XLVIII. Où l'on Dit Au Revoir

Bien loin au nord, au-delà des frontières du Gondor, sur les berges du Long Lac, on aurait pu croire que Smaug avait émergé de sa tombe aquatique pour revenir exercer sa vengeance sur ses ennemis. Une véritable marée d'orcs avait marché sur Dale et Erebor depuis le Mordor et les Monts Brumeux, en balayant une partie de la Forêt Noire au passage. Les lumières de l'incendie se voyaient à des lieues à la ronde, d'après des marchands qui avaient tout juste eu le temps de filer par la rivière vers la relative sécurité du lac.

Esgaroth avait été relativement épargnée, ayant coupé la chaussée qui la reliait à la terre, mais les murs de Dale étaient de nouveau noircis par la suie des incendies et les portes de la ville avaient par endroits souffert des coups de bélier. La bataille avait duré des jours devant le flot toujours renouvelé de soldats ennemis. Les non-combattants avaient été dissimulés au plus profond des cavernes d'Erebor, et à présent c'étaient les blessés qui s'entassaient dans les salles.

Billa trottait d'un groupe à l'autre, des bandages propres et des fioles de vinaigre sous le bras. Ce n'était vraiment plus de son âge, mais les guérisseurs se trouvaient si complètement débordés qu'elle ne pouvait pas rester à se tourner les pouces. Une fois ses réserves épuisées, elle repartit toujours aussi vite vers l'infirmerie des quartiers de la garde pour refaire le plein. Alors qu'elle traversait l'immense salle du trône, elle sentit son bras gauche s'engourdir brusquement, puis une douleur lui traversa si brutalement la poitrine qu'elle crut d'abord avoir reçu un coup de couteau, mais non, il n'y avait rien sur sa veste, ni déchirure ni sang. Le sol bascula sous ses pieds et la dernière chose qu'elle vit fut la rangée de lanternes qui éclairait l'immense salle, et l'emplacement vide de l'Arkenstone.

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Des heures plus tard, alors que le soir tombait sur le plateau, les médecins et les convoyeurs avaient enfin terminé leur tâche. Il ne restait plus un corps sur le champ de bataille entre les deux cités. Tous avaient été ramassés ou brûlés en fonction du camp auquel ils appartenaient. Les brancardiers étaient si épuisés qu'ils ne prenaient même pas la peine de regagner leur domicile pour se reposer ils s'allongeaient sur la première couverture à peu près propre qu'ils trouvaient, et s'endormaient là. Les familles cachées dans les cavernes et les galeries émergèrent prudemment de leur refuge pour venir chercher qui un père, qui un frère, qui une sœur.

Parmi eux, Dwalin regardait les corps alignés dans le hall. Il les recomptait sans vouloir admettre que de tous les membres de la compagnie de Thorïn, il était le dernier encore en vie. Fili, Nori… tous les survivants de la quête et de ces longues décennies avaient trouvé la mort pendant ces cinq jours noirs de combat. Tous, sauf lui. C'était à n'y rien comprendre, alors qu'il se trouvait toujours au plus fort de la mêlée.

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Plus tard, Dinah dut prendre la plume pour annoncer la nouvelle à son frère. Elle resta longtemps face à sa feuille de papier sans savoir quoi écrire. Elle ne savait même pas dans quel état se trouvait la Comté à l'heure où elle rédigeait son brouillon. Avec un long soupir, elle trempa le bec de son stylet dans l'encrier et décida de ne plus s'arrêter avant d'avoir terminé. Puis elle monta tout aussi vite à la corbeautière pour y trouver un oiseau messager encore en état de voler. Elle devrait aussi trouver quelqu'un pour l'assister dans ses tâches diplomatiques. Azaghâl ferait très bien l'affaire, après tous les cours qu'il avait suivis en même temps que sa cousine et son frère aîné. Elle s'arrêta en équilibre sur une marche. Durin était roi, à présent.

