Harry jeta la copie du Prophète dans le feu de foyer et passa ses mains dans ses cheveux.

''Rita Skeeter,'' dit-il. ''Je croyais qu'elle avait fini de me tourmenter en quatrième année.''

Hermione ajouta du sucre à son thé, le regardant silencieusement à travers le salon.

''Tu sais, ça ne me dérange même pas qu'elle m'ait tiré de force hors du placard,'' dit Harry. ''Ce n'est pas l'idéal, mais je suis habitué à ce genre de choses et je peux gérer. Je ne peux simplement pas croire qu'elle ait trainé Malefoy là-dedans, étant au courant de son état. C'est – c'est irresponsable – c'est ignoble. Mon dieu, et s'il avait eu une autre attaque?''

''Alors ça ne te fais rien,'' dit Hermione. ''Ça ne te dérange pas que J. William Cross soit Drago Malefoy.''

''Non! Je veux dire – oui. Je veux dire, je ne sais pas! Donne-moi une minute pour le digérer!''

Harry se laissa tomber sur le canapé devant le fauteuil d'Hermione et massa l'arête de son nez. Hermione prit une petite gorgée de thé et l'observa en silence.

''Je veux dire, je ne peux pas,'' dit Harry après un moment. ''Pas vrai? C'est un ex-Mangemort. Il a fait de ma vie un enfer à Poudlard. Il a combattu pour le Seigneur des Ténèbres!''

''Ce n'est pas à ton habitude de juger les gens pour leurs anciens péchés,'' observa Hermione.

''Pour ce que j'en sais, ses péchés ne sont peut-être pas si lointains,'' dit Harry.

Hermione fronça les sourcils. ''Harry,'' dit-elle, ''tu ne penses pas qu'il regrette ce qu'il a fait? Tu as lu La Tragédie du Narcissique. Tu ne vois donc pas les parallèles?''

Harry ouvra la bouche pour lui demander ce qu'elle voulait dire, mais soudainement, ça l'a frappé comme un coup à la poitrine.

Caroline, née dans une famille de nécromanciens. Caroline, élevée dans un monde si lointain de quoi que ce soit de sain ou de décent qu'elle n'a même pas reconnu la bonté quand elle l'a rencontré pour la première fois à Vienne. Caroline, dont les convictions tordues et profondément ancrées ont été arrachées à la racine et ont détruit son esprit. Caroline, qui était tellement remplie de remords et de haine envers soi-même qu'elle n'a même pas pu s'enfuir des Aurors quand ils sont venus la prendre.

Harry avait une irrépressible envie de pleurer.

Dans toutes les lettres qu'ils avaient échangées, Drago accusait Caroline pour son inaction. Même si elle avait été élevée dans un environnement qui ne l'aurait jamais laissé être quoi que ce soit d'autre, il la tenait – se tenait– responsable de n'avoir rien fait quand il aurait pu le faire. Après toutes ses années, Drago Malefoy se détestait encore.

Il se couvrit la bouche d'une main et ferma les yeux.

''Comprends moi bien,'' dit Hermione, ''je suis la première à admettre qu'il était terrible à Poudlard. Mais de toute évidence, il a réalisé qu'il avait tort et il n'a même pas réussi à se pardonner.''

Harry était tellement écœuré qu'il en avait mal à la poitrine. Il entendit Hermione se glisser de son fauteuil et venir s'asseoir près de lui sur le canapé, et bientôt sa main était sur son épaule.

''Peu importe ce que tu vas faire,'' dit-elle, ''tu devrais le faire vite. Les médias ne sont pas lents avec ce genre de chose. Ça deviendra hors de contrôle assez rapidement.''

Harry se força à ouvrir les yeux et prit une inspiration tremblante.

Il ne pouvait pas abandonner Drago, pas maintenant, pas comme il s'était abandonné lui-même.


Quand Eric avait fait irruption assez brusquement dans l'appartement de Drago, il avait été soulagé de voir que celui-ci était assis, tranquille, et buvait même une tasse de thé.

''Tu vas bien!'' il avait dit, mais Drago n'avait pas répondu.

C'est à ce moment-là qu'il avait commencé à avoir un sentiment persistant d'inquiétude.

