Bonjour, bonsoir à toutes et à tous.

Cette fic est la première grande que je consacre à Camus/Milo, couple que j'aime fortement. Cela fait un petit moment que je pense à cette histoire, j'ai osé ouvrir un nouveau document Word. Et les mots ont commencés à se former sur l'écran blanc. Puis de fil en aiguille le scénario a abouti à « ça ».

Je vais être honnête, pour ceux et celles qui ont lu quelques unes de mes histoires, ce couple m'inspire un peu moins que le MinAlba mais je tenais à varier et à écrire sur eux.

Le Camilo représente un couple romantique, pur à mes yeux. Je les aime ces bichons.

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Univers Alternatif : notre époque. J'adore transposer nos chevaliers dans le XXIème siècle, ils évoluent bien mieux.

20 chapitres en prévision, cela dépendra de mon inspiration, mais je la terminerais sûr et certain. Je pense dépasser ce chiffre largement vu comme c'est parti.

Ratin : M (forcément)

Pairing : Camus / Milo

Genre : Romance / Drame

Inutile de préciser que c'est une fic yaoi. Bon c'est fait (o.~)

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Titre : je pense que vous avez reconnu le titre d'une chanson de Mylène Farmer. Il signifie « amour naissant », j'ai trouvé que ça collait avec mon histoire tout simplement et puis je l'adore comme chanteuse, ça ne gâche rien.

L'illustration m'a gentiment été offerte par Kaellyr. Merci à toi ma belle pour ce cadeau magnifique, je n'aurai jamais imaginé avoir un Fanart personnel pour une de mes fic.

Vous pouvez retrouver ses dessins sur le site Deviantart.

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Bonne lecture, entrez dans le monde de Milo et de Camus. Si différents, mais si complémentaires :)

BiZ,

Peri.


Chapitre 1

Une bonne famille sous tous rapports

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Les notes s'envolent par delà les fenêtres ouvertes donnant sur le jardin. La musique provenant du grand salon emplie les couloirs attenants à la pièce. Les jardiniers qui s'affèrent dehors suspendent leurs travaux pour écouter cet air qu'ils connaissent si bien.

Résonne dans la demeure, Fantaisie impromptu de Chopin. Joué au piano par le maître de la maison, enfin l'héritier pour être précis. Un jeune homme assis devant son instrument s'emporte en se laissant pénétrer par les accords doux et plus violents de la mélopée. Il est comme qui dirait en transe, plus rien ne compte autour de lui. Il ne s'aperçoit de rien d'ailleurs dans ces moments là. Seul avec sa passion, sa musique, il transcende les notes pour faire vivre l'œuvre du compositeur. Ses doigts survolent à peine les touches, l'on jugerait qu'il ne les pressent pas. Ses mains s'agitent en mouvements élégants mais empreints de force, elles se multiplient pour couvrir l'ensemble de la nuée de touches. Le jeune homme vibre sous le flot acoustique. Il est beau. Tout simplement sublime nappé dans la rage de sa passion, il joue toujours plus fort, avec ténacité. Aucune fausse note ne trouble ce moment de grâce. Il accompagne les gestes de son corps à la musique. Ses yeux sont clos, il bouge avec elle, des perles salées prouvent l'intensité de son interprétation, elles tombent sur le piano ou longent la lignée de son cou. Quelques petites mèches éparses céladon collent à sa peau.

Il est interrompu par sa mère qui vient près de lui en applaudissant.

— C'est magnifique comme toujours. Vous m'éblouissez à chaque fois.

— Merci mère, mais cela n'a rien d'épatant.

— Au contraire. De minimisez pas votre talent mon fils. Vous recelez bon nombre de qualités d'ailleurs… Je suis certaine que toutes les jeunes filles en fleur du beau monde s'arrachent vos faveurs… dit Eulalie en riant.

Elle observe en biais la réaction de son fils, qui ne trahit rien de son émoi si tant est qu'il en ressente un. La dame poursuit.

— Enfin, dommage pour elles… Vous êtes déjà pris mon cher Camus.

