Chemistry 11

L'endroit était aussi sombre qu'un four. Les murs épais et les fenêtres condamnées étouffaient la lumière, alors Sherlock tâtonna difficilement jusqu'à la chambre de l'avocat, regrettant de ne pas avoir emmené de quoi s'éclairer. Il tourna la poignée et fit quelques pas dans la pièce. Le plancher craqua sous ses pas, et il se baissa pour passer un doigt contre le sol.

- Aucune poussière... Murmura-t-il.

Sherlock se bloqua, réalisant. Il n'était pas seul.


Son cœur s'arrêta puis repartit erratiquement. Il était toujours accroupi, paralysé par la peur. Ses yeux tentaient vainement de distinguer quelque chose dans le noir quasi complet de la pièce. Et si la personne était là ? Dans la pièce, debout, immobile ? Le silence était assourdissant, le temps dilaté. Sherlock n'osait pas respirer. C'est à ce moment qu'il l'entendit.

Une respiration.

Derrière lui.

Il sauta sur ses pieds pour tenter de courir mais quelque chose de métallique et froid s'enfonça dans la peau de sa nuque, le faisant se figer. Un revolver.


John jouait avec le téléphone que Mycroft lui avait passé, peut-être pour l'occuper pendant ses interminables meetings, ou affaires, ou n'importe quoi qui le retenait pendant si longtemps. Il s'ennuyait à mourir. En plus, Sherlock ne répondait pas à ses SMS alors qu'il avait envoyé le premier 30 minutes auparavant. C'était bizarre. Les cours étaient finis depuis 45 minutes. Qu'est-ce qui pouvait empêcher Sherlock de lui répondre ?

C'était sûrement rien, mais… Il avait une mauvaise intuition. Après tout Sherlock était en plein sevrage, et il avait vu assez d'addicts dans son quartier pour savoir à quel point c'était dur d'arrêter ce genre de merdes, de son propre gré ou pas. Il envoya un quatrième message à Sherlock. « Tout va bien ? - John. »

Les minutes défilèrent lentement. 2 minutes. Rien. 5 minutes. Rien. 10 minutes. Toujours rien.

Quelque chose n'allait pas.

John sortit de la voiture, cherchant Mycroft des yeux, mais évidemment il n'était pas là. Il n'avait pas le temps d'attendre son retour, il n'avait pas son numéro. Il ne pouvait pas prendre un taxi, il n'avait pas d'argent sur lui. John partit à la recherche d'une station de métro, marchant si vite qu'il poussait les gens sur son passage. Il y avait deux possibilités : soit Sherlock était en redescente à cause de la cocaïne, soit il était parti enquêter et les choses avaient mal tourné. John arriva au métro, et hésita. Où aller ? Chez Sherlock ou chez l'avocat ? Si les choses avaient mal tourné pendant l'enquête, la vie de Sherlock était en danger. John dévala les escaliers pour partir vers la maison de l'avocat.

Sa jambe bougeait sans arrêt, ses doigts pianotaient nerveusement sur le bras du siège. John vérifiait l'heure toutes les deux minutes. Ça faisait une heure que les cours étaient finis. Si on comptait le temps de transport, Sherlock était depuis 10 minutes chez l'avocat. Et s'il arrivait trop tard ?


Sherlock avait l'impression qu'à la fois une seconde et une heure s'étaient écoulées depuis qu'on avait pressé une arme contre sa nuque. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, ses jambes tremblaient. Il allait mourir. Il allait mourir, il allait mourir, il devait faire quelque chose, n'importe quoi !

- Si vous me tuez, la police va rouvrir l'enquête et vous chercher, lança-t-il d'une voix aussi assurée que possible.

La personne ne répondit pas, mais pressa un interrupteur. Une ampoule fatiguée crépita faiblement au plafond. Sherlock n'avait même pas essayé d'allumer, certain que la police avait coupé le courant.

- Personne ne va me chercher, dit finalement la personne d'une voix grave.

- Je pense que le meurtre d'un adolescent va attirer des soupçons, répliqua Sherlock.

L'homme resta silencieux quelques secondes. Sherlock ferma brièvement les yeux, essayant de contrôler sa respiration et sa panique. Lentement, la pression dans sa nuque cessa, et Sherlock lâcha un soupir tremblant.

- Ce ne sera pas un meurtre, répondit enfin l'homme, coupant de nouveau la respiration de Sherlock.

Il pointa son arme sur la tempe de Sherlock.

- Ce sera un suicide.

- Vous avez tué l'avocat, Sherlock déclara tout à coup, tentant désespérément de trouver une distraction, de gagner du temps, n'importe quoi. Vous l'avez étranglé puis vous avez ajouté de l'ADN de sa femme autour de son cou, ce qui la désignait comme coupable, mais faisait de l'affaire un cas si particulier : la femme était morte des semaines plus tôt. Si ce n'était pas elle, comment la personne avait-elle eu l'ADN ? En fait, c'était la mère de la femme de l'avocat qui vous avait contacté, continuait-il à déblatérer, car sa fille était morte sous les coups de son mari abusif et elle voulait se venger. C'est elle qui vous a fourni l'ADN. C'était parfait mais la mère était trop fragile psychologiquement. Elle nous aurait tout avoué. Vous l'avez tuée avant-

- Tais-toi ! Cria l'homme.