''Écoute, j'ai réussi à tirer quelques ficelles,'' dit Eric. ''Je peux les faire retarder la publication de l'article, mais j'ai dû négocier. Tu dois faire une conférence de presse.''

Drago prit une autre longue gorgée de thé.

''Je sais que tu détestes apparaître en public, mais c'est le seul moyen. Les médias deviennent fous, ils ont besoin d'une confirmation, et ça doit venir de toi.''

Toujours aucune réponse.

''Drago, est-ce que ça va?''

''Une conférence de presse,'' dit Drago. Sa voix était rauque. ''Ça me semble terrible.''

Eric tressaillit. ''Je sais. Mais tu peux être bref. Dis leur que tu es J. William Cross, réponds à quelques questions, et fiches le camp.''

Il traversa la pièce et s'assit près de Drago. Il avait l'air mal en point, remarqua Eric, mais pas comme d'habitude. Il n'était pas excité ou nerveux – il avait l'air triste.

''J'imagine que c'est inutile de te faire remarquer que je me ridiculiserais,'' dit Drago.

''Tu peux le faire,'' répondit Eric. ''Ça ne sera pas une très grosse conférence. Seulement quelques journalistes des principaux journaux et périodiques. Il n'y aura même pas tant de questions.''

Drago termina son thé et déposa la tasse sur la table.

''J'ai commencé à voir une psychiatre,'' dit-il, et Eric cligna des yeux, surpris.

''Ah bon?''

''Elle m'a dit ce matin que les personnes souffrant d'anxiété exagéraient souvent leurs propres inquiétudes, que des choses qui seraient autrement inoffensives deviennent redoutables. Alors, dis-moi, Eric, en tant qu'agent – est-ce que cette situation est inoffensive?''

Eric fronça les sourcils. ''Je… Je risque de rendre cela encore pire, mais ce n'est pas inoffensif,'' dit-il. ''Surtout pas avec, euh… l'histoire d'amour qui s'y rattache.''

Il regarda Drago. Il voulait lui demander si cette histoire d'amour était bien vraie, mais peut-être devrait-il attendre.

Quand il vit que Drago restait silencieux, il continua : ''Les journalistes sont vicieux, et ils peuvent ruiner des carrières. Avec les choses telles qu'elles sont, avec la stigmatisation encore présente par rapport à l'homosexualité, avec ta… famille, et ton statut pendant la Guerre, on peut supposer sans risque de se tromper que c'est un gros problème.''

''Ah, bien,'' dit Drago sèchement, ''donc je peux me permettre paniquer sérieusement sans essayer d'éviter une réaction excessive?''

''Ce n'est pas parce que c'est gros que c'est insurmontable,'' Eric lui assura. ''Ça ne veut pas dire que tu dois arrêter d'écrire, ou que quoi que ce soit doit changer. C'est mon travail, Drago – je peux t'aider à t'en sortir.''

Drago le fixa en silence pendant un moment.

''Je... tu sais que je déteste fureter dans ta vie personnelle, Drago, mais c'est devenu l'affaire de tout le monde et je –''

''C'est terminé.''

''– quoi?''

''On était en correspondance. C'était romantique – ou presque – pour un moment, mais c'est terminé maintenant.

Eric ne savait pas trop quoi dire. ''Je suis désolé,'' dit-il simplement.

Drago secoua la tête. ''C'est Harry Potter. Ça n'aurait jamais fonctionné.'' Sa voix était triste et saccadée.

Il y eu un moment de silence entre eux. Dolly apporta du thé et Eric en prit volontiers une tasse.

''Commençons à nous préparer pour la conférence,'' dit-il. ''Tu peux te pratiquer à répondre à des questions.''


Harry utilisa l'une de ses nombreuses journées de vacances accumulées.

Il transplana jusqu'à Londres, à l'extérieur du bâtiment carré portant l'enseigne ''Weston & Cie''. Cette fois, c'était ouvert, et Harry entra aussitôt.

Il y avait une poignée de ce qu'Harry croyait être des stagiaires dans le hall d'entrée, tous penchés sur de grandes piles de parchemins. Au plus grand bureau près de l'entrée, une jeune femme leva les yeux vers lui.

''Bonjour,'' dit Harry avait qu'elle n'ait le temps de le reconnaître, ''je cherche Eric Weston. Est-ce qu'il est là?''

