après le bonus ! J'espère qu'il vous plaira :) ! Bonne lecture, et merci pour tout !

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— Adrien ?

Marinette attrapa un sac accroché à son lit, et passa rapidement devant son miroir, replaçant correctement les quelques mèches qui s'échappaient de son chignon.

— Adriennnnn ! Appela-t-elle à nouveau.

Venant d'en bas, elle entendit quelques rires et des mots échangés qu'elle n'arriva pas à identifier. Elle grogna et descendit les escaliers à toute vitesse. Ouvrant la porte d'un coup sec, elle le put s'empêcher de sourire en découvrant la scène : Adrien et son père, affalés sur le canapé, chacun armé d'une manette.

— Adrien, dit-elle plus doucement, il faut y aller. L'avion de ton père est arrivé il y a trente minutes, il ne va pas tarder à arriver chez toi.

Le garçon soupira, perdant subitement son sourire. Il passa une main dans sa nuque, prenant un air anxieux que Marinette détestait. Elle s'approcha et posa ses coudes sur le dossier du canapé.

— Tout va bien se passer, dit-elle d'une voix basse. Allez, tu es prêt, au moins ?

— Je- hum, peut-être que je devrais me recoiffer-

— Tu es très bien comme ça, interrompit son père en riant. Il a s'est déjà recoiffé i peine dix minutes, rajouta-t-il à l'intention de Marinette.

Adrien haussa les épaules, feignant un air embarrassé. Elle regarda avec amusement son père placer sa main sur la tête du garçon, ébouriffant ses cheveux au passage. Adrien ouvrit la bouche avec un air indigné, avant de se mettre à rire.

— Bon. Je vais définitivement devoir me coiffer, grogna-t-il, encore.

— Tu l'aurais fait de toute façon, répondit Marinette.

— Peut-être, admit-il.

Elle jeta un regard à son père, qui souriait chaleureusement à Adrien. Il hocha la tête, commençant à se diriger vers la cuisine.

— Je dois retourner travailler, dit-il. Mais ne vous inquiétez pas, vous aurez le droit à quelques pâtisseries plus tard. Bonne chance avec ton père, mon garçon, rajouta-t-il à l'intention d'Adrien.

Adrien le remercia avant de se précipiter dans la chambre de Marinette, soignant une dernière fois son apparence. Elle attendit patiemment à l'entrée, et glissa doucement sa main dans la sienne lorsqu'il revint vers elle. C'était un geste auquel elle n'était pas totalement habituée, aussi simple qu'il soit. Depuis dimanche — jour où Adrien avait découvert sa véritable identité —, seulement deux jours s'étaient écoulés, et les deux adolescents avaient encore du mal à ajuster leur relation. Adrien avait passé ses deux soirées chez elle, fuyant la solitude de la demeure Agreste, et s'entendait merveilleusement bien avec ses parents.

Et même si Marinette savait depuis des semaines que Chat Noir était Adrien, elle avait aussi du mal à s'habituer à la situation actuelle. La façon dont Adrien la dévisageait, dont il glissait son regard le long de chaque parcelle de son corps, s'en cachant à peine, l'embarrassait horriblement. Elle se sentait nue sans son masque, fine protection qui lui avait jusqu'ici donné l'impression qu'elle était plus qu'une simple adolescente. Et elle savait qu'Adrien n'allait pas partir, elle savait que, aussi absurde que cela puisse paraître, il retournait ses sentiments, même si elle n'était que Marinette. Mais c'était compliqué de ne pas rechercher un peu de déception dans les émeraudes brillantes, ou même de l'inventer. Et Marinette était très forte à ce jeu-là.

Paume contre paume, ils marchèrent jusque chez lui, le coeur envahi par une angoisse nouvelle. Marinette ne se permit pas d'interrompre Adrien dans ses pensées, car il semblait complètement effacé de la réalité. Mais son air anxieux la dérangea, alors elle bougea calmement son pouce, caressant doucement le dos de la main du garçon pour le rassurer. Adrien leva immédiatement les yeux vers elle, lui offrant un pauvre sourire.

— Ça va aller, dit-elle. Tu as fait ce que tu avais à faire, c'est à lui de te répondre, maintenant.

Il hocha la tête.

— Je sais, je- merci, Marinette.

La façon dont sa voix appuya sur chacune des syllabes de son prénom lui donna envie de se pencher pour l'embrasser, mais elle ne savait pas si c'était exactement la meilleure chose à faire. Et puis, ils auraient tout le temps qu'ils voudraient pour faire ça après.

— Il n'a pas le droit de te forcer à faire quelque chose que tu ne veux pas faire. Même si c'est supposé être pour ton bien.

— Il n'a pas intérêt à essayer, en tout cas, répondit Adrien. Je compte pas me laisser faire.

L'énorme portail de sa maison était enfin devant eux, et Marinette serra une dernière fois la main d'Adrien, avant de relever ses yeux vers lui. Il respirait lentement, et regardait la longue voiture garée devant la demeure avec un air déterminé.

— Bon, nous y sommes, dit-il d'une voix lente.

— Je t'attends, alors.

— … Tu peux rentrer, tu sais…

— Non, je n'ai pas envie de vous déranger. Je veux dire, ce n'est pas que je ne veux pas voir ton père — j'aimerais beaucoup pouvoir lui parler, mais… Je sens que vous devriez être seuls dans ce genre de moments, dit-elle.

Il sourit doucement, avant de se pencher pour embrasser le front de Marinette, laissant ses doigts caresser la peau de son cou.

— Tu as raison, bien sûr, répondit-il. À tout', alors.

— Bonne chance, Adrien.

— Merci.

Elle resta devant le portail jusqu'à ce qu'il disparaisse derrière la porte lourde. Avec un soupir, Marinette jeta un oeil à sa montre. Elle avait le temps de prendre un café, se dit-elle.

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Lorsqu'il entra dans sa maison, Adrien pensa d'abord que rien n'avait changé — le couloir était toujours silencieux et froid —, mais rapidement, des bruits de pas se firent entendre. Le garçon retint sa respiration, se rappelant les gentilles paroles de Marinette et ses parents (il leur avait vaguement expliqué le problème, monsieur et madame Dupain-Cheng étaient des personnes très compréhensives). Tu peux faire ça, c'est ton père, tout va bien se passer.

Il avança lentement jusqu'à la salle à manger, et ouvrit la porte pour tomber sur son père et Nathalie, en pleine discussion sur un dossier. Lorsqu'il avança dans la pièce, les deux s'arrêtèrent subitement, et Adrien toisa son père pendant quelques longues secondes, sans prononcer le moindre mot. Il portait son habituel costume clair, une cravate, et l'air sévère qu'Adrien lui connaissait bien. Nathalie s'éloigna en s'excusant. Adrien la vit lancer un regard étrange à son père avant de venir le saluer, prenant même une posture qu'il estima encourageante.

Puis elle sortit, et il ne restait qu'eux deux.

