Je pourrais essayer de me trouver des excuses, mais ... nan.

Enjoy. C'est la fin.

Merci à tous pour votre soutien, votre patience, et vos encouragements.


Quand il s'était réveillé, la brume envahissait encore le paysage et en jetant un œil par la fenêtre crasseuse du refuge, Law n'avait rien pu distinguer. S'étirer avait réveillé les courbatures de ses membres et il avait observé longuement le corps de Eustass-ya endormi sur le sol. De quoi rêvait-il ? Du cadavre de Tusk qu'on avait sûrement du retrouver maintenant ? De la créature qui vivait aux alentours du lac ? De la sensation du corps de Law contre sa peau ?

Law lui, faisait toujours les mêmes rêves, ceux hantés par de sinistres craquements et ceux hantés par le bip bip du moniteur cardiaque. Il ne se souvenait plus depuis quand ses rêves avaient perdu leur couleur. Il ne se souvenait plus depuis quand son univers avait perdu ses couleurs. Il se rendait compte que dans ce monde il ne faisait que passer de toute façon, il ne vivait plus, il survivait. Il avait cessé de vivre quand il avait reconnu le corps boursoufflé aux lèvres noires de Cora dans la salle d'autopsie.

Sur son corps il avait fait tracer à l'encre noire des arabesques qui contrastaient avec sa peau brune, elles lui rappelaient chaque jour le sourire de Cora, son vrai sourire et non celui que la mort lui avait donné en retroussant ses lèvres noircies. Mais parfois ces lignes d'encre noir sur or l'enfermaient. Il avait la sensation qu'elles l'oppressaient et dans ses pires heures la paranoïa lui soufflait qu'elles avaient bougé, qu'elles s'étendaient. Il pensait alors avec ironie que telle était sa vie : qu'il était à la fois son propre bourreau et sa propre victime. Il connaissait ses symptômes, ils avaient tous eu une formation de base en psychiatrie et il avait compris depuis longtemps maintenant que son esprit était son plus grand ennemi, qu'il n'y avait rien de plus terrifiant que l'intérieur de ses pensées.

Pour faire taire cette antre de ténèbres dans son crâne il avait trouvé différents substituts, mais l'ombre tapie dans ses pensées ne gardait jamais le silence bien longtemps. Il y avait eu la drogue. Et puis bien entendu le sexe. Le sommeil était un allié trompeur, il estompait ses peines pour lui en infliger d'autres.

Un craquement retentit au-dehors du chalet miteux et il fut tiré de ses rêveries.

Quand il ouvrit la porte, elle grinça, le bruit contrastant avec le silence caractéristique propre aux lieux enneigés. Quelques rares brins d'herbes dépassaient de la couverture de neige au sol et ses pieds nus s'enfoncèrent mollement dessus. Le totem était toujours là, surplombant de quelques mètres le chalet, les traces de griffure défigurant les figures d'animaux sculptées dans le bois. Il était encore tôt. Law se sentit oppressé, à travers ce brouillard dense il ne parvenait pas à voir au-delà de quelques mètres. Une sensation désagréable, comme un souffle à la fois glacé et chaud le traversa. Il scruta la brume, persuadé qu'elle renfermait un secret, que quelque chose l'observait, tapis et silencieux. Ça épiait ses mouvements, ça les avait peut-être même suivis depuis le village ? Ça les avait regardés quand ils avaient fait l'amour sans gêne la veille et ça les avait vu dormir… L'horreur le saisit, juste au creux de l'estomac. Et si c'était entré pendant leur sommeil ? Peut-être que ça s'était tenu là, tout près d'eux pendant qu'ils dormaient, tout engourdis d'endorphines ?

Son cœur tambourinait douloureusement dans sa poitrine, ses poils se hérissaient et des sueurs froides le saisissait. Il rentra réveiller Kid. Il fallait partir, tout de suite. Il en était persuadé.

-Réveille-toi, habille-toi, on se tire, lui asséna-t-il en secouant le corps du chasseur qui grommela.

-Quoi ? la voix ensommeillée et les yeux peinant à s'ouvrir, Kid mit quelques instants à se rappeler où et avec qui il se trouvait. Mais, et Law l'en remercia silencieusement, ses yeux hagards reprirent rapidement leur éclat et en quelques minutes à peine il fut debout, habillé et prêt à partir.

-On s'en va, reprit Law précipitamment, regarde dehors, cette brume n'est pas normale.

Kid n'eut pas besoin de poser plus de questions car un seul coup d'œil par la porte et il comprit ce que Law voulait dire.

