Coucou les gens, voici l'interlude !
Comme il est impossible de barrer du texte dans cet éditeur de texte, le texte barré apparaîtra entre crochets ! (Si Sa Majesté FF net me le permet.)
Chapitre 7.5
Interlude
(bitch fait deux fois la taille d'un chapitre normal, mais bon)
.oOo.
Bilbo n'était pas du genre à tomber amoureux au premier regard. Il avait toujours trouvé l'idée du coup de foudre ridicule, car elle impliquait qu'on n'appréciait chez l'autre que son apparence physique, et il n'y avait rien que Bilbo détestait plus que les gens qui se basaient sur le physique pour juger quelqu'un.
Il suffit d'une froide soirée de novembre pour le faire changer d'avis sur la question.
Certes, c'était un peu exagéré de parler d'un coup de foudre, mais lorsque Bilbo posa pour la première fois les yeux sur Thorin Oakenshield, alors qu'il était sous l'abribus, en train de se demander s'il ne prendrait pas finalement le métro pour rentrer chez lui, il se retrouva bizarrement incapable de détourner le regard. L'homme paraissait perdu très profondément dans ses pensées, traçant sa route en ligne droite sans y faire attention, et tout le monde semblait s'écarter respectueusement sur son passage – que ce soit à cause de sa grande taille, ou du fait qu'il se baladait en sweat-shirt ouvert sur un simple tee-shirt, manches remontées jusqu'aux coudes, alors que le reste du monde était emmitouflé dans des manteaux et des écharpes, ou parce qu'il était très beau dans le genre un peu négligé, avec sa barbe, ses longs cheveux noirs ondulés, vaguement retenus en queue de cheval par un chouchou rose, et ses deux étranges tresses qui partaient de chacune de ses tempes, comme une sorte de viking des temps modernes – Bilbo n'aurait su le dire.
Peut-être que c'était aussi à cause de la détresse et de l'abattement qui semblaient émaner de lui à chaque mouvement – Bilbo s'y sentait attiré comme un papillon de nuit par la flamme d'une bougie ; la tristesse de l'inconnu semblait faire écho à la sienne, et il songea fugitivement qu'il aurait bien aimé lui parler. Étrange venant de lui, car Bilbo, malgré sa gentillesse, préférait garder ses distances avec les autres autant que possible, et l'idée d'adresser la parole à un inconnu dans la rue lui semblait aussi incongrue que celle de se jeter dans un ravin depuis la porte ouverte d'un bus en marche.
Ce qui ne l'empêcha pas de l'observer. Il le vit fendre la foule jusqu'à lui, passer devant lui sans même lui jeter un regard, et continuer son chemin – et Bilbo, mû par un pressentiment qu'il ne comprendrait toujours pas des mois après, décida de le suivre (ou plutôt, de se diriger vers le métro, officiellement, et s'il suivait le bel inconnu en même temps, eh bien, où était le mal?), et ce fut peut-être la meilleure décision qu'il ait jamais prise de sa vie.
L'instant d'après, sa main se refermait sur le coude de l'homme pour le tirer en arrière, alors qu'il commençait à traverser sans faire attention à la voiture qui déboulait dans la rue ; à cet instant seulement, l'inconnu sembla sortir de son état de torpeur, et posa ses extraordinaires yeux bleus sur Bilbo, qui sentit quelque chose se nouer dans ses entrailles.
Il ne faut pas que je le laisse partir, pensa-t-il confusément, sans comprendre pourquoi c'était si important – mais si l'homme partait maintenant, sans qu'ils aient échangé plus de trois mots, il avait l'impression qu'il le regretterait toute sa vie. Ridicule, Bilbo Baggins, se morigéna-t-il – ce qui ne l'empêcha pas de demander à l'inconnu s'il allait bien.
Une fois réveillé (car Bilbo n'avait pas d'autre mot pour le décrire, après l'avoir vu fendre la foule, le regard si lointain qu'il ne semblait même plus contempler la Terre), l'homme paraissait encore plus désespéré, et Bilbo n'aurait jamais osé faire de suppositions sur ce qui avait pu lui arriver, mais il avait tout de même l'impression de le comprendre. Belladonna était morte un mois plus tôt, et cette expression hagarde sur les traits de son inconnu, il la voyait souvent quand il se regardait dans le miroir.
Le doute le frappa d'un coup, le laissant à moitié assommé – est-ce qu'il l'avait fait exprès ? S'était-il intentionnellement jeté sur la route sans prendre garde aux voitures ? Bilbo ne put s'empêcher de l'observer, troublé par ses propres pensées, et l'inconnu sembla saisir le fil de ses idées, car il s'empressa de nier, au grand soulagement de Bilbo, qui lui offrit un sourire rassuré.
Ce fut à cet instant que le regard de l'autre se posa sur lui pour de bon, et Bilbo fut comme traversé par une décharge électrique. Ridicule, ridicule ! N'empêche que les yeux bleus le regardaient d'un air si perçant que Bilbo avait l'impression d'être vissé au sol, incapable de bouger. Incapable de détourner le regard.
Invite-le à boire un café, murmura à l'intérieur de sa tête une petite voix pleine d'audace, dont il ignorait l'existence jusque là (probablement un héritage tardif de son côté Took, dont il descendait par sa mère – ce côté-là de sa famille avait toujours été plus intrépide que le côté Baggins), bien vite contredite d'ailleurs par la voix de sa raison. Quoi ?! C'est de la folie ! En plus, il est probablement hétéro ou déjà pris.
Malgré ces arguments inattaquables, Bilbo décida rapidement que, contrairement à son habitude, il préférait essayer, quitte à se faire envoyer sur les roses – là, en cet instant, l'idée de laisser partir le bel inconnu lui était totalement insoutenable. Et tant pis pour ses idées préconçues sur le coup de foudre.
L'homme semblait frigorifié, et ses lèvres commençaient vaguement à bleuir (et Bilbo s'efforça de faire taire l'envie de les réchauffer avec les siennes) ; c'était peut-être parce que le froid anesthésiait ses pensées qu'il accepta sans discuter la proposition d'aller boire un café, tandis que Bilbo n'arrivait pas à croire à sa chance.
Thorin Oakenshield était malheureux. En fait, il avait carrément l'air au bord du gouffre, et Bilbo ne mit pas longtemps à décider de consacrer toute sa soirée à essayer de le faire rire, ne serait-ce qu'une fois. Malheureusement, il eut beau s'y appliquer de tout son cœur, il ne réussit pas à tirer même un seul sourire de ces jolies lèvres ; mais ses efforts ne furent pas perdus pour autant, puisque Thorin eut tout de même l'air de trouver en lui un partenaire de conversation idéal pour la soirée. Il but, et Bilbo le regarda boire, et boire, et boire encore, et commençait à se demander si c'était vraiment une excellente idée, quand Thorin proposa qu'ils changent de bar.
Ce fut sur le chemin entre les deux bars que tout arriva. Bilbo soutenait discrètement Thorin pour l'aider à marcher – il n'en était pas encore à ne plus pouvoir mettre un pied devant l'autre, mais il trébuchait déjà beaucoup trop souvent pour son propre bien – et après un petit dérapage, où Bilbo le rattrapa in extremis, ils se retrouvèrent nez à nez – sans que Bilbo comprenne vraiment comment ils en étaient arrivés là.
L'haleine de Thorin sentait la bière, ses cheveux la cigarette, et Bilbo eut l'impression qu'il allait mourir, là, si Thorin ne l'embrassait pas.
Thorin l'embrassa.
Bilbo eut à peine le temps de se dire qu'il était gay, alors, ou au moins bi (il s'était posé la question toute la soirée), avant que toutes ses pensées ne se mettent à sauter comme des boulons sur un câble trop tendu. La sensation de sa barbe rugueuse contre ses lèvres et son menton faisait courir des frissons de délice dans le dos de Bilbo, et il se retint à grand peine de gémir de plaisir tandis que Thorin le poussait doucement jusqu'au mur, ses mains se baladant dans son dos, sous sa chemise, tandis que sa langue brûlante glissait contre celle de Bilbo. Il avait la tête qui tournait, et ce n'était sans doute pas dû au panaché qu'il avait bu.