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Plusieurs mois s'écoulèrent après la chute de Mordor avant que les Hobbits survivants ne revissent les frontières de la Comté, où ils trouvèrent beaucoup plus de shériffs et de vigiles qu'à l'accoutumée. Ces derniers vérifièrent leur identité à plusieurs reprises, et ne se départirent jamais de leurs armes tandis qu'ils cheminaient aux côtés des voyageurs sur des pistes marquées de profondes ornières. Il avait dû beaucoup pleuvoir, ces dernières semaines. Enfin ils parvinrent, après bien des barricades et des contrôles, jusqu'à Hobbitebourg, dont ils trouvèrent tous les accès également gardés, et certaines portions protégées d'une palissade.

- Mais qu'est-ce qui s'est passé ici ? marmonna Pippin. Et pourquoi y a-t-il autant d'arbres coupés ? Je ne me souviens pas non plus de ce grand moulin…

Enfin, ils parvinrent sur la place de la foire, où leur cousin Tobin, prévenu par un des vigiles, les attendait. Ils le trouvèrent, à leur grande stupeur, armé d'un arc et d'un carquois rempli de flèches, un couteau de Nain à la ceinture.

- Dis, Tobin, tu peux nous expliquer ce qui est arrivé en notre absence ?

- Tu veux la version complète ou un résumé ?

- Le résumé, intervint alors Pippin, car nous avons les fesses moulues d'avoir chevauché si longtemps. De plus il fait froid, et nous avons grand faim.

Tobin hocha la tête.

- Suivez-moi.

Il les mena au Dragon Vert, l'endroit sans doute le plus approprié pour se réchauffer et obtenir du soutien liquide en cas de mauvaises nouvelles. Le patron leur apporta des chopes de bière d'un air maussade, dont ils prirent une gorgée avant que Tobin ne commençât à leur résumer tout ce qui était arrivé pendant leur longue absence.

- Il y a quelques mois, un vieillard s'est présenté à la frontière est de la Comté, en haillons, accompagné d'un espèce de laquais tout aussi pouilleux et affamé que lui. Ils disaient avoir été chassés de chez eux par la guerre, ce que personne n'a remis en doute, et qui n'était que la stricte vérité, d'ailleurs.

- Comment cela ?

- Vous avez sans doute entendu parler de Saroumane et de son serviteur Grima, pendant vos voyages ?

Les deux cousins pincèrent les lèvres.

- Oh, ça oui, grommela Pippin. L'hospitalité de ses soldats laissait vraiment à désirer…

- Je croyais qu'il était resté enfermé dans Isengard sous la surveillance des Ents, commenta Merry. Pourquoi diable l'ont-ils laissé filer ?

Tobin haussa une épaule.

- Apparemment, il a réussi à les apitoyer. Puis il s'est dirigé tout droit ici, avec son laquais sur les talons. Il a commencé par circonvenir plusieurs shiriffs, qui lui ont permis de s'installer, puis il a parlé à un responsable de village, le convaincant de construire un moulin plus efficace et plus grand… Celui-là, je pense qu'on le gardera, d'ailleurs. Puis il s'est mis à parler de machines à vapeur, qu'il fallait alimenter au charbon de bois… Quelques crétins se sont mis à suivre ses recommandations sans réfléchir à la façon dont cela allait fonctionner sur le long terme. Et tous les bosquets du secteur se sont mis à tomber les uns après les autres, puis des bagarres ont éclaté quand d'autres Hobbits ont voulu empêcher les premiers de tout saccager…

- Et…

- Non, personne n'est mort du fait de ces… échanges. Quoique… Vous vous souvenez des deux fils de Lobelia ?

- Ces espèces d'avortons grincheux ? grogna Pippin.

- Ils se sont précipités pour venir en aide à ce magicien déchu, contre la promesse de récupérer Cul-de-Sac. Malheureusement pour eux, ils en ont parlé un peu trop tôt, et trop fort. Une troupe s'est levée pour mettre un terme à ces projets, et le vieux bonhomme a fini en cellule avec son comparse. On a découvert qu'un des fils Descarcelle était mort, à l'occasion. Quant à l'autre, il a préféré déguerpir.