-Bordel, si on traine on va se retrouver perdu. Il parait que des types imprudents prennent parfois leur voiture dans le brouillard et perdent la trace de la route. On retrouve leur voiture des semaines plus tard au fond d'un ravin, le corps bouffé par les charognards. Et ça c'est dans le meilleur des cas… quand on retrouve leur corps.

Law ne fit aucun commentaire. Il n'avait pas l'énergie pour céder encore plus à la paranoïa. Néanmoins le risque de perdre de vue la route était bien réel. Heureusement, Kid connaissait la région, il saurait les guider jusque dans la vallée. Ensuite… Ensuite ils verraient bien.

-Eustass-ya, penses-tu qu'ils préviendront la police ?

Law essayait de dissimuler son inquiétude mais il sentit le timbre de sa voix un peu moins assuré que d'habitude. Kid lui jeta un regard en coin tout en enfilant ses bottes.

-Ils ne peuvent pas prendre ce risque. Si des fédéraux se pointent à White Lakes, ils trouveront bien pire que le corps de Tusk, crois-moi. Tout s'est toujours réglé en interne, ils vivent en autarcie complète. C'est pour ça que tu représentais une menace. C'est pour ça que nous sommes une menace, ils vont essayer de nous retrouver et de nous tuer. On doit partir le plus loin d'ici aussi vite que possible.

Law ne fut pas rassuré par ces mots, mais il préféra se taire et les deux hommes montèrent dans la voiture. Kid coté conducteur. Le jeune médecin, pendant un instant, fut pris de panique à l'idée qu'on avait touché à la voiture et que le moteur ne démarrerait pas. Mais après quelques longues secondes durant lesquelles le moteur résonna douloureusement, elle finit par démarrer et se mit en branle.

-Satané froid, grommela Kid, heureusement que le liquide n'a pas gelé là-dedans.

Law ne répondit pas. Il n'avait plus rien à dire, ne souhaitait que s'éloigner de cet enfer. Oublier. Tout recommencer. Tant qu'ils n'auraient pas dépasser la vallée, puis la frontière d'état, il n'aurait aucun repos. Et s'il interprétait la jointure des mains de Kid et son regard dur, le chasseur aussi.

Ils roulèrent. Ils roulèrent longtemps, et si lentement que la frustration de Law le rendait amer.

-Ne peux-tu pas accélérer ? Si tu voulais qu'ils nous rattrapent tu n'aurais sans doute pas trouvé meilleur moyen, s'entendit-il cracher dans l'habitacle.

Kid serra la mâchoire et serra les mains sur le volant, ne détournant pas un seul instant ses yeux de la route qui disparaissait derrière la brume à quelques mètres devant eux.

-Maîtrise-toi, si tu commences à craquer maintenant on est mort tous les deux, répliqua Kid non sans une note d'inquiétude dans la voix et Law lui fut reconnaissant de ne pas avoir été plus virulent.

Le médecin préféra jouer la sureté et décida de ne plus ouvrir sa bouche avant d'avant d'arriver jusque dans la vallée. Il avait l'impression de devenir fou, le chemin semblait durer des heures, il n'avait pas souvenir d'avoir mis si longtemps à l'aller. La route s'étirait en longs méandres. Son esprit traitre commençait à lui souffler des idées sinueuses. Peut-être… Peut-être qu'il te ment… susurrait-elle. Peut-être qu'il te ramène là-haut, tu lui as accordé ta confiance bien trop rapidement… Ce n'est pas un peu louche ? Le seul homme qui a l'air sensé dans ce village de fous décide de t'aider pour aucune raison. Law, tu n'es plus un petit garçon, tu n'as jamais cru aux contes de ton enfance. Est-ce que tout ça n'est pas trop gros ?

Le cœur battant, Law observait à la dérobée le chasseur, il sentait la chaleur de son corps à quelques centimètres du sien. Kid le trahirait-il ? Après tout il ne le connaissait pas. Si cet homme avait vécu son enfance entière à White Lakes, quelle assurance Law avait-il qu'il ne partageait pas l'insanité de ses habitants ?

Une partie de lui essayait de se raisonner. Depuis le début, Kid l'avait tiré d'affaires, il s'était mis en danger pour lui. Il l'avait soigné. Le chasseur voulait fuir cet endroit lui-aussi, Law devait y croire. Et puis, malgré les frasques de son esprit, il voyait bien que la voiture descendait en pente depuis le début. Si Kid avait voulu le livrer, il serait remonté n'est-ce pas ? Sauf s'il t'amène à un point de rendez-vous, ou qu'il s'enfonce dans la forêt pour te tuer, murmura la voix à ses oreilles et Law se concentra sur les pneus crissant sur les graviers pour la faire taire.

