Disclaimer : Tous les droits concernant A Song of Ice and Fire appartiennent à George R.R. Martin et à son éditeur.

Spoilers : Cette fanfiction suivra globalement l'avancée de la série. Le livre I couvre tout le spectre de la saison 1, le livre II, la saison 2. Le livre III ne couvrira aucun évènement ayant lieu dans les livres ou dans la série mais peut comporter des spoilers pour les non-readers.

Rating : M. Pas nécessairement dans tous les chapitres.

A/N : Le personnage de Lyarra Baratheon est une construction personnelle et son ajout dans la trame de l'histoire la déforme quelque peu. Dans tous les cas, j'ai tenté de rester aussi proche que possible de l'esprit du roman... Tout en ajoutant certaines scènes et en supprimant d'autres. En espérant sincèrement que toi, lecteur, trouvera cette fanfic aussi agréable à lire qu'elle le fut à écrire.


LIVRE I

The sleeper must awaken


Chapitre I – Winter is coming

Du givre recouvrait la route royale depuis que le convoi avait dépassé Moat Cailin et les marais du Neck, et la cour vivait bien mal les vents froids du Nord. La reine et sa suite restaient la plupart du temps dans leurs voitures, si bien que personne n'osait réellement sortir ne serait-ce que le bout de leur nez, de peur de le voir geler.

Ce n'était cependant pas le cas de la princesse Lyarra, fille du roi Robert Ier et de sa première fiancée, feu Lady Lyanna de la maison Stark. Elle portait le nom de son père et le titre de princesse des Sept Couronnes, mais se considérait parfois bien plus comme une Nordienne que comme une Port-Réalaise, tant elle se sentait étrangère aux us et coutumes de la cour. Pas plus habituée au froid que ses congénères, elle s'était couverte de fourrures et profitait des quelques pauses dans le trajet pour explorer les environs, sous les reproches à peine dissimulés de sa belle-mère la reine. Peu lui importait, cependant elle ne voyait pas assez le Nord, et la rancœur de sa blonde marâtre n'était finalement qu'un détail. Son père, quant à lui, la regardait faire d'un air débonnaire et amusé. En absence de réaction de sa part, elle considérait que ce qu'elle faisait lui était autorisé.

L'arrivée à Winterfell se fit lentement, mais en grande pompe. Précédé des étendards rouge et or des Lannister, et or et noir des Baratheon, le convoi traversa la ville d'hiver, entouré de hordes de paysans attendant sur le bas côté dans l'espoir d'apercevoir le couple royal ou ses enfants. Le prince Joffrey chevauchait au côté de son bouclier lige juste derrière les porte-étendards et devant la voiture royale, tandis que le roi et sa fille les suivaient de près. A peine eurent-ils franchis la porte sud que tous tombèrent à genoux. Lyarra adressa un regard rapide à son père, le temps de voir son sourire. Il était bien rare, depuis que Jon Arryn avait rendu l'âme aux dieux. Il attendit que l'on vienne à lui pour descendre de son cheval, tandis qu'elle sauta à bas du sien, faisant fi des conventions. Elle resta en arrière et regarda le roi relever le seigneur de Winterfell, son meilleur ami. Il y eut un long silence, pendant lequel les deux familles se jaugèrent respectivement. Un malaise s'en suivit, jusqu'à ce que le roi élève la voix.

« Tu as grossi. »

Lyarra ne dissimula pas un sourire, et les deux hommes s'étreignirent vigoureusement. Elle avait toujours apprécié son oncle, si bourru et glacial pût-il être, et il en allait de même pour son père. Elevés ensemble par le même homme, avant de s'élever ensemble contre le même Roi Fou, ils auraient dû être frères de sang et non simplement de cœur, si sa mère avait vécu. Il salua respectivement toute la fratrie Stark, avant de laisser la place à son épouse. Elle ne dit pas un mot, laissant Lord Eddard et Lady Catelyn lui baiser la main.