- Ou alors, murmura-t-il avec difficulté entre deux baisers enflammés, on oublie le prochain bar, et on finit la soirée chez moi.
Bilbo Baggins n'était pas un dragueur, et il n'avait absolument pas l'habitude de ramener des inconnus chez lui pour un coup d'un soir. Il était du genre traditionnel, rencontrer quelqu'un lors d'une fête chez des amis, sympathiser, aller boire un verre, aller au ciné, s'embrasser, et enfin, coucher ensemble.
Sauf que Thorin Oakenshield, et ses lèvres, et ses yeux, lui donnaient envie d'envoyer la tradition au diable, parce qu'il le voulait, et tout de suite.
Toujours était-il que son cœur battait furieusement dans sa poitrine à la proposition – la peur d'être en train de faire une énorme connerie, la peur de l'inconnu, et surtout, la peur que Thorin dise non ; mais l'autre hocha doucement la tête, ses lèvres glissant dans le cou de Bilbo, sa barbe lui caressant la peau et le faisant frissonner, et Bilbo déglutit.
Ils avaient deux options pour rentrer chez lui : une demi-heure de marche à pied, ou le métro. Ils étaient à deux arrêts seulement de son appartement, et Bilbo mourait déjà de trouille à l'idée que ce serait suffisant à Thorin pour retrouver sa lucidité et décider que finalement, il changeait d'avis (après tout, il devait être bien imbibé pour avoir envie de faire l'amour à quelqu'un comme Bilbo, qui n'avait rien d'extraordinaire et qui en était bien conscient). Mais Thorin passa le trajet à l'embrasser contre la porte du métro, sans prêter attention aux regards et aux rires étouffés de certains passagers dans la rame, et il n'avait pas plus l'air que Bilbo d'avoir envie de s'arrêter là.
Incapables d'attendre l'ascenseur, ils montèrent rapidement les trois étages de son immeuble par les escaliers, et abandonnèrent leurs vêtements un peu partout, dans l'entrée (dont il prit à peine le temps de refermer la porte derrière eux), dans le salon, jusqu'à la chambre de Bilbo – enfin, songea-t-il.
Thorin avait un corps de rêve. C'était presque à en donner des complexes – Bilbo s'était depuis longtemps fait à l'idée qu'il ne serait jamais musclé, ou que son ventre serait toujours plus flasque que ferme, et dans la vie de tous les jours, il ne s'en souciait plus ; mais là, pendant un instant, il fut submergé par la peur à l'idée que Thorin jugerait son apparence, et que ce qu'il verrait ne serait pas à son goût.
Il ne tarda pas à réaliser que Thorin n'en avait strictement rien à faire de sa petite brioche, et que la vision de Bilbo nu semblait plus l'enflammer qu'autre chose, à vrai dire – et Bilbo se sentit stupidement soulagé, et bêtement heureux.
Il récupéra rapidement dans la table de chevet un préservatif dans une boîte qui datait de sa précédente relation, six mois plus tôt (et il était préférable que les réminiscences s'arrêtent là) et un flacon de lubrifiant pour aller avec, qu'ils utilisèrent avec profusion, l'un comme l'autre peu enclins à perdre trop de temps en préliminaires.
La première fois fut passionnée et rapide ; la deuxième fois fut plus calme et plus intense, et la troisième fois fut d'une lenteur qui leur fit perdre la tête à tous les deux – du moins, si Bilbo savait correctement déchiffrer l'expression de plaisir presque insoutenable qui se lisait dans les yeux bleus de Thorin.
Il n'avait plus vécu de sexe aussi incroyable depuis... en fait, il n'avait jamais vécu de sexe aussi incroyable. À côté de Thorin, toutes ses précédentes relations semblaient fades et compassées – il ne se souvenait pas d'une seule fois, en dehors de cette nuit, où il avait cru être sur le point de mourir au moment d'atteindre l'orgasme.
Ce fut là, à cet instant, après leur incroyable troisième fois, que Thorin lui décrocha son premier sourire (qu'il ne tarda malheureusement pas à enfouir dans ses boucles de ses cheveux et dans son cou), et Bilbo songea fugitivement que c'était peut-être bien un coup de foudre, oui.
Le lendemain à son réveil, comme Cendrillon, il avait disparu, sans un mot avec son numéro de téléphone, sans même un objet oublié qu'il aurait pu garder en souvenir (à défaut de le revoir pour le lui rendre). Le lit était trop grand pour lui seul, trop froid, et Bilbo s'emmitoufla dans les couvertures, fourrant le nez dans l'oreiller d'à côté, qui portait encore l'odeur des cheveux de Thorin.
Il voulait le revoir. Il voulait le revoir. Il voulait le revoir.
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Bilbo ne parvenait pas à oublier son inconnu d'une nuit. Il le cherchait sur Facebook et Twitter, mais l'homme n'y était pas ; il le cherchait des yeux dans la rue, détaillait attentivement les grandes silhouettes qu'il croisait, mais aucune n'avait de longs cheveux noirs ondulés ornés de quelques fils d'argent, une belle barbe, les yeux bleus les plus incroyables du monde, un vieux tee-shirt Aerosmith délavé et des Converses trouées ; et Bilbo finit par réaliser qu'il y avait très peu de chances qu'il revoie Thorin Oakenshield un jour – ce qui ne l'empêchait pas d'espérer.
Ce fut au moment où il s'y attendait le moins que le destin vint à son secours, le vendredi 19 décembre, alors qu'il était sorti de sa classe pour accompagner les élèves à la grille. Certains étaient déjà dehors, courant vers leurs parents, leurs cartables sur le dos, et Bilbo posa les yeux sur son élève le plus récent, Fíli, qui était d'une intelligence à couper le souffle, mais qui ne prononçait jamais un mot. Bilbo était très intrigué par l'enfant, et Gandalf Legris, son directeur, lui avait raconté qu'il avait perdu sa mère peu de temps auparavant et qu'il était perturbé – en conséquence, il faudrait le traiter avec beaucoup de bienveillance.
Bilbo n'avait pas eu besoin de se forcer, car en plus d'être bon élève, Fíli lui inspirait une sympathie instinctive (lui aussi était en deuil de sa mère, ça leur faisait un point en commun), et il aimait voir la satisfaction briller en silence dans les yeux de l'enfant lorsqu'il le félicitait pour son travail, ce qu'il ne manquait jamais de faire. Après l'école, il récupérait son petit frère Kíli, dont tous les adultes raffolaient, à cause de ses grands yeux noirs et de ses boucles brunes en désordre, et les deux enfants s'éloignaient main dans la main. Bilbo, qui les avait suivis du regard un jour, intrigué de les voir repartir seuls, avait découvert qu'ils entraient dans ce qui ressemblait à une boutique, un peu plus loin dans la rue, tous les soirs après les cours, et lorsqu'il en avait parlé à Gandalf, celui-ci lui avait dit que c'était là que travaillait leur oncle, qui avait pris les deux enfants à sa charge.
Il n'avait pas donné de détails sur l'oncle, ni son nom, et c'était bien dommage ; ça aurait peut-être évité à Bilbo le choc qu'il ressentit lorsque ses yeux se posèrent sur la silhouette agenouillée à côté des deux enfants, ses cheveux noirs attachés en queue de cheval sur sa nuque, son sweat-shirt gris à capuche aux manches remontées jusqu'aux coudes et à la fermeture éclair ouverte, malgré le froid glacial de cet après-midi de fin décembre. Le sourire qu'il adressait à ses neveux lui rappela celui qu'il lui avait fait sur l'oreiller, cette nuit-là, et Bilbo fut incapable de détacher son regard, même lorsque Thorin leva distraitement les yeux vers lui, avant de se relever d'un bond, l'air stupéfait.
Alors, il ne l'avait pas oublié. C'était déjà ça. Malheureusement, la consolation fut de maigre durée quand il vit Thorin cligner des yeux, puis attraper les mains de ses neveux et se détourner brusquement avant de s'éloigner dans la rue, sans chercher à lui adresser un mot.
Bilbo eut un sourire amer – évidemment, il ne devait pas avoir envie de le revoir. Il avait trop bu, c'était probablement la seule raison pour laquelle ils avaient couché ensemble. La preuve, c'était qu'il était parti le matin sans rien dire ; ça voulait bien dire qu'il regrettait ce qu'il avait fait.
