Bienvenue dans un petit conte chargé d'amour, de magie et de tragédie légendaire ! Au programme, des SPPSeries avec du Grey x Meldy et du Ultear x Zeleph. Je vous souhaite une excellente lecture !

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CONTE DE LA ROSERAIE

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Il était une fois un Agent de la Mort qui s'ennuyait et songeait à prendre compagne. Ce n'était pas chose facile : les femmes avec lesquelles il faisait connaissance étaient rarement bien disposées à son égard. Pensez-y ! qu'auriez-vous fait, si la Mort venait vous passer un petit coucou ? Et pour les rares créatures qui toléraient son métier ingrat, il s'agissait principalement de sorcières, vieilles, aigries, laides, le nez crochu et la peau ridée, fripée, avec d'énormes pustules sur toute la figure. Le pire était qu'il n'avait pas la tête de l'emploi, bien que sa peau soit d'une pâleur mortelle et ses cheveux d'un noir d'encre, ce qui faisait que même les plus affreuses d'entre elles peinaient à le prendre au sérieux. Il arrivait donc que les immondes servantes de Satan lui fassent des avances, ce qui avait la fâcheuse manie de le mettre en colère – et une fois qu'il s'était mis en colère, son pouvoir de faucheur se mettait en marche et il n'y avait plus personne à épouser, juste des cadavres à transporter au Paradis ou aux Enfers –. C'était un paradoxe qui le chagrinait énormément.

Un jour, las d'entendre ses complaintes incessantes, la Mort l'envoya devant son supérieur, Dieu, histoire de le faire la boucler dans les plus brefs délais. Dieu reçut donc l'Agent qui lui confia ses peines, à savoir son incapacité à trouver l'amour. Bien embêté, le Tout-Puissant, qui n'avait pas que ça à faire, lui tapa sur l'épaule et lui promit qu'il trouverait très bientôt chaussure à son pied. La chaussure en question, lui confia-t-il, il la trouverait lors de sa tournée, le premier jour de l'hiver. D'après ce grand Sage, l'Agent la reconnaîtrait immédiatement et leur histoire serait dès lors parfaite, car ils seraient l'un à l'autre. Dieu, pour faire bonne mesure ajouta un éventail magique qui faisait oublier instantanément son histoire à tout mortel qui le voyait tournoyer. L'Agent avait l'habitude de ce genre de gri-gri magique. Il s'en empara avec un remerciement, et Dieu lui tapa l'épaule pour lui dire au revoir. L'Agent s'en retourna donc chez lui.

Or, il arriva que le Roi du Nord tombe gravement malade. Toute une foule de médecins, de pleureuses et de charlatans se pressa à son chevet, mais c'était à peu près aussi utile que de souffler sur des pales de moulin. Le Roi allait mourir. C'était inscrit dans les registres de la Mort, et l'Agent, qui était consciencieux et qui opérait justement dans cette zone géographique donnée, se rendit à l'heure que lui indiquait son emploi du temps pour finir ce qu'un vilain accès de goutte avait commencé.

L'Agent était plutôt curieux. Ce n'était pas tous les jours qu'il avait l'occasion de pénétrer dans une chambre royale. Bien sûr, il avait un palais lui aussi, comme tout brave fonctionnaire de la Faucheuse, qui rutilait et foisonnait de gadgets magiques. Mais le monde des humains était un autre monde, et ainsi la demeure des puissants. Cela faisait bien quelques siècles qu'il n'avait pas fait de visite au gratin royal en son palais, puisque les derniers rois et reines étaient morts respectivement à cheval, à la guerre, à la chasse, dans un tournoi et lors d'une visite de courtoisie qui était hors de son domaine de juridiction. Il pénétra donc avec l'esprit en éveil dans la suite royale.

Le Roi était dans son lit et agonisait depuis un moment déjà. L'Agent avait eu quelques soucis avec une gamine qui refusait de partir sagement, et avait dû lui courir après pendant une bonne demi-heure avant de pouvoir poursuivre sa tournée. Ça avait obligé le roi à l'attendre. Il s'en voulut un peu – la souffrance n'était jamais jolie à regarder – mais bon, ce n'était pas dans la mort que ce brave gars aurait le plus mal.

-Bonjour, fit-il à l'homme qui était le seul à l'apercevoir.

Celui-ci, qui n'avait pas très envie de faire son dernier voyage, poussa un hoquet de terreur et tenta, dans un soubresaut maladif, de lui échapper. Comme il était dans un piteux état, il réussit tout au plus à s'agiter de quelques centimètres et à agripper ses draps. La femme à son chevet et qui était sûrement la Reine lui prit la main et la serra, larmoyante, le suppliant de ne pas bouger pour éviter de perdre ses dernières forces. L'homme l'ignora, se débattit et balbutia des paroles incompréhensibles, dans l'ultime espoir d'échapper à son sort.

L'Agent de la Mort soupira. Il avait l'habitude de ce genre d'accueil chaleureux. Il approcha donc sa grande faux de service du mourant et la lui abattit sur le cou.