« Emmène moi donc à ta crypte, mon ami. Lyarra et moi avons à nous recueillir

- Nous chevauchons depuis un mois entier, » objecta la reine d'une voix atone. « Je suis sure que les morts peuvent attendre.

- Ned. »

Inflexible, le roi attendit qu'Eddard sorte de son rang pour l'emmener vers le vieux donjon sous lequel s'étendaient les cryptes de Winterfell. Il adressa un regard appuyé à sa fille, qui ne put que saluer trop rapidement ses hôtes avant de le suivre. Ils descendirent alors le vieil escalier en colimaçon menant aux immenses galeries souterraines du château. Il faisait terriblement froid, au point que les dalles du sol étaient elles-mêmes gelées. La jeune fille resserra les pans de son manteau, tandis que leurs pas les menaient toujours plus profondément dans les entrailles de la terre du Nord. Lorsqu'ils s'arrêtèrent, ce fut devant la statue d'une jeune femme au visage grave, une main tendue vers ses rares visiteurs. Lyarra baissa les yeux avec respect, devant cette fille-femme de pierre qui devait être sa mère. Robert sortit d'une de ses poches une longue plume brune qu'il déposa dans la main glaciale de celle que fut sa promise – et l'amour de sa vie.

« Je n'ai jamais trouvé cette statue ressemblante, » grinça-t-il. « La pierre ne pouvait pas capter sa beauté. Fallait-il l'enterrer dans un endroit aussi sinistre ? Elle devrait reposer sur une colline, sous le soleil et les nuages au dessus d'elle.

- Elle était ma sœur. Sa place est ici. »

Son rappel fut simple, mais péremptoire. Lyarra sentit leurs deux regards tomber sur elle, alors qu'elle effleura le visage impassible de la statue. Elle était souvent venue ici, à chaque fois qu'elle était venue en visite chez son oncle et ses cousins. A chaque fois, elle éprouvait cette tristesse âcre, de celle que l'on éprouve lorsque l'on touche du doigt un désir sans jamais pouvoir l'empoigner. Son père ne cessait de lui dire à quel point elle lui ressemblait, et à quel point elle aurait été une mère et une épouse formidable, mais tout ces paroles n'étaient que des mots. Elle sourit brièvement à ce piètre reliquat de beauté, et se tourna vers les deux hommes.

« Lord mon oncle, m'autorisez-vous à disposer ? Je dois présenter mes respects à votre épouse et à mes chers cousins.

- Princesse, votre volonté a force de loi, » s'inclina Eddard. « Sansa sera ravie de vous revoir.

- Tout comme je le suis. Père. »

Elle s'inclina brièvement, et sortit à l'air libre. Il lui parut presque chaud, tant le froid stagnant l'avait transie. Dans la cour du château, il n'y avait déjà plus personne. Des éclats de voix lui parvenaient des donjons, et elle se dirigea vers le donjon neuf où elle avait déjà résidée quelques années auparavant. Elle gravit les échelons jusqu'à atteindre la chambre qu'occupait sa plus vieille cousine, Sansa, sa cadette de quelques années. Elle frappa délicatement, et attendit qu'elle vienne lui ouvrir. Surprise, la jeune fille n'entrouvra que très peu sa porte, avant de la reconnaître et de pâlir.

« Oh princesse, veuillez m'excuser je ne savais…

- Paix, Sansa. Ne suis-je pas du même sang que toi ?, » sourit-elle avec indulgence. « Peut-être étais-tu occupée ?

- Non, bien sûr que non. Entrez, je vous en prie. »

Elle se décala, et laissa Lyarra entrer. Sa chambre n'avait pas le raffinement de celles de Port-Réal, mais elle avait été rendue confortable par les tentures pendues au mur et le feu constamment allumée dans la cheminée. Elle s'assit dans un des fauteuils de peau, près de l'âtre, et observa sa jeune cousine. Cela faisait trois ans qu'elle n'était pas venue à Winterfell, et autant de temps qu'elle ne l'avait pas vue. Elle avait grandie, bien sûr, et plus important que cela, elle était devenue une véritable jeune femme. Elle ressemblait indéniablement à sa mère, avec sa lourde chevelure auburn d'une teinte à peine moins soutenue que celle de Lady Catelyn, et ses grands yeux bleus. Elle ne partageait finalement pas beaucoup de traits avec son père ou même avec sa cousine. Elle ne put retenir un sourire. Sansa était une créature de chanson, une princesse de légende, et pas une simple fille du Nord.