Il enfonça l'arme contre sa tempe, et Sherlock déglutit, cessant abruptement de parler.

- Prépare-toi à mourir.

Un tsunami de panique déferla et détruisit tout sur son passage. Sherlock voyait des points blancs devant ses yeux. Il les ferma, incapable de continuer à fixer devant lui. Il ne pouvait plus respirer. Sa cage thoracique allait céder.

- Arrêtez ! Ne le tuez pas !

Sherlock rouvrit les yeux, paniqué et confus à la fois. C'était la voix de…

- Jim ? Il articula, la voix étranglée.

L'arme s'abaissa, et Sherlock fit volte-face pour voir Jim Moriarty, les yeux écarquillés fixés sur l'arme du tueur. Il allait se faire tuer ! Pourquoi est-ce qu'il l'avait suivi ?! Il avait échappé à la mort pour encore quelques secondes, mais combien de temps est-ce que ça durerait ? Sherlock jeta un œil au tueur, qui avait été brièvement pris de court par l'arrivée du lycéen.

- Cours ! Ordonna Sherlock, mais l'homme pointa son arme sur Jim.

- Essaye un peu pour voir, dit-il simplement.

Jim se figea, tremblant, les yeux bloqués sur l'arme. Sherlock ouvrit la bouche, sa voix vacillante :

- Si vous le tuez aussi, ça ne sera pas traité comme un suicide. La police va se douter de quelque chose, et ils rouvriront l'enquête. Ils vont relier le meurtre de la grand-mère et les nôtres.

- Tais-toi, gronda l'homme.

- Le lieu du crime les obligera à rouvrir l'enquête sur l'avocat. Ils vont comprendre qu'il y a eu un tueur. Vous.

L'homme pointa de nouveau son arme sur sa tempe, et pressa le métal froid contre sa peau brûlante, les yeux glacés. Sherlock ferma les yeux.

- Merde-

Il rouvrit rapidement les yeux et vit John attraper le poignet de l'homme d'un geste sûr, et en un mouvement vif, tordre son bras derrière son dos et arracher d'un coup sec le pistolet de sa main. Il braqua l'arme sur lui.

- Les mains en l'air.

L'homme souffla, et obéit.

- Retournez-vous.

Il tourna lentement, grognant en voyant l'adolescent de lui. John ne le quittait pas des yeux, les deux mains autour de l'arme. Sherlock avait amené Moriarty ; au moins, ils étaient en supériorité numérique.

- Sherlock, appelle la police.

Sherlock ne lui répondit pas. Peut-être qu'il était choqué.

- Sherlock. La police, insista John.

Toujours rien.

- Sherlock ne va appeler personne.

John fronça les sourcils, et jeta un regard rapide vers Sherlock, qui avait les yeux écarquillés. Moriarty pointait un pistolet droit sur lui, un petit sourire aux lèvres. Le cœur de John s'accéléra soudainement, mais il reporta ses yeux sur l'adulte, réaffirmant sa posture. Merde. Merde.

- Sherlock ne va appeler personne, Moriarty répéta d'une voix mielleuse. Qu'est-ce qu'il pourrait leur dire ? Il n'a même pas fini de résoudre l'enquête. Tu as compris que c'était un tueur extérieur après des semaines, et tu n'avais même pas son identité. Quel genre de détective tu fais, Sherlock ? Quel genre de génie tu fais ?

Il rit, un rire inquiétant.

- Tu parlais des enquêtes comme de jeux. Alors j'ai décidé de jouer, moi aussi. J'ai organisé ça, tout ça Sherlock, pour jouer avec toi ! Pour toi ! Et qu'est-ce qu'on s'est amusés, pas vrai ? Tu as aimé mes petits détails ? L'ADN sur le cou de l'avocat de sa femme qui était morte avant lui... Tu dois admettre que c'était cocasse. Les policiers n'ont même pas cherché à comprendre mais toi, tu as réfléchi. Jusqu'à ce que John Watson rentre en jeu.

Le ventre de John se noua. Quoi ?

- John Watson… Banal John Watson. Le rugbyman qui dort en cours, vraiment Sherlock. Tu t'es entiché d'un idiot et tu as perdu tout ton intérêt. Je croyais que tu le savais mieux qui quiconque ! Les sentiments sont inutiles !

Il devenait presque hystérique. John se contrôlait pour ne pas se tourner vers eux, mourait de frustration de ne pas pouvoir arrêter le discours de fou de Moriarty.