Toutefois, il fut incapable de le quitter des yeux jusqu'à ce qu'il l'ait vu entrer dans sa boutique, une centaine de mètres plus loin dans la rue.
Bon. Thorin ne voulait plus le revoir. Il n'y avait pas de quoi en faire tout un fromage, c'était bien compréhensible, après tout. Bilbo décida que ça ne valait pas la peine de se prendre la tête dessus, et qu'il valait mieux abandonner une bonne fois pour toutes.
Du moins, sa tête le décida. Son cœur, lui, resta bloqué sur l'image de Thorin Oakenshield, le sourire qu'il lui avait fait, le sourire qu'il avait offert à ses garçons, et il ne tarda pas à réaliser qu'il faudrait un certain temps avant que ça finisse par passer.
Il aurait pu aller lui rendre visite, maintenant qu'il savait où il travaillait, mais Thorin avait été très clair sur le fait qu'il ne voulait pas le revoir, et Bilbo ne voulait pas gâcher les souvenirs de la soirée qu'ils avaient passée ensemble. Maintenant qu'il y repensait, il comprenait enfin la raison de la douleur évidente de Thorin, cette fois-là : lui et Fíli partageaient la même. Il avait juste eu besoin de quelqu'un pour l'aider à ne pas couler, et Bilbo s'était simplement trouvé là, à portée de main, utile, en somme. Interchangeable.
Sa nouvelle révélation rendit une chose parfaitement claire : revoir Thorin ne servirait qu'à rendre sa propre blessure plus douloureuse – alors, non. Tant pis. Il s'en passerait.
Mais il y avait Fíli.
Chaque fois que Bilbo posait le regard sur lui, il pensait à Thorin – et comme Fíli, après les vacances de Noël, s'était tout doucement remis à parler, sollicitant l'attention de son instituteur plus que n'importe qui d'autre, Bilbo s'occupait souvent de lui, et donc pensait à Thorin tout aussi souvent.
Lorsque Bilbo, pendant une récréation, lui confia qu'il écrivait des livres pour enfants pendant son temps libre, Fíli eut l'air enchanté. Il déclara qu'il demanderait à son oncle de les acheter, et Bilbo sentit son cœur se serrer à cette idée – Thorin trouverait sûrement un tel loisir ridicule, et il mépriserait encore plus Bilbo ; mais comme il n'y pouvait pas grand-chose, de toute façon, il ne fit pas de commentaires, et se contenta de sourire à Fíli.
Quelques jours plus tard, il eut la surprise de sa vie lorsque Fíli ramena à l'école La Guerre de l'Anneau en déclarant que c'était pour l'anniversaire de son oncle – le 15 février.
- P... Pour ton oncle ? balbutia Bilbo. Mais... Ça va lui plaire...?
- Je suis sûr que oui ! Il a dévoré les trois tomes des Aventures de Smaug en une seule nuit. Il a dit que c'était vraiment génial.
Oh... Thorin avait dit ça...?
- Je voulais le lire, continua Fíli (qui par moments était vraiment pipelette, maintenant qu'il avait retrouvé la parole), mais oncle Thorin a dit qu'il nous ferait la lecture au coucher, à moi et Kíli. Est-ce que vous voudriez bien lui écrire un petit mot dessus ?
- Moi ? demanda Bilbo, authentiquement surpris. Un mot ?
- Oui, comme un autographe ! Il sera sans doute très content d'avoir son livre dédicacé.
Bilbo adressa un sourire à Fíli, mais le cœur lui manqua – que pourrait-il bien écrire à Thorin ? Salut, merci pour la soirée torride de la fois dernière, voici mon numéro de téléphone, si tu veux recommencer.
Bien sûr.
- Donne-moi le livre, je lui écrirai quelque chose ce soir, céda Bilbo devant l'air plein d'espoir de Fíli. Je te le rendrai demain.
- Ne l'abîmez pas, hein !
Cette fois, le sourire de Bilbo fut sincère.
- Promis.
Ce soir-là, il passa un long moment assis à son bureau à se demander ce qu'il pourrait bien écrire. Un message impersonnel serait sans doute plus indiqué, si Thorin ne voulait plus entendre parler de lui, un rapide "Merci de votre fidélité" et basta, mais Bilbo ne pouvait pas se résoudre à écrire quelque chose de si froid alors que leur nuit ensemble lui laissait encore des étoiles dans les yeux.
Il décida de commencer par un brouillon.
[Cher Thorin,]
Pour Thorin [Oakenshield],
Joyeux anniversaire. [J'espère que tu vas bien.] Merci beaucoup d'avoir [lu mes livres] lu et apprécié mes livres. Je souhaite de tout mon cœur que celui-ci [te] vous plaise aussi.
[Tu me manques,]
[J'espère te revoir,]
Sincèrement vôtre,
Bilbo Baggins.
Le brouillon s'avéra être une bonne idée. Bilbo contempla sa page raturée, et recopia soigneusement à l'intérieur du livre ce qui avait échappé à la censure. Le résultat paraissait un peu froid, mais si Thorin voulait garder une distance entre eux, c'était peut-être ce qu'il y avait de mieux.
Il reposa le livre, et le repoussa plus loin sur le bureau. Et c'était tout ? Un livre avec une dédicace, merci bonsoir ? Il considéra le crayon gris posé à côté du plume avec lequel il avait écrit la dédicace, et, pris d'une inspiration subite (probablement soufflée à l'oreille par son côté Took), il ouvrit le livre à la dernière page, et inscrivit son numéro de téléphone en appuyant faiblement sur la mine.
On le distinguait à peine, et si Thorin l'appelait, ce serait vraiment qu'il aurait pris la peine de chercher. C'était une façon simple de savoir à quoi s'en tenir.
Bilbo manqua dix fois de l'effacer avant de rendre le livre à Fíli, mais lorsque le garçon l'enfourna dans son cartable avec un sourire jusqu'aux oreilles, il haussa mentalement les épaules – le sort en était jeté.
Le dimanche 15 février, la première pensée de Bilbo en se levant fut pour Thorin (c'était généralement le cas ces dernières semaines, mais cette fois, c'était légitime). Joyeux anniversaire, Thorin. Il se demandait, dans un élan d'espoir fou, si Thorin appellerait dans la journée, lorsqu'il recevrait son cadeau. À 19h, il songea qu'il était probablement en train de faire la fête avec ses amis. À 21h, il songea qu'il devait encore être occupé. À 23h, il songea qu'il ne lirait probablement même pas le bouquin ce soir-là, de toute façon. À 1h du matin, il décida d'abandonner et alla se coucher.
Il n'y avait pas d'appel en absence sur son téléphone quand il se leva le matin, mais il essaya très fort de faire comme si ça n'avait pas d'importance.
Son portable ne sonna pas de la journée – mais il travaille, et il sait que je travaille, c'est normal qu'il n'appelle pas – et lorsque Bilbo rentra chez lui après l'école, la même attente recommença. Les heures passèrent, et Bilbo était tellement nerveux qu'il n'arrivait pas à se concentrer sur quoi que ce soit. Finalement, vers 22h, il tira de sa bibliothèque un livre de Jane Austen, se fit un thé, lança son CD de Ravel préféré (celui avec Gaspard de la Nuit), et s'installa dans un fauteuil, son portable bien en vue à côté de lui, le mode silencieux évidemment désactivé.
L'horloge murale héritée de sa mère sonna minuit, et Thorin Oakenshield ne l'appellerait pas encore ce soir-là, songea-t-il. Thorin Oakenshield ne l'appellerait probablement jamais, s'il fallait être réaliste : même s'il trouvait le numéro (ce qui n'était pas dit), il ne l'utiliserait probablement pas, s'il fallait se fier à la façon dont l'homme avait réagi lors de leur dernière rencontre. Il avait beau aimer ses livres, au fond, ça ne changeait rien à l'affaire.
Découragé, et furieux contre lui-même de s'être laissé aller à espérer, Bilbo décida de finir son chapitre avant d'aller se coucher, et quelques minutes plus tard, alors qu'il se trouvait avec Elizabeth et Jane à Netherfield, la petite sonnerie aigrelette de son téléphone résonna.