« Princesse ?

- Chère cousine, cesse donc de me vouvoyer et de m'appeler ainsi. Nous avons partagé les mêmes jeux, les mêmes jouets. Un titre ne change rien à tout ça, n'est-ce pas ?

- Bien sûr. C'est que mère nous a rappelé que vous étiez princesse, et non pas fille du commun, » hésita-t-elle. « Je ne voudrais pas être irrespectueuse.

- Tu ne l'es pas, rassure-toi. Parle-moi plutôt de toi, ma douce.

- Oh il n'y a pas beaucoup à dire… Robb avait hâte de te.. Vous revoir. »

Lyarra pencha la tête. La jeune fille lui cachait visiblement quelque chose, et ce quelque chose lui tenait à cœur. Elle se pencha vers elle et saisit sa main dans les siennes. Elle était fine, doucement chaude des mains de fille de grande maison. Elle y repéra quelques piqures d'aiguilles, sans doute causées par ses nombreux travaux, mais aucune blessure. Aucune callosité. Elle sourit, et la caressa.

« Chère Sansa. Tu as quelque chose à me dire, n'est-ce pas ?

- C'est que… J'ai aperçu Joffrey. Il est tellement beau, tellement chevaleresque ! J'aimerais tellement avoir un époux comme lui, » rêvassa-t-elle. « Et je pourrais devenir reine ! Vivre à Port-Réal, tout comme vous ! C'est là qu'est la véritable vie…

- Winterfell est un havre de paix, tu sais. Port-Réal n'a rien d'un paradis, et tu idéalises sans doute mon frère, » la rectifia sa cousine avec précaution. « Tous les hommes ont leurs défauts. »

Mais c'était peine perdue. Sansa avait le regard perdu dans le vide, et Lyarra devinait aisément ce à quoi elle fantasmait. Elle se mordit la lèvre, bien plus consciente qu'elle des dangers que lui réserveraient une vie à la capitale. Mais elle ne rajouta rien. Que pouvait-elle lui dire ? Elle ne la croirait pas, bercée qu'elle était par les contes et les chansons de son enfance. Elle se contenta de rire, et les deux amies discutèrent de leur quotidien. La moindre des historiettes de cours faisait briller le regard de la jeune Stark d'un millier d'étoiles, tandis que les habituelles plaisanteries de sa fratrie amusèrent la princesse. Elle aurait beaucoup donné pour avoir une telle famille. Qu'avait-elle, finalement ? Un père qui aurait dû être accaparé par ses obligations, mais qui passait son temps à les fuir en filles et en boissons, une belle-mère qui la haïssait cordialement, et des demi-frères et sœurs qu'elle ne connaissait presque pas. Ne lui restaient que ses suivantes, qui n'étaient là que par ambition et non par amitié.

Elle laissa sa cousine s'apprêter pour le dîner du soir, et redescendit dans la cour du castel. Il n'était pas tard, mais le soleil déclinait déjà un peu. Elle se hasarda jusqu'au terrain d'entrainement des fils Stark, d'où lui parvenaient les cliquetis d'épées s'entrechoquant. Appuyée contre une lourde poutre de bois sombre, elle regarda les deux demi-frères s'entraîner. Le fils héritier de la maison, et le fils bâtard de son père. Elle eut un petit sourire et s'assit en silence sur un banc vermoulu non loin de là. Les deux jeunes hommes s'invectivaient, éclataient de rire, jusqu'à ce que l'épée de Jon se fiche dans le sol, près de lui. Elle se releva et applaudit en souriant. Ils sursautèrent.