C'est seulement lorsqu'il se recula qu'il s'aperçut du regard posé sur lui. C'était celui d'une petite fille, tout près de la Reine. Elle n'avait pas l'air d'avoir peur. Juste d'être curieuse. Son regard intéressé brillait. L'Agent, qui n'avait pas l'habitude, se tourna vers elle.

-Allons donc, tu es la prochaine ?

Il consulta son carnet de morts, mais aucune identité correspondante n'apparaissait. Il la dévisagea, intrigué. Elle avait un joli visage bien dessiné et très blanc, comme une poupée de porcelaine, une ravissante petite bouche cerise et de longs cheveux lisses d'un noir de jais. Ses traits ressemblaient beaucoup à ceux de la Reine. Elle était belle comme un cœur, il était vrai, et elle promettait de devenir une jeune femme encore plus magnifique. Cela fit à l'Agent une curieuse sensation, comme si son cœur et son foie avaient décidé de danser la salsa entre ses tripes sans son accord. C'est à cet instant qu'il se rendit compte qu'il était amoureux.

-Ah non ! Vous n'allez pas me piquer ma fille, en plus ! maugréa le mort qui n'avait rien raté de la scène.

L'Agent lui donna un coup de faux sur le crâne pour le faire taire, et le Roi tomba dans les vapes. Puis, comme plus personne ne le dérangeait dans son entreprise, il alla voir la petite fille et se mit à sa hauteur pour lui dire bonjour.

-Vous avez tué mon papa ? demanda la fillette avec une curiosité morbide.

L'Agent s'étouffa dans sa salive.

-Non, euh… il est juste parti faire un long somme. Oui, c'est ça, je l'ai aidé à s'endormir.

-Et vous allez faire pareil pour moi ?

L'Agent toussa un peu fort. Puis il fouilla dans son sac à la recherche de son miroir magique, qui lui indiqua que l'enfant se prénommait Ultear. Il dénicha enfin l'objet qu'il cherchait véritablement : l'éventail magique que lui avait offert Dieu lors de leur entrevue. Il le déplia, prit quelques secondes pour en comprendre la marche et l'ouvrit avant de l'agiter devant ses yeux.

-Tiens, vise-moi ça, dit-il à la gamine.

Alors le regard de la fillette se fit vague.

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-Meldy ! Qu'est-ce que tu fais ?!

La jeune fille sursauta. Elle ramassa ses robes et courut se cacher derrière un buisson aux feuilles d'argent massif, piétinant au passage tout un parterre de tulipes en rubis. Une grande et très jolie femme avançait à longues enjambées dans sa direction. Elle avait de longs cheveux noirs et une frange bien nette, et était vêtue de la manière la plus élégante et la plus raffinée qui soit. Son visage, lui, marquait une franche inquiétude. Meldy se recroquevilla davantage tandis que le regard charbonneux parcourait les environs. Malheureusement, son geste de recul la fit trébucher. Elle bascula en arrière et se cogna sur l'arrête d'un pot de fleurs.

-Aïe !

Le regard de la femme fusa aussitôt dans sa direction. Ses sourcils se froncèrent, et elle s'embusqua dans le parterre. Inévitablement, elle finit par trouver la petite fugitive.

-Bon sang, Meldy ! Je t'ai cherchée partout !

-Oui, oui, maugréa la fautive en époussetant la terre qui maculait désormais sa robe.

-Il n'y a pas de ça ! Tu sais très bien que ce jardin est dangereux ! Tu aurais pu respirer des odeurs de Trompe-la-Mort, ou, pire, te laisser tenter par des baies de Belladonève !

-Je sais, je sais…

La femme se mit en colère.

-Tu ne sais rien du tout ! La preuve, tu es là !

-Mais tu ne me laisses jamais sortir ! gémit la jeune fille. Si je t'écoutais, je passerais ma vie enfermée dans cette maudite tour à écouter les oiseaux à ma fenêtre !

-C'est pour ta sécurité. Le monde extérieur est dangereux.

-Ma sécurité, c'est ça. Je m'en fous, de ma sécurité. Ce que je veux, moi, c'est être libre.

Le regard sévère de son interlocutrice la fit se lever. Elle soupira, puis elle prit la direction du Palais sous bonne garde. Le regard de la femme ne la lâcha pas une seconde. C'est seulement lorsqu'elle fut à l'intérieur qu'elle chercha un nouveau moyen de distraction. De distraction, ou de fugue.

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Ultear soupira. Son amant pénétra dans le petit salon et déposa manteau et affaires de voyage, puis il s'approcha d'elle et la prit dans ses bras. Il posa un baiser chaste sur son front. Elle soupira de contentement et se lova contre son torse, mais aussitôt cela passé, une ride vint barrer son front.

-Qu'est-ce qui te préoccupe ? s'inquiéta Zeleph en caressant le méchant pli.

-Meldy a encore fait une fugue. Je l'ai retrouvée dans le Jardin. Elle avait des grains d'aconit sur sa robe.

L'homme dessina de petits ronds sur son poignet.

-Ne t'inquiète pas, c'est de son âge. Ça va lui passer.

Ultear recula brusquement de son étreinte.