- Soyez prudents, Saroumane a toujours eu la langue bien pendue. S'il parvient à circonvenir quelqu'un…

- Aucun risque, ricana Tobin. Le garde à sa porte est sourd. Nous attendons que Gandalf reçoive notre message et vienne s'en occuper. Encore quelques mois à patienter, et nous n'en parlerons plus.

Merry et Pippin échangèrent un regard narquois.

- Bien vu, cousin.

Puis Tobin parcourut le petit groupe du regard et se rembrunit.

- Où est Frodon ? Et Sam ?

Les deux cousins échangèrent un regard, aucun des deux ne souhaitant prendre la parole en premier. Cela seul suffit à Tobin.

- Je vois… Si vous souhaitez récupérer des choses à Cul-de-Sac…

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Hors des frontières de la Comté, l'ouest de la Terre du Milieu se remettait progressivement des suites de la guerre. Dans le Nord, les murs et les portes de Dale recevaient une nouvelle restauration après le passage des armées de Mordor, tandis que la moitié de Mirkwood avait été réduite à une poignée de souches noircies. Esgaroth avait eu plus de chance cette fois, et à l'exception de la jetée qui la reliait à la berge, rien n'avait souffert de la moindre destruction. Outre les bâtiments, c'étaient aussi les relations entre états qu'il fallait reconstruire, ceci dit.

Dans son bureau aux fenêtres donnant sur les vergers du flanc sud, Dinah tournait et retournait l'invitation entre ses doigts. Certes, en tant que membre du corps diplomatique d'Erebor, il entrait dans ses attributions d'assister aux mariages royaux, mais elle craignait, en se rendant à celui du roi Elessar, de paraître valider une bêtise. Car de son point de vue de politicienne, épouser la dame Arwen était certes merveilleusement romantique, mais guère profitable en termes d'alliance. Les elfes quittaient la Terre du Milieu ; la future reine n'amenait ni dot ni contacts ni armée, rien que son sourire et ses beaux yeux. Il eût été plus avantageux de choisir Eowyn de Rohan, quoique celle-ci se fût sûrement brûlé les ailes aux étroites limites du rôle. Quitte à prendre une épouse habituée à passer ses journées dans un salon à faire de la broderie, il aurait pu choisir Lothiriel de Dol Amroth. La grande cité portuaire s'était sentie quelque peu négligée durant le règne des deux derniers intendants, aussi faire d'une de ses filles la reine de Gondor rééquilibrerait la balance. Au lieu de quoi la jeune femme serait reine du Rohan. Dol Amroth ne faisait pas un si mauvais marché, mais les Rohirrim avaient un peu l'impression de s'être fait flouer.

En fin de compte, elle se résigna et prépara ses bagages pour se rendre dans le Sud avec son cousin Azaghâl. Des robes de cérémonie, ce qu'Erebor faisait de mieux en joaillerie… pour eux-mêmes, bien entendu. Les cadeaux qu'ils apportaient au nouveau souverain de Gondor comprenaient des gemmes taillées mais non serties, le style nain n'étant pas du goût des humains dans ce royaume, ni sans doute adapté pour la reine elfe qu'Aragorn comptait donner à son peuple. Puis ils se mirent en route, leurs poneys trottant au milieu d'une garde impressionnante.

Après trois semaines d'un trajet difficile au milieu de paysages ravagés par le passage des orcs (d'où la nécessité d'un train de bagages et de provisions conséquents), ils parvinrent enfin aux portes de la cité blanche, qui en dépit des efforts des ouvriers avait encore un peu de mal à mériter ce nom. Les premiers niveaux des remparts présentaient encore trous et taches de suie en abondance. Une fois les postes de garde franchis, la colonne monta jusqu'au quatrième niveau, où des quartiers non atteints par les combats leur avaient été réservés. Les lits étaient trop grands et les tables un peu trop hautes, mais on pouvait pardonner à une cité récemment assiégée de ne pas avoir de meubles à l'échelle pour tous les peuples de la Terre du Milieu. Le nouvel intendant, Faramir, avait fait de son mieux pour les accommoder en si peu de temps, et alors que lui-même relevait de blessures graves reçues lors du combat. Son père et son frère aîné n'y avaient pas survécu...