''Oh, désolée,'' dit-elle, ''il vient tout juste de partir. Il devait aider un client à se préparer pour une conférence de presse.''

Conférence de presse? ''Oh. Celle pour J. William Cross?''

Elle hocha la tête. ''Oui, monsieur.''

Qu'est-ce qu'il pouvait bien fabriquer à une conférence de presse? Il n'était définitivement pas prêt pour ce genre de chose.

''Bien. Désolé, je suis sensé y aller,'' dit Harry. ''Où est-ce que c'est, exactement?''


Ils avaient loué une petite salle de conférence pour une heure. Ils avaient passé la journée à se préparer, à entraîner Drago avec des questions difficiles et à élaborer des réponses habiles. Eric lui avait dit à quels journalistes il devrait choisir de répondre et lesquels seraient sans merci.

Mais alors que Drago se tenait sur le podium, faisant face à la pièce vide, et qu'il fixait les portes vitrées, là où un nuage de journalistes s'était déjà rassemblé, il réalisa avec un effroi grandissant qu'il était encore loin de se sentir prêt.

Il n'était pas prêt à parler de son travail, de sa famille, ou de sa relation avec Harry Potter. Il n'était pas prêt à faire face aux journalistes et à leurs questions indiscrètes. Sentant la panique monter dans sa gorge, il décida qu'il n'était même pas réellement prêt à être à l'extérieur de son appartement.

''Qu'est-ce que tu vas leur dire?''

Il dût agripper le podium d'une main pour ne pas perdre l'équilibre en se retournant.

''Qu – quoi?''

Harry Potter s'approchait, étant arrivé par l'entrée latérale que Drago avait emprunté. Drago remarqua qu'il regardait les portes vitrées derrière lesquelles les journalistes attendaient. Était-ce une hallucination? Devait-il considérer d'ajouter la schizophrénie à sa liste de diagnostiques, rejoignant l'anxiété sociale et la dépression?

''Les journalistes,'' reprit-il, s'arrêtant à côté de lui devant le podium. ''Qu'est-ce que tu vas leur dire?''

Drago détecta le léger parfum de houx et fût subjugué. Il n'hallucinait pas.

Il ne trouvait plus ses mots.

Les yeux d'un vert épatant de Harry se reposèrent sur Drago. ''Tu es encore nerveux,'' dit-il, d'un ton presque déçu.

''Je ne m'attendais pas à…'' commença Drago, mais la fin de sa phrase se perdit dans son esprit embrouillé.

''Je l'ai déjà dit,'' lui dit Harry, ''tu n'as rien à craindre de moi.''

''Pourquoi es-tu venu ici?'' Drago réussit-il à dire.

''Je voulais te voir,'' répondit Harry comme si c'était évident.

La réponse ne faisait aucun sens pour Drago. C'était comme s'il lui avait demandé l'heure et qu'Harry lui avait répondu avec une recette de saumon fumé.

''Je… J –''

''Es-tu vraiment prêt à ça?'' demanda-t-il. ''Faire face à tous ces gens, répondre à leurs questions?''

''Il n'y a pas… Je n'ai pas vraiment le choix.''

''Bien sûr que si. Tu n'as qu'à leur dire de foutre le camp et t'en aller chez toi. Tu ne leur dois rien.''

''C'est… merveilleusement naïf,'' répondit Drago. ''Pourquoi – réellement, pourquoi est-tu ?''

La répétition de la question sembla le rendre perplexe.

''T'attendais tu à une sorte de complot tordu?'' demanda-t-il. ''Est-ce que c'est si difficile de croire que j'ai simplement envie de te voir?''

''Oui,'' dit Drago avant de pouvoir s'en empêcher.

Une vague de tristesse traversa le visage d'Harry.

''Pourquoi est-ce que je ne voudrais pas te voir?''

''Après tout ce qui s'est passé –''

''Surtout après tout ce qui s'est passé.''

Drago oublia brusquement ce qu'il avait voulu dire.

''Pensais-tu réellement que découvrir ton identité suffirait à me chasser? Après avoir vu le meilleur et le pire de toi, après avoir vu ton âme dans les pages de ton livre, et en avoir aimé chaque parcelle?''