« Eh bien, je ne vous pensais pas si concentrés. C'était un beau combat.

- Un combat que j'ai gagné, » ajouta Robb. « J'espère que tu as noté ce détail.

- Je n'appellerais pas cela un détail, mais je l'ai noté. Mes hommages, Lord Stark. »

Il s'approcha, et lui baisa la main avec politesse. Elle haussa un sourcil, et l'étreignit brièvement contre elle. Elle fit de même avec Jon, avec peut-être un moins de chaleur. Les trois jeunes gens avaient passés une partie de leur enfance ensemble, quand Lyarra était pupille de son oncle. En tant que princesse, la fillette qu'elle avait été avait abusé de sa fausse autorité pour accompagner ses deux cousins partout où ils pouvaient aller. Elle avait appris à se battre avec eux, sous couvert d'un secret de polichinelle, tant ils n'étaient pas discrets. Pour autant, si elle s'était toujours bien entendue avec Robb, il y avait toujours eu une certaine distance entre elle et Jon, et ce n'était pas plus de sa faute que de celle de sa cousine. Chacun était conscient du rang de l'autre, et du vaste fossé qui les séparait. Ils n'auraient probablement jamais été proches sans la cheville ouvrière qu'avait été Robb.

Eux aussi étaient devenus des hommes. Ils avaient forcis, avaient pris du muscle, et leur visage s'était affirmé. Suffisamment pour qu'elle se rende compte que si ce dernier était le reflet de sa mère, cheveux auburn et yeux bleus, l'autre ressemblait bien plus à ce père –et donc à elle. Le visage de Jon était plus grave que celui de son demi-frère, plus sérieux, plus noiraud, aussi, et ses yeux étaient si sombres qu'elle les crut noir dans le crépuscule naissant. Un véritable Stark, pensa-t-elle.

« Mes hommages, princesse. Ne devrais-tu pas être en train de te farder et de te poudrer ?

- Tu m'insultes, mon ami, » sourit-elle. « Suis-je donc si laide, que j'ai besoin de cacher mon visage sous des artifices ?

- Je n'osais pas le dire mais… »

Elle lui assena un coup derrière la tête, qui le fit rire de plus belle. Elle secoua la tête, et regarda autour d'eux. Le soir tombait progressivement, et elle serait demandée sous peu dans la grande salle. Le banquet allait commencer, et si Sansa piaffait d'impatience, ce n'était pas son cas. Elle avait rectifié rapidement sa coiffure, faite de tresses et de boucles savantes, et n'avait de toute façon plus le temps de changer de tenue. Enfin, ce n'est pas comme si on attendait d'elle qu'elle le fasse. Elle allait lancer une pique à mon cousin quand elle entendit la voix de Lady Catelyn résonner dans le donjon, ordonnant à Robb d'aller se préparer. Il grimaça, et s'élança dans les escaliers. Quand elle se tourna vers Jon, ce dernier rangeait les épées sur un râtelier. Elle en saisit une posée négligemment dans un coin, et la lui apporta. Il lui adressa un regard en biais, et la remercia à voix basse.

« Tu n'as rien dit depuis que je suis arrivé. Ma présence te dérange-t-elle ?

- Non, » lui répondit-il vivement. « Je ne voulais pas m'imposer entre vous et Robb.

- Je t'en prie, Jon. »

Il ne répondit pas, et disparut dans les ombres étirés de l'armurerie. Elle resta seule au milieu des mannequins de bois et des arcs d'entrainement, et soupira tristement. Si seulement elle le méprisait, tout aurait été plus simple. Mais c'était loin d'être le cas. En tout état de cause, elle se dirigea lentement vers la grande salle où les tables avaient été mises depuis longtemps. La reine s'y trouvait déjà, ainsi que ses demi-frères et sœurs. Myrcella discutait avec Sansa, qui paraissait sur le point de tomber en pâmoison à chaque mot prononcé par la fillette. Joffrey, assis avec d'autres jeunes hommes, lui adressait régulièrement des œillades. Elle se tendit quelque peu. La salle était presque pleine, ne manquaient plus que quelques invités… Dont elle. Pensant trouver sa place auprès des deux jeunes filles, elle se faufila entre les rangs avant d'être rappelée à l'ordre par Lady Catelyn, qui lui indiqua une place à la table d'honneur. Elle hocha la tête lentement, et s'approcha d'elle.