— Je- Bonjour, père, commença lamentablement Adrien.

— Adrien, salua-t-il. Viens t'assoir, nous devons parler.

Il se déplaça jusqu'au divan, restant sur ses gardes.

— J'ai parlé avec Nathalie, reprit son père.

Adrien fronça les sourcils, ne voyant pas immédiatement le rapport avec leur situation.

— Nathalie ?

— Nous avons parlé de toi, continua-t-il. Je lui ai demandé un avi extérieur.

Le garçon sentit sa mâchoire se décrocher sous la surprise. Son père était le genre de personne qui détestait recevoir des conseils, ou même des avis. Il était celui qui prenait tout le temps les décisions, et aimait n'avoir qu'à compter sur lui-même.

— Ne prend pas cet air étonné, reprit son père, ce n'est pas si surprenant.

Adrien rit nerveusement.

— Ça l'est, répondit-il. Je te vois très rarement écouter les conseils des autres…

— Mais il ne s'agit pas de la couleur d'un accessoire, reprit Gabriel, il s'agit de toi. Je pense que tu sais que tu es un peu plus important qu'un accessoire, non ?

Pendant un instant, Adrien ne sut pas comment répondre. Devait-il être agacé par le fait que son père lui parle de cette façon, ou bien répondre exactement ce qu'on attendait de lui ? À la place, il choisit la carte de l'honnêteté.

— Je ne sais pas, père.

— Adrien…

— J'ai parfois l'impression de ne pas vraiment être plus important que… Que ma 'future carrière', ou je ne sais pas comment appeler ce futur que tu as planifié pour moi, mais-

— Tu es bien plus important que ça, répéta son père en l'interrompant. Ne sois pas ridicule.

— Je ne suis pas ridicule, et excuse-moi de ne pas toujours comprendre tes marques d'affection. Parce que, au cas où tu ne l'avais pas remarqué, tu n'es pas la personne la plus chaleureuse au monde.

Il n'avait pas pris un ton particulièrement brusque, mais Adrien avait conscience de la lourdeur de ses propos. Il n'avait pas juste envie de blâmer son père, mais il ne faisait que dire la vérité, et son père devait savoir ça, non ?

L'homme ne sembla pas se laisser embarquer par l'irritation, et soupira.

— Je sais. Je suis désolé, je ne voulais pas que tu te sentes aussi délaissé. Tu es important pour moi, Adrien, vraiment. Tu es la chose- la personne la plus précieuse qu'il me reste.

Et Adrien resta quelques instants sans mot, la gorge sèche, parce que- wow. Entendre ces paroles, ces mots particuliers, sortir de la bouche d'un homme qui lui avait accordé si peu de temps en plusieurs années, c'était réellement étrange. Dans le sens positif, bien sûr, même si Adrien avait envie de penser que c'était normal de dire ça à son fils, et que le plus anormal dans cette situation, c'était l'envie de pleurer qu'il avait, juste parce que son père venait de lui dire qu'il était important. Qu'il était le plus important pour lui.

Il refusa de se laisser déborder par l'émotion. Son père avait beau dire ça maintenant, il était resté tellement distant pendant tout ce temps, et Adrien ne savait pas quoi penser. Ce qu'il savait c'est qu'il n'allait pas juste accepter tout ce qu'il lui dirait juste pour ça.

Il ne pouvait pas s'empêcher d'être heureux, mais il ne pensait pas que c'était une mauvaise chose.

— Si je suis si important, pourquoi ne pas le montrer ? Demanda-t-il.

Une lueur triste passa dans le regard de son père.

— Je suis désolé, Adrien. Je ne sais pas m'y prendre.

— Parce que maman s'occupait toujours de moi, accusa Adrien, parce que c'était elle, le centre de la famille. Et quand elle a disparu, tu ne savais même pas comment t'y prendre pour garder ça. Tu n'as jamais essayé, même quand elle était là !

Il ne haussait pas le ton, il ne voulait pas crier, il voulait juste qu'il comprenne. Il ne savait pas s'il aurait d'autres occasions pour s'exprimer à coeur ouvert, et ils dérivaient peut-être du sujet d'origine, mais Adrien décida qu'il s'en fichait.

— Je n'ai jamais eu beaucoup de temps, se défendit Gabriel, mon travail demande-

— As-tu au moins essayé d'en trouver ?

— Bien sûr, mais c'est comme ça, des gens ont besoin de moi et je-

— Et le fait que j'ai besoin de toi ? Ça ne compte pas ?

Adrien mordit sa lèvre, réprimandant un tremblement. Contrôle-toi, contrôle-toi, contrôle-toi.

Son père semblait épuisé, et Adrien imagina qu'il était lui aussi en train de lutter pour ne pas hausser le ton. Se dire qu'il ressentait quelque chose était presque rassurant.

— Ça compte, admit son père, mais tu dois comprendre que j'ai des responsabilités auxquelles je ne peux pas échapper.

— Tu as aussi des responsabilités en tant que père.

— Je fais de mon mieux.

— Et comment ? On ne fait absolument rien ensemble, dit Adrien. On ne mange même pas ensemble, la plupart du temps ! Tu sais, je suis allé manger chez une amie, hier, et il y avait toute sa famille à table. Et ils- ils se parlaient ! Ils se disaient ce qu'ils avaient fait de leurs journées, ils riaient ensemble ! Est-ce que c'est normal, que rien de tout ça ne me soit familier ? Depuis que maman est partie, en tout cas. C'est comme si je vivais seul, et que Nathalie là pour me surveiller en permanence.

« Tu sais ce qui est le pire, dans tout ça ? Demanda Adrien. C'est que Nathalie voudrait agir plus familièrement, je peux le voir, mais elle reste distante — elle aussi —, probablement parce qu'elle pense que ce qu'elle doit faire parce qu'elle est une employée. Mais elle ne devrait même pas avoir à endosser ce rôle, parce que tu es censé te comporter comme un vrai parent, et pas comme un- un responsable légal, comme si tu n'étais là que pour signer des papiers, et me dire quoi faire et ne pas faire en permanence. Bien sûr, c'est normal que tu montres de l'autorité, mais pour contrebalancer ça, tu es supposé montrer de l'affection aussi ! C'est comme ça que les choses marchent !

« Moi, je fais de mon mieux pour que les choses restent passables, continua le garçon, les yeux rivés sur le sol. J'accepte que tu ne puisses pas passer du temps avec moi, je suis là quand tu as besoin de moi, et j'ai joué les mannequins pendant cinq foutues années, alors que je déteste ça, tout ça pour te faire plaisir. Et peut-être que j'en demande trop. Peut-être je suis égoïste, ou- ou un enfant pourri gâté, je sais pas. Mais je ne pense pas. Alors je suis prêt à faire ce que tu veux pour que les choses s'arrangent, je veux bien accepter qu'on se voie pas aussi souvent qu'une famille normale, mais je n'ai pas envie de me laisser contrôler comme ça plus longtemps. Tu as le droit de me donner ton avis, de me proposer des choses, mais si je ne veux pas poser plus longtemps, alors je ne vais pas le faire. C'est plus juste comme ça, non ?

