« Satané Roberto ! Il m'a retardée ! En plus, il fallait que ce soit AUJOURD'HUI ! Grrrrr ! Et si je le manquais ? »

Cela faisait déjà trois mois que je l'avais remarqué, cet homme à la beauté hors du commun. Il ne sortait que le vendredi soir, vers 20h. Ce n'était pas de chance pour moi car le vendredi, je finissais exceptionnellement les cours à 19h alors que les autres jours, je finissais soit à 17h, soit à 15h. Mais voilà, les autres jours, il ne sortait pas et je ne pouvais donc pas le voir ! Si j'avais pu modifier mon emploi du temps, j'aurais accepté de finir même à minuit, du moment qu'on me donne mon vendredi après-midi. J'aurais alors eu le temps de me faire belle pour lui et il m'aurait vu autrement que dégoulinante de sueur et essoufflée. La bonne nouvelle, c'est que je ne suis pas sûre qu'il m'ait déjà remarquée. Enfin, je ne suis pas certaine que ce soit une bonne nouvelle parce que cela veut dire que je suis totalement invisible à ses yeux. Pourtant, cela fait quand même trois mois que je le croise tous les vendredis soirs…

Maudit Roberto ! Alors que je cours pour attraper mon bus, je ne peux m'empêcher de repenser à mon camarade de classe qui m'a parlé pendant près de 15 min ! J'ai pourtant eu beau lui expliquer que j'étais pressée, il a continué à parler. Et pour me dire quoi ? Qu'il voulait qu'on aille boire un verre un de ces soirs… Franchement, il ne pouvait pas attendre lundi pour me dire ça ? Et comme je n'étais pas intéressée, il continuait à me parler. Du coup, j'ai accepté mais… Il a encore voulu discuter ! Mais quelle pipelette ce mec ! Si je rate mon rendez-vous à cause de lui, ça va chauffer pour ses oreilles lundi !

Les poumons en feu, je vois mon bus partir sans moi… NOOOONNNNN ! STOP ! S'IL VOUS PLAIT !

Rien à faire, le chauffeur de bus ne semble pas me voir désespérément secouer les bras ni m'entendre l'implorer de s'arrêter… Le prochain bus est dans une demi-heure… Ce sera trop tard ! Bien que je ruisselle déjà de sueur et que j'ai le souffle court, je me précipite derrière le bus et tente de le suivre (heureusement qu'il y a beaucoup de feux à Florence). Il finira bien par s'arrêter. Bon sang, faire un footing avec un carnet de dessin en main et un sac à dos remplis de tout mon matériel de peinture n'est clairement pas conseillé ! Arrête –toi, stp, arrête-toi ! Mais rien n'y fait ! Le bus ne s'arrête pas ! Je regarde les passagers dans le bus qui ont l'air de me dire « Allez ! Plus vite ! Plus vite ! » Bande de… Au lieu de vous moquer de moi, dites au chauffeur de s'arrêter ! N'y a-t-il donc personne dans ce bus qui ait un semblant d'humanité ? Oh non ! Oh non ! Il accélère ! Je n'en peux plus ! Je ne vais pas pouvoir le suivre ! Non ! Pitié ! Attends-moi ! Je veux le voir ! Je ne tiendrais pas une semaine de plus ! PITIE !

Insensible, le bus continue sa route et s'éloigne peu à peu de mon champ de vision ! « Courage ! Tu connais le trajet par cœur et tu sais bien qu'au bout d'un moment, le bus va devoir freiner voire même s'arrêter pour prendre de nouveaux passagers. Il y a beaucoup de feux à Florence, ne l'oublie pas ! Courage ! Tu vas y arriver ! Tu vas le voir». Décidant d'écouter davantage la petite voix dans ma tête que mes poumons en ébullition, je serre les dents et continue de courir. Il suffit de penser à lui : le simple fait de le voir me redonne de la force et je parviens, j'ignore comment, à accélérer. Au bout de quelques minutes, je vois mon bus. Il a dû être coincé à un feu. Il ne va pas tarder à arriver à son prochain arrêt. Il faut que j'accélère encore. Après, ce sera fichu ! A peine à quelques mètres de lui, je me rétame lamentablement mais je décide d'ignorer la douleur (et la honte) pour pouvoir entrer dans le bus. Ouf ! Heureusement qu'une petite vieille a mis du temps à monter !