Orgueil & Préjugés lui tomba des mains lorsqu'il se précipita pour prendre son téléphone et regarder de qui venait l'appel – si c'était une de ses cousines Dora, Primula ou Églantine, ou pire, Lobelia, il était capable de faire un massacre.
Mais c'était un numéro inconnu qui s'affichait là, et après en avoir contemplé les chiffres beaucoup trop longtemps, Bilbo se rappela qu'il devait décrocher en vitesse s'il ne voulait pas que son interlocuteur s'impatiente. Les doigts tremblants, il appuya sur la touche verte.
- Allô ?
Il y eut un très long silence au bout du fil, et Bilbo se demanda s'il n'avait pas encore laissé parler son imagination, et s'il ne s'agissait pas juste d'un canular téléphonique, au final.
- Allô ? répéta-t-il.
Et là, sa voix se fit entendre.
- Allô, euh... Je... Je suis désolé de te... de vous... déranger, c'est... c'est Thorin. Thorin Oakenshield.
Thorin Oakenshield. Thorin Oakenshield. Thorin Oakenshield. Les mots résonnèrent dans sa tête comme une cloche sonnée à toute volée, et Bilbo se trouva pris d'une émotion tellement violente qu'il se retrouva incapable de dire un mot.
Bordel, je suis amoureux de lui.
C'était ridicule – il le connaissait à peine, il ne savait rien de lui (à part qu'il était scandaleusement bon au lit), et pourtant, il suffisait de recevoir un appel de lui pour se mettre à trembler comme sous l'effet d'une grosse fièvre.
De son côté, Thorin balbutiait, visiblement horriblement mal à l'aise, et pour la première fois, Bilbo songea qu'il avait peut-être mal interprété ses réactions lors de leurs précédentes rencontres ; ce n'était peut-être pas qu'il ne voulait pas le voir – la situation semblait légèrement plus complexe. Ce qui n'alla pas en s'arrangeant quand Thorin lui présenta ses excuses ; c'était la dernière chose à laquelle il s'attendait. La honte dans sa voix était tellement palpable que Bilbo en fut touché jusqu'au fond du cœur.
- Ne t'en fais pas, Thorin, je ne t'en veux pas, jugea-t-il nécessaire de préciser.
- Je continue à penser que j'ai agi comme un connard, répondit Thorin, visiblement peu convaincu par les paroles de Bilbo. Je suis vraiment désolé. Je ne suis pas aussi odieux, en temps normal, mais là, j'étais au trente-sixième dessous, pour des tas de raisons, et...
Il avait honte, mais pas de Bilbo – il avait honte de lui-même, réalisa l'instituteur. Il pensait avoir profité de lui, et il s'était enfui le matin écrasé de culpabilité, et il avait évité son regard à l'école pour la même raison. Il devait vraiment avoir bien bu ce soir-là pour ne pas se rappeler que c'était Bilbo qui l'avait invité à boire un verre, invité à l'embrasser, invité à aller chez lui – que tout, en gros, était de sa faute.
Il était adorable. Juste adorable.
- Merci d'avoir répondu... et euh, à la fois prochaine, alors ?
Bilbo ne put s'empêcher de sourire largement, avec l'impression que sa poitrine allait exploser sous l'effet de la joie.
- À la fois prochaine. Merci d'avoir appelé, Thorin. Bonne nuit.
Ce soir-là, Bilbo Baggins s'endormit avec le cœur en fête.
.oOo.
L'euphorie dura quelques temps, jusqu'à ce que Bilbo réalise que Thorin n'avait pas semblé intéressé par le fait de l'inviter à boire un verre, et qu'il n'avait pas non plus l'air décidé à le rappeler. Encore une fois, il dut revoir ses espoirs à la baisse, et songea que ce n'était pas parce que Thorin avait trouvé son numéro et l'avait appelé pour le remercier de sa dédicace que les choses allaient changer entre eux pour autant ; toutefois, lorsqu'il percuta de plein fouet l'homme de ses pensées en allant à la librairie ce jour-là, il songea qu'il devait y avoir quelqu'un là-haut qui cherchait à les rapprocher.
Et il n'allait pas s'en plaindre, oh non.
Thorin était accompagné de ses neveux. Il était déjà à tomber par terre en temps normal, mais le regard de tendresse qu'il posait sur les garçons dès que l'un d'entre eux ouvrait la bouche donnait à Bilbo l'envie de se rouler à ses pieds jusqu'à la fin de ses jours – ou de redevenir enfant, afin d'en être gratifié à son tour (même s'il s'agissait sans doute d'un traitement spécial).
Il était tellement heureux de le revoir qu'il ne pouvait s'empêcher de sourire comme un idiot, et Thorin le regardait d'un air étrange (il doit sans doute me prendre pour un fou, songea Bilbo). Il se trouvait que l'homme et ses neveux venaient de dévaliser le magasin à la recherche de ses livres, et l'idée lui procura un bonheur incroyable – il imaginait Thorin, le soir dans son lit, en train de lire les mots qu'il avait assemblés les uns après les autres, en train de peut-être passer son doigt sur les pages, de suivre les aventures qu'il avait inventées...
Les choses seraient peut-être devenues rapidement embarrassantes s'il n'y avait pas eu les enfants – heureusement, ils n'étaient pas à court d'idées de conversation, même si elle se transformait petit à petit en interrogatoire. Tout allait parfaitement bien, à vrai dire, jusqu'au moment où Kíli proposa à Bilbo de rentrer avec eux pour goûter, et l'instituteur vit le visage de leur oncle se décomposer instantanément.
- Kíli ! s'exclama-t-il d'un air paniqué. Bilbo a sans doute des choses à faire.
Bon. Ok. Ils n'en étaient pas encore là – message reçu. Bilbo fit mine de réfléchir avant de décliner l'invitation le plus doucement qu'il put, pour ne pas offenser les enfants – qui furent terriblement déçus tout de même.
Peut-être ce que fut parce que Thorin eut pitié d'eux qu'il proposa d'aller se poser dans une boulangerie proche – ou peut-être que c'était juste qu'il appréciait la compagnie de Bilbo, mais qu'il n'avait pas envie de le faire venir chez lui.
Bilbo décida d'en avoir le cœur net en se jetant à l'eau dès qu'il eut l'occasion, alors que les enfants étaient partis aux toilettes. Thorin dézonait, comme ça lui arrivait apparemment souvent, et Bilbo l'appela doucement pour le faire revenir à la réalité – le nervosité commençait déjà à le gagner, mais s'il voulait lui demander, c'était maintenant ou jamais ; et surtout, avant que les enfants ne reviennent.
Il n'aurait jamais le temps. Surtout si Thorin lui posait des questions sur Fíli. Il fallait passer à l'essentiel, tout de suite.
- Tu sais, quand je t'ai passé mon numéro de téléphone, la fois dernière...
La grimace qui naquit sur le visage de Thorin était déjà assez éloquente en soi – Bilbo n'aurait pas eu besoin d'aller plus loin pour sa réponse. Mais il fallait quand même qu'il essaie, juste histoire d'être sûr ; et bien entendu, il ne tarda pas à se faire proprement envoyer sur les roses.
- Ne va pas croire que je ne t'apprécie pas ou quoi que ce soit, mais... je... la vie est un peu compliquée pour moi en ce moment, avec les gosses, et la boutique, et je ne crois pas...
Merde. Merde. Merde. Bilbo sentait ses joues flamber de honte – il n'était vraiment pas doué pour ça. C'était évident que Thorin n'aurait pas la tête à ça, et pourtant, il avait eu l'audace de croire que, peut-être... Oh, merde. Il aurait voulu pouvoir se cacher dans un trou de souris.
Thorin ne voulait pas de lui.
La honte ne fit place à la déception et à la douleur qu'une fois rentré chez lui, après qu'il ait promis à Thorin qu'il irait lui rendre visite à sa boutique (et tout en pensant fermement qu'il n'y mettrait jamais les pieds).
Tant pis – au moins, maintenant, il avait enfin une bonne raison de lâcher prise.
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Fíli voulait l'inviter à son anniversaire.