Adrien prit une grande inspiration, terminant sa phrase avec une voix enrouée. Il avait trop parlé, il en était presque sûr, mais son père ne l'avait pas interrompu, et il avait besoin de dire tout ça.

— Je suis prêt à faire des efforts, termina Adrien, mais il faut que tu en fasses aussi.

Cela résumait à peu près ce qu'il ressentait — mais de façon bien pauvre ; il ne pouvait pas résumer des années de frustration et de colère avec de simples mots. Il osa enfin lever les yeux vers son père, qui était resté dans la même position durant tout son discours. Lorsqu'il ouvrit la bouche pour lui répondre, Adrien craignit un instant qu'il ne lui ordonne de retourner dans sa chambre, ou qu'il s'énerve.

— Tu veux vraiment arrêter de poser ? Demanda son père.

Adrien crut qu'il avait mal entendu, parce que vraiment ? Est-ce que son père allait faire comme s'il ne venait pas de dire tout ce qu'il venait de dire, et se concentrer uniquement sur ça ? C'était peut-être leur conversation originale, mais Adrien sentit une pointe d'irritation se glisser dans sa voix lorsqu'il répondit.

— Oui. Ça ne m'intéresse pas.

— Quel gâchis. Tu es doué à ça, tu sais.

— Ça ne change rien au fait que je ne suis pas intéressé.

Son père soupira, et se laissa aller contre le dossier du canapé, regardant au loin pendant un court instant.

— Je n'ai pas envie que tu te sentes enfermé, dit-il. Je pense sincèrement que c'est une façon de t'offrir un futur plus sûr, ça n'a rien à voir avec ma fierté, ou quoi que ce soit.

— Je n'ai jamais dit que c'était le cas, se défendit Adrien. Enfin, peut-être que je l'ai dis il y a quelques jours, mais je sais. Je sais que tu fais ça pour moi, mais ça ne marche pas.

— Il y a autre chose, reprit son père. T'avoir comme mannequin est aussi une autre occasion de te voir plus souvent.

— Et ce n'est pas normal, on- on vit ensemble, père ! Dans la même maison ! On ne devrait pas avoir à passer par le travail pour se voir.

Son père soupira.

— Adrien, quoi que tu penses, mon job est vraiment prenant. Je fais de mon mieux pour essayer de passer du temps avoir toi, mais c'est extrêmement compliqué, surtout quand tu es souvent absent dans la soirée.

Adrien voulait bien admettre qu'il était coupable sur ce plan-là. Il prétextait des sorties avec des amis, mais son devoir en tant que super héros était aussi très prenant. Il voulait bien comprendre que son père avait peu de temps à lui accorder, mais…

— Dans ce cas, pourquoi ne pas essayer d'améliorer ce temps-là ? Proposa-t-il. Je peux faire en sorte de manger en même temps que toi, même si c'est plus tard. Et comme j'arrête de poser, on pourra avoir des discussions autres que « tu as un shooting de prévu tel jour à telle heure ». Ça me semble correct.

— Ce n'est pas si simple, Adrien. Si je n'ai plus cette discussion avec toi, je l'aurai certainement avec un autre mannequin. Ça ne nous économise pas de temps-

— Tu n'as pas d'assistants ? De gens qui peuvent s'en charger à ta place ?

— La clé du succès, continua Gabriel, c'est de s'occuper soi-même de ce qui est important. Je n'ai pas envie de laisser des incapables diriger mes modèles.

Adrien prit à nouveau un air contrarié.

— Tu n'y mets pas beaucoup du tien, accusa-t-il.

— Si, c'est juste que tu refuses de le voir.

Il secoua la tête, cherchant un nouveau compromis.

— Est-ce qu'on peut au moins essayer ? Demanda Adrien. Peut-être que ça ne marchera pas, mais juste voir ce que ça pourrait donner ?

Son père sembla prendre un moment pour y réfléchir, mais Adrien ne vit pas beaucoup d'hésitation lorsqu'il lui répondit.

— Si cela ne chamboule pas trop mon emploi du temps, je ferai de mon mieux. Je vais en parler à Nathalie.

Adrien sentit son coeur bondir dans sa poitrine, et ses lèvres s'élargirent en un sourire satisfait.

— Merci, père, souffla-t-il.

— Et pour ce qui est de ta carrière de mannequin-

Ex-carrière, rectifia Adrien.

La remarque sembla agacer son père, qui replia ses bras contre son torse.

— Écoute, je ne vais pas te forcer, reprit-il. Je veux que tu saches que tu loupes une bonne opportunité, mais si tu n'en as pas envie, je ne peux pas faire grand-chose contre ça. Tu as un bon dossier scolaire, et seras probablement capable d'entrer où tu le souhaites.

Adrien sentit ses épaules se décontracter, et osa un sourire soulagé.

— Alors tu ne vas pas insister plus que ça ? Demanda-t-il pour être bien sûr.

— J'aimerais vraiment que tu continues à poser, reprit son père, mais je ne peux pas te forcer.

Adrien hésita quelques secondes.

— C'est Nathalie qui t'a dit ça ?

— Nathalie m'a dit que je devais être plus indulgent avec toi. Je ne suis pas idiot, Adrien, je sais bien que je ne peux pas t'obliger à faire quelque chose que tu n'as pas envie de faire.

Adrien se rappela d'aller remercier Nathalie dès qu'il en aurait l'occasion. Au moins, quelqu'un dans cette 'famille', se souciait de lui.

— Oh, vraiment ? Continua Adrien. Parce que jusque-là, tu as fais un très bon job pour me forcer à faire des choses que je n'avais pas envie de faire.

Il savait qu'il n'aurait peut-être pas dû dire ça, que c'était en trop, et que de toute façon, son père venait de dire qu'il acceptait de lui donner plus de liberté. Mais Adrien ne pouvait pas juste faire comme si rien ne s'était passé.

— Adrien, ne me fais pas passer pour un monstre, dit son père d'une voix sèche. Jusqu'à récemment, j'ignorais que tu détestais être mannequin à ce point. Je ne savais pas à quel point je devais prendre tes protestations au sérieux.

— Tu peux dire ce que tu veux, dit Adrien, c'est arrivé. Et tu as peut-être des excuses, mais est-ce que ça paraît juste, d'insister à ce point ? Parce que j'ai toujours pensé que tu me détesterais si je ne le faisais pas-

— Je ne te détesterai jamais, l'interrompit son père. Ne dis pas ça.

— Parce que c'est difficile de savoir, parfois ! Continua Adrien.

Adrien passa ses mains dans sa nuque, bloquant sa respiration un moment. Il évita son père du regard — il ne voulait pas y lire de la déception ou de la tristesse —, et fit de son mieux pour garder une expression neutre. Le silence pesant dura trop longtemps à son goût, et il finit par se résigner à parler.