« Lady Catelyn, je regrette de n'avoir eu le temps de vous saluer à mon arrivé.

- Ne vous excusez de rien, princesse. Vous aviez sans nul doute à faire, » lui répondit-elle avec bienveillance. « Je suis honorée de votre présence.

- Et moi de votre indulgence.

- Lyarra, venez donc vous asseoir, » l'interrompit la reine Cersei. « Nous vous attendions. »

La jeune fille ne répliqua rien, et s'assit près d'elle. Elle n'était pas vraiment étonnée, que ce soit de sa place près du roi ou de la rudesse de Cersei. Elle avait vécu à Winterfell elle avait pratiquement été élevée comme les enfants Stark. Elle prêchait en terrain conquis, et ne pouvait sans doute rivaliser avec l'affection que toute la famille lui portait. Alors qu'elle parcourait la salle du regard, elle repéra rapidement Robb et le pupille de Lord Stark, Theon Greyjoy, tenter de rejoindre leur siège respectif sans se faire remarquer, en pure perte. Lady Catelyn les fusilla du regard, tout comme la petite Arya qui réservait une superbe moue boudeuse à ses compagnes de table. Sansa pouffait avec son amie Jayne en indiquant le prince, tandis que ce dernier faisait mine de s'en désintéresser.

Il ne fallut que trop peu de temps au roi pour descendre de l'estrade, déjà enivré, et se mêler aux chanteuses et serveuses girondes. Lyarra détourna le regard de la scène pathétique qu'offrait son père à ses hôtes, à ses enfants et à son épouse. La reine saisit son verre et le vida presque d'un trait. L'ambiance, à la table d'honneur, était catastrophique. En bonne hôte, Lady Stark se tourna vers Cersei.

« C'est votre premier voyage dans le Nord, majesté ?

- Oui, » répondit-elle, apparemment peu intéressée. « Un pays ravissant.

- Il doit vous sembler bien lugubre, par rapport à Port-Réal… Princesse Lyarra nous a très souvent décrit la beauté de la capitale.

- Lyarra a sans doute omis bien des détails. D'ailleurs… Ma fille, voulez-vous bien aller chercher cette petite colombe ?

- Bien sûr, ma reine. »

La reine indiquait Sansa, qui rougit délicieusement lorsqu'elle se rendit compte de l'intérêt que cette dernière lui portait. Elle se releva, alors que sa cousine lui faisait signe de venir avec elle. Elle lui prit élégamment le bras, l'encourageant au calme, et la mena sur l'estrade, devant Cersei qui souriait avec amusement.

« Votre altesse, je vous présente Lady Sansa Stark.

- Tu es une vraie beauté, ma colombe, » minauda-t-elle. « Quel âge as-tu ?

- 13 ans, majesté.

- Tu es grande, » remarqua-t-elle. « As-tu déjà saigné ?

- Madame…

- Lyarra, je ne m'adresse pas à vous. »

Son regard émeraude se fit plus glacial que les cryptes qui déroulaient leurs étendues sous leurs pieds, tandis que Sansa cherchait un quelconque secours dans les yeux de sa mère. Le visage de cette dernière se ferma. La jeune femme resserra sa prise sur son bras, s'exhortant au silence. Rien de ce qu'elle pouvait dire ne l'aiderait. Elle allait l'emmener quand elle secoua négativement la tête.

« N-Non, majesté.