— Vous avez entièrement raison. Je suis dévoué à ma tendre fiancée.

— Je vous avoue que je suis pressée de vous savoir marié et rangé… Bien que votre vie soit exempte de tout débordement. Nous vous faisons confiance votre père et moi. Mais bon, que voulez-vous… J'ai hâte que vous me donniez des petits enfants.

— Je ferai mon possible pour satisfaire votre désir de pouponner chère mère.

— Cela n'a pas l'air de vous réjouir ?

— Je suis navré mais je dois vous quitter, j'ai des choses à faire.

— Encore le travail je présume… Quand est-ce que vous allez vous octroyer des moments de repos ?

— Je ne puis vous dire… Je l'ignore moi-même.

— Vous allez vous épuiser à la tâche, ménagez-vous…

— Ne vous inquiétez pas mère, je prends soin de moi, conclut Camus en embrassant la joue de sa mère.


Camus est un fils de bonne famille, issu de la plus haute bourgeoisie française il fait la fierté de ses parents, surtout de son père Augustin Serroux de Touque, descendant d'une riche lignée de nobles. Il en est le digne héritier, sa vie est déjà toute tracée. Il reprendra le flambeau familial des Editions Aquarius, dirigé par son père, homme de lettre. Camus est comme lui, il aime la littérature, la philosophie, les mots. C'est un intellectuel, on ne peut lui enlever cette particularité. Depuis toujours il vit avec ses livres, les emmène partout avec lui. Dans ses voyages, en vacance, pendant son temps libre et même au travail. C'est pour cette raison qu'il embrassa la carrière d'éditeur, d'abord pour se faire la main dans le milieu de l'édition et connaître tous les rouages de cette grande entreprise. Son père lui attribue de plus en plus de responsabilités, une fois à la retraite son fils prendra la suite tout naturellement. Seulement rien ne se fait tout seul, et les choses ne doivent pas tomber comme par enchantement dans les bras de Camus, par conséquent il a commencé en bas de l'échelle comme tout le monde.

Il ne s'en est jamais plaint puisque le jeune homme possède un sérieux à toute épreuve, le travail ne lui fait pas peur. Il a pris à bras le corps son destin tout tracé pour ne pas décevoir son père. Camus ne déçoit jamais personne d'ailleurs, il suit les pas de son aïeul. Son comportement n'est pas source d'inquiétude, au contraire, son tempérament mesuré, réfléchi, posé concorde avec sa nature discrète. Il navigue calmement par delà les ras-de-marées de la vie. Aucune vague ne vient perturber son parcours, il fait ce qu'on attend qu'il fasse, point.

Une fois douché et changé, le jeune homme part au siège de sa future maison d'édition. Pour le moment malgré des revenus plus que confortables il s'est installé chez ses parents. Leur habitat se situe dans la commune de Versailles, isolé des autres quartiers. Augustin Serroux de Touque dispose d'un manoir au cœur d'un parc privatif, lieu de bon nombre de réceptions mondaines et culturelles. Pour Camus il est plus commode de résider avec ses parents que de vivre seul, de plus une ribambelle de domestique est aux petits soins pour lui, que demander de mieux ?

Il enfile un costume chic mais sobre griffé Armani puis s'en va. Le majordome lui tend son manteau avant de passer la porte d'entrée. Camus le remercie puis va au garage choisir sa voiture du jour.

Sa voiture du jour.

Son père possède une panoplie complète de petits bolides, de grosses berlines ou une Rolls-Royce pour les grandes occasions. Comme quand il se rend à Monaco ou à Cannes entre autre. Son choix se porte sur une Jaguar C-X16 métallisée, modèle sportif incontestable. Ce n'est pas un frimeur, il se fiche totalement du regard des autres mais Camus adore la vitesse et les sensations qu'offrent ce genre d'engin. Comme tout homme il aime les voitures, personne ne lui reprochera. Il s'enfile dans l'habitacle étroit et démarre la voiture. Le moteur vrombit, puissant. Il chante pour son propriétaire, Camus débraie, accélère et part en trombe en crissant les pneus qui perdent un peu de gomme au passage.