-Non, justement, je ne peux pas. Peu importe si cela doit s'arrêter dans un ou deux ans. C'est sur ces années-là qu'elle risque de se faire tuer, alors je ne veux pas la relâcher comme ça. Le jardin est dangereux. Elle n'a pas conscience du danger. Et si elle s'écorchait dans les Roses des Glaces ? Tu imagines ?

-Crois-moi, souffla son amant, si elle devait mourir prématurément, je serais au courant.

-Et comment ?

Il ne répondit pas.

La jeune femme se mit à tourner en rond dans la pièce, ponctuant sa marche de grands coups de talons furieux. Zeleph la suivit d'un œil amusé. Celle-ci ne trouva pas cela drôle. Le regard qu'elle lui jeta, si cela avait été possible, aurait dû le tuer sur place. Cela lui arracha un sourire affectueux. Ce qui la fit trépigner davantage.

Meldy n'était pas leur fille biologique. Ils l'avaient recueillie alors qu'ils fêtaient leurs noces, une nuit de mai. La petite était orpheline et Ultear s'était reconnue en elle. Elle s'y était tant attachée que désormais rien ne pouvait compter plus. La gamine lui était devenue plus chère que la prunelle de ses yeux.

-Tu repars quand ? demanda-t-elle à son amant pour briser le silence.

-Demain à l'aube, répondit Zeleph.

Ultear soupira. Son mari avait beau vivre comme un prince dans le plus merveilleux endroit du monde, il en profitait peu. Il était toujours en vadrouille pour son travail, un truc un peu complexe d'Ambassadeur qu'elle ne saisissait pas.

Elle décida de lui faire la gueule, même si cela ne devait durer qu'une seconde. Zeleph saisit sa manœuvre et soupira. Patient, il commença à déboutonner ses manches et le haut de sa chemise, en apparence pour se mettre à l'aise, tout en guettant sa réaction. Il passa une main distraite dans ses cheveux. Il avait pas mal bossé, et de la sueur lui perlait sur le front. Puis il fit mine de quitter la pièce.

-Reste !

L'injonction était un ordre peu amène, mais il y obéit. Ultear se lova contre son dos et il se retourna dans son étreinte. Il sourit, lui attrapa le menton et commença à lui embrasser doucement les clavicules. Ultear laissa échapper un râle.

L'amour qu'Ultear portait à Zeleph était proche de la folie. Il avait été son sauveur, dans ses jeunes années. A l'époque, Ultear était encore la princesse d'un royaume qui était le leur, mais sa mère l'avait abandonnée lorsqu'elle avait découvert ses aptitudes à exercer la magie. C'était Zeleph qui l'avait recueillie alors. Il le lui avait narré mille fois. Elle était trop jeune à cette époque pour s'en souvenir. Aujourd'hui, n'en subsistait pour preuve que sa ressemblance frappante avec sa mère, le reste tenant de son père défunt. La Reine n'avait jamais cherché à prendre de ses nouvelles. Elle devait être contente de s'être débarrassée d'une anormalité comme elle. A la place, elle avait trouvé un nouveau mari et ses deux enfants, les princes Lyon et Grey, qui semblaient bien mieux lui convenir. Ultear les haïssait sincèrement tous les quatre et passait la majeure partie de son temps libre à échafauder des plans pour les assassiner, autant qu'ils étaient. Elle avait déjà réussi à venir à bout de son beau-père.

-Tu as des nouvelles de l'Autre Palais ? demanda-t-elle entre deux baisers.

-La Reine est malade, émit Zeleph avec un regard soupçonneux. Les deux gamins cherchent un parti intéressant pour la succession. Ca fait jaser le peuple, et toutes les filles gloussent et se pavanent dans l'espoir qu'elles auront leur chance. Sinon, c'est tout.

Ultear émit un petit bruit satisfait. Zeleph fronça les sourcils.

-Toi, tu as enco…

Ses mots se noyèrent dans un grondement. Ultear posa un index sur le suçon qu'elle lui avait laissé, et lui sourit d'un air de requin.

-Il n'y a pas de raison qu'on ne profite pas de ta soirée ici. Laisse tranquille les grands de ce monde, ils sauront nous attendre. A ce propos, tu ne m'as pas dit qu'on avait le seul jardin du pays à posséder des Roses des Glaces ?

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Grey était inquiet. Sa mère était plus pâle de jour en jour. La malchance qui les poursuivait n'avait décidément pas de limite : si cela continuait, il allait perdre Ul à une quinzaine de mois d'intervalle avec le décès de son regretté père. Le pouvoir l'intéressait nettement moins que la santé de ses proches. Or, l'affection dont sa mère était atteinte, disaient les médecins, était incurable sans le recours à une herbe rarissime que les plus éminents botanistes du pays pourchassaient depuis maintenant des mois. Cela s'appelait la Rose des Glaces, et, pour ce qu'on en savait, c'était autant un remède miracle par ses fleurs qu'un fléau pour ses épines. Une simple éraflure, disait-on, pouvait vous plonger dans un sommeil éternel. Une graine suffisait elle à une mort violente et instantanée. Et malgré la folie qui avait entouré cette recherche - les princes avaient promis d'épouser la fille de celui qui rapporterait cette panacée -, l'échec était toujours total.

