Titre : Thirst

Disclaimer : Les personnages ne nous appartiennent pas et nous ne touchons aucune compensation financière pour la publication de ce texte.

Rating : M pour certains chapitres


Bonsoir au gang des pastèques estivales,

Je dois dire que je suis très agacée. Je viens de voir en me connectant pour poster le chapitre que j'avais des MP datant d'il y a UN PUTAIN DE MOIS en attente sur le site (pas de notifs, je me suis déjà connectée plusieurs fois entre temps sans qu'ils apparaissent etc). Pourquoi, pourquooooi ça n'arrête pas de planter, screugneugneu de merde ! [insérer un cri de guerre et une hache] Je brandis également un death note, voilà. Tremblez, responsables du site, la vengeance sera rouge.

Je m'excuse pour les personnes concernées par ce retard de réponse et je vais de ce clic régler la situation.

Voici le chapitre habituel de juin,

Bonne lecture !


Chapitre 49

Statu quo


Sorte de litanie urgente de mes doigts pressant les touches du clavier. L'envoi, puis l'attente et le manège qui se répétait, inlassable. Tout s'arrêta, pourtant, avec sa réponse qui n'arrivait pas. Mon impatience enflait comme l'armada de ballons multicolores fraîchement harnachée au portail mal peint de la petite Zénobia, trois ans, fêtant environ quatre-vingts longues années d'emmerdes à porter un prénom aussi indécemment pourri.

Takada, elle, ne me faisait pas attendre. Jamais elle n'aurait laissé filer quinze minutes sans indiquer poliment qu'elle était occupée. La politesse. Notion aussi abstraite qu'une déclaration d'impôts sans fraude fiscale pour certains, et pour d'autres, probablement aussi obscure que l'art de la dégustation de jardinière de légumes sans décorer généreusement une cuvette de toilettes sur une bordée de jurons évocateurs. Si on se limitait aux jurons.

Faute de mieux, je surfais sur le... site de l'université. Chaque fois, mon dégoût pour cette chose grandissait. Oui, on pouvait appeler ça un site, si on avait la même conception d'internet qu'un blaireau, la patte dans une tombe en forme de chausson en fourrure véritable. Le machin était dépourvu de pare-feux comme pas permis. Et contourner sa sécurité rachitique de céleri malade s'apparentait méchamment à déposséder un enfant de sa glace à la vanille en la lui écrasant sur la figure.

Je m'ennuyais. Terriblement et cherchais L par habitude, autour. Pas là. Me souvenais trop bien de la raison pour laquelle je n'allais pas lui demander de venir. Même si je ne communiquais pas seulement avec Takada, sa réaction de la dernière fois avait suffi. Jalousie amusante, satisfaisante à se lover en chat ronronnant au creux de mon ventre et qu'il cachait si mal. Elle avait une saveur particulière à tester, gourmandise toujours nouvelle. Sauf qu'elle était hors de propos, maintenant. J'avais un début de piste : ce n'était plus le moment de jouer. Hors de question de tolérer que mon ordinateur traverse acrobatiquement la fenêtre ou vienne faire un joli plongeon dans une substance dangereusement corrosive avant que je termine ce que j'avais commencé.

Inimaginable de lui dire quoi que soit en l'état actuel, il ne méritait aucune imperfection dans la déduction et je n'étais pas sûr de mon coup. Pas encore.

C'était long, il ne donnait plus signe de vie. J'actualisai quinze fois la boîte de réception avant de fermer la page, agacé. Conscience douloureuse de l'inutilité absolue de la manœuvre qui se plantait dans ma patience mourante et la tentation de prévenir le détective mordillait l'adrénaline. Difficile à contenir, retenir. Je faillis craquer, actualiser encore. Voulus me passer les nerfs sur autre chose, sans succès, renoncement délicieux et cramant à la fois. Impatience.