- Et c'est toi qui as fabriqué ta robe ? » La jeune fille, de nouveau souriante, hocha vivement la tête. La reine lui renvoya un sourire en demi-teinte. « Quel talent. Il faut en faire une pour moi. »

Une nouvelle fois, Sansa hocha la tête et s'apprêtait à répondre quand Lyarra l'entraîna à bas de l'estrade royale. Elle avait encore des étoiles dans les yeux, éblouie qu'elle était par la beauté froide de la souveraine… Et sans doute par son statut. Les deux mères continuèrent leur discussion, tandis qu'elle jetait un coup d'œil vers son père. Il éclatait de rire, soupesant grossièrement l'opulente poitrine d'une domestique. Elle sentit ses pommettes rougir de honte, et se détourna pour voir Lord Eddard en pleine discussion avec un homme aux cheveux noirs emmêlés. Son cœur se souleva en voyant Robb se précipiter vers lui. Elle se fraya un chemin parmi les invités, heurtant plusieurs serveurs qui se confondirent en excuses. A mesure qu'elle approchait, un grand sourire grandissait sur ses lèvres.

Le tumulte qu'elle créait involontairement attira l'attention des trois hommes qui tournèrent la tête dans sa direction, sans d'abord comprendre. Quand elle apparut au milieu des autres invités, ils se mirent à rire.

« Oncle Benjen, » dit-elle en l'enlaçant. « Quelle joie de vous voir.

- Lyarra, mais quelle superbe jeune femme tu es devenue ! A m'en faire regretter mes vœux, si je dois être honnête.

- Benjen, » le tança son frère aîné en levant les yeux au ciel. « N'oublie pas à qui tu t'adresses.

- A ma nièce, bien sûr. »

Il lui fit un clin d'œil, et la jaugea du regard. Si elle avait passé son enfance à Winterfell, elle n'avait jamais eu le droit de se rendre à Châteaunoir, là où, en tant que frère juré de la Garde de Nuit, il était en garnison. D'abord parce qu'elle était trop jeune, bien sûr, mais surtout parce qu'elle était une femme. Elle n'avait compris ce détail d'importance qu'en prenant de l'âge… Et avait cessé de réclamer le voyage à tout bout de champ. Autant dire qu'elle n'avait passé que très peu de temps auprès de son oncle, qui pourtant l'appréciait au delà de tout. N'était-elle pas le sosie de sa mère ?

Il s'excusa auprès de ses neveux, et entraîna Lord Eddard à l'écart. Elle fronça les sourcils imperceptiblement. Un frère de la Garde de Nuit ne quittait jamais son poste sans raison. Et voir son frère n'était pas une bonne raison, à moins qu'il n'ait quelque chose à lui dire. Ou l'inverse. Elle tourna la tête vers Robb, qui haussa les épaules avant de rejoindre son siège. Autour d'elle, tout le monde était plus ou moins occupé. La reine et Lady Catelyn conversaient toujours, aucune attention n'était concentrée sur elle. Ses oncles étaient sortis, il lui suffisait de les suivre discrètement par quelque porte dérobée. Les deux hommes étaient appuyés sur l'épais mur de la grande salle, dos à elle. Elle fit quelques pas vers eux, dans le plus grand silence.

« Bien sur que oui, » répondait Benjen à une question qu'elle n'avait pas entendue. « Juste un gamin. Mais c'était un dur à cuir, un vrai patrouilleur.

- Il racontait des insanités. Il disait que les Marcheurs avaient tué ses amis.

- Les deux autres n'ont toujours pas réapparu.

- Une embuscade des sauvageons, » concéda finalement Ned.