— Mais je peux te faire confiance pour ça, hein ? Demanda le jeune homme. Que tu feras de ton mieux pour qu'on se voit plus longtemps, et- le mannequinat, aussi…

Son père hocha la tête.

— Nous parlerons de ton parcours scolaire plus en détail, dit-il, puisqu'une école de mode n'est plus envisageable.

— D'accord.

— Je te dirais quand j'aurais plus de temps pour tout ça.

— D'accord.

— Je vais également demander à Nathalie de réarranger ton emploi du temps — tu pourras déplacer quelques-unes de tes activités pendant le week-end, si tu n'as plus de shooting. Il est important que tu aies une semaine moins chargée si tu souhaites travailler correctement. Tu as bien envie de continuer tout ce que tu fais déjà, n'est-ce pas ?

— Bien sûr.

— Dans ce cas, le dossier est clos. Si tu as envie, tu peux apprendre une autre langue en plus, ou te permettre une autre activité. Nathalie de donnera plusieurs choix de-

— Père, interrompit Adrien. C'est bon. Je lui en parlerais.

— Bien.

Adrien regarda son père, se demandant ce qu'il restait à dire. Pas grand-chose, sûrement, mais la discussion semblait encore un peu sèche. Il supposait que pour une personne comme Gabriel Agreste, ce n'était pas surprenant, et il ne pouvait pas attendre de lui qu'il se mette subitement à sourire tout le temps et à lui montrer son affection. Il pouvait faire avec, pensa-t-il, s'il faisait aussi des efforts.

Il espérait qu'il ferait des efforts.

— Je- hum, Marinette, mon amie, dit Adrien. Elle m'attend. Je vais y aller.

Son père hocha lentement la tête.

— Amuse-toi, dit-il — bien que son ton traduisait tout sauf de l'amusement —, préviens-moi si jamais tu rentres plus tard que prévu.

— Oui. À plus tard.

Ce ne fut qu'au moment où il quitta la pièce, et où il fut enfin hors du champ de vision de son père, qu'Adrien se permit de se détendre complètement. Il s'appuya contre le mur, soupirant longuement, et regarda ses poignets, encore légèrement tremblant. Il n'avait pas remarqué à quel point il avait été crispé pendant leur échange, mais la sueur encore présente le long de sa nuque était un rappel suffisant.

Voilà une bonne chose de faite, pensa-t-il immédiatement. La conversation ne s'était pas merveilleusement bien passée, mais c'était un bon début, non ? Son père avait accepté ses conditions — même si Adrien trouvait triste de devoir en arriver là —, et avait promis d'essayer de faire de son mieux pour le voir plus souvent. De toute façon, Adrien ne s'était pas attendu à ce qu'il lui saute dans les bras.

Il quitta le couloir en pensant aux prochaines choses à faire ; prendre une douche, remercier Nathalie, et retourner auprès de Marinette.

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Adrien, pensa Marinette, ne devait pas être habitué à prendre le bus, et encore moins de nuit. Il n'arrêtait pas de regarder les autres passagers — quelques types particulièrement bruyants, portant quelques bières avec eux — avec un air presque méfiant, et n'arrêtait pas de demander à Marinette si l'arrêt annoncé était leur arrêt. Question à laquelle elle avait déjà répondu, et continuerait à répondre la même exacte réponse.

— C'est une surprise. Je ne vais pas te dire où nous descendons, tu verras bien.

Elle avait arrangé sa tenue, la gardant suffisamment confortable pour suivre le programme prévu. Un short en jean et une tunique ample, d'un bleu pastel, en plus d'un gilet sombre — elle aurait aimé porter autre chose que des tennis légères pour ce qu'elle appelait avec hésitation leur premier rendez-vous (c'était difficilement un rendez-vous, puisqu'ils ne seraient pas que tous les deux, mais tout de même). Adrien n'avait pas vraiment changé de tenue, et le pauvre garçon ne savait même pas dans quoi il s'embarquait, même si ça ne semblait pas le gêner tant que ça. Marinette constata qu'Adrien était tout simplement heureux de sortir avec quelqu'un qu'il aimait, et qu'il lui faisait suffisamment confiance pour ne pas en demander plus, ce qui lui allait très bien à elle. Ce n'était pas qu'elle aimait avoir le contrôle absolu de la situation — c'était loin d'être le cas —, mais elle voulait lui faire plaisir.

— Une surprise, dit Adrien d'une voix basse (comme sans se soucier de la présence de Marinette). C'est une occasion spéciale, alors ?

— Spéciale ? Oui, c'en est une. Nous sommes officiellement un couple.

Adrien rit en entendant ses mots.

— Nous sommes en couple depuis des mois, protesta-t-il.

— Pas en tant que Marinette et Adrien, répliqua la jeune fille.

— Mais, dit Adrien en baissant subitement le ton, mais si nous étions en couple en tant que Chat Noir et Ladybug, alors que je suis Chat Noir et que tu es Ladybug, cela revient au même.

— Bon, dit Marinette, dans ce cas, nous somme officiellement un couple sain, sans identité secrète.

Cette fois-ci, ce fut un sourire moqueur qui se dessina sur ses lèvres.

— Qu'est-ce que tu en sais ? Dit-il. Je pourrais tout aussi bien être le Papillon.

— Bien sûr que non, contra Marinette, ce serait idiot. Tu n'es pas si idiot.

— C'est un compliment, j'espère, dit-il. C'est bien un compliment, hein ?

— Prend-le comme tu veux, gros malin, rit-elle.

Adrien sourit ; ce genre de sourire un peu perdu mais qui avait tout de même un charme démesuré sur ce visage-là, et se pencha pour embrasser Marinette sur le front. Le geste était teinté d'une spontanéité qu'elle connaissait déjà bien chez Chat Noir, mais le garçon se rendit rapidement compte de sa situation, et lorsqu'il recula, ses joues étaient rougies par l'embarras. Marinette se demanda exactement d'où venait cet embarras : était-ce parce qu'ils étaient en public ? Les quelques regards qu'ils s'étaient attiré n'étaient pas particulièrement méchants, en fait, on ne le regardait sans plus d'attention que l'on regardait une personne ayant rit trop fort.

— Comment est-ce que tu as fait pour t'y habituer ? Finit par demander Adrien, se justifiant enfin.

— M'y habituer ?

Il sembla plus gêné encore.

— Au fait que je sois Adrien, continua-t-il d'une voix basse.