Ce moment de liberté le ravi, seul au volant personne ne surveille ses faits et gestes, il reste maître de ses actes. Alors qu'au bureau ou en société, il est tout le temps épié par les gens bien pensants et les vieilles rombières qui le fouinent. Elles cherchent à caser leurs filles ou petites-filles avec ce beau parti. Camus exècre ces personnes aux dents rayant le plancher. Alors là, dans sa voiture il profite. Sans compter les kilomètres dévalés, sans se soucier de la vitesse qui augmente dangereusement. Les contraventions ? Il n'en a que faire, ses moyens lui permettent largement d'honorer ses petites infractions. En outre, tout le monde sait que les personnalités influentes du grata n'ont quasiment jamais de déboire avec la loi ou la justice…

Il arrive enfin au siège des Editions Aquarius. En entrant tout le monde le salue, il ne regarde personne. Sa nature distance attise les rumeurs à son sujet. On dit de lui que c'est un jeune homme imbu de sa personne, qu'il se croit au dessus des autres, qu'il est arrivé par piston… Et bien d'autres ragots peu glorieux. Camus s'en fiche, il sait ce qu'il vaut et n'a besoin de personne pour avancer dans la vie. Les jaloux, il les met au placard. Seul importe son travail et son devoir. Devoir envers son père, sa mère, son titre. Dans sa vie il n'y a pas de place pour l'improvisation ou le divertissement. Camus demeure sérieux coûte que coûte. Rigide aussi, on peut l'affirmer. Il ne fléchit jamais.

Son assistante le salue, lui énonce les tâches jalonnant sa journée et lui remet les messages de la veille. Sans prêter la moindre attention à ceux-ci, une main dans la poche il regarde distraitement les notes sur les post-it. Il les redonne à sa secrétaire puis se dirige dans son bureau.

Camus encadre divers auteurs à succès notamment un tout jeune talent venu du fin fond de l'Orient. Il déniche les meilleurs écrivains pour sa société et sait parfaitement les mettre en valeur. Le nombre de tirages et de livres vendus de par ses protégés dépassent de loin les ventes de ses collègues. Sans en tirer quelconque gloire il sévit en restant dans l'ombre de l'auteur. Ceux qui jonglent avec les mots. Ceux qui les subliment pour inventer de magnifiques histoires qui permettent à tout à chacun de s'évader.

Et justement son nouveau protégé ne devrait pas tarder de débarquer sur le sol français. Il doit arriver dans les jours à venir pour la promotion de son livre et pour superviser son adaptation au cinéma. Le succès fulgurant du jeune écrivain dépasse l'entendement, dans son pays nippon il est connu de tous. D'ailleurs Camus téléphone à l'agent de ce jeune homme immédiatement.

Oui allo Doko Tibère à l'appareil.

— Bonjour c'est Camus Serroux de Touque. Comment allez-vous monsieur Tibère ?

Ah bonjour, bien et vous ?

— Bien je vous remercie. Je vous appelle pour connaître les derniers détails de l'arrivée de Shiryu… Savez-vous quand il atterrira sur notre sol ?

Et bien oui, il a été retenu pour la promotion de son livre au Japon mais il devrait arriver d'ici la semaine prochaine. Si tout va bien.

— Cela serait fort contrariant qu'il déplace encore son vol… Nous l'attendons pour commencer les revues de presse et les interviews. Toute la presse ainsi que les médias ne tarissent pas d'éloges à son sujet. Il suscite l'intérêt du public. Il doit se présenter au plus vite pour que les gens le connaissent. Ainsi nous pourrons débuter le projet cinématographique se rapportant à son livre…

J'en conviens Camus mais… Si vous me permettez… Shiryu est japonais, ses armes il les a faites dans son pays. C'est normal qu'il privilégie son public, il ne peut pas le renier du jour au lendemain. Donc, quand il est demandé sur un plateau télé ou en conférence et bien il s'y rend volontiers…

— Je ne veux pas le savoir. Toute cette histoire traine en longueur et j'ai peur que le public français ne se lasse à force de ne voir personne venir… Convainquez-le, après tout c'est votre poulain.