Le magicien gris, ou plutôt blanc à présent, vint leur rendre visite le soir même. Toujours aussi grognon que dans leurs souvenirs, d'ailleurs, alors même qu'il aurait dû être satisfait de la victoire et du retour au statut quo pour le double royaume d'Arnor et de Gondor. Il se posait encore beaucoup de questions sur certains détails de la campagne.

- J'aimerais savoir ce qui a pu le convaincre d'envoyer tant de bataillons vers le Nord, marmonna ainsi Gandalf lors de son second souper avec la délégation naine.

Les deux diplomates de Sa Majesté échangèrent un regard ennuyé. Aucun d'eux ne voulait rapporter le plan qu'ils avaient utilisé, du moins pas en détail.

- Il est possible que nous ayons mentionné la présence d'un artefact intéressant, finit par admettre Dinah en regardant ailleurs.

- Vous lui avez fait savoir que l'Arkenstone était toujours accessible, en déduisit le magicien.

Ils opinèrent, soulagés de ne pas avoir à s'étendre plus avant sur la ruse que la Montagne avait employée pour garantir une victoire plus sûre au Gondor.

- Il va falloir que je me rende en Erebor pour débrouiller un peu cet écheveau…

- Je doute que vous trouviez quiconque capable de vous dérouler le plan du début à la fin.

Gandalf haussa un sourcil broussailleux en guise d'interrogation. Azaghâl secoua la tête.

- Je ne crois pas que vous compreniez ; ils sont morts. Fíli, et Dáin et Brand, Billa, Nori... Tous morts.

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Les différentes délégations repartirent au bout de près d'un mois de festivités… et de négociations. Le Gondor avait besoin d'aide pour la reconstruction, après avoir perdu tant d'hommes adultes pendant la guerre, et que la moitié de ses terres était réduite à l'état de friches couvertes de ronces ou de cendres. Tout cela, bien sûr, n'allait pas sans frictions ni incompréhensions issues de barrières culturelles, que Dinah rapporta à son cousin, lequel avait été couronné dès le retour de ses diplomates. Elle lui confia en même temps une lettre du roi de Gondor.

- Il n'aurait pas dû laisser Gandalf le couronner, dit Durin en tapotant le rouleau de parchemin sur le bureau. Beaucoup de gens vont dire qu'il est roi du seul fait du magicien - tous ceux qui ne sont pas ravis de revoir le Gondor reprendre la première place.

- Et nous en faisons partie, rappela Dinah tout en feuilletant un autre rapport.

- Bien évidemment. Le concept de cités libres leur a toujours échappé.

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Merry et Pippin avaient retrouvé leur vie d'avant la guerre, ou plutôt, tentaient de la retrouver. Ils s'étaient bien rendu compte qu'ils n'étaient plus aussi bienvenus dans leur petit pays qu'auparavant. Ce que la fortune et l'excentricité pouvaient excuser semblait avoir des limites. Tobin ressentait à peu de choses près la même impression. La Comté l'ennuyait profondément. Non, correction : la Comté le révoltait profondément. Tout le monde paraissait avoir balayé les événements de l'année précédente sous le tapis et agissait comme si rien n'était arrivé. On parlait toujours jardins, mariages, naissances et personne ne semblait se rendre compte que le père Gamegie avait perdu toute joie de vivre et que son épouse sortait à peine de chez eux à présent. Le chagrin de Rosie était tout aussi superbement ignoré, et certains trouvaient même de mauvais goût qu'elle refusât les avances d'un tel ou d'un autre. Tobin supposait que la robe de mariée qu'elle avait commencé à coudre resterait à l'état d'ébauche pendant longtemps, voire pour toujours.