Le bus prit un virage serré, balançant soudainement le corps de Marinette en avant, et elle dû se raccrocher à celui d'Adrien pour ne pas tomber. Son bras à lui, entouré autour de sa taille, épousait finement le tissu de sa tunique. Marinette, pendant un instant, se demanda quoi répondre. S'y était-elle habitué ? Absolument pas — la preuve étant ici même, puisqu'elle était encore ébahie de ce genre de situation. Il y avait cependant une grande différence entre son cas et celui d'Adrien. Marinette avait, pendant trop longtemps, regardé le garçon d'une façon peu ordinaire, le tournant en une véritable obsession, comme s'il n'était pas qu'un simple être humain. Depuis qu'il était avec elle, amoureux d'elle, Marinette avait appris à reconnaître l'humain bouffé de défaut qu'était Adrien, et à accepter qu'il soit Chat Noir, sans plus se poser de questions.

C'était encore bizarre, mais ça n'était pas un 'mauvais' bizarre.

— Je suis encore en train de m'y habituer, dit-elle fièrement. Mais je pense être sur la bonne voie. Je réagis plus simplement quand tu es là, par exemple.

— Et c'est une bonne chose ?

— Absolument. Je ne suis pas 'moins affectée' par toi, si cela t'inquiète, j'arrive juste à me contrôler plus aisément.

— Dans ce cas, je ne sais pas si je vais y arriver.

Marinette éclata de rire.

— Tu vas y arriver, Adrien.

— Mais tu es tellement- et moi- enfin, nous étions juste à côté, et je n'arrête pas d'y penser et-

— Ce qui est fait est fait, le coupa Marinette. On ne peut pas revenir en arrière et accélérer le processus… D'ailleurs, c'est surtout de ma faute…

Adrien secoua la tête, déposant un nouveau baiser sur le front de la jeune fille. Elle se demanda s'il comptait faire ça encore, et se dit qu'elle n'allait pas s'en plaindre, de toute façon.

— Ce qui est fait est fait, répéta Adrien. Et je ne te blâme pas pour ça.

Leur discussion fit presque oublier à Marinette de faire signe à Adrien de descendre à l'arrêt suivant, qui était le leur. Adrien semblait à la recherche d'un indice, quelque chose qui lui donnerait l'objet de sa 'surprise', mais elle savait qu'il n'y arriverait pas si simplement. Paris était une ville complexe, formée de rues abondantes et peu structurées — Adrien avait très, très peu de chances de deviner où ils allaient précisément. Surtout lorsque le lieu en question n'avait rien d'apparemment exceptionnel.

La jeune fille le guida pendant quelques minutes, avant de s'arrêter devant un bâtiment à la façade sombre, éclairée de néons rouges saillants. Elle regarda avec satisfaction l'air perdu, puis immédiatement comblé du garçon, dont le sourire s'agrandissait à chaque seconde qui passait.

— Notre liste, murmura-t-il plus pour lui-même que pour Marinette, tu n'as pas oublié.

— Nooope, rit Marinette. Tout est gravé dans ma mémoire.

— C'est trop cool ! S'exclama brusquement Adrien. Tu es géniale !

Il tendit ses bras vers le signe « LASER GAME » écarlate, comme si Marinette ne l'avait pas vu.

— Je savais que ça te plairait, Chaton, dit-elle. Attend de voir qui attend à l'intérieur…

Il la regarda en fronçant les sourcils.

— Je croyais que Nino et Alya n'étaient pas là.

— C'est le cas.

— Alors qui ?

Il avait l'air un peu embêté, sûrement parce qu'il ne devait pas réussir à penser à quelqu'un d'autre. Adrien avait si peu de personnes proches de lui qu'il n'était pas capable de penser à quelqu'un autre que Marinette, Alya et Nino, qui souhaiterait passer du temps avec lui. Ce qui était idiot, conclut immédiatement Marinette.

— Rentre, dit-elle simplement.

Elle s'avança la première, poussant avec assurance la porte d'entrée, faisant comme si elle était une habituée du coin (et ce n'était pas le cas). Adrien la suivit avec une forme d'hésitation qui se traduisit par de petits pas rapprochés. Au dernier moment, la jeune fille se retourna vers lui pour observer son expression. Elle avait beau avoir l'air sûre d'elle, Marinette n'était pas exactement sûre de la façon dont il allait le prendre — peut-être aurait-il préféré qu'ils ne soient que tous les deux. Mais la soudaine légèreté, l'éclat empreint de joie qu'elle lut dans ses yeux en apercevant le petit groupe face à eux n'était certainement pas de la déception.

— Adrien ! S'exclama Kim. Et Marinette, vous êtes enfin là !

Marinette avait rassemblé toutes les personnes qu'elle avait pu trouver ; plusieurs élèves de leur collège, mais aussi plusieurs élèves de la classe actuelle d'Adrien, qui ne semblaient pas avoir de problèmes avec lui. Elle avait même eu la vague aide de Chloé, qui avait accepté d'ouvrir un groupe Facebook pour l'évènement, ce qui en soi, était déjà un exploit. Marinette ne les connaissait pas — à part le garçon qu'elle avait précédemment vu avec Chloé, et Chloé elle-même —, mais elle réussit à se faire suivre de quatre personnes supplémentaires. En tout, ils étaient une petite quinzaine, ce qui était largement suffisant pour une partie.

Elle regarda un moment Adrien se précipiter vers les autres, prendre et donner des nouvelles, cachant faiblement son excitation. Tout le monde semblait avoir quelque chose à lui dire, même ses camarades de classe, qui d'après ce qu'avait compris Marinette, n'étaient pas si proches de lui que ça. Chloé garda un air renfrogné pendant quelques secondes, mais finit par lui faire la bise, et l'entraîna un peu à l'écart — mais toujours dans le champ de vision de Marinette —, pour avoir avec lui ce qui ressemblait à une conversation très sérieuse.

Une jeune femme vint finalement les chercher, et les emmena dans une pièce à part pour leur expliquer les règles, et donner les équipes (choisies aléatoirement) — ce qui donna la chose suivante : Marinette était avec Alix, Max, et deux élèves quelques connaissait pas, dans l'équipe jaune. De son côté, Adrien se retrouvait avec Rose, Chloé, Kim, et une fille de sa classe, dans l'équipe bleue. La dernière équipe, la rose, était composée de Juleka, Nathanaël, Ivan, et de deux autres personnes — dont le garçon que Marinette avait aperçu. Chacun s'était vu attribué l'équipement nécessaire, que Marinette trouvait bien trop imposant et inconfortable, sans compter l'aspect tout sauf esthétique de la chose. En jetant un coup d'oeil à Adrien, elle remarqua cependant qu'il réussissait toujours à avoir une certaine classe, même munis d'une arme aussi peu convaincante. Il remarqua son regard sur lui, et lui lança un regard chaleureux, suivit d'un signe de la main auquel Marinette voulut répondre — bien qu'elle n'en n'eut pas l'occasion, puisque Alix se précipita sur elle.

— Ne sympathise pas avec l'ennemi ! S'exclama-t-elle avec un air farouchement sérieux.