Toute la maison étouffait, se texturait en brume acide, agressive. Le soupçon se déversait dans les sillages, pire qu'une nappe de pétrole larguée en mer par des capitaines de pédalo en mie de pain peu scrupuleux. Le doute s'apparentait à la souplesse du tigre, se faufilant, jouant les phrases à double sens comme avec des proies, jusqu'à les lacérer de sous-entendus entre ses griffes. Cette douce ambiance mortuaire résultait, bien sûr, de la révélation d'une taupe dans les rangs : personne ne savait à qui en vouloir. Dilemme triste et toxique. L n'avait probablement pas eu raison d'en révéler autant à l'équipe, aussi clairement. Pour autant, il n'avait pas forcément eu tort de le faire. La découverte du traître serait juste plus difficile. Déguisement d'un sourire, à la dérobée d'une tasse de thé : L aimait corser ses parties. La chasse était lancée.


J'avais tourné comme un animal en cage. Sans succès. Fallait que je le fasse, que j'aille lui parler. Certains couillons bousillés au plomb et finis à la pelle à tarte du mépris biologique dévoilaient une capacité étonnante à suivre on ne savait quelle convergence magnétique de radis chinois à pois bleus pour s'orienter dans un magasin IKEA. C'étaient probablement le même genre d'imbéciles heureux pensant que les étoiles devaient s'aligner pour annoncer quelque chose de délicat à une personne aussi mal lunée qu'un insomniaque grizzli grincheux. Concept qui témoignait juste d'une ignorance abyssale de toutes les règles élémentaires de la physique et de la communication, mélangée avec une naïveté confondante de semelle bouillie.

Si le bon moment n'existait pas, restait que certains étaient plus propices que d'autres et celui-là me semblait... peu approprié. Tant pis. La mauvaise humeur de L pourrissait tout depuis des heures, bulle nécrosante à l'origine non déterminée, qui urticait littéralement l'air autour de ses épaules. Cerise sur la fosse à purin de son humeur, il en avait fait allégrement profiter les autres, c'était évident rien qu'à le regarder. Merci bien. Mention persévérance dans l'erreur accordée.

À tout cela s'ajoutait une autre conséquence logique : lentement mais sûrement, la colère de l'équipe se redirigeait vers lui. Ce n'était pas seulement un coup de canif supplémentaire dans la relation police-L. C'était pire, plus profond que ça.

« L, tu peux venir ? »

Regard à peine moins torve pour moi, mais il finit par se lever, m'accompagner jusqu'à la pièce voisine. Plus voûté encore que d'habitude, bras croisés et mine chiffonnée. Autant dire qu'il était parfaitement réceptif et parfaitement insensible à mon regard de feu. Approche semi-agressive choisie, seule approche possible pour le moment.

« Qu'est-ce que tu fais, bordel.

– J'imagine que tu vas me le dire, partage ton divin savoir avec le pauvre mortel que je suis.

– Ton attitude. Si tu n'es pas capable de voir que tu en train de foutre en l'ai – » Je m'interrompis. Un souffle d'un côté ou de l'autre et l'équilibre de la corde serait rompu. « Tu as déversé la poudre dans toute la maison. Et, maintenant, tu es en train de tout faire exploser. »

Une pointe de sarcasme fila ses traits en flèche. « Belle image. Enfin, je ne sais pas... tellement stéréotypée. » Et il osait avoir l'air vaguement ennuyé, en plus.

« Tu préfères un dessin ? Une autre « belle image » avec une fuite de propane et un peu d'électricité ?

– Non. Vraiment.

– Dommage. Bien obligé d'en arriver là puisque tu n'es pas capable de voir les limites tout seul. Comment tu faisais avant ?

– Tu avais dit que tu n'interviendrais pas, non ? Démonstration.

– Oh, oui, brillant. Je dois repartir dans les « images explosives avec schémas pour chiots débrouillards » ou tu as finalement saisi le problème ?