Je ferai de mon mieux monsieur Serroux de Touque.

— Tenez-moi au courant.

Comptez sur moi.

— Bien, passez une bonne journée.

Vous de même.

Camus est toujours intransigeant lorsqu'il traite à son travail, il ne conçoit pas que l'on manque à ses devoirs, et ce jeune Shiryu aurait déjà dû se présenter sur le territoire français depuis un petit moment…

Son livre va être adapté au cinéma, il s'intitule Toi, où quand mon cœur se déchira. L'histoire relate la relation d'un officier allemand avec un rescapé juif après la guerre, autant dire que le scénario est sombre, violent et cru, ainsi que tragique. Pour son jeune âge – il n'a pas encore atteint la majorité – le japonais détient une maturité à toute épreuve. Son génie le hisse en tête des charts dans son pays et sur le continent européen depuis peu. Le jeune écrivain voue une passion indéfectible pour la culture occidentale et encore plus pour l'histoire de France, c'est pour cette raison qu'il manie aussi talentueusement les diverses époques et évènements de notre passé. L'on peut avancer sans crainte que Shiryu possède un don inné pour l'écriture et qu'il a une intelligence remarquable. Camus ne le lâchera pas de sitôt, dut-il aller le chercher en personne dans le pays du soleil levant.


Ses journées se passent quasiment toujours de la même façon. Travail, manoir, dodo. Camus ne s'accorde pas de moments de détente, ils sont si rares que sa mère Eulalie pourrait les compter sur les doigts d'une main. Il a des amis oui, mais il les voit que trop rarement. Sa fiancée également ne prend pas une trop grande place pour le moment dans sa vie. Etonnamment cette dernière vit au Japon elle aussi. C'est une héritière et fille d'une famille influente, la dynastie Kido. Son arrière grand père fonda une société qui s'est vu croître ces dernières décennies. Elle allie l'avancement sur la recherche médicale, les nouvelles technologies, la robotique et le nucléaire. A vrai dire les activités du dirigeant restent vagues et personne n'ose lui poser de question ou le titiller sur elles. Mitsumasa est le patriarche, on n'ennuie pas le patriarche.

Sa petite fille Saori fait sa fierté, elle est très courtisée chez elle. Mais connaissant Auguste, le vieil homme conclut un mariage arrangé entre sa tendre princesse et le fils de son ami.

Camus ne protesta pas, s'évertuant à rendre heureux son père et à attiser sa fierté. Il accepta ce marché. Sans amour, sans passion. Il a dû voir la jeune fille en tout et pour tout que cinq ou six fois, quand elle se rend dans la capitale pour ses séjours shoppinesques et détente. Leurs rendez-vous se restreignent à des après-midi tranquilles, des brunchs, des soirées mondaines et ce surveillé en permanence par le garde du corps de la jeune fille. Ou son aïeul personnellement. L'héritier de l'empire littéraire n'exprime pas de réels penchants envers sa fiancée, encore une fois il s'accoutume de son devoir et s'en tient là. Quand elle n'est pas présente il ne ressent pas de manque, quand elle est là, il joue les gentlemans comme il le ferait pour toute gente demoiselle. Ce n'est certainement pas la fougue qui dicte sa vie. Loin de là. Camus peut paraître froid, distant, limite frigide car tout simplement il n'a pas encore connu la perdition de son âme dans les bras de quelque jeune fille. Il ne sait pas ce qu'est l'amour tout simplement. Et ne cherche nullement à le connaitre. Il vit sans se préoccuper des affres des émois.

Pourtant en pleine fleur de l'âge il devrait profiter un peu plus, rechercher l'aventure, le danger. Mais non, ces mots ne font pas partis de son vocabulaire, lui est une force tranquille. Pendant que ses homologues de vingt ans s'amusent ou se débauchent, Camus endosse le costume de « futur patron et mari » pour contenter ses parents. Il est en représentation permanente, parfois cette mascarade l'épuise mais il ne le montre pas. Rester digne en toute circonstance. Maîtriser à la perfection ses émotions. Revêtir l'habit de prince dignitaire, tels sont les mantras que se répètent inlassablement le jeune éditeur.