Ils étaient en pleine réception à la Cour, lorsqu'un homme misérable s'approcha de son frère et lui. Dans un premier temps, Lyon voulut le faire chasser, furieux que les gardes n'aient pas arrêté pareille vermine – ses vêtements partaient en lambeaux – mais celui-ci les arrêta d'un mot bien placé.

-Votre Rose des Glaces, Messires.

Grey haussa un sourcil intrigué.

-Je sais où la trouver.

-Et pourquoi n'y vas-tu donc pas, si cela est vrai ?! s'irrita l'aîné.

-Parce que c'est un endroit beaucoup trop dangereux pour un pauvre hère comme moi !

L'homme frissonna.

Lyon, impatient, crut visiblement à une farce, car il héla un garde du palais pour chasser le malotru. Mais Grey l'arrêta d'un geste de la main et lui adressa un regard éloquent. Le soldat repartit à sa place. Le prince prit alors une voix à peine plus clémente pour l'interroger.

-Parle.

Le mendiant prit une inspiration.

-Le Palais de la Grande Faux.

-Pardon ?

-Le Palais de la Grande Faux. C'est comme ça qu'on appelle l'endroit où se trouve cette herbe. Un palace nordique qu'on dit habité par des démons, et dans lequel se trouve un jardin mortel où l'on trouve toutes les espèces les plus merveilleuses du monde.

Grey ne put s'empêcher de se montrer soupçonneux.

-Je n'ai pas de fille à marier, s'expliqua l'homme. Et je ne demande rien. C'est pour le bien du Royaume.

Lyon le coupa alors qu'il tentait de placer une nouvelle phrase :

-Montrez-moi ça sur une carte.

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Lyon chevaucha pendant des jours. Lorsqu'il arriva enfin, une jeune fille aux cheveux roses tentait de s'enfuir en attachant ses draps, et manquait de tomber de la hauteur d'une tour. Elle hésitait. Elle avait visiblement le vertige. Il la fixa quelques instants, intrigué.

-Vous ne voudriez pas m'aider à m'enfuir ? supplia l'apparition.

-Je suis occupé, rétorqua-t-il, outré qu'une fille du peuple ose lui adresser la parole. Je vais au jardin de la Grande Faux.

-ULTEAAAAAAR ! hurla la menue créature à la fenêtre.

On n'entendit plus jamais parler de lui.

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Grey arrivait à peine à le croire. Il existait un palace plus grand, plus riche, plus somptueux que la demeure royale. Les briquettes qui le recouvraient étaient rouges et les tuiles d'un noir de jais. Les fenêtres s'ornaient de plantes luxuriantes. La muraille qui encerclait le jardin était, elle, lisse comme le verre, et paraissait infranchissable. Car c'était bien le jardin qui l'intéressait. Il avait soudain quelques hypothèses sur l'échec de son frère. Pourtant, nul gardien monstrueux ne l'attendait et il se demandait presque pourquoi il avait apporté son épée.

Il commença à faire le tour du mur huilé. Une grille monumentale, tout aussi polie, était le seul accès vers l'intérieur, mais il ne s'attarda devant que le temps qu'il lui fallut pour comprendre qu'il n'en possédait pas la clé. Il se rabattit alors sur un tour du propriétaire en toute discrétion. Il se doutait bien que si le jardin était réputé inviolable, les propriétaires du château ne devaient pas être du genre à vous y inviter gentiment. C'est ce tour qui lui permit de conclure que le moyen le plus sûr d'entrer était tout simplement de s'aider des murs du palais et d'en sauter. C'était, en revanche, un coup à se rompre la colonne vertébrale, et cela n'offrait pas non plus de garantie de sortir.

Résigné, il s'attelait néanmoins à l'exercice lorsqu'une petite voix fluette lui fit lever la tête. Elle provenait de la plus haute fenêtre de la plus haute tour du château, à savoir celle qu'il était en train d'escalader. Il se dévissa le cou pour voir qui l'interpellait ainsi, guettant le moindre danger. Ce qu'il aperçut lui fit lâcher la paroi de surprise.

C'était une jeune fille belle comme le jour dont les cheveux roses dégoulinaient le long des épaules et dans le dos. Ses yeux, eux, étaient deux orbes verts qui miroitaient dans la lueur de l'après-midi.

-Psssst ! Hé, toi, en bas !

Grey sentit son cœur faire quelques sauts périlleux. Il avala sa salive avant de répondre difficilement.

-Oui ?

-Tu pourrais pas m'aider à me barrer ?

L'esprit de Grey se mit en pause.

-Euh… o-oui ? balbutia-t-il.

L'apparition lui adressa un sourire rayonnant. Elle rejeta ses cheveux en arrière, tenta de les nouer, abandonna et releva sa robe avant de se mettre à enjamber la fenêtre dans un geste que son cerveau eut du mal à qualifier - stupide, dangereux, suicidaire ? -.

-T'es le meilleur ! fit néanmoins la fille avec un clin d'œil, ce qui balaya en lui tout esprit critique. Je compte sur toi pour me rattraper !