– Repartir, oui, fais donc ça. En fait... non. Je me casse et j'emmerde sa sainte Majesté. »

Je souris légèrement, une touche de provocation pour la route, histoire de le pousser à se défouler. « Ce sera déjà ça de moins sur notre dos, et par ça, je veux dire « toi ». Tu ne peux pas te comporter comme si tu avais la rage dans une situation aussi délicate, tu sais parfaitement que tu rajoutes du sel sur les plaies en accentuant les tensions. Ravale ta mauvaise humeur comme un vrai petit garçon et soutien ton équipe, si tu sais seulement le sens de ce mot.

– Super. Merci pour ces conseils aussi précieux et utiles qu'un exposé sur l'histoire du compost à la mer Morte — Cette fois, je levai les yeux au ciel, trop d'ironie pour que je laisse passer sans réagir. — Et je ne vois pas ce que tu peux critiquer, c'est toi qui voulais tout leur dire et c'est toi qui t'es ensuite retiré lâchement de l'affaire.

– Et ? Pas capable de gérer en grande personne ? Oh, pardon, c'est le cas, tu n'es pas capable. Et tu n'es pas une grande personne.

– Si tu es si parfait, tu aurais dû savoir que ça allait rater. Et si je suis tellement en dessous de tout, tu n'avais qu'à le faire toi-même.

– Et comment tu feras quand tu seras majeur ? » Le ton un peu acide, un peu sucré, fut récompensé par une bouderie partiellement tartinée à son visage. « Pourquoi est-ce que tu es en colère, L ? »

La bouderie coula, sorte de confiture laissée des heures au soleil de juillet. Expression plus sombre captée juste avant qu'il tourne la tête. Savais bien que c'était une question débile. Sa réaction était vexante. « Bon, peu importe, ne viens plus te passer les nerfs sur eux. L'atmosphère est trop mauvaise pour que ça ne t'explose pas à la figure. Trouve-toi d'autres punching-balls ou inscris-toi à un cours de borderie sur napperons.

– Hn. »

Réponse à cataloguer dans la longue liste des indéfinies et dont le mode d'emploi avait été balancé dans un cratère volcanique sur un doigt d'honneur réglementaire.

« Toujours un pro de la communication, à ce que je vois. » Son iris glissa vers moi, mauvais, sa tête toujours détournée. Voyant qu'il ne comptait pas préciser sa pensée de manière intelligible, je saisis l'occasion pour mon information sensible. « À propos, j'ai communiqué avec mes amis de l'université –

– Communiqué, hein. Je suis sûr que Takada a beaucoup communiqué. »

Je haussai légèrement la voix. « – et j'ai quelque chose.

– Une maladie quelconque attrapée à force de fréquenter n'importe qui ?

– Qui a un diplôme en médecine de nous deux ? Indice, ce n'est pas moi. Ou alors tu te mets dans la catégorie « n'importe qui » ? » Mon expression innocente ne l'empêcha pas de me tourner le dos pour partir. Je lui envoyai les résultats avant même qu'il franchisse la porte, non sans le provoquer une dernière fois. En passant. « Attention, je crois qu'il vient de n'importe qui. »

Il ne daigna pas me foudroyer du regard.


Une journée entière et Misa n'avait pas donné preuve de vie. Je me gardais bien d'en demander, même si ce n'était pas bon signe, vu sa charmante personnalité. Et... charmante personnalité, personnalité charmante... regard glissant sur le dos de l'autre spécimen vivant que j'avais sous la main. Il ne daignait plus adresser la parole à qui que soit depuis quelques heures. Intéressant du point de vue de l'hypothèse, frustrant à tous les autres.

Sa dernière trace connue de communication se bornait à un « ok » envoyé par mail. Un monde de non-dits et de refus dans ce mot. Un monde d'incertitude. Ça ne voulait rien dire ok, ou à peine, ou trop. C'était insignifiant ok. L ne disait pas ok, pas à moi, encore moins quand ça concernait l'enquête. Personne ne me disait ok. Jamais.