Ça fonctionna… plus ou moins.

-A quel moment ça a commencé à déraper ? demanda Kid de but en blanc, et ce fut tellement soudain que Law crut un moment l'avoir imaginé. Mais Kid lui lança un regard en coin, attendant une réponse.

Il réfléchit à la question. Et se souvint qu'il avait déjà fourni une partie de la réponse à Kid, des jours plus tôt. Il n'avait pas envie d'en parler, mais le son de sa voix dans l'habitacle et le sujet lui donnait quelque chose à quoi se raccrocher pour ne pas céder à l'autre voix, plus sournoise.

-On m'a envoyé là parce que j'ai tué un de mes patients, commença-t-il, un enfant.

Kid se taisait, attendant la suite.

-Il était malade, aucun espoir de guérison, les parents le savaient. L'équipe aussi.

Law revoyait nettement le dossier du gosse, et en grosses lettres rouges sur la deuxième page la procédure à suivre en cas d'arrêt cardiaque « Ne pas réanimer. »

-Il souffrait beaucoup, s'entendit-il continuer, sa voix comme étrangère dans son corps. Et je savais que ça se faisait. Moi je suis légiste à l'origine. J'examine les morts, je cherche les causes des décès. Les seuls moments où je vois des vivants c'est pour constater des blessures. Souvent, je vois des femmes battues, criblées de bleus, et je prends en photo leurs hématomes pour charger le dossier de leur connard de maris.

Les jointures des mains de Kid blanchirent sous la pression que ses mains exerçaient sur le volant. Law enchaina.

-Ma collègue m'a appelé ce soir-là, ils étaient débordés dans son service, faut dire qu'on a peu de moyens dans le public. Elle, elle était clouée au lit à cause d'une grippe. Tous les médecins de gardes étaient surbookés, alors elle m'a appelé pour faire sa garde. C'est pas compliqué, vraiment. Pas comme aux urgences, là j'avais juste à attendre jusqu'au matin en veillant sur les patients… distribuer des antidouleurs, diriger les infirmiers.

Kid se taisait toujours, rien ne venait entraver le récit de Law qui revoyait la scène, comme souvent la nuit.

-Et puis y'avait ce gosse, comme je t'ai dit, aucun espoir de guérison. Depuis des semaines déjà on le blindait de morphine, on attendait juste la fin. Mais la mort, c'est pas beau à voir tu sais. Je savais que ça se faisait, avant d'être légiste, j'ai fait mon internat- dans des services de jours, en cardiologie aussi, alors bien sûr je savais qu'on pouvait « aider » les patients qu'on ne peut pas guérir d'une autre façon. La plupart du temps, les chefs nous couvrent, on est médecin, laisser souffrir les gens, c'est contre notre nature.

Law repensait à ce jour où sa tutrice avait « aidé » à sa manière une patiente en fin de vie. Faisant mine de ne pas comprendre comment fonctionnait la pompe à morphine, elle lui avait injecté une dose létale.

-J'ai augmenté sa morphine, continua-t-il, jusqu'à provoquer une overdose.

Kid gardait les yeux rivés sur la route, mais il avait l'air pensif.

-T'es pas un si mauvais gars que ça alors, déclara-t-il après plusieurs minutes. Du moins, t'es moins mauvais que tu t'en donnes l'air.

-Je pourrais dire pareil de toi, Eustass-ya.

La suite du trajet se déroula dans le silence le plus complet. Law n'avait pas été tout à fait honnête en répondant à Kid. S'il avait voulu l'être, il aurait parlé de Cora, de ses sourires ridicules, de son manteau extravagant en plume noires, de ses cheveux blonds comme les blés et de tout ce qui faisait de lui un saint. Il lui aurait parlé de sa générosité, de comment il l'avait élevé. De sa maladresse. Il lui aurait parlé du lac et des craquements qu'il entend la nuit. Criiiiiiic. Craaaaaaac. Les craquements de la glace. Il aurait sûrement parlé des éclats de rire, et des instants d'euphorie. Il aurait expliqué la salle d'autopsie où il avait reconnu son corps. Et puis celle où il s'était réfugié, le seul endroit où il se sentait proche de Cora. Il lui aurait expliqué ses tatouages, pourquoi il les aimait tant alors qu'ils le faisaient tant souffrir. Il lui aurait dit que cette nuit-là, détrempé par la pluie glaciale dans la forêt, le jour où il l'avait trouvé, il s'était imaginé ce que Cora avait ressenti quand l'eau glacée du lac l'avait englouti à jamais. Peut-être même lui aurait-il dit que dans la cave, enfoui derrière son instinct de survie, une partie de lui avait espéré qu'il ne s'échappe jamais et qu'il meure sur le sol humide parmi les rats.