Kim arriva ensuite, et semblait parfaitement d'accord avec Alix, et malgré la mine boudeuse de Marinette, son équipe s'obstina à l'éloigner du garçon. Heureusement pour elle, Marinette était une bonne compétitrice. Elle aurait certes préféré être dans l'équipe d'Adrien, mais jouer contre lui n'était pas non plus déplaisant. En fait, Ladybug et Chat Noir passaient une grande partie de leur temps, lorsqu'ils n'avaient rien d'autre à faire, à se lancer plusieurs défis. Ce n'était pas encore arrivé à Marinette et Adrien, mais il y avait bien une première fois à tout, non ?

La période qui suivit sembla un peu floue à Marinette. La femme du départ les fit rentrer dans un décor qui ressemblait plus ou moins à une usine désaffectée ; où ils se retrouvèrent perdus entre des murs gris, gardant pour seuls repères les rares marques jaunes laissées à quelques endroits. Le terrain entier était très sombre, malgré les lumières fluo disposées un peu partout, diffusées par des écrans de fumée qui apparaissaient de temps en temps. Marinette se mit à courir sans trop réfléchir, suivie de quelques membres de son équipe. Des bruits de lasers se faisaient entendre de toutes les directions, donnant quelques indications sur les combats voisins. Marinette se glissa discrètement derrière une cloison, au bord d'une fenêtre, essayant de prendre quelqu'un par surprise. Elle vit rapidement une personne — trop éloignée pour qu'elle puisse l'identifier — de l'équipe bleue traverser son champ de vision, et appuya sur la gâchette. Le halo bleu sur l'équipement de son adversaire se mit immédiatement à clignoter, et Marinette entendit une voix en provenance de son propre gilet lui annoncer gaiement « Well done ! »

Elle décida que c'était bon, ça pouvait le faire. Ça n'avait rien de compliqué, ce jeu, comparé à sauver Paris régulièrement. Elle pouvait gagner ça, si elle faisait un minimum d'effort, elle en avait la convict—

« Oh no ! Try again ! », s'exclama la voix de son équipement.

Marinette se retourna avec un sursaut, cherchant du regard celui qui venant de lui tirer dessus, avant de s'enfuir lâchement. Il voulait jouer à ça ! Elle ne savait pas qui c'était, mais elle ne comptait pas se laisser faire ; elle allait le traquer, le trouver, et le démolir. Pour sûr, elle allait faire ça, et le type n'aurait plus que ses yeux pour pleurer. Avec un sourire chargé de confiance, elle s'élança souplement dans les allées, restant le plus proche possible des différents abris. Au départ, elle ne croisa que d'autres membres de son équipe, avec lesquels elle s'essaya à différentes stratégies (l'un courant devant l'ennemi, trop loin pour être touché, alors que l'autre se glissait discrètement derrière lui) — mais Marinette ne retrouva pas celui qui l'avait eue. Elle abandonna rapidement l'idée de le retrouver à tout prix ; au bout de dix minutes, elle s'était déjà fait toucher un nombre incalculable de fois.

Dans le noir, décerner qui était qui était compliqué. Elle était à peu près sûre d'avoir tiré au moins trois fois sur Chloé — ce qui était une bonne chose —, et de ne pas avoir encore touché Adrien — ce qui était plus frustrant —, mais à part ça, pas grand-chose. Elle n'était pas si forte que ça, en fait, elle dû le reconnaître au bout d'un moment.

Fatiguée de courir dans tous les sens, elle s'éloigna un peu de la Grande Bataille. Un pas après l'autre, elle progressa lentement vers une partie reculée du terrain — mais lorsqu'elle voulut faire demi-tour pour retourner là où le jeu était plus actif, elle se rendit compte qu'elle n'y arrivait pas. À chaque fois, elle se retrouvait au mauvais endroit, et même si elle n'était pas la seule, elle se mit à pester contre ce stupide labyrinthe.

Un éclair bleu passa devant elle, et elle se crispa. Son arme fermement redressée, elle s'avança avec prudence.

— On est perdue ?

Marinette laissa échapper un cri de surprise lorsque la voix surgit de nulle part. Elle se retourna vivement, pour faire face au visage d'Adrien, qui abordait un sourire bien trop satisfait à son goût.

— Ne. Refais. Jamais. Ça, menaça-t-elle.

— Quoi, tu aurais préféré que je te tire dessus, directement ? Rit-il.

— Mhhh. Haha. Très drôle. Il n'empêche, moi je t'aurais tiré dessus, contra Marinette en portant ses mains à sa taille.

Adrien s'adossa contre le mur, à la gauche de Marinette. Il prit un air faussement blessé et soupira.

— Tu es tellement cruelle, ma Lady.

— Adrien, arrête de faire ton martyr, c'est une partie de Laser Game.

— Et alors ! Les amoureux restent toujours dans le même camp, quoi qu'il arrive ! Fit-il. Regarde dans le loup-garou ! Le but ultime c'est que les amoureux réussissent à vivre ! Oui, c'est ça, l'amour plus fort que tout, comme Roméo et Juliette ! Séparés par absolument tout, mais toujours prêts à mourir pour rester ensemble ! Qu'y a-t-il de plus pur que ça, dis-moi donc, même dans une simple partie de Laser Game, et de plus—

Marinette interrompit cette ridicule tirade par un léger baiser, sur le coin des lèvres d'Adrien. Il se tut immédiatement, et lança un long regard à Marinette, qui sentit ses jours commencer à rougir sous la pression. Heureusement pour elle, Adrien ne pouvait pas voir ça, et par conséquent, prendre cet air ridiculement fier qu'il avait tout le temps.

— Est-ce que ça veut dire que si je te tire dessus, tu me laisseras faire sans te défendre ? Demanda Marinette avec un sourire en coin.

Adrien afficha une moue dubitative.

— Je préférais quand tu m'embrassais, se plaignit-il.

Marinette éclata de rire.

— Okay, fit-elle. Et même si j'adore gagner, ça ne me dérange pas non plus de continuer ça.

Elle ne savait pas si elle pourrait vraiment s'habituer à flirter avec Adrien, et surtout, à Adrien flirtant avec elle, mais la chose en elle-même se trouvait être étonnemment agréable, et Marinette décida qu'elle s'en fichait complètement. Le discours d'Adrien pouvait être débile, et alors, dans le fond, c'est lui qui avait raison — et il fallait que ce soit un garçon aussi ridiculement romantique que lui qui dise ça —, Marinette ne pensait pas qu'une histoire de Laser Game offrait une plus grande distraction que lui. C'était tout ce qu'il y avait à savoir.