Et sur ce, la fille se jeta dans le vide.

Grey ne sut par quel réflexe prodigieux il la rattrapa. Evidemment, on ne lui avait pas enseigné dans ses cours du soir qu'entre quatorze heures et quatorze heures quinze, à latitude 40, l'amour opérait des miracles à condition que le jeune homme soit sur un cheval blanc et la jeune fille prisonnière d'une magicienne. Ce fut donc pour lui la magie du hasard qui fit qu'elle ne s'écrasa pas à côté de lui mais dans ses bras, bien que le choc fut assez violent pour le faire tomber sur le coccyx, et les faire rouler tous les deux l'un sur l'autre dans un tourbillon de tissu qui les laissa sans souffle. La violence du phénomène les éloigna un peu l'un de l'autre, bien sûr. Grey se redressa donc et se massa les côtes le temps de faire passer la douleur. Ce faisant, il eut tout le loisir d'observer la ravissante créature qui lui était tombé dessus.

Elle avait l'air plutôt déboussolée. Mais elle avait surtout l'air d'un ange. Elle lui adressa un regard perdu.

Puis ses yeux se mirent à pétiller.

-Merci merci merci !

-Euh…

-Qu'est-ce que tu veux en échange ?

-Euh…

-Rhôô zut, je suis tombée sur un simplet.

Grey prit quelques instants pour ordonner ses pensées.

-Tu… habites… ici ?

-Ouais, fit l'ange.

-Et… tu pourrais me rendre un service ?

-Ouais. 'Fin ça dépend. Tant que c'est dans mes cordes.

Il réfléchit très vite.

-C'est dans tes cordes, de me faire visiter le jardin ?

-Qu'est-ce que tu y cherches, dans le jardin ? fit la jeune fille avec curiosité. Parce que moi, je peux y entrer, mais certainement pas toi. Le portail est une illusion. Il ne s'ouvre qu'aux habitants du palais, et toi, ça m'étonnerait que tu en sois un.

-…Touché.

-Et ?

-Je cherche une Rose des Glaces.

La jeune fille pencha la tête.

-Je peux aller t'en cueillir une. Mais, j'aurai quoi en échange ?

-Qu'est-ce que tu veux ?

Elle parut réfléchir une seconde.

-Aide-moi à fuir encore plus loin.

Grey hocha la tête. C'était un marché plus qu'honnête. La fille se dégagea de son étreinte et s'éloigna en sautillant. Il la regarda s'avancer vers les portes de fer et les traverser comme s'il s'était agi d'un écran de fumée. Sa bouche béa.

La précipitation des événements le dépassait.

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Meldy était folle d'excitation. Elle venait de tomber sur un inconnu. Comme dans les livres. Elle se baladait d'un pas léger entre les allées, les joues en feu et la tête bordélique à souhait, ce qui fit qu'elle dépassa allègrement le bosquet de Roses des Glaces sans même s'en apercevoir. Le monde avait pris les teintes vivaces de l'amour.

En plus, il allait l'aider à partir. Elle allait voir le pays. Elle allait goûter à la liberté.

Elle se rendit compte qu'elle avait trop avancé en se retrouvant face aux pommiers d'amour. Justement. Elle cueillit un fruit doré et se promit de le faire croquer au jeune homme. Puis elle fit volte-face et s'arrêta devant le buisson des Roses des Glaces. Elles étaient d'un blanc bleuté, élégantes, raffinées et glaciales dans leur rigidité altière. Meldy sifflota. Elle s'approcha de la plus belle ramification et la coupa nette. Puis elle se recula, satisfaite, et parcourut avec bonne humeur le chemin inverse. Il lui fallait tout de même se presser, au cas où Ultear s'apercevait de son absence.

Toute à sa joie, elle ne remarqua pas les trois stries sanglantes que les épines avaient laissé sur son poignet…

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-C'est bon ! fit la fille en traversant miraculeusement la grille.

Grey sursauta.

Elle tenait dans sa main la fameuse Rose. Il l'observa avec crainte et convoitise, et la lui prit en l'enroulant soigneusement dans un linge prévu à cet effet. Ainsi, les épines ne pourraient pas le blesser. Il la mit dans sa besace, l'enfila à l'épaule et sourit.

-Prête pour une longue cavalcade ?

Deliora, le cheval blanc, s'approcha avec un hennissement peu discret. Grey sourit et hissa la fille à l'arrière de sa selle avant de la rejoindre. Elle avait l'air d'une gamine à son premier vrai Noël. Elle poussa un hurlement de joie lorsqu'il força le galop vers le palais royal. Il revenait victorieux. Il allait sauver sa mère.

Il sourit. Il rapportait même la plus belle fille du monde.

-T'es qui, au fait ?

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La vie de Grey n'avait jamais été joyeuse. Il était le petit dernier, le prince destiné à devenir un fardeau. On ne lui avait jamais rien appris d'utile si ce n'était qu'il succéderait à son frère si jamais il devait lui arriver malheur. La seule chose qu'il savait faire, c'était donc se fondre dans le décor et attendre son heure.