A peine entrée dans le bus, j'entends un tonnerre d'acclamations ! Apparemment, les passagers ont apprécié mon exploit. On me propose de l'eau (que je ne suis pas assez folle pour refuser) et des pansements pour mon genou et mon coude. Quelqu'un m'offre même sa place pour que je n'aie pas à remonter tout le bus afin d'en trouver une. J'hésite entre leur en vouloir (ils auraient pu dire au chauffeur de s'arrêter) et les remercier (ils sont quand même sympas avec moi là). Finalement, je les remercie et je m'assieds, tentant de reprendre des forces. JE VAIS LE VOIR ! Un sourire béat se forme sur mes lèvres et mon esprit parvient bien plus rapidement à Volterra que le car.

Je me souviens de la joie que j'avais eu d'être acceptée dans mon école à Florence mais de la peur que j'avais ressentie à l'idée de ne pas trouver de logements : les prix à Florence étaient bien trop chers pour moi et ma famille était considérée comme étant trop aisée pour que je puisse obtenir une quelconque aide. J'avais alors cherché dans les villes aux alentours en espérant trouver un petit appartement dans une ville pittoresque mais sûre : après tout, j'étais une fille vivant seule. J'avais entendu parler de Volterra comme étant LA ville la plus sûre de l'Italie. J'avais donc commencé à chercher et, je dois l'avouer, j'avais été rapidement séduite par cette petite ville pittoresque. J'avais trouvé un studio à louer et j'avais donc déménagé. Et peu après la rentrée, je l'avais rencontré : LUI ! Je ne lui avais pas parlé : tout d'abord parce que je suis une grande timide, ensuite parce qu'il était entouré par des personnes presque aussi belles que lui et enfin, parce que j'étais toujours décoiffée et essoufflée quand je le croisais. J'avais essayé de le revoir à plusieurs reprises, ne sachant pas qu'il ne sortait que les vendredis soirs. Je me souviens avoir vagabondé dans les rues pendant tout un week-end, à sa recherche mais sans pouvoir le voir. C'étaient mes chaussures à talons qui avaient fini par triompher de ma volonté et qui m'avaient obligée à soigner mes pieds, meurtris par cette trop longue marche. Lorsque j'avais fini par comprendre quelles étaient ses heures de sortie, j'avais fait en sorte de m'arranger pour le croiser, espérant qu'il me remarque un jour et m'adresse la parole… EN VAIN ! Cette fois serait-elle différente des autres ?

Le car m'oblige à émerger de mes pensées : nous sommes arrivés ! Vite ! Je me précipite à notre point de rendez-vous habituel, à savoir la fontaine qui se trouve près du château. Elle est loin de l'arrêt du bus alors il faut que je courre, comme chaque vendredi soir, pour ne pas être en retard et le manquer. Sauf que cette fois, mon corps est très fatigué (vu la course que j'ai dû faire pour attraper ou plutôt rattraper mon bus). Mon genou et mon coude se manifestent mais tant pis, je ne les écoute pas ! Je refuse de vivre une semaine de plus sans le voir. J'ai besoin de le voir ! J'ignore si c'est mon âme d'artiste qui se délecte de la précieuse minute pendant laquelle je fais de rapides croquis de sa démarche royale et de son corps parfait ou si c'est tout simplement mon cœur de guimauve qui s'enflamme pour ce bel inconnu. Peu m'importe : il faut que j'arrive à temps. Grimaçant à cause de la douleur, je repars dans un sprint : au moins, je ne culpabiliserai pas ce soir à cause du gâteau au chocolat que j'ai mangé ce midi. A mon avis, j'ai déjà dépensé toutes les calories qu'il m'a apportées.