Elle répondit à sa requête avec joie, pressant doucement ses lèvres contre les siennes pour la seconde fois. Ils devaient être seuls dans le coin — peut-être pas, parfois, quelques éclairs colorés suggéraient d'autres formes de vie, mais les yeux fermés, ils ne pouvaient pas les voir. Leur équipement rendait les choses compliquées, les empêchant de rapprocher leurs bustes respectifs, alors ils étaient dans cette position embarrassante, le cou tendu en avant de façon inconfortable. Marinette se dressa sur la pointe des pieds lorsqu'elle sentit leur baiser s'approfondir. Elle commença par jouer avec les lèvres d'Adrien, les pinçant délicatement avec les siennes. Sa poitrine était en feu, sûrement à cause de la façon dont elle avait courue dans tous les sens pendant de nombreuses minutes, et elle se retrouva rapidement à bout de souffle. Adrien était appuyé contre le mur, et avait placé ses mains le long de la taille de Marinette pour la soutenir. Pour une raison qui lui échappait, il n'arrêtait pas de sourire, ce qui rendait le baiser plus difficile, et par conséquent, embêtait Marinette. Elle se pencha en arrière pour le réprimander, mais lorsque son visage se retrouva trop éloigné du sien, elle décida qu'elle préférait continuer à l'embrasser.

Ils recommencèrent. Marinette commençait à être familière avec la bouche d'Adrien, en fait, elle avait même appris toutes les petites choses qu'il appréciait particulièrement. Et, oh, lui aussi. Il savait comment s'y prendre pour que Marinette trouve cela agréable. Il savait qu'elle aimait quand il mordillait légèrement sa lèvre, avant d'effectuer des mouvements plus amples de la mâchoire, jusqu'à ce qu'elle sente ses genoux s'affaiblir. Il savait qu'elle aimait quand il passait ses mains dans ses cheveux, et laissait traîner ses doigts le long de sa nuque. Adrien apprenait rapidement, apparemment. Et Marinette ne pouvait que s'en réjouir — elle se délectait de ses petits détails qu'elle apprenait chaque jour sur lui.

Le baiser avait le gout de chocolat chaud, parce qu'ils s'étaient posés un peu dans un café auparavant. Toutes les pensées qu'elle pouvait avoir s'embrumèrent peu à peu ; tout ce qui n'était pas directement relié à Adrien et à ce qu'ils étaient en train de faire disparut. Même les sourires d'Adrien ne formaient plus une gêne. Une espèce de fumée bleutée les enveloppa, diffusant une odeur sucrée que Marinette n'arrivait pas à trouver dérangeante. Elle continua à se perdre dans l'étreinte brûlante d'Adrien, oubliant la partie.

« Oh no ! Try again ! »

Marinette mit quelques secondes à réagir au bruitage. Elle crut au départ qu'il provenait de quelqu'un d'autre, mais son équipement clignotait. La mâchoire, décrochée, elle fit un bond en arrière et lança un regard derrière son épaule.

— Ooops, je dérange ?

Chloé. Bourgeois.

Elle se tenait là, son arme à la main, toujours à viser Marinette. La jeune fille voulait la détruire. Elle pressa la gâchette, prenant Chloé en ligne de mire, mais son arme ne réagit pas, vu qu'elle venait d'être touchée. Chloé adressa un signe de la main au groupe, et s'éloigna en courant.

— Tu as vu ça ? S'indigna Marinette, lorsque les mots lui revinrent. Cette espèce de— Oh, non.

La lueur espiègle dans les yeux d'Adrien n'était pas une invention, pas vrai ? Le fait qu'il soit mort de rire ne pouvait signifier qu'une chose, pas vrai ? Marinette lui lança son Regard Noir™, faisant de son mieux pour garder un air menaçant. Ah, d'accord. Les sourires idiots pendant leurs baisers, c'était ça, alors. Et son discours sur l'Amour avec un grand « A », alors. Huh.

— C'est fini entre nous, annonça Marinette d'une voix qu'elle réussit à garder calme.

Adrien perdit son sourire, et ouvrit la bouche avec un air idiot.

— Att-

— Ne me parle même pas.

— C'était juste-

— Traître !

— Pour rire et-

— J'avais confiance en toi !

— Mariiii-

— Non. Nope. Nooooope.

Marinette secoua la tête et s'enfuit en courant. Elle regarda derrière son épaule pour voir si Adrien la suivait bien, et avec un sourire en coin, se décida à le coincer. Elle prit les virages les plus serrés possible, éclatant de rire dès qu'il se prenait un mur, ou qu'il essayait de crier pour qu'elle s'arrête.

À un croisement, Alix et Max attendaient patiemment pour prendre les adversaires en embuscade. Ils virent Marinette et lui firent signe de les rejoindre.

— Plus avec ton copain ? Demanda Alix.

— C'est fini. Y'a plus rien entre nous.

— Wow, dur, commenta Max.

— Marinette, c'est cruel, intervint Adrien, qui s'était mis à l'abri derrière un mur, mais pouvait apparemment toujours les entendre.

Le jeu continua un petit moment comme ça, et Marinette ne se priva pas. Elle s'arrangea avec Alix, et toutes les deux, elles traquèrent Adrien partout où elles le pouvaient. Voilà, pensa Marinette, voilà c'qui arrive quand on se fout de moi. Bien sûr, ce n'était qu'un jeu, tout le monde savait ça. Adrien savait qu'elle l'aimait trop pour lui en vouloir véritablement, et ses anciens camarades… Savaient qu'elle avait passé trop de temps à lui tourner autour pour être en colère. Ce n'était qu'une question de bon sens. Les autres — ceux qui étaient dans la classe d'Adrien —, eurent plus de mal avec l'étrange scène, mais comprirent aisément qu'ils pouvaient se joindre à la mêlée.

À la fin, Adrien avait le pire score. Négatif de plusieurs centaines. Marinette ne pouvait pas faire la maligne — parce qu'elle restait tout juste dans le positif —, mais au moins, sa vengeance avait marché correctement. C'était bien fait.

— Il n'empêche, lui glissa Alix à la fin du jeu, ça fait bizarre de vous voir comme ça, toi et Adrien. Genre, de te voir lui parler normalement et même de t'énerver contre lui. Et je l'ai rarement vu aussi décoincé.

Marinette haussa les épaules. Tout le petit groupe avait décidé de boire un coup ensemble, profitant de l'ambiance agitée d'un Paris en fin de soirée. Les rues grouillaient de jeunes et de rires — certains chantaient à tue-tête, d'autres criaient presque pour s'exprimer (sûrement après un verre ou deux). Marinette sentit une main se glisser jusqu'à la sienne, et elle enroula ses doigts autour de ceux d'Adrien. Ils étaient fins et glacés, mais c'était normal à cette période de l'année. Elle releva la tête pour lui sourire. Le vent avait complètement décoiffé ses cheveux, et il avait fermé son manteau en décalant une rangée de boutons, mais elle le trouvait juste comme il fallait. Et son poignet était encore trop maigrelet à son gout, mais ses parents étaient boulangers, alors elle trouverait bien un moyen d'arranger ça.

— Toujours en colère ? Demanda-t-il sans lui-même y croire.

— Mmhh, une alliance avec Chloé Bourgeois ? J'ai le droit de l'être, non ?

Il rit franchement.

— Hey, mais sans ça, je n'aurais jamais pu te battre.

— Huh-huh, chaton, tu ne m'as pas battu. Je t'ai complètement écrasé.

