On m'avait toujours dit que le monde était injuste, qu'il fallait se battre bec et ongles pour pouvoir survivre dans cet environnement hostile où personne ne vous faisait de cadeau. Et toute ma vie j'avais gardé cette idée dans un coin de ma tête sans vraiment y prêter attention car n'ayant aucune idée de la réelle signification de ces mots.

Ce n'est que ce jour-là que j'ai fini par les comprendre, et c'est une leçon que je ne pourrai jamais oublier.

J'étais là, assis sur le banc froid des accusés à attendre qu'on prononce les quelques mots qui m'enlèveraient tout ce qui me restait.

En cet instant, j'étais au centre de tout. J'étais le cœur du maelstrom, autour duquel les éléments sans pitié se déchaînaient en laissant éclater leur rage. Et cette rage je la ressentais, tournée vers moi sous la forme d'une multitude de regards haineux me condamnant à l'unisson. Je pouvais presque entendre leur voix glacée me traitant de meurtrier et réclamant vengeance.

La première paire d'yeux que j'avais croisée, c'était celle d'Ambre. Cette fille qui me vouait autrefois une véritable adoration, et qui aujourd'hui me fixait avec un regard qui n'était que rancoeur et qui semblait hurler : « Rends-moi mon frère ! ». A fixer les ténèbres dans ses pupilles, ce n'était pas la fille populaire du lycée que j'avais vu, c'était la femme déchirée, la sœur abandonnée, l'être de haine dont chaque cellule criait vengeance.

La mère de Nathaniel m'avait lancé un regard que je n'aurais pas cru voir un jour sur le visage d'un être humain. La vision avait été tellement insupportable que j'avais tourné les yeux vers le sol, et sa douleur m'aurait sans doute brisé le cœur si j'en avais toujours eu un.

Dans un coin de la pièce, ma mère se tenait recroquevillée sur elle-même, le dos vouté. Ses cheveux rouges cachaient son visage secoué de sanglots, et je repensai à ce passé révolu, me disant avec regret qu'elle ne m'appellerait plus jamais Cassy pour me taquiner. Mon père, lui, affichait une expression impénétrable, et je ne saurais sans doute jamais ce qu'il avait pensé en cet instant, en voyant son fils dans la position d'une bête sauvage qu'on ne peut laisser vivre. Avait-il repensé à toutes mes erreurs passées en se persuadant que j'étais coupable, et que je méritais le châtiment que je m'apprêtais à subir ?

Je ne garde presque aucun souvenir des paroles prononcées lors du procès. Moi-même, je n'ai pas dit un mot, ne cherchant pas à me défendre. Je connaissais la preuve de mon innocence, mais elle devait rester un secret entre lui et moi. De plus, je savais qu'il était trop tard. Ils avaient déjà tous décidé que j'étais coupable, et rien de ce que je pouvais dire n'y aurait changé quoi-que-ce-soit. D'un côté, je pouvais presque les comprendre. Les preuves étaient accablantes.

J'avais vu tous mes anciens amis du lycée témoigner contre moi. Chacun leur tour, ils s'étaient levés, et avaient confirmé ce que tous savaient déjà. Moi et la victime, nous nous étions toujours détestés. Tout le lycée était habitué à nos disputes perpétuelles qui se finissaient parfois à coups de poings.

C'est Sue qui avait parlé la dernière, avec la même expression haineuse dans les yeux. Je ne l'avais pas revue depuis notre rupture lorsqu'on avait quitté le lycée. Ca faisait six ans maintenant.

Le procès s'était terminé sans surprise. J'avais écopé d'une peine de prison à perpétuité.