- Tous les porteurs d'anneaux partent pour les Terres Immortelles, dites-vous ? Maman a eu de la chance, commenta Tobin, un soir qu'il partageait un sachet d'herbe à pipe et de la bière avec son jeune cousin Touque. Elle peut rester auprès des gens qu'elle aimait. J'imagine que si Frodon et Sam étaient revenus, eux aussi auraient dû monter dans le bateau.

- Et Rosie Cotton n'aurait pas été plus avancée, soupira Pippin, le nez dans sa chope. Pauvre fille...

Les deux cousins hochèrent tristement la tête et finirent leurs bières.

- Je m'ennuie, finit par avouer Pippin après un long silence. L'aventure me manque. Pas Gandalf qui me traite d'idiot et me file un coup de bâton dans les chevilles bien sûr, mais ça me plaisait, de faire quelque chose. Ici, on s'encroûte.

Tobin voyait très bien où son cousin voulait en venir.

- Tu veux repartir ?

Pippin hocha lugubrement la tête.

- Si je reste plus longtemps ici, ma cervelle va finir par moisir et s'écouler par mes oreilles, dit-il avant de vider une nouvelle lampée de bière. Je vais aller en Ithilien, je pense bien, et aider Eowyn et Faramir à remettre la région en état. Et toi ?

- Il paraît que les Hobbits sont originaires des bords de l'Anduin. Je vais faire un tour par là et voir dans quel état ça se trouve, répondit Tobin. Mais avant, j'irai dire au revoir à mon père.

- Tu emmènes ta petite famille ?

- Il n'y a que mes deux derniers qui aient l'air de s'intéresser aux aventures. C'est toujours mieux que rien, admit Tobin en traçant du doigt les cercles laissés sur la table par le fond de sa chope.

Pippin approuva de nouveau avant de finir sa propre boisson. Les deux compères firent donc leur baluchon et partirent sans tambours ni trompettes en direction du sud, quelques affaires chargées sur le dos de leur poney, les cadets de Tobin les suivant dans une petite carriole.

Ce fut à peine une surprise lorsque Merry Brandebouque se joignit à eux à leur passage devant Château-Brande.

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Les lettres en provenance du Gondor se suivaient sur le bureau de Durin, n'étaient pas plus plaisantes d'un envoi sur l'autre. Le double royaume tentait d'agrandir encore sa zone d'influence pour pallier l'état d'abandon de ses surfaces agricoles et le fait que la majorité des mines appartenait aux Nains. Dale et Esgaroth ne l'entendaient pas de cette oreille, pas plus que la province de Dorwinion. Autre décision prise par le nouveau roi qui fit hausser bien des sourcils sous la Montagne, l'attribution à la Comté d'une extension à l'ouest.

- N'y a-t-il pas des habitants sur ces terres ? s'enquit Durin auprès de Dinah.

- Tobin me dit que ces landes sont surtout fréquentées par des berges itinérants, mais une fois les Hobbits installés, elles seront définitivement fermées à leurs troupeaux. Aragorn veut que les humains restent entièrement à l'écart du petit peuple.

- Et personne n'a songé à leur demander leur avis, je suppose ? demanda le jeune souverain.

Sa cousine secoua la tête.

- Tsss... fit Durin. Même pas une année en poste, et il peut déjà s'attendre à ce que ses soldats reçoivent des pierres sur la tête quand ils viendront faire appliquer ses décrets. Dieux bons ! pesta-t-il ensuite. Sans vouloir t'offenser, cousine, qu'est-ce les Hobbits, en tant que peuple, ont donc fait pour mériter un tel cadeau ? Cinq d'entre eux, en tout et pour tout, ont quitté les frontières de leur petit pays pour apporter de l'aide au reste de la Terre du Milieu. S'il fallait récompenser les autres peuples dans les mêmes proportions, je n'ose imaginer ce que les humains et les Nains pourraient alors réclamer !