C'était adorable de sa part, mais la proposition soulevait plusieurs problèmes : Fíli avait l'air excessivement attaché à lui, ces derniers temps, et Bilbo commençait à se demander s'il ne faudrait pas y mettre le holà ; de son côté, il était (toujours) excessivement attaché à Thorin, qui lui avait bien fait comprendre que ça ne l'intéressait pas.
Il ne voulait pas s'imposer dans une maison où il ne serait pas le bienvenu, mais Fíli avait un regard tellement suppliant, et il était tellement passé pro dans l'art de le maîtriser, que Bilbo se retrouva sans trop savoir comment à dire qu'il ne viendrait que si son oncle était d'accord.
Heureusement, il y avait neuf chances sur dix que l'oncle en question ne soit pas d'accord – malheureusement, Fíli insista pour que Bilbo vienne avec lui pour lui demander confirmation, à la boutique. Même le prétexte d'avoir encore du travail à l'école ne changea rien à la détermination de Fíli ; il obligea son petit frère à rentrer avant lui, et attendit de pied ferme que Bilbo ait terminé de travailler.
Il n'y avait aucune échappatoire.
En conséquence, lorsqu'ils entrèrent dans la boutique, Bilbo avait déjà envie de se tirer une balle – ce qui ne s'arrangea absolument pas lorsqu'il vit l'expression désespérée qui passa sur le visage de Thorin. Sans compter qu'il n'était pas seul ; il était avec un autre homme, flippant dans son genre, son crâne rasé couvert de tatouages, et sa barbe encore plus fournie que celle de Thorin – à tout prendre, quelqu'un qu'il n'aurait pas aimé rencontrer dans une ruelle le soir.
L'homme le fixait avec un intérêt à peine masqué, et Bilbo réalisa que Thorin devait lui avoir parlé de ce qui s'était passé entre eux, ce qui lui donna envie de tourner les talons et de fuir immédiatement avant que l'humiliation ne le dévore vivant – mais Fíli le tenait fermement par la main, et Kíli se jeta dans ses bras dès qu'il l'aperçut, ce qui était adorable de sa part, mais qui l'empêchait également de s'en aller sur-le-champ.
- J'ai demandé à Bilbo de venir pour mon anniversaire, lança Fíli.
Vu la façon dont il regardait son oncle, c'était certainement un sujet de désaccord entre eux – et Bilbo comprenait très bien pourquoi ; raison pour laquelle il s'empressa de jeter à Thorin une bouée de sauvetage pour tous les deux, en espérant que l'autre la saisisse.
- Et je lui ai dit qu'il faudrait que son oncle soit d'accord.
Thorin avait l'air totalement impuissant, et devant le regard insistant de son neveu, Bilbo comprit avec un temps de retard que sa bouée ne suffirait pas ; si lui-même n'avait pas réussi à dire non à Fíli, ce n'était pas son tonton gâteau qui allait y arriver.
- Si M. Baggins est d'accord, c'est entendu.
M. Baggins. Alors il n'était même plus Bilbo, pour lui ? La douleur qui lui transperça la poitrine fut désagréable et complètement inattendue, et il eut recourt à la plus mauvaise de ses tactiques pour la cacher – en souriant. Il s'y prenait mieux que ça pour masquer la douleur, d'habitude, il était même plutôt doué ; mais pas quand on le prenait par surprise.
Je n'aurais pas dû venir.
Malheureusement, le deal était fait, et Fíli semblait exulter à l'idée de le voir venir à son anniversaire ; et l'idée de décommander au dernier moment semblait absolument hors de question, s'il ne voulait pas briser la fragile confiance qu'un enfant perturbé lui offrait.
Merde.
Mais le pire était encore à venir, lorsque Kíli entraîna Fíli pour son goûter dans l'arrière-boutique (oh non, oh non, oh non), et lorsque l'inconnu aux tatouages, visiblement au courant de quelque chose, décida qu'il allait les laisser seuls ; Bilbo songea que c'était peut-être le moment de tirer sa révérence. Mais lorsqu'il leva les yeux vers Thorin, il eut la surprise de le voir sourire – un léger sourire, certes, mais qui lui était adressé, sans aucun doute possible. Un sourire qu'il n'avait rien fait pour obtenir, et qui le déconcerta complètement.
Thorin lui souriait. Pourquoi ?
L'autre ne sembla pas tarder à réaliser qu'il le plongeait dans des abîmes de confusion, car son sourire disparut – et Bilbo, encore une fois, s'en sentit responsable. Au final, c'était tout ce à quoi il était bon ; faire disparaître le sourire de Thorin.
Le client entrant dans la boutique n'aida pas à alléger l'ambiance, et Bilbo décida brusquement que la situation était intolérable ; il allait lui présenter ses excuses, le plus rapidement possible, et rentrer chez lui ensuite.
Thorin l'avait vouvoyé devant la librairie, et l'avait appelé M. Baggins. Bilbo décida de lui rendre la politesse – de toute façon, il était plus que temps qu'il apprenne à son tour comment mettre de la distance entre eux, s'il ne voulait pas se faire blesser par les choses les plus insignifiantes.
Il ne s'attendait pas, en revanche, à l'expression peinée qui passa fugitivement dans les yeux de Thorin lorsqu'il le vouvoya – de toute évidence, son plan pour prendre de la distance était un mauvais calcul, et n'avait servi qu'à déclencher chez Thorin une nouvelle vague de remords (comme c'était souvent le cas chez lui, d'après ce que Bilbo commençait à comprendre).
Le problème, encore une fois, c'était qu'il ne savait pas résister à Thorin quand celui-ci lui faisait son numéro de culpabilité. Sans trop comprendre comment, il se retrouva à lui dire tout l'inverse de ce qu'il pensait.
- J'ai proposé quelque chose, et tu n'étais pas intéressé. Il n'y a pas de quoi en faire en fromage.
Il n'y avait peut-être pas de quoi, mais il en faisait tout un fromage quand même. En fait, il allait même pouvoir ouvrir une fromagerie, si ça continuait. Malgré tout, Thorin ne pouvait pas être blâmé d'avoir refusé – c'était même assez compréhensible ; il était clair que Bilbo n'était pas fait pour quelqu'un comme lui. Ce n'était pas parce qu'il avait du mal à lâcher prise que Thorin devait en être tenu pour responsable. Le seul coupable, là-dedans, c'était lui, et les espoirs qu'il avait eu l'audace de se faire.
Ça ne pouvait plus continuer. Il allait accepter l'idée que Thorin ne veuille pas de lui, et faire face à la situation comme un adulte – il s'était déjà fait rejeter de nombreuses fois, après tout, et qu'est-ce que ça faisait ? Ce n'était pas la mort. Et s'il ne voulait pas de lui comme amant, rien ne disait qu'il ne l'accepterait pas en tant qu'ami, n'est-ce pas ? Ce ne serait pas ce qu'il aurait voulu à la base, mais ce serait toujours ça de pris.
Légèrement rasséréné, il eut la force d'offrir un sourire à Thorin et de déclarer presque comme s'il le pensait vraiment qu'il serait heureux de venir chez lui le samedi suivant – tout comme Thorin avait semblé presque honnête lorsqu'il lui avait dit qu'il serait heureux qu'il vienne.
Ce n'était pas encore de la sincérité top niveau, mais c'était déjà un progrès.
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Fíli, toutefois, n'avait pas à être pris dans l'étrange ambiance qui flottait entre lui et son oncle, et Bilbo passa toutes les soirées de sa semaine à produire ce qu'il espérait être un beau cadeau pour lui : une petite histoire courte de Smaug le Dragon, qu'il écrivit en une nuit, et recopia de sa plus belle écriture dans un joli carnet les trois nuits suivantes. Ce n'était peut-être pas grand-chose, mais Fíli serait sans doute content, puisqu'il était son fan le plus ardent (ou peut-être pas, au fond ; il était juste le seul fan que Bilbo connaissait dans son entourage – Thorin ne comptait pas, même s'il avait lu ses livres).
La fête d'anniversaire commença plutôt bien, et il crut même qu'il parviendrait à passer la journée sans trop de dégâts – mais Fíli était un petit curieux, et Bilbo se sentit tomber dans un gouffre sans fond lorsque le garçon voulut savoir s'il avait une petite-amie. Il aurait dû se douter que c'était trop beau pour être vrai. Ne pas regarder Thorin. C'était la clé. Il voulait mettre tout ça derrière lui, n'est-ce pas ?