- Peut-être… Des loups géants au sud du Mur, au Sud, des Marcheurs… Et mon frère qui deviendra peut-être Main du roi. On peut dire que l'hiver vient. »

Elle écarquilla les yeux. Elle apprenait bien des choses en quelques mots. Elle se doutait, bien sûr, que le roi son père devait avoir quelque chose à demander à son meilleur ami. Mais de là à lui demander de descendre avec lui au Sud, dans ce panier de crabes où il s'embourberait sans nul doute… Et de prendre la place de Jon Arryn. Et cette histoire de Marcheurs… Elle recula avec précaution, cherchant à sortir de la vue des deux hommes. Elle bénit l'herbe pour ne pas craquer sous ses pas. A reculons, dans le noir complet, elle ne se rendit pas compte qu'elle atteignait la cour. Elle allait s'arrêter quand elle heurta quelqu'un. Elle sursauta, et fit volte-face, pour se retrouver devant ce qui ressemblait à un homme. Il portait une torche, et l'observait de haut avec un sourire en coin. Elle poussa un soupir de soulagement mêlé d'agacement, et remit en place les quelques mèches de cheveux qui s'étaient échappées de ses tresses.

« Lord Greyjoy, toujours là où il ne devrait pas être.

- Je pourrais dire la même chose de toi, très chère, » s'amusa le jeune homme. « Depuis quand enfuit-on d'un banquet fait en son propre honneur ?

- Je ne crois pas ce que ce soit ton problème. N'es-tu d'ailleurs pas sensé y être autant que moi ?

- Oh mais je ne suis qu'un pupille, personne ne se préoccupe de ma présence ou de mon absence. »

Son sourire était arrogant, comme à l'ordinaire, mais dissimulait une note de sarcasme. Ils avaient autrefois partagé ce statut, même s'ils n'auraient pas pu être plus différent l'un de l'autre. Si elle avait toujours été traitée pour ce qu'elle était – une princesse, lui n'était qu'une prise de guerre, ramené de force par Lord Stark après la rébellion de Balon Greyjoy, son père. Il était jeune à l'époque, bien que plus âgé qu'elle de trois ans. Défiant à son égard, depuis toujours. Elle n'avait jamais appris à le connaître, et il lui arrivait de le regretter, tant il apparaissait parfois comme le seul homme capable de lui tenir tête. Même Robb pliait devant ses caprices… Et plierait de même si elle se prenait à le désirer.

« C'est vrai, » soupira-t-elle. « J'oublie trop souvent que tu n'es pas un Stark.

- Tout comme toi, Lyarra Baratheon, princesse des Andals, de Rhoynar et des Premiers Hommes, des Sept Couronnes et du Royaume.

- Ne le dis pas avec tant de mépris, Theon Greyjoy, Lord héritier des Îles de Fer, fils du Vent de Mer, futur Lord Ravage de Pyk.

- Tu as bien appris tes leçons d'héraldique, bravo petite princesse, » se moqua-t-il. Il y avait une certaine fierté dans ses yeux. « Tu devrais retourner dans la grande salle. Là est ta place, n'est-ce pas ?

- Autant que toi la mer, et tu n'y es pourtant pas. Il semble que nous soyons tous deux devenus des Stark sans nous en rendre compte. »

Elle lui adressa un sourire, consciente du trouble qu'elle devait avoir dispersé dans son esprit. Oh, que les Fer-nés haïssaient ces techniques traîtresses qu'utilisent les hommes et femmes des terres vertes, de celles qui les jettent dans la confusion tant leur esprit n'était pas formé à ces jeux de mots savants… Ou à ces insinuations venimeuses. Elle avait autrefois lu un ouvrage de l'Archimestre Haereg, et une phrase l'avait marquée. « On peut vêtir un Fer-né de velours et de soie, lui apprendre à lire, à écrire, lui donner des livres, lui enseigner la chevalerie, la courtoisie, les mystères de la Foi, mais si on regarde dans ses yeux, toujours la mer est là, froide, grise et cruelle. ». Cette mer qu'elle apercevait à chaque fois qu'elle croisait son regard. Sans doute la verrait-elle, un jour. Peut-être serait-ce avec lui, se surprit-elle à penser. Elle se détourna rapidement, et rejoignit la grande salle. Le banquet devenait une orgie de boissons, et deviendrait certainement une simple orgie d'ici peu… Tant et si bien qu'avaient disparus les filles Stark et Robb. Et elle ne tarda pas à faire de même.