Camus est une poupée de cire, stoïque à lui tout seul.


Au diner du soir au manoir, Eulalie discute joyeusement avec son mari devant son fils impassible. Elle se tourne vers lui.

— Dites-moi mon fils, quand Saori devrait-elle venir ? Vous devez être pressé de la revoir non ?

Camus finit d'avaler le morceau de viande qu'il avait en bouche puis répond.

— Pas maintenant mère. Elle n'a pas prévu de voyage dans la capitale pour le moment.

— Ne voudriez-vous pas aller lui rendre visite au Japon ?

— Cela m'est impossible. J'ai beaucoup de travail en ce moment. D'autant plus que je vais être très occupé pour les mois à venir. J'encadrerai le tournage du film retraçant l'histoire de mon jeune auteur. Je n'aurai pas une minute pour moi.

— Oh mais quel dommage… Auguste, il serait peut être bienvenu d'attribuer des vacances à Camus…

Avant que le maître de maison ne prenne la parole, Camus la coupe.

— Inutile mère, je vous assure. Je vous remercie de votre sollicitude mais vraiment, je ne peux me permettre de déserter la maison d'édition maintenant.

— Pourquoi est-ce vous qui devez vous occuper de cette tâche ? Une fois le livre sorti, n'est-ce pas aux maisons de production de prendre le relais ? Votre travail s'arrête là…

— Non mère. Pas en ce qui concerne le succès de ce livre. Il dépasse tout. Et Shiryu est encore jeune et naïf, voir fragile. Je représente son point d'attache, il ne comprendrait pas que je ne l'assiste pas dans son aventure. Je le suis depuis le début, je ne veux pas que l'on dénature son histoire. Surtout qu'il est très timide, il n'osera pas récriminer si les scénaristes changent son œuvre. Je dois superviser le plateau du début jusqu'à la fin… Saori le comprend parfaitement, ne vous inquiétez pas.

Eulalie fait la moue en signe de désaccord mais finit par céder aux arguments de son fils.

Camus ne se rendra pas au Japon pour son plus grand soulagement. Il préfère cent fois rester dans sa maison d'édition à bucher comme un bourreau de travail, plutôt que de se prélasser et de s'ennuyer. De surcroit, la culture nippone est loin d'être sa tasse de thé sans mauvais jeu de mot. Mais pour faire comprendre les choses à Eulalie il faut se lever de bonne heure… Ou les lui répéter plusieurs fois.

Comme tous les soirs, le jeune homme va se coucher en compagnie d'un de ses romans qui le transporte dans un autre monde. Il n'a pas besoin de sentir la chaleur d'une femme à ses côtés, ni de s'emporter sous la fièvre d'indociles caresses. Il referme son ouvrage et éteint la lumière. La journée de demain s'annonce encore longue et laborieuse.

Il le savait que cette journée serait pénible mais à ce point là, cela dépasse l'entendement. Quelques uns de ses protégés l'ont appelé en proie à des doutes d'auteurs bafoués. Les critiques ou absence de critique émeuvent toujours les écrivains, alors il faut les réconforter dans la mesure du possible, sans les chouchouter plus qu'il ne faut. Redorer leur estime et Camus s'y emploie puisque cette partie de son travail s'inclut dans ses attributions. Si un de ses poulains perd pied, c'est lui qui en subira les conséquences. Alors il les écoute, les rassure sur leur talent et leur parle encore et encore. Quelque fois il peut passer plus de deux heures au téléphone pour canaliser le stress d'un de ses écrivains. Comme si cela ne suffisait pas, les maisons de presse et le service marketing l'affublent d'ultimatums ou de consignes plus absurdes les unes que les autres. Il a toujours des délais à respecter.

Délais, chiffre, rentabilité, que de notions abstraites pour un amoureux des mots. Les chiffres s'opposent aux lettres. Qu'est-ce qu'ils viennent faire dans son monde ? Mais Camus n'a pas le choix, il doit calmer le jeu de tous et se plier aux exigences comme les autres.