- Non, je n'ai personne, finit-il par répondre avec un sourire qui cachait son malaise.
Thorin ne sembla pas s'en rendre compte, mais Bilbo, lui, ne rata pas le regard curieux que Fíli posa très rapidement sur son oncle, avant de se poser sur lui à nouveau, et il fut bien en peine de comprendre ce qu'il signifiait. Est-ce que Thorin avait parlé de leur petite aventure aux enfants ? Ou est-ce que Fíli était juste en train de faire le calcul "oncle célibataire + professeur célibataire = possible couple" dans sa petite tête pleine de vivacité ?
La question resta sans réponse, et ils enchaînèrent sur une partie de Guitar Hero où Thorin se fit lamentablement battre – il ne pouvait pas savoir que Bilbo avait passé un temps fou à jouer au jeu avec son cousin Drogo, enchaînant les chansons et les niveaux les uns après les autres comme des perles. C'était amusant de voir Thorin bougonner d'avoir perdu, mauvais joueur, et Bilbo se demanda un instant si c'était à ça que ressemblerait leur vie s'ils étaient ensemble – s'occuper des enfants, jouer à Guitar Hero, rire, râler...
Arrête, Bilbo Baggins. On a déjà dit que ça n'arriverait pas.
Néanmoins, malgré tout le contrôle qu'il essayait d'exercer sur lui-même, le cœur de Bilbo sembla sombrer dans sa poitrine quand Kíli mentionna "Dwalin, celui qui vit avec nous".
Dwalin. Celui qui vivait avec eux. La plupart du temps. Qui donnait à Kíli l'impression d'avoir deux papas.
Ainsi donc, Thorin vivait avec un homme. Bilbo avait du mal à croire qu'il aurait pu coucher avec lui tout en étant en couple avec quelqu'un d'autre, mais tout bien considéré, leur petite nuit avait eu lieu presque quatre mois plus tôt. Thorin avait eu tout le temps de se trouver quelqu'un depuis, et – oh, c'était pour ça, alors, qu'il avait dit non à la boulangerie... Il avait prétexté qu'il n'avait pas la tête à ça pour ne pas lui faire de peine (quoique, c'était raté), mais c'était parce qu'il s'était mis à sortir avec quelqu'un d'autre... Oh...
- O... Oh... Je vois...
Mais non, il n'avait pas l'impression que son cœur était en train de partir en lambeaux dans sa poitrine. Mais non, ce n'était pas grave, il avait dit qu'il laissait tomber, après tout, n'est-ce pas ? Mais non, il n'allait pas en faire un fromage, il prendrait ça comme un appui pour se relever de plus belle.
- Ils dorment même ensemble !
Menteur. Menteur. Menteur, Bilbo Baggins. Il sentait le regard inquisiteur de Fíli posé sur lui, et songea qu'il ne devait pas offrir un spectacle aussi minable à l'un de ses élèves, mais il avait vraiment l'impression que Kíli, à chacune de ses paroles, faisait de son cœur un carpaccio.
Depuis quand c'est devenu aussi sérieux, cette histoire ? Même le rejet de Thorin avait fait moins mal que l'idée de le savoir en couple avec quelqu'un d'autre. T'es dans la grosse merde, mon brave Bilbo. Dans la grosse, grosse merde.
- C'est mon meilleur ami.
L'explication fut inattendue, et la mine de Thorin était un subtil mélange d'inquiétude et de contrition, et Bilbo, en l'observant, réalisa pour la première fois quelque chose de très important – Thorin était toujours attiré par lui. Il aurait pu ne rien dire, le laisser se faire des idées ; après tout, il l'avait rejeté, qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire que Bilbo l'imagine en couple ?
Mais non. Il se justifiait, et précipitamment par-dessus le marché, avec moult détails, et fixait Bilbo, inquiet de savoir si celui-ci le croyait, et Bilbo n'était pas un pro, en relations amoureuses, loin de là, mais l'expression que Thorin posait sur lui, en cet instant, était loin d'être de l'indifférence. Il n'y avait pas à s'y tromper.
Thorin était attiré par lui.
Bilbo eut envie de rire de soulagement. Ça ne changeait absolument rien à la situation, puisque Thorin l'avait rejeté pour un tas de raisons plus rationnelles les unes que les autres, qui n'avaient rien à voir avec l'attirance que Bilbo exerçait (ou non) sur lui ; mais une lueur d'espoir venait tout de même de s'allumer. Tout devenait possible, d'un coup – et Bilbo jura sur-le-champ qu'il ferait tout pour faire pencher la balance en sa faveur.
Thorin n'avait qu'à bien se tenir.
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Bilbo était patient. Très patient. Il fallait bien ça, parce que la mission "À la conquête du cœur de Thorin Oakenshield" n'était pas exactement de celles qui se terminaient en trois jours. Bilbo tablait plutôt sur les trois mois – voire les trois ans, en étant pessimiste.
Mais il ne perdait pas espoir. Il avait commencé à rendre de régulières visites à la boutique de disques, d'abord très courtes, pour ne pas abuser de la patience de Thorin, puis un peu plus longues, et le regard que Thorin posait sur lui était toujours un intéressant mélange de dépit et d'envie. Ses yeux suivaient Bilbo partout où il allait, et semblaient regretter le moment de son départ tout autant qu'ils redoutaient celui de son arrivée.
Bilbo avait fini par comprendre quelques petites choses à son sujet : en premier, que Thorin Oakenshield n'était pas doué en relations amoureuses. Ensuite, que c'était un énorme trouillard. Enfin, que même s'il jouait les gros durs, il avait désespérément besoin de compagnie – Bilbo était tout prêt à lui accorder la sienne autant qu'il le faudrait.
Toutefois, proposer à Thorin de l'accompagner au cimetière, c'était peut-être aller un peu trop loin, à en croire les regards abasourdis qui se tournèrent vers lui ce soir-là, alors qu'il était venu à la boutique avec Fíli. Merde, mais je suis con ou quoi ? C'était une chose d'être là à papoter gentiment avec l'homme de ses rêves, c'était une toute autre histoire de lui proposer de venir avec lui rendre hommage à sa sœur décédée alors que l'homme lui-même n'y était pas allé depuis l'enterrement (visiblement), et qu'il s'agissait de toute évidence d'un sujet très tabou.
Espèce de crétin de Baggins !
Il tenta maladroitement de se rattraper (c'est foutu, bordel, je viens de ruiner tous mes efforts de ce dernier mois en deux phrases, mais quel abruti complet!) quand Thorin le coupa.
- J'accepte.
Il... acceptait. Quoi ? Il acceptait ?
Les yeux bleu glacier de Thorin étaient rivés aux siens, et Bilbo le vit dézoner en direct – et il ne tenta pas de le réveiller, car il expérimentait la même chose. Il n'aurait pas pu détacher son regard de celui de Thorin si sa vie en dépendait, et ils restèrent là, à se regarder, envoûtés, pendant ce qui lui sembla un siècle ou deux.
Puis, Bilbo se rappela qu'ils avaient un public, et s'efforça de détacher son regard et de le poser sur un endroit plus sûr, par exemple, les enfants ; mais il pouvait sentir celui de Thorin toujours fixé sur lui, et il espérait de toutes ses forces que Fíli et Kíli n'entendaient pas son cœur qui battait comme un fou dans sa poitrine.
Bon. Les choses devenaient légèrement compliquées, songea-t-il le lendemain, lorsque Thorin lui ouvrit la porte de chez lui avec un look "je sors du lit" et que Bilbo crut qu'il allait lui sauter dessus séance tenante. Encore plus lorsqu'après avoir disparu dans la salle de bain, il réapparut dans une chemise noire qui lui allait comme s'il était né avec, et qui, avec le reste de son apparence, ses cheveux peignés, et son pantalon noir, donna à Bilbo envie de se rouler à ses pieds en le suppliant de le prendre comme esclave pour le reste de ses jours (oui, c'était à ce point-là).