Il ne dit rien, se contenta de regarder les branches des sapins qui trouaient la brume à mesure que la voiture avançait.

Qu'allaient-ils faire ? Une fois arrivés dans la vallée, une fois passée la frontière d'état ? À White Lake, le temps était suspendu. Dans cette voiture, dans la brume, il en allait de même. Mais une fois atteint la ville, le temps reprendrait son cours. Law… Law serait toujours un assassin, il serait même deux fois un assassin. Et Kid, qui serait-il ? Lui, il pourrait s'installer n'importe où, il pourrait être qui il veut, garde-chasse, mécanicien, bucheron. Law… De sa main qu'il avait posée sur son cœur en prononçant le serment d'Hippocrate des années plus tôt, il avait tué. Pour lui, il n'y aurait jamais de rédemption. Pour lui, il n'y aurait jamais de paix.

-Enfin ! s'exclama soudain Kid.

Law darda son regard droit devant lui et, au loin, alors que le soleil se levait tout à fait maintenant, il distinguait les toits de quelques maisons, encore à demi-dissimulés par la brume. Une joie sourde l'envahit alors qu'il se redressait.

-On y est, souffla Kid et la tension sembla tomber de ses épaules comme une couverture sur le sol.

Ses mèches rouges qui paraissaient ternes dans la pénombre de la brume reprenaient leurs reflets lumineux, et maintenant Law distinguaient des nuances dorées et feu dans cette tignasse mal peignée.

De minute en minute, la ville se dessinait plus nettement. Les maisons se dressaient à flancs de collines, et l'eau du fleuve qui la traversait reflétait les rayons du soleil matinal. Kid arrêta alors la voiture sur le bas-côté, et sortit pour se soulager. Law n'en revenait pas. Il tourna son regard derrière eux, où la route serpentait et disparaissait dans le brouillard. Il n'était plus certain de la réalité de tout ce qu'il avait vécu. Tout lui semblait irréel. De Tusk, à l'étrange maladie de White Lake. De la créature dont il ne percerait jamais le mystère, aux dossiers honteux relatant l'histoire de la ville. Seules ses blessures et ses hématomes lui rappelait la réalité des semaines précédentes.

Kid reprit le volant et en peu de temps ils passèrent devant les premières maisons puis arrivèrent dans une station-service où ils firent de l'essence et prirent un déjeuner en silence.

Il observait le soleil à travers la vitre jouer sur ses doigts tatoués et profitait de la chaleur contre sa peau lorsque Kid prit la parole après une gorgée de café.

-La seule personne qui doive encore te pardonner, c'est toi-même, dit-il non sans une certaine douceur dissimulée derrière la rudesse de sa voix.

Law admirait le contraste de sa peau dorée et des lignes d'encre sur le dos de sa main, il avait l'impression qu'elles se mouvaient seules à chaque fois qu'il faisait bouger ses phalanges. Il leva les yeux et se rendit compte que Kid s'était d'une certaine façon lui aussi perdu dans la contemplation de ses mains taouées.

-Qu'est-ce que tu comptes faire maintenant ? demanda-t-il à Kid.

-J'sais pas. Sûrement trouver un endroit tranquille où me poser, loin d'ici. P'tète passer la frontière au Nord. Y'a pas grand-chose que je sais faire, mais j'peux réparer des voitures et couper du bois. On a toujours besoin de ça quelque part.

Law fut alors saisit d'une certitude. Les doutes qui l'assaillaient se dissipèrent à mesure que sa peau se réchauffait. Il croisa son reflet dans la vitre, distingua les cernes sous ses yeux clairs. La seule personne qui doive encore te pardonner c'est toi-même. Il fut reconnaissant à Kid de ne pas lui renvoyer la question. C'est sans doute ce qui lui donna le courage, un peu plus tard, alors qu'ils remontaient dans la voiture de dire « Il existe un endroit. Loin d'ici. Il y a un lac, en hivers l'eau gèle et le soleil se reflète sur sa surface, comme des milliers de cristaux. Il n'y a rien que je ne connaisse de plus beau. »

Kid s'était alors contenté de quitter le siège de la voiture et de lui dire, ses cheveux luisant comme des flammes sous le soleil : « Dans ce cas, c'est toi qui conduis. »

Fin.


Votre serviteur, Karnage.