Il recommença à considérer que c'était peut-être une hallucination; une hallucination très élaborée et absolument merveilleuse.

Harry caressa sa joue, et le cœur de Drago commença brusquement à battre jusque dans sa gorge. Toujours pas une hallucination.

''Harry…''

''Tu me captives tout autant maintenant que la nuit de notre rencontre,'' murmura Harry, si doucement et si près que Drago sentit la chaleur de son souffle sur ses lèvres. ''Peut-être encore plus.''

''Je ne suis pas –'' bégaya Drago, bien que le simple fait de parler devenait difficile, ''– Je ne suis pas – je ne peux pas – Je suis…''

''Tu es quoi?'' demanda Harry. ''Un Mangemort? C'est ça?''

Drago ferma les yeux, les paupières serrées. Il avait l'impression d'avoir des couteaux plantés dans l'estomac au simple fait d'entendre le mot.

La main libre d'Harry descendit, agrippa l'avant-bras de Drago, et son corps fût secoué d'un frisson.

''Qu– qu'est-ce que tu –?''

Mais Harry n'écoutait pas. Il souleva le bras de Drago et remonta sa manche. Les yeux de Drago, qui était forcé de regarder la marque laide, difforme, brûlaient de larmes de honte.

''Arrête,'' murmura-t-il, ''arrête, je ne peux pas –''

''Vieille,'' dit Harry, étudiant la marque mutilée, ''vieille, décolorée, pleine de cicatrices. Ce n'est qu'une partie de toi, une partie qui ne te définis pas, plus maintenant. C'est terminé, Drago. La Guerre est terminée.''

Un sanglot étranglé s'échappa de sa gorge. Drago ne voyait plus clair, il avait de la difficulté à se tenir debout.

''Ce n'est qu'une partie de toi, et elle a aidé à te faire devenir l'homme dont j'ai commencé à tomber amoureux.''

Harry amena le bras de Drago à sa bouche et embrassa chaleureusement, fermement son poignet, à l'extrémité de la peau cicatrisée. Le visage de Drago était ruisselant de larmes, sa vision trouble – il n'avait jamais – personne n'avait jamais –

Harry serrait son avant-bras d'une main, et caressait ses cheveux de l'autre. Drago se laissa aller dans le contact, les yeux à moitié fermés, sa voix étranglée par l'émotion.

''Ils regardent,'' signala Harry, sans pour autant détacher ses lèvres du bras de Drago.

Drago prit un moment pour se souvenir de quoi il parlait. Il dirigea son regard vers les portes et vit les journalistes, leurs caméras pressées contre les vitres, leurs flashs éblouissants, criant des questions qui étaient trop distantes, trop étouffées pour qu'il puisse les entendre.

Dans un effort de volonté incroyable, concentré, Drago réussit à prononcer : ''Tu… tu ne devrais pas…''

''Je ne devrais pas quoi?'' chuchota Harry contre sa peau, faisant frémir Drago. ''Je ne devrais pas leur donner une histoire? Pourquoi pas? Je n'ai aucune raison d'avoir honte, et toi non plus.''

Drago arrêta d'essayer de parler. Son esprit était encore enflammé, sa gorge encore serrée, son visage encore ruisselant de larmes –

Harry s'approcha et l'embrassa, et pour la première fois en quinze ans, l'esprit de Drago s'apaisa.

Tout ce qu'il pouvait respirer était le parfum du houx, tout ce qu'il pouvait sentir était les lèvres d'Harry, les mains d'Harry, la chaleur d'Harry, les bras d'Harry l'entourant et l'attirant près de lui. Quelque part, plus loin, il pouvait entendre des journalistes et des caméras et des questions, et rien de tout ça n'importait parce qu'il agrippait les robes d'Harry et l'embrassait et il n'y avait absolument rien d'autre dans l'univers qui ne comptait.

Drago n'était pas certain combien de temps avait passé – des années, peut-être – mais quand il se retira, son esprit était calme, les battements de son cœur, réguliers. Harry appuya son front sur celui de Drago et caressa de son pouce la courbe de sa mâchoire.

''Voilà,'' chuchota Harry. ''La conférence de presse est inutile maintenant.''


Note de la traductrice : Je suis désolée d'avoir été absente aussi longtemps. Je reprends cette traduction pour la terminer.