Si seulement Thorin n'avait été que beau, et qu'il avait été affligé d'horribles défauts de personnalité, comme une vanité à toute épreuve, une condescendance typique des beaux garçons, un manque total d'intelligence ou une méchanceté inhérente – Bilbo aurait pu avoir l'impression qu'il était encore capable de s'en tirer. Mais Thorin, au contraire, était gentil, à sa façon (qui n'était pas celle de tout le monde, certes), intelligent, et même modeste, dans le sens où il ne se rendait même pas compte à quel point il était extraordinaire, et Bilbo comprit qu'il était trop tard pour faire marche arrière, maintenant, parce qu'il était tombé amoureux de lui pour de bon.
Thorin, pour ne rien arranger, semblait l'avoir pris pour récipiendaire de ses confidences, et lui avoua qu'il n'était plus retourné au cimetière depuis l'enterrement – c'était ce que Bilbo avait cru comprendre la veille, mais il ne fit aucune remarque. Ils marchaient dans la rue, l'un à côté de l'autre, alors que les enfants étaient quelques mètres plus loin, se tenant la main, et Bilbo songea qu'il avait envie de lui dire qu'il n'était pas seul dans cette épreuve, et qu'ils avaient peut-être plus en commun que Thorin ne l'imaginait.
Il lui parla de Belladonna. C'était toujours un sujet douloureux, qu'il n'évoquait jamais avec personne – mais Thorin était la seule personne au monde avec qui il avait envie de le partager. Il trouva aussi le courage de lui avouer qu'il n'était pas le genre de personne à coucher avec n'importe qui (depuis tout ce temps, il s'était toujours demandé si c'était comme ça que Thorin le voyait), et lorsque Thorin hocha la tête en répondant qu'il s'en doutait, et qu'il n'était pas comme ça non plus, il eut envie de glisser la main dans la sienne et de l'embrasser, comme ça, en pleine rue.
Je t'aime.
Un seul de ses vœux fut réalisé ce jour-là ; il pensait que Thorin ne prendrait pas la main qu'il lui tendait, à la grille du cimetière, mais comme toujours avec lui, il fallait de la patience, et Bilbo le savait. Après une éternité, il fut récompensé lorsque ses doigts se glissèrent dans les siens.
Le contact ne dura pas longtemps mais c'était déjà bien suffisant – et normal : Thorin ne devait pas avoir envie que les enfants les voient se tenir par la main. Bilbo fut donc très surpris lorsque les doigts de Thorin trouvèrent à nouveau les siens, quelques instants plus tard, et il songea subitement qu'il était vraiment bête d'en faire une affaire personnelle alors que tout ce dont Thorin avait besoin, en ce moment, c'était simplement du soutien de quelqu'un. Il se fustigea de son égoïsme, et entrelaça doucement ses doigts avec ceux de Thorin.
Peut-être qu'il était incapable de faire autre chose, mais être là pour lui, ça, il pouvait faire.
.oOo.
La visite au cimetière avait changé les choses.
La première fois que Thorin lui avait envoyé un SMS, peu de temps après, Bilbo avait crié de joie dans son appartement, et n'avait pu s'empêcher de répondre dans la minute. Leur première conversation par messages interposés n'avait pas duré longtemps, mais il y en avait eu une autre, puis une autre, et elles duraient parfois jusqu'aux petites heures du matin, à dire des banalités affreusement importantes, à parler de leur journée, de ce qu'ils avaient mangé le soir, des nouvelles trouvailles des enfants, de ses livres (d'accord, maintenant, il pouvait compter Thorin comme un de ses fans), de la boutique et de ses problèmes financiers, de Dwalin, et surtout, à éviter de parler de ce qui était en train de naître entre eux.
Thorin l'avait même invité à participer à la répétition de son groupe de rock, et Bilbo y était allé, évidemment, et ça valait la peine rien que pour voir le regard qu'il lui adressa lorsqu'il découvrit son tee-shirt Nirvana, et le rire qu'il étouffa (au grand regret de Bilbo, qui aurait accepté d'être l'objet de ses éternelles moqueries si ça pouvait le faire rire plus souvent), et les blagues qu'ils échangèrent, et les sourires de Thorin, et le petit élan de visible jalousie qui traversa son visage lorsqu'il découvrit Bilbo en train de parler avec son ami Bofur, et son regard rivé sur lui pendant qu'il jouait de la guitare, comme s'il lui dédiait tous les morceaux, et sa voix profonde, qui le remuait jusqu'au plus profond de lui, et son expression presque tendre après la répétition...
Pour la millième fois depuis qu'il l'avait rencontré, Bilbo songea qu'il était absolument dingue de cet homme.
Puis, les vacances de Pâques étaient arrivées, et il avait proposé son aide pour garder les garçons pendant que Thorin travaillait, ce que l'autre avait semblé considérer comme une bénédiction, malgré un premier refus ; et puis un soir, il était resté manger avec eux, il avait lu ses propres histoires à Fíli et Kíli au moment du coucher, et Thorin lui avait ensuite proposé de rester là et de regarder une série avant de rentrer, et Bilbo avait accepté, et la chose s'était répétée le lendemain, et le surlendemain, et Bilbo, finalement, avait passé presque toutes ses vacances chez Thorin, loin de la solitude pleine de souvenirs désagréables de son appartement. Thorin l'ignorait, mais ça lui avait fait un bien fou.
À la rentrée, il avait eu peur que les choses ne redeviennent comme elles étaient avant, mais Fíli avait exigé que Bilbo revienne leur lire une histoire avant le coucher, et ils étaient parvenus à une sorte d'arrangement ; Bilbo travaillait dans les locaux de l'école en attendant que Thorin termine à la boutique, puis ils se rejoignaient à 19h, mangeaient ensemble, et passaient le reste de la soirée ensemble.
La tentation était rude, ces soirs-là, de se tourner vers Thorin et de simplement l'embrasser, surtout qu'ils étaient toujours assis très proches l'un de l'autre, sur le canapé, si proches que les mèches de cheveux de Thorin glissaient sur les épaules de Bilbo ; si proches que Bilbo n'aurait eu qu'à tourner la tête pour obtenir ce qu'il voulait. Un milliard de fois, il eut l'intention de le faire, mais il commençait à connaître Thorin, et il savait que s'il se jetait à l'eau trop tôt, il ne réussirait qu'à tout gâcher. Au moins, maintenant, c'était parti sur de bons rails.
Il était patient. Il attendrait.
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Ce n'était pas comme ça, à vrai dire, qu'il imaginait le début de sa relation avec Thorin. Il pensait bien que l'autre finirait par craquer et l'embrasser à un moment ou à un autre (qu'il sentait de plus en plus proche au fil du temps), mais il n'avait pas prévu que ce serait sous le coup de la colère, en face de son ex-petit-ami (qui était, de plus, terriblement beau et beaucoup plus charismatique que Bilbo), et il n'avait pas prévu qu'il serait pris d'un accès de jalousie si violent que ça lui donnerait envie de tout foutre en l'air.
Et pourtant, c'était ce qu'il attendait depuis des mois – pouvoir enfin embrasser Thorin passionnément – qu'est-ce que ça faisait, si c'était devant son ex, si c'était juste pour le rendre jaloux ? Si Thorin se servait de lui, qu'est-ce que ça pouvait bien faire ? Mais un reste d'amour-propre qu'il ne savait pas qu'il possédait encore protesta violemment, et il bouillait encore de colère longtemps après être rentré chez lui.
Puis la colère laissa place à l'horreur – cette fois, il venait vraiment de tout gâcher en beauté. Tous ses efforts étaient ruinés. Non seulement il avait insulté Thorin, (j'espère sincèrement ne plus jamais te recroiser ! – bordel, mais il n'y avait rien de plus faux!) mais en plus, il lui avait clairement fait comprendre qu'il attendait depuis des mois de pouvoir être avec lui, et ça, s'il se fiait à son Petit Manuel du Thorin Oakenshield, c'était deux raisons suffisantes pour que Thorin ne cherche jamais à le revoir.
L'ex de Thorin. Il était beau, dans le genre glaçon, et Bilbo songea que l'inconnu allait beaucoup mieux avec Thorin que lui-même – si on omettait le fait qu'il lui avait fait un enfant dans le dos et qu'il s'était marié deux mois après leur rupture. L'expression de Thorin laissait entrevoir tant d'humiliation et de rage lorsqu'il lui avait dit ça que Bilbo s'était demandé s'il l'aimait encore.