Cela l'amène à rester tard à son bureau. Quelque fois même, il s'aventure à rendre visite à un de ses protégés pour l'aider dans l'avancement de son livre. Il est toujours de bons conseils et sait ce qui plait au public. Puis quelque fois il endosse le rôle de correcteur, son français impeccable en laisse plus d'un rêveur. Camus pourrait écrire incontestablement, seulement il préfère laisser cette activité à des gens qui ont le temps et qui ont d'autres buts dans la vie que le sien.


Ce week-end il ne travaille pas fort heureusement. Il a prévu de bruncher avec Aphrodite son ami et de passer le reste de la journée avec lui. Il s'apprête à sortir de sa demeure quand des cris de joie s'élèvent de l'entrée. Anne, une des femmes de chambre exprime sa liesse de retrouver un des petits maîtres de la maison – comme elle aime encore à les appeler.

Camus dans les escaliers menant au rez-de-chaussée entend des « oh je suis si heureuse de vous revoir », « vous nous avez manqué vous savez, votre retour n'était pas prévu ». Il devine de qui veut parler Anne…

Ses doutes se confirment quand il se stationne devant son cousin Hyõga, sourire rayonnant accroché sur son visage. Avec lui, tous ses bagages trainent devant la porte d'entrée, quelques unes des employées l'entourent et lui souhaitent la bienvenue. De suite le nouveau venu montre ses dents blanches à la vue de son cousin adoré. Il lui saute dans les bras, ce dernier l'entoure maladroitement.

— Oh Camus je suis si heureux de te revoir ! Comment vas-tu ?

— Bien, et toi ? Pourquoi es-tu de retour ? Nous ne t'attendions pas maintenant… Seulement pour les vacances de pâques… Les fêtes de fin d'année se sont déroulées il n'y a pas si longtemps…

— Je sais, je sais… J'ai une grande nouvelle à vous annoncer à tous…

— Et pour quelle raison as-tu ramené toutes tes affaires avec toi ? demande Camus dubitatif.

— Oh mais ça justement ça fait parti de la nouvelle que j'ai à vous annoncer… Mais je voudrais vous le dire en présence de tout le monde. Où est père ?

— Il n'est pas là. Avec mère ils sont partis rendre visite à des amis à eux. Ils ne reviendront qu'en début de soirée.

— Tu partais ? Je ne veux pas te retarder Camus. Excuse-moi.

— Ce n'est pas grave, j'ai rendez-vous avec Aphrodite… Veux-tu te joindre à nous, nous allons manger en ville ? Tu ne vas pas rester seul ici en attendant nos parents…

— Merci c'est gentil à toi de me le proposer. J'accepte avec joie ! Je suis content, je vais revoir Aphrodite aussi. Je suppose qu'il ne change pas ?

Camus ne répond pas et se contente de pousser son cousin hors de la pièce, il encombre le passage des domestiques.

Cela peut paraitre troublant que Hyõga appelle son oncle et sa tante « père et mère » mais il les considère comme ses parents. Ce n'est que le cousin de Camus mais ils s'estiment les deux comme des frères. Des frères de cœur.

Le cadet est orphelin depuis sa plus tendre enfance. Ses parents sont morts dans un accident d'avion. Son oncle, Augustin – frère de son feu père – le recueillit lui et son frère, Isaak, les élevant comme ses propres fils. Il ne fit jamais aucune distinction entre les trois enfants, en intégrant ses neveux dans son cercle familial. Depuis, il s'évertue à leur donner la même éducation, amour et de pourvoir à tous leurs besoins.

Hyõga est par définition beaucoup plus insouciant que son frère. Peut être la désinvolture de la jeunesse y est pour quelque chose ? Lui est âgé d'à peine la vingtaine, hors Camus atteint les vingt sept ans. Au milieu le cadet n'en a que vingt trois. L'ainé tient le rôle de grand frère protecteur et surtout de modèle.