Publiquement, Grey était un prince ; en privé, il était une tache qu'on dissimule en plissant le tissu de son haut. On avait tendance à l'oublier aux bras de domestiques surchargées de travail. Il fut vite assez grand pour leur faire fausse route. A partir de là, il apprit à se rendre invisible, de telle sorte que personne ne se douta jamais que le gamin errant qu'on apercevait parfois dans la basse-cour avait le sang bleu. Il se repaissait donc de solitude, jouait en se contentant d'herbe et de vent, et avait appris à rentrer au palais juste à temps pour que sa fugue ne soit pas punissable. Souvent, Lyon, qui était condamné à de longues heures de cours en sciences politiques, se plaignait de la différence de leurs charges de travail. Il se vengeait lors de leurs joutes, à deux ; car Grey et lui étaient entraînés ensemble puisqu'il leur fallait faire preuve d'une éducation noble. Que Grey ne sache pas combattre aurait été une honte pour leur famille. Et comme Lyon était généralement le plus fort, il en profitait pour le jeter à terre et l'achever d'une phrase mesquine issue de ses cours de droit ou de stratégie militaire. Mais Grey savait qu'il était le plus heureux d'entre eux et Lyon en était terriblement jaloux.

Contrairement aux apparences, Grey aimait Lyon. C'était l'une des rares personnes qui ne le regardaient ni avec la déférence polie qu'on réserve à ceux qui nous seront toujours socialement supérieurs, et qui s'accompagne de distance, de crainte, d'envie, de jalousie et d'une profonde hypocrisie, ni avec l'air condescendant des nobles qui avaient bien conscience qu'il ne serait jamais rien que le rebut de la famille royale. Alors certes, Lyon était avare en affection, mais l'affection était une denrée à laquelle Grey n'avait eu que peu l'occasion de goûter. Sa mère l'aimait, bien sûr : mais elle n'était plus que l'ombre d'elle-même depuis le décès de son mari, de son second mari et l'enlèvement de sa fille. Elle avait même la légère tendance à se tromper de nom lorsqu'il venait la voir.

Grey pensait qu'il ne pourrait jamais trouver personne qui puisse lui témoigner l'ombre de l'intérêt, ou ne serait ce que de l'affection qu'avait pu lui porter Lyon. C'était ce qu'il PENSAIT. Puis, la jeune fille aux cheveux roses, blottie dans son dos et encore peu à l'aise dans sa cavalcade… la jeune fille rose parla :

-T'es qui, au fait ?

Il sursauta.

-Tu ne sais pas ?

-Je devrais ? demanda la créature miraculeuse.

Elle pencha la tête. Il la dévisagea, hésitant. On ne plaisantait jamais avec lui – c'était un truc de manant –, et il n'en avait donc pas l'habitude, mais il se demanda si ce n'était pas ce qu'il vivait pour la première fois de sa vie. Mais, comme la fille ne parla pas davantage, il comprit qu'elle ignorait réellement tout de son faciès royal. Le palace dans lequel il l'avait cueillie devait vraiment être le trou du cul du Royaume.

-Je suis le second Prince.

La bouche de la jeune fille s'arrondit d'une surprise sincère.

-Comme dans les Livres ! …tu t'appelles comment, Second Prince ?

- …

Ouais. Ce palais était bien le trou du cul du Royaume.

-Moi c'est Meldy, poursuivit la jeune fille sans s'en formaliser, et surtout, comme s'il n'y avait rien de plus banal que de rencontrer un prince et de lui faire la conversation.

-Grey.

-Prince Grey. Que c'est joli. Comment c'est, un palais ?

Une fois la surprise passée, Grey commença à expliquer de manière succincte. Elle lui demanda alors pourquoi il y avait deux cours, et un tas d'autres questions plus étranges les unes que les autres. Après un instant d'hésitation, il se plia au jeu et se découvrit une âme de grand bavard, lui qui répondait d'habitude d'une manière assez monosyllabique. Il comprit qu'elle n'avait jamais vu le monde. Jamais rien. Elle connaissait à peine le nom du pays. Il renchérit alors par maints détails, et peina pendant de longues minutes pour lui expliquer ce qu'était la mer. Elle n'avait visiblement jamais vu rien de plus humide qu'une mare. Il parla longuement, et lui expliqua les banquises, les plaines arctiques, et même le désert. Elle s'appuya sur son épaule et l'écouta plus longtemps encore.

C'était la première fois que Grey parlait avec quelqu'un qui s'intéressait vraiment à ce qu'il disait. Cela lui fit mal lorsqu'il le réalisa, alors il voulut en savoir davantage sur elle. Il connaissait tout juste son nom, et devinait son enfermement – elle n'avait jamais vu un fleuve ! –.

-Et toi ? Pourquoi étais-tu enfermée ? demanda-t-il, intrigué.

La fille ne répondit pas.

C'est ainsi que, alors qu'elle glissait, il s'aperçut qu'elle s'était assoupie. Attendri, il décida qu'il était temps de faire une petite pause. Il l'allongea tout en douceur, craignant de la réveiller, et il ôta sa cape pour lui en faire une couverture. Elle avait un sourire paisible, et ses boucles roses caressaient sa peau laiteuse. Il les lui rassembla. Puis il la borda.