C'était à cause de cet homme, s'il faisait deux pas en arrière pour chaque pas fait en avant ?
De toute façon, à présent, c'était du pareil au même – tout était fini. Il ne passerait plus jamais ses soirées sur le canapé de Thorin, il ne lirait plus ses histoires aux enfants, et il ne se perdrait plus dans le bleu de ses yeux.
Il aurait dû faire taire sa fierté, songea-t-il, roulé en boule tout habillé dans ses couettes, des larmes brûlantes de regret coulant sur ses joues. Il aurait dû s'écraser. Tout bien considéré, il préférait être utilisé, embrassé pour rendre jaloux son ex, plutôt que de rester cantonner au statut d'ami, derrière lequel Thorin se cachait soigneusement pour se protéger.
À peine avait-il formulé cette pensée que son amour-propre s'enflamma à nouveau – c'était honteux de penser à ça ! Il valait mieux que ça ! Il valait la peine que Thorin s'intéresse à lui pour de bon, et pas pour faire enrager quelqu'un d'autre !
Mouais. Il n'en était pas sûr.
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La nuit fut atroce – Bilbo ne dormit pas. Heureusement qu'il n'y avait pas école le samedi ; il passa toute la journée au lit, sans même aller se laver. Ce n'était pas comme s'il attendait de la visite, de toute façon ; Thorin ne savait certainement plus où il habitait.
Il avait tenté de l'appeler, tout de même, et lui avait laissé des messages ; mais Bilbo avait abandonné son téléphone portable dans la poche de sa veste en rentrant, en mode silencieux, et ne découvrit ses appels que le dimanche matin, après une nuit aussi agitée que la première.
Il y avait 54 appels en absence, et au moins une centaine de messages.
Où t'es ?
Bilbo, réponds-moi, s'il te plaît.
T'es rentré chez toi ? Pourquoi tu réponds pas à mes appels ?
Bilbo, je te jure que tu te trompes complètement, j'ai absolument pas fait ça pour rendre Thranduil jaloux !
Oh, alors il s'appelait Thranduil. Génial. Bilbo se serait bien passé de le savoir.
Je me fous complètement de ce mec, il se trouve qu'il était juste là par hasard dans la rue à ce moment !
Ok, j'admets que le timing n'était pas très bien choisi...
Mais je l'aurais fait même si Thranduil n'avait pas été là.
Réponds à mes appels, par pitié !
Bilbo...
Écoute, Bilbo, c'est un malentendu ! Pourquoi tu refuses d'entendre mes explications ?
Je t'ai embrassé parce que j'avais envie de t'embrasser. Je te jure que c'est vrai. Et que ça n'a aucun rapport avec l'autre abruti.
Le reste des messages n'apportait qu'une subtile variation au contenu, mais le fond était clair : Thorin ne le considérait pas comme une façon de rendre son ex jaloux.
Bilbo resta longtemps assis dans l'entrée de son appartement, le portable dans les mains, à relire les messages, les uns après les autres. Thorin n'en disait jamais trop sur ses sentiments, mais c'était bien normal, quand on le connaissait – il n'avait pas l'air du genre à dire "je t'aime", et certainement pas par SMS.
Les mains tremblantes, Bilbo faillit lui répondre, mais il y avait une chose qu'il redoutait par-dessus tout : c'était de revenir à ce qu'ils étaient avant. Et s'il lui répondait, il était persuadé que ce serait ce qui se passerait.
Non. Si Thorin le voulait vraiment, comme il avait l'air de le prétendre, il faudrait qu'il le prouve, et qu'il vienne le voir en personne. Et là, Bilbo saurait qu'il était sincère.
Il ne vint pas le dimanche. Bilbo gardait espoir qu'il se souvienne de son adresse, mais c'était précisément l'espoir qui l'avait mené là où il en était actuellement.
Ridicule.
Le lundi, il fit de son mieux pour expliquer à Fíli pourquoi il n'était pas venu à la fête, et pourquoi il n'irait plus voir Thorin à la boutique, sans entrer dans les détails, mais lorsqu'il lut la colère dans le regard de Fíli, il sut que le garçon avait tout compris de toute façon. Parlerait-il à Thorin ?
Même s'il lui en parla, Thorin ne se montra pas le lundi.
Fíli ne fit aucune mention du sujet le mardi, mais la colère avait disparu de ses yeux, et Bilbo songea que Thorin devait l'avoir briefé sur le sujet. Il offrit même à Bilbo un sourire compatissant qui donna envie à l'instituteur de se pendre – il n'avait pas besoin de la pitié d'un petit garçon de dix ans ; ce n'était pas ce qu'il y avait de mieux pour épargner sa fierté déjà en miettes.
Thorin ne se montra pas à la sortie de l'école, et Bilbo tenta vaguement de se convaincre qu'il ne rentrait pas chez lui la mort dans l'âme.
Ce ne fut que plus tard, ce soir-là, que la sonnerie aigrelette de l'interphone le fit sursauter, et il la contempla un instant, le cœur bondissant, avant d'aller répondre avec circonspection. Si ça se trouvait, c'était le voisin d'en dessous qui avait oublié ses clés, parce que Thorin ne se rappelait probablement pas de l'adresse, après tout, ça faisait plus de six mois, et –
- C'est Thorin. Tu veux bien m'ouvrir ?
Il était là. En bas de chez lui.
Le cœur de Bilbo palpita douloureusement, tandis qu'il contemplait l'interphone, incapable d'y croire. Thorin était là. En bas. Pour lui. Il se rappelait de l'adresse.
Après un long moment de silence, Bilbo appuya sur le bouton.
Lorsqu'il ouvrit la porte de son appartement, et qu'il découvrit Thorin, perdu sur le palier, visiblement indécis quant à savoir à quelle porter il fallait frapper, il eut envie de se jeter sur lui pour l'embrasser, mais ce fut l'amour-propre, ce traître, qui parla à sa place.
- Je n'ai pas le souvenir de t'avoir demandé de venir.
Il la regretta dès qu'il vit à quel point Thorin semblait douché par son accueil, et fut terrifié, un instant, à l'idée qu'il décide de repartir ; mais Thorin semblait avoir trouvé du courage au fin fond de lui-même, car il posa la main sur la porte, l'air décidé à s'expliquer, et Bilbo le fit entrer.
Thorin était maladroit. Bilbo l'avait toujours su, mais là, à le regarder se débattre avec ses mots, et ses explications, il réalisa pour la première fois l'ampleur de sa maladresse. Il comprit que Thorin n'arriverait jamais à s'en sortir s'il ne lui donnait pas un petit coup de pouce, et ça tombait bien – il avait beaucoup de choses à lui dire, lui aussi.
Ça ne voulait pas dire qu'il avait moins peur que lui. Il était absolument terrifié – il n'était pas exclu que Thorin le rejette une deuxième fois, et là, ça risquerait de passer beaucoup moins facilement que la première fois, dans la boulangerie, parce qu'il était bien plus amoureux de lui qu'avant.
Mais tant pis. Thorin était venu chez lui, et ça valait bien la peine qu'il essaie.
Il ne voulait pas le faire fuir, aussi garda-t-il pour lui la phrase fatidique "je t'aime", qui tournait pourtant en boucle dans son cerveau – mais Thorin sembla comprendre le message tout de même.
Et l'accepter.
Et le lui rendre.
Ses lèvres cherchaient celles de Bilbo comme s'il n'avait plus envie de se séparer d'elles, et pendant un instant, Bilbo eut l'impression qu'il allait exploser de joie, là, ou se liquéfier sur le parquet de son salon – parce qu'il avait beau en avoir rêvé pendant six mois, au fond, il n'avait jamais imaginé que Thorin finirait par dire oui un jour ; et la réalité était tellement mieux que tous ses fantasmes qu'il avait l'impression qu'il allait s'étrangler de bonheur.
Thorin était à lui, pour de bon.
Enfin.
Plus jamais il ne le laisserait partir.
.oOo.
Et voilà, mes enfants ! Je ne sais pas quand est-ce qu'on se retrouve, mais l'espoir fait vivre !
Des bisous !