Ils partent en direction de la capitale pour retrouver Aphrodite. Hyõga parle sans cesse, il n'a pas une minute de répit. Il détaille sa vie à l'université de Cambridge en Angleterre. Son père d'adoption l'y a envoyé pour qu'il étudie dans l'une des meilleures écoles de la planète. Il ne manque de rien. Mais paradoxalement en ce moment, le désinvolte jeune étudiant relate plus ses frasques et ses soirées que le résultat de ses partiels… Arrivés à destination, Aphrodite les attends à l'intérieur du restaurant huppé. Il aime les déjeuners officiels-people-et-tutti-quanti.

En voyant son ami arriver en compagnie de son frère, Aphrodite pose le menu sur la table et lève son bras en signe de bienvenue. La salle est remplie de monde déjà.

— Oh je suis ici ! crie-t-il.

La discrétion n'est pas sa principale préoccupation, à vrai dire il aime plutôt se montrer en spectacle. Alors si tous les regards se portent sur lui à cet instant, il n'y prête pas attention. Pas comme son ami Camus qui sent la gêne monter en lui. Hyõga est pareil qu'Aphrodite, il se contrefiche des gens autour de lui.

Il s'avance en se détachant de son frère pour dire bonjour au bleuté.

— Oh je suis si content de te revoir Aphro ! chantonne le blond.

— Mais je vois que l'air brumeux de l'Angleterre te sied à merveille mon minet. Que fais-tu ici ?

Les nouveaux venus s'assoient à table. Un serveur arrive pour prendre leur commande. Hyõga reprend en ajoutant un clin d'œil au passage.

— Mon frère me manquait de trop.

— Tu parles… Bon tu ne veux toujours pas m'avouer la raison de ton retour inattendu ? répond le frère en question.

— Non, ce soir au dîner familial. Tout le monde doit être présent.

— Et bien ! Que de mystère pour pas grand-chose si ça se trouve… rajoute Aphrodite. Tu ne serais pas revenu à cause de quelqu'un dis-moi ?

— Non il n'y a personne dans ma vie pour le moment.

Le bleuté n'est pas convaincu mais n'insiste pas, il porte son verre de Perrier à la bouche d'une façon nonchalante. Tout dans ses gestes traduisent une attitude savamment recherchée, une sorte de détachement additionné à de la grâce. Il est très dur de rivaliser avec ses manières chichiteuses.

Le repas se déroule sans encombre, comme toujours Aphrodite parle des derniers potins de son travail. Il rédige des chroniques pour le magasine à scandale Gossip Paris, où tout le gratin mondain ainsi que les petites vedettes de téléréalité y ont leurs encadrés. Il adore cette ambiance « nid de vipère », normal, il s'y impose en tant que souverain des pics acides. Personne ne rivalise sur son terrain, qui se frotte au bel adonis s'y pique en y laissant des plumes.

Camus s'en chagrine, pour lui son ami gâche son talent littéraire dans ce torchon à rumeurs. Toute la fange de Paris s'y donne rendez-vous. Il aspire à d'autres orientations pour le bleuté, mais il en va ainsi du volubile Aphrodite. Il n'écoute personne. Pour le moment son métier lui plait, il ne cherche pas plus loin. Ils se sont rencontrés au lycée puis on fait leurs classes à Hypokhâgne, depuis ils ne se quittent plus. Même si le fashionista se complait dans un style qui brime ses talents. Bref, ce n'est qu'un détail pour Camus.

Ils passent l'après-midi ensemble à flâner dans la capitale au gré de leurs envies. Hyõga ne tient pas en place, il veut tout faire, sortir, s'amuser, profiter. Seulement il vient de revenir, le trajet l'a indéniablement fatigué et ses esbroufes épuisent également son cher frère… Aphrodite lui indique que s'il veut sortir il peut l'appeler à n'importe quelle heure du jour comme de la nuit, étant un oiseau de nuit – magnifique paon nocturne.