- Tu m'as déçu, Sherlock. Tu n'étais plus bon à rien après que John parte. J'ai joué avec toi, mais tu n'étais même plus drôle à tourmenter, Moriarty se lamenta d'une voix plaintive. Tu m'as tellement déçu. Même pas capable de résoudre mon petit jeu.

- ...C'est toi qui a commandité les meurtres, murmura Sherlock. Tu savais que je surveillais tous les meurtres inhabituels. Que j'irais dans la maison de l'avocat, que je me pencherais sur cette affaire. Que j'interrogerais la grand-mère. C'est toi qui l'as faite assassiner. Tu étais dans l'ombre, et lui c'était ton homme de main, pas vrai ? C'était toi.

Moriarty l'acclama joyeusement, et John déglutit avec peine, horrifié. Ce gars était un psychopathe.

- Bravo Sher' ! Fit-il d'une voix enthousiaste. Tu as résolu l'enquête. Super !

Il laissa le silence s'installer d'un coup, et John lui jeta nerveusement un coup d'œil. Il avait perdu son sourire.

- Tu m'as déçu, Sherlock. Je pensais qu'on était pareils, toi et moi. Des génies fascinés par le crime. Mais toi, tu as négligé ton talent. Tant d'intelligence gâchée par des sentiments ridicules.

Sherlock inspira soudainement, bruyamment, et John eut le temps de voir ses yeux paniqués fixés sur l'arme.

- Tu mérites que je te tue. Et c'est ce que je vais faire.

Tout se passa très vite. John poussa Moriarty. L'homme de main se jeta sur John. Sherlock se lança sur Moriarty, tenta de lui arracher son arme. John se débattit, sans succès, alors il enfonça l'arme où il pouvait et appuya sur la détente. L'homme perdit sa prise sur John, et tituba en arrière. John ne perdit pas de temps ; fit volte-face, cria à Sherlock de se pousser, et tira dans le pied de Moriarty.

- Putain ! Il cria, lâchant son pistolet pour agripper son pied, tombant à terre.

Sherlock attrapa l'arme et courut vers John, tenant en joue Moriarty qui jurait et gémissait pendant que John avait de nouveau son arme sur l'homme de main.

- La police va arriver bientôt, à cause des coups de feu, déclara Sherlock.

Il avait raison. Quelques minutes plus tard, des sirènes se firent entendre, et bientôt, des policiers gravirent des escaliers bruyamment. John perdit le fil à partir de là, l'adrénaline et la peur retombant. Sherlock expliqua tout en détail à la police. Une ambulance arriva quelques temps plus tard pour les blessés. Le téléphone de John se mit à sonner, le nom de Mycroft s'affichant sur l'écran.

- Allô ?

- Dans quel pétrin est-ce que vous vous êtes fourrés, encore ?

- Comment vous savez ? Demanda John d'une voix rauque.

- J'ai mes contacts.

- Vous n'êtes pas assez efficace. Vous êtes en retard. Sans moi, ça aurait mal fini.

Mycroft soupira, et John eut un petit sourire fatigué. Il aimait bien se moquer de Mycroft.

- Je le sais bien, John. Donnez vos témoignages à la police et je vous ramène.

- Non, ils veulent nous embarquer pour un interrogatoire.

- Non, ils ne veulent plus.

John se tourna vers les officiers, et repéra l'un d'eux qui fronçait les sourcils en écoutant sa radio, avant de hocher la tête et de dire quelque chose à ses collègues.

- Vous êtes bizarre, déclara simplement John. Je me demande où vous bossez.

- Le gouvernement. Tu en sais assez. Maintenant, donnez vos témoignages et sors avec Sherlock.

- Je sors déjà avec Sherlock, répliqua John avec un sourire en coin.

Il put presque entendre Mycroft lever les yeux au ciel quand le silence lui répondit.

- A tout à l'heure, John, soupira-t-il simplement, et John ricana avant de raccrocher.


Quelques semaines plus tard

- Je m'ennuie, marmonna Sherlock, affalé sur son bureau. John. Je m'ennuie.

- Hm.

Le blond ne leva pas les yeux de son téléphone caché derrière sa trousse, lisant avec attention. Sherlock soupira bruyamment, frustré du manque d'attention. C'était le pire cours de physique ayant été donné dans l'histoire de l'école. Comment est-ce que quelqu'un pouvait être aussi ennuyeux ?

- Joooohn. John. John, je m'ennuie, répéta encore Sherlock.

Silencieusement, John lui fit glisser son téléphone, et Sherlock lut le gros titre de l'article affiché. « Une affaire bloque la police ». Sherlock parcourut les détails, un sourire se formant lentement sur son visage. Il leva les yeux vers John, qui souriait, l'air satisfait de lui-même.

- Qu'est-ce que tu en penses ? Demanda-t-il. Ça vaut une enquête ?

Sherlock hocha la tête, et John eut un sourire en coin, récupérant son téléphone.

Lancement de l'enquête.