Ca y est ! La fontaine est là ! Ouf ! Je pose vite mon matériel et m'essuie le front d'un revers de manche. Beurk ! Je jette un regard discret à mes aisselles : oh non ! J'ai des auréoles de sueur ! Je sors vite fait ma blouse de peintre, davantage pour cacher mon état déplorable que pour me protéger de la peinture vu que je fais son croquis au crayon. J'attache rapidement mes cheveux en un chignon improvisé et je les coince avec un de mes pinceaux. C'est bon ! Tout est prêt ! Il ne me reste plus qu'à l'attendre. Je guette la rue depuis laquelle il sort en général, mon cœur battant à tout rompre. J'adore ces précieux instants, moi qui ne suis pourtant pas d'un naturel très patient. A chaque fois, j'imagine qu'il va me remarquer, me parler, accepter de poser pour moi, peut-être me proposer d'aller boire un verre ? L'excitation est à son comble ! Je jette un rapide coup d'œil à ma montre : 20h02. Dans une minute, il sera là. Il apparaît toujours à 20h03. Le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est un homme ponctuel. Les secondes avancent et je fais le décompte dans ma tête. Je ne tiens plus en place ! Je vais le voir ! Vite ! Vite ! Vite ! Encore 20 secondes ! Allez ! Je veux te voir ! Dépêche ! 15 secondes ! Mon cœur est en train de battre un record mondial. Je suis sûre que tout Volterra entend ses « Bobom bobom bobom ». S'il te plaît, mon cœur, sois plus discret ! S'il t'entendait… 5 secondes ! 4 ! 3 ! 2 ! 1 ! IL EST LA !

Alors, le marathon commence ! Mes yeux le fixent tandis que mon crayon le dessine frénétiquement et à une vitesse folle! Si j'étais un appareil photo, j'aurais déjà fait plusieurs photos de lui mais je vais malheureusement moins vite. Regarde par-là ! S'il te plait ! Je suis là ! Mais non, il avance, majestueux, ses beaux cheveux noirs qui lui arrivent aux épaules dansent à chacun de ses pas. Sa démarche gracieuse et élégante donne encore plus de prestige à sa silhouette. A ses côtés se trouvent deux autres très beaux hommes mais beaucoup moins intéressants que lui : l'un semble s'ennuyer tandis que l'autre a l'air très énervé. En revanche, lui, est de bonne humeur, comme si l'attitude de ses proches ne l'atteignait pas. Il est souriant et avance, victorieux. Pourtant, j'ignore ce qu'il a gagné pour avancer de cette manière triomphale mais c'est bien la démarche d'un conquérant qu'il a. Son nez droit, sa mâchoire carrée, ses sourcils bien dessinés, ses yeux amusés, son cou d'une blancheur incroyable, son port de tête altier, sa silhouette en V, ses longues mains fines : aucun détail ne m'échappe. Complètement hypnotisée par cet homme, je sais que mon instinct d'artiste parvient à rendre aussi fidèlement que possible cet être à la beauté surnaturelle. Si seulement je pouvais entendre sa voix, son nom… Mais ils ne parlent pas assez fort entre eux pour que je puisse écouter. « Vite ! Vite ! Il va bientôt tourner à l'angle de la rue et tu ne pourras plus le voir » me crie la petite voix dans ma tête. J'essaie d'accélérer le mouvement de mon crayon et de mémoriser cet homme qui m'inspire tant avant que le moment fatidique arrive. Je me mords la lèvre, mon poignet n'en peut plus. Allez ! Encore un effort ! Mes doigts ont besoin de relâcher mon crayon tant je le tiens fort mais je refuse. Dessiner ! Dessiner ! Encore dessiner ! C'est comme une drogue ! Il va passer près de moi et tourner au coin de la rue pour disparaître jusqu'à vendredi prochain. Et comme d'habitude, à chaque fois qu'il passe près de moi, je vais inspirer à fond pour emplir mes poumons de sa délicieuse odeur si fraiche et si sucrée, envoutante ! Il est comme le chocolat ! Lorsqu'on le connait, on ne peut plus s'en passer et on devient complètement accro !

« Hum… Très réussi ! »

Je… Je rêve où il vient de me parler ? Il a regardé mon dessin, c'est-à-dire mes croquis de lui. Il m'a souri et il est parti.

Mon cerveau a complètement buggué. Il m'a parlé… Il m'a parlé… Il m'a parlé ! IL M'A PARLE ! YES ! Sa voix douce et chaleureuse, aussi envoutante que son parfum, résonne encore à mes oreilles ! J'ai réussi ! Il m'a enfin remarquée ! Et il a aimé mon dessin ! Oh mon inaccessible étoile ! Vendredi, je serai là et alors, peut-être, à nouveau, tu me remarqueras et tu me parleras ! Je t'aime !


Hello,

Pour celles qui me connaissent, j'avais envie d'écrire une histoire plus romantique, avec des personnages moins fous. J'espère que ce petit OS vous a plu ! Si vous voulez la suite, il suffit de me le dire mais je trouve qu'en OS, c'est pas mal aussi !

Bisous