Ce n'est que ce faisant qu'il remarqua, sur son poignet, l'éraflure assassine.

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-Meldyyyy !

Ultear entra dans la chambre de sa princesse d'un pas impérieux, furieuse de l'absence de réponse que lui offrait son insupportable pupille. Elle revenait du jardin et avait bien vu les traces de son passage. La jeune fille avait joué avec le feu. Elle était, tout simplement, morte d'inquiétude.

Elle claqua la porte avec fracas et balaya la pièce du regard. Le sol était chaotique et le lit défait, mais jusque-là, rien de plus normal. Tout comme les livres de contes qui s'entassaient, entrouverts, encombrant le sol de leur volume conséquent. En revanche, la jeune fille elle-même n'était nulle part. Ultear regarda sous le lit, dans les coffres, et entrouvrit le placard à la recherche de sa cachette. Elle fit chou blanc. C'est alors qu'elle pensa à s'approcher de la fenêtre grande ouverte et regarda en bas.

Il y avait, dans l'herbe en contrebas, un élégant bracelet rose.

Le cœur d'Ultear fut pris d'affolement.

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Grey fit descendre la jeune fille de cheval. Elle se laissa aller comme une poupée de chiffon. Une poupée dans un tissu doux, soyeux et élégant qui n'avait d'égal à sa délicatesse que la chaleur qui émanait de ses bras blancs. Il l'allongea sur l'herbe, la tête lovée entre les racines tortueuses d'un chêne. Ses boucles dessinaient des vagues enchanteresses. Il pensa aux vieilles histoires sur les magiciens en cage et les fées qui disparaissaient à la lueur du jour. Mais elle était toujours là. Chaude. Un peu plus pâle, mais vivante.

Il regarda sa poitrine remonter et s'abaisser successivement. Elle dormait, et était paisible.

Il n'avait plus envie de rentrer. Ça n'avait aucun intérêt. Il n'avait pas Lyon et il avait la fleur, mais guérir sa mère ne serait que reculer pour mieux sauter. Il ne voulait pas gouverner. Il voulait rencontrer d'autres personnes comme l'ange rose. Il voulait l'ange rose.

Qui était dans cet état par sa faute. Parce qu'elle avait voulu l'aider. Il lui devait bien quelque chose, mais il ne savait pas comment la sauver. Pourtant, il savait en faire, des trucs : danser, se battre à l'épée, jouter, monter à cheval, suivre une chasse, sourire d'un air raffiné… mais cela…

Comme il était à court d'idées, il vit passer une grenouille. Cela lui rappela une très ancienne histoire.

Rempli d'espoir, il se pencha sur les lèvres roses de sa compagne et l'embrassa. Il l'embrassa longuement, parce qu'il ne savait pas comment faire – on n'apprenait pas ce genre de chose aux cours de bonne conduite – et ferma les yeux dans l'espoir qu'un lutin passe et ne change leur destin à tous deux. Il l'embrassa jusqu'à ne plus savoir qu'en faire, jusqu'à ce que sa nuque, ses bras tendus, son dos soient parcourus de tremblements frénétiques dus à la fatigue de sa posture. Il l'embrassa jusqu'à s'être dit qu'après cela, il ne pourrait plus rien faire pour elle.

Puis il recula et il ouvrit les yeux.

Deux orbes d'un vert frais l'observaient, grands ouverts, et pleins d'une interrogation muette.

Meldy regarda tout autour d'elle.

La forêt domaniale des Milkovitch l'entourait de sa splendeur.

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Ultear voulut pleurer, puis crier, puis s'arracher les cheveux. Elle poussa des gémissements à en fendre l'âme. De rage. Il ne lui fallut qu'une dizaine de minutes et un artefact magique bien choisi pour savoir qui avait enlevé sa très chère pupille. Elle fit provision d'armes et de poisons, et fonça aux écuries. Là, avisant son propre destrier, elle secoua la tête avant de se diriger vers un lieu plus obscur. Pas assez rapide. Négligeant toutes les promesses qu'elle avait faites à son amant, elle s'engouffra dans les caves du palace, et choisit une créature magique, sombre et interdite, dont elle savait qu'il courait plus vite que le vent et volait mieux encore. Elle lui passa un mors qui déclencha un bon millier d'alarmes dans le château, dont une qui préviendrait son cher et tendre. Elle les négligea. Elle enfourcha le démon pour poursuivre les deux fugitifs.

Zeleph lui avait dit. « L'extérieur est hostile, n'y va pas. Les gens ne te comprendront pas. Ils essayeront de t'utiliser à cause de ton savoir magique, et s'ils n'y parviennent pas, ils te tueront en prétextant que l'art que tu utilises est trop noir. Le monde n'est pas pétri de justice. Ce n'est pas parce que tu épargnes un lion qu'il ne te dévorera pas en retour. » Ultear le croyait sur parole. Elle lui avait toujours obéi jusque-là. Après tout, elle n'avait aucune raison d'aller voir ailleurs lorsque l'être qui lui était cher lui suffisait à ses côtés.