— Peut-être, admit-il. Il n'empêche que c'était drôle.

— C'était mesquin.

— Tu peux parler, vu la façon dont tu t'es acharnée sur moi ! Se plaignit-il.

— Tu l'avais cherché !

Adrien soupira, mais son sourire ne le quitta pas.

— Je suis prévenu pour la prochaine fois.

Quelqu'un les bouscula un peu, et ils durent se hisser vers l'arrière pour éviter tout un groupe qui traversait la grande rue. Marinette na lâcha pas sa main.

— D'ailleurs, elle voulait quoi, Chloé, quand elle t'a parlé au départ ? Demanda-t-elle.

— Ah, ça, fit Adrien. Pas grand-chose, en fait. Je pense que c'était un peu la même chose que Nino et Alya : elle était surprise, surtout que je lui avais clairement dit être en couple, alors. Elle pensait que je trompais ma- mon 'autre copine', soupira-t-il. Ou que je me foutais tout simplement de sa gueule.

Marinette hocha la tête avec sérieux. Là où Nino et Alya n'avaient que de vagues éléments, Chloé devait se poser de sérieuses questions. Sa version de l'histoire était beaucoup plus complète à la base.

— Et tu lui as répondu quoi ?

— Que je ne faisais rien de mal. Que j'étais en couple avec toi. De se mêler de ses oignons.

— Que- quoi ?

Il commença à répéter la phrase entière, et Marinette l'interrompit.

— Non mais attend, tu lui as vraiment dit ça ? Et vous avez quand même monté une alliance contre moi ? Elle devrait pas être hyper vexée ?

— J'ai décidé d'arrêter de me plier aux exigences de Chloé, fit Adrien avec une moue dubitative. C'est mon amie, toujours, mais je ne suis pas obligé de tout lui dire. Et je préfère ça à mentir. Elle l'a accepté, peut-être parce qu'elle tient suffisamment à moi pour ça- elle a changé, aussi, tu sais ?

Marinette resta silencieuse un moment, mais ne pouvait qu'être d'accord avec ses propos. Elle-même détestait mentir à Alya, de toute façon.

— C'est une bonne chose qu'elle ait changé.

— Et ça ne te dérange pas, que je traîne avec elle ? Demanda Adrien avec une certaine réserve.

— Pas particulièrement. Je te fais confiance…

À ce moment, Marinette se rendit compte de deux choses. D'une, même les mots prononcés avec la plus grande insouciance pouvaient changer la vie de quelqu'un — il suffisait de repenser à Adrien et elle : comment un « je t'aime », comment un « j'ai envie de prendre ma vie en main » l'avaient transformé. Marinette, à chaque fois qu'elle lui disait qu'elle lui faisait confiance, réussissait à le rassurer un peu ; et l'inverse était aussi valable. De deux, le mot confiance n'avait pas le même sens pour eux deux. Adrien faisait confiance à beaucoup de monde — c'était une qualité, mais aussi un défaut, qui pouvait vite se transformer en faiblesse, mais Marinette n'arrivait pas à le lui reprocher —, mais ne pensait pas que beaucoup de monde lui faisait confiance. Son père ne lui faisait que rarement confiance — il allait jusqu'à lui engager un garde du corps —, Chloé était un mauvais exemple, et en tant que Chat Noir, il arrivait qu'il reçoive une attention bien inférieure à celle qu'elle recevait (ce qu'elle trouvait absolument incompréhensif). Marinette savait qu'on lui faisait confiance. Elle avait été déléguée, elle était encore une super-héroine — elle acceptait cette confiance sans se poser plus de questions que cela. Si cela l'angoissait quand elle y repensait, c'était aisément devenu une partie de sa vie.

Adrien recherchait la confiance, et l'approbation des autres en permanence. En tant qu'Adrien, en faisant de son mieux pour satisfaire le plus grand nombre de personnes, et en tant que Chat Noir, auprès de Ladybug. Et Marinette avait envie de l'enlacer, de lui dire que bien sûr qu'elle lui faisait confiance, que ce n'était pas la peine de faire cette tête. Mais à la place, elle sourit gentiment.

— Ne sois pas surpris. C'est normal, que je te fasse confiance. Au fond, Chloé, ton père, ils te font confiance, aussi.

— Haha, je n'en suis pas sûr, mais-

— Ton père accepte de te laisser prendre des choix, non ? Et Chloé te fais confiance, suffisamment pour arrêter de poser des questions sur nous deux. C'est une forme de confiance comme une autre.

— Ce serait plus simple s'ils utilisaient le mot, comme toi.

— Les gens expriment les sentiments de manières bien différentes. Regarde-moi, tu dis ça, mais je suis encore pire qu'eux. J'ai eu peur, jusqu'au bout, de te dire qui j'étais, et en plus, il y a eu cette histoire avec Chloé.

— Tout le monde fait des erreurs, dit-il. Je suis à blâmer pour un grand nombre de choses, aussi.

Un sourire fut échangé. Adrien se pencha en avant pour embrasser Marinette sur la joue. Elle sentit quelques regards se diriger automatiquement vers eux — elle vit même quelqu'un sortir son portable et prendre une photo, sûrement parce qu'Adrien était assez connu pour ça.

— On ne devrait pas rester en plein milieu de la foule, souffla Marinette.

— Ouais. Et les autres ?

— Ils sont devant, dit-elle en riant. Mais ils peuvent bien se débrouiller sans nous.

— Mm-mh.

Marinette réfléchit quelques instants. Elle tapota son menton du bout de son index, et regarda partout autour d'elle.

— Et si on prenait un peu de hauteur ? Demanda Adrien.

— En tant que Chat Noir et Ladybug ?

— Pas forcément. Comme tu veux.

Marinette serra sa main un peu plus fort.

— On peut juste aller sur mon balcon, alors.

— Oui. On peut faire ça.

D'un accord commun, ils tournèrent les talons. Marinette se disait toujours que vu d'en haut, Paris était plus majestueux et imposant que jamais. Elle avait tort, en fait. D'ici, Paris était plein de vie — dans chaque recoin, chaque petite rue, chaque habitation. Peut-être que c'était marcher avec Adrien, qui lui donnait cet effet-là. Eux, ils n'avaient rien de plus que les autres. Ils avaient une vie compliquée, mais qui n'est pas dans ce cas-là ?

Ils n'appelèrent pas de taxi, ils ne prirent même pas le chemin le plus court jusque chez Marinette. Ils marchèrent longtemps, jusqu'à ce que les pieds de Marinette soient presque douloureux. Ils marchèrent dans cette étrange ville, qui les rendait à la fois importants et insignifiants. Mais il fallait bien que quelqu'un veille sur cette étrange ville. Deux personnes avaient été choisies. Le hasard avait fait que ces deux personnes étaient tombées amoureuses, mais vous savez déjà tout ça. Ce soir-là, ils faisaient une pause. Et Paris se porta très bien.

E N D —