Le soir, Eulalie et Augustin sont accueillis par un jeune homme plein d'enthousiasme. Il se formalise beaucoup moins que son frère, n'hésitant pas à sauter au cou de sa mère d'adoption. Il en fait de même avec son paternel, ce dernier se veut froid et sévère mais il l'est seulement en apparence… Ses fils effritent sa barrière comme neige fond au soleil. Assis dans un petit salon privé, ils prennent l'apéritif avant le dîner.

Hyõga semble tout à coup mal à l'aise, pas dans son élément. Il fait tournoyer son verre en admirant le glaçon qui se cogne contre les parois du récipient, l'air pensif. Camus qui l'a remarqué, bien calé dans son fauteuil se redresse et pose son verre sur la table. Il l'encourage à prendre la parole en accrochant son regard limpide dans celui glacier de son cadet.

— Père, mère… J'ai quelque chose à vous annoncez, se lance le blondinet.

— Nous t'écoutons mon fils, exprimes-toi, poursuit Augustin.

— Oh laisse-nous deviner… Tu as rencontré une merveilleuse jeune fille et tu veux l'épouser ? suppute Eulalie.

— Ma chérie, attends que Hyõga nous révèle son aveux enfin… Si tu l'interromps toutes les cinq minutes nous n'y arriverons pas…

— Oui je sais Augustin mais je suis présume que cette nouvelle concerne une charmante demoiselle, sans ça pourquoi serait-il revenu ?

— Peut être pour nous voir ma chérie, tout simplement.

Les parents monopolisent la conversation, Hyõga ne parvient pas à en placer une. Camus intervient pour abréger cette affaire.

— Excusez-moi mais Hyõga n'a toujours rien dit… Ne devrions-nous pas le laisser finir ? Sans ça, nous pouvons repoussez l'heure du dîner à demain matin…

— Camus, tu as un sens de l'humour que j'apprécie, tellement fin. Bon, vas-y mon tendre enfant, dis-nous tout, s'en amuse Eulalie.

Le jeune homme se racle la gorge, prend une grande bouffée d'oxygène pour se donner du courage. Il regarde ses parents droit dans les yeux puis…

— Père, mère, Camus… J'ai quitté l'université de Cambridge. J'ai tout plaqué pour revenir ici parmi vous. J'en avais assez de cette atmosphère pompeuse avec des étudiants qui s'écoutent parler et qui se regardent leur petit nombril à longueur de journée. Voilà, je reviens à la maison !

Tandis que le visage séraphin d'Eulalie se décompose, celui d'Augustin semble se tordre sur lui-même… Comme s'il tentait de rentrer à l'intérieur de lui, chose très étrange mais terrifiante pour le préciser… Il se fige de seconde en seconde, tout comme Camus. Contrairement à ses parents, il n'affiche aucune expression sur son facies. Camus reste toute en retenue.

Au bout d'interminables minutes qui semble former des années pour l'ex étudiant, Augustin lâche d'un ton glacé – pas emporté mais froid.

— Jeune homme tu crois que je paye des études pour te faire profiter des fêtes sur le campus et de loisirs oisifs ? Tu penses que tu peux quitter une prestigieuse école de ce genre comme ça, en claquant des doigts ? Tu t'imagines que la vie est un champ de marguerite où il ne règne aucune contrainte ? Tu sais combien de jeunes tueraient pour entrer à Cambridge ? Est-ce que tu le sais Hyõga ? Que vas-tu faire de ta vie ? Que comptes-tu faire ici maintenant que tu es revenu ? As-tu réfléchi ne serait-ce qu'une seconde à ma réputation au sein des dirigeants et du doyen !? J'ai fais mes classes là-bas ! Que vont-ils dire de moi !? Hyõga…

Un roulement dans la gorge du père s'est fait entendre. Tous ont redressés leurs têtes. Ce n'est pas bon signe quand Augustin Serroux de Touque s'emporte comme cela… Le jeune écervelé l'a poussé à bout, aux portes de la rage.

L'ambiance s'est considérablement refroidie et c'est dans un climat polaire que les membres de cette digne famille ont mangé.

En attendant de trouver à recaser le cadet, il résidera à demeure comme on dit.

(suite...)