Mais aujourd'hui était différent. Ultear se moquait bien du danger. Elle avait des griffes. Pas Meldy. Elle devait la sauver.

Alors Ultear chevaucha les Vents et la Tempête.

Ce Prince mourrait pour avoir osé s'en prendre ainsi à son Cœur et son Miel.

Elle descendit de l'animal en coup de vent, comme une furie, et fonça sur l'être brun qui se tenait trop près de son Enfant. Il parut surpris, comme s'il était pris en faute. Elle sortit ses Armes. Il dégaina son épée. Elle se jeta sur lui avec la rage et la violence d'un ouragan, avec une intention claire.

Tuer.

Meldy, au sol, gémit de terreur. Alors Ultear attaqua, et Grey para, et elle réattaqua, et il para de nouveau, mais elle savait exactement comment il allait s'y prendre et ne se gêna pas pour en profiter. Elle usa de sa prescience à la perfection. Elle l'accula, lui le Prince, le vaillant, le valeureux combattant qui avait tenté de lui enlever la chair de sa chair. Elle fit voler l'arme du jeune homme au loin dans un heurt métallique qui lui arracha un cri rauque de satisfaction.

Dans une courbe parfaite, elle abattit sa lame sur son cou blanc et tendre.

Elle n'avait pas prévu que Meldy se jette entre leurs corps.

L'ange rose sourit faiblement. Puis elle eut un hoquet, et son corps s'affaissa comme un pantin. Le rouge criminel se déversa sur sa robe d'été. Comme ils étaient d'une couleur voisine, cela se remarquait à peine. Il y avait juste cette mare étrange qui lui baignait ses pieds blancs et nus. Pour lui mettre un peu de couleur. La couvrir pudiquement avant qu'elle ait succombé.

Meldy dit alors :

-Maman…

La main d'Ultear lâcha son arme.

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Zeleph fut arrêté alors qu'il s'apprêtait à faucher un brigand qui s'était fait coincer par deux soldats. Le mort, pas du tout coopérant, avait commencé à le frapper au visage lorsqu'il s'aperçut de la chaîne immatérielle qui le bloquait à son corps, et qui annihilait tout espoir de fuite. Il ne crut pas sa chance lorsque l'Envoyé à la Faux se redressa soudain, alerte, écoutant un appel inaudible avant de tourner les talons.

Zeleph fonça au manoir pour le trouver vide. Il y avait, bien sûr, au sous-sol, le captif de sa douce qui gémissait en se tenant les poignets, mais plus de présence féminine en ces lieux. Son sixième sens de Faucheur lui prédisait que ça n'avait rien de bon. Il s'élança aussitôt à la poursuite de son Cauchemar Ailé échappé de son box, sans chercher à cacher ses origines magiques comme il le faisait habituellement en ces lieux.

Il trouva Ultear alors qu'elle vacillait sur sa position. Il y eut un bruit sourd, et Zeleph vit Book, son arme maudite, tomber des mains de sa dulcinée. Se planter à ses pieds.

Zeleph vit ensuite le prince Grey, qui observait la scène avec une stupeur muette, puis seulement le corps ensanglanté entre leurs deux silhouettes.

-Pardonne-moi, pardonne-moi, pardonne-moi… murmura-t-il en enserrant Ultear dans son étreinte.

Les larmes jaillirent et roulèrent sur son épaule. Zeleph serra plus fort, soupira, huma profondément le parfum de sa peau et, sachant qu'il risquait de tout perdre aujourd'hui, il sut qu'il devait déballer toute la vérité :

-Meldy ne mourra pas, mon amour. Je te le jure. Parce que… je ne suis pas un diplomate. Et tu n'es pas une enfant abandonnée. J'ai beaucoup de choses à te dire, mon amour.

Et il lui raconta tout. Son métier véritable. Comment Dieu la lui avait promise sans la désigner. Comment il l'avait rencontrée. Le coup de foudre. Comment il l'avait lavée de ses souvenirs. Comment il l'avait emmenée. Combien de temps sa véritable mère l'avait faite rechercher. Le désespoir dans lequel cela l'avait plongée. La résignation. Et lui, qui la voyait grandir, s'épanouir, flirter avec la perfection, haïr sa mère et ses frères, et qui se voyait chaque jour plus incapable de lui dévoiler la vérité. Qui en souffrait. Mais qui restait muet, de peur de la voir partir. Et qui l'aimait plus chaque seconde.

A la fin de son discours, Ultear se recula. Elle regarda Zeleph dans les yeux, ses yeux emplis de larmes et de rancœur. Elle le frappa, et le frappa, et le frappa jusqu'à l'épuisement. Puis elle s'effondra. Dans ses yeux, on voyait bien qu'elle l'aimait toujours. Et que c'était ce qui le faisait le plus mal.

Zeleph tourna les yeux vers le Prince. Grey n'avait pas bougé.

Alors le Faucheur fit ce qu'il avait à faire.

-Va fouiller dans ton sac, dit-il. Il doit bien y avoir assez de Rose pour deux.

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FIN.

ET ILS VÉCURENT HEUREUX...
...et eurent beaucoup... comment ça, vous ne voulez pas les détails ? *sbaf*