Dinah haussa un sourcil dans une mimique très semblable à celle de son père.

- Tout ce que les elfes laissent derrière eux ? suggéra-t-elle.

- On pourrait faire quelque chose des cavernes de Thraduil, éventuellement, musa le Roi sous la Montagne. Elles sont immenses, riches en ambre... il doit probablement y avoir un peu de charbon dans les strates les plus profondes... Les humains hésiteront à s'en approcher d'abord parce que le sol ne produit pas beaucoup, et ensuite à cause de certaines superstitions que les oreilles pointues ont répandues pour qu'on les laisse tranquilles.

L'idée lui plut tellement qu'il commença à préparer des plans pour l'installation d'une petite colonie de mineurs dans les grottes souterraines dès que les elfes auraient entièrement vidé les lieux.

Les elfes partaient en effet. Le nettoyage de Mirkwood paraissait une victoire bien creuse et vide de sens à présent que les habitants de la forêt la quittaient pour les Havres Gris. Fendeval et la Lorien se dépeuplaient également. On voyait passer les longues files de belles gens en direction de la mer sur les chemins, entre les Monts Brumeux et la Comté, de plus en plus nombreuses. Leurs souverains, Thranduil excepté, toujours muré dans ses cavernes assombries, avaient déjà quitté la Terre du Milieu, emportant avec eux les derniers restes des anneaux de pouvoir. Combien de temps un elfe isolé pouvait-il survivre à la solitude ?

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Bien sûr, le roi sous la Montagne fit parvenir ses félicitations à son confrère pour la naissance de son premier fils et héritier, ainsi que de magnifiques cadeaux pour l'enfant, mais les relations entre Terres boréales et Gondor ne se réchauffèrent pas pour autant. Les tentatives du Sud d'établir une forme de suzeraineté sur les populations humaines au nord de Mirkwood ne passaient pas. D'autres changements, plus bienvenus, survinrent sur les marges du royaume. Une petite colonie agricole commençait à s'établir en Ithilien, et les trois cousins hobbits s'y précipitèrent dès qu'il fut possible de quitter la capitale et la Cour sans paraître grossiers. Pippin retrouva Faramir avec plaisir et lui présenta Tobin, avec qui l'intendant noua rapidement une relation amicale. Eowyn se montra tout aussi accueillante bien que légèrement moins disponible à présent qu'elle devait surveiller ses jardins et son fils de trois ans, Elboron.

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Depuis Erebor, Durin faisait des projets pour restaurer la grandeur du royaume de Khâzad-Dum, ce qui était à présent possible, orcs et gobelins ayant été traqués et tués, et le fléau de leur lignée détruit pour toujours, mais son frère et ses cousins savaient que ce serait là le dernier coup d'éclat de leur peuple. Cela incita quelques Nains à tenter de préserver leur héritage autrement que par des chroniques et des œuvres d'art. Ils commencèrent à quitter la Montagne pour se rendre parmi les humains. Dinah choisit cette solution elle aussi, et Azaghâl la trouva un matin assise sur un rocher à l'entrée de la cité souterraine, un grand sac de voyage à ses pieds, profitant encore du paysage baigné de soleil.

- Es-tu bien sûre de vouloir partir maintenant ? demanda-t-il. Il reste encore bien des choses à faire avant la fin.

- Durin s'est réincarné pour la dernière fois, répondit doucement Dinah sans quitter l'horizon des yeux. Notre sablier sera bientôt vide. J'appartiens à deux peuples dont l'un va disparaître. C'est le temps des Hommes qui se prépare, aussi je vais aller chercher auprès d'eux l'avenir de ma Maison.

Elle se releva et épousseta sa robe bleue.

- Adieu, cousin.

Reprenant son bagage, elle descendit vers Dale.

Fin


Et voilà, l'histoire est terminée.

Un grand merci à tous de l'avoir suivie jusqu'au bout.