Trois heures à ce régime de torture et de pain sec et j'avais craqué. Je lui avais expédié le contenu de mes conversations avec Takada et les autres pour lui montrer qu'il n'y avait rien de plus que de la recherche d'informations. Il n'y avait pas réagi et cette indifférence était pire que le mépris. Alors que j'avais cédé. Alors que la poupée était peut-être décodée, enfin. Crâneur. Boudeur. Enfant.

Défilé des jours précédents que je me repassais, à la recherche de la cause principale de son comportement. Takada ne pouvait qu'être secondaire là-dedans, mais pirater les caméras serait suicidaire. Donner de quoi aiguiser le poignard que Watari avait prévu de me planter dans les omoplates dès le premier jour... très mauvaise idée.

En fin de journée, l'alerte tant attendue arriva, autre coup de poignard. « Mouais. Informe. »

Savais même pas que ce mot faisait partie de son vocabulaire. Pourquoi pas « passable », « très moyen » ou « indigent », bienvenue au festival de l'insulte, prenez un ticket, du pop-corn et faites la holà déguisé en canard. Dégoûtant. « Mouais » aussi informe et laid que son impératif, me commandant d'informer les autres. Comme s'il pouvait me commander. Tch. Sale enfoiré passé trop loin de Tchernobyl.

Mais le pire reposait dans le fichier en pièce jointe, cadeau pourri qui n'attendait que de me sauter à la gueule. Chaque imprécision de mon rapport avait été impitoyablement soulignée et corrigée avec la morgue d'une grenade thermobarique embrassant une innocente pivoine dans le souffle de son explosion. Il aurait tout aussi bien pu me cracher dessus.

Éclair d'une projection virtuelle, douloureuse : l'enfant que j'avais été face à L, qu'il admirait. L'enfant face à l'adulte qui le jugeait, qui savait exactement comme le blesser. Et qui en jouait. Odieusement Mouais.

Sourire presque inconscient, mauvais.

Je n'étais plus un enfant, je n'étais pas blessé.

L n'avait jamais vraiment été adulte.

Et nous n'avions jamais vraiment cessé de jouer.

Le dîner passé, laborieusement, je demandais à chacun de venir dans la pièce d'à côté. Le transfert d'une salle à l'autre se fit sous le rythme mollasson des chaussures traînées avec un enthousiasme frôlant le claquage musculaire, des « qu'est-ce qui va encore nous tomber sur le coin de la gueule », « on nous a caché quoi, encore », « allez grande révélation des petits secrets de club privé, je prends les paris » et autres « meh, j'espère que le divorce non consenti avec mon cher et tendre cookie vaudra le coup, sinon je le tromperai avec le brownie ».

J'entendis Matsuda et Akemi discuter à voix très basse. « Tu crois que c'est lui la taupe et qu'il va l'avouer ? Ce serait fou ! »

Je me raclai la gorge et ils se turent pour le miracle d'un silence de trente secondes.

« Mais... j'ai une question …

– Oui, Matsuda ?

– Bon, c'est une super chose, hein, je me plains pas. Paaaaas du touuut mais alors pas du tout du tout de du tout. Mais. Pourquoi c'est pas L qui explique ? Et il est où, d'abord ? »

Du coin de l'œil, un mouvement rapide capté, en retrait. Une pointe noire de cheveux à peine visible derrière le montant de la porte.

Akemi ricana. « Oh, laisse, Mat'. Ils jouent encore au chat et à la souris, comme d'habitude. Et comme d'habitude, on ne sait pas qui est qui, nous, pauvres plébéiens galeux. T'inquiète pas, je suis sûr que le monsieur parle sous contrôle et que L nous observe en boudant à l'autre bout du bâtiment en bouffant les derniers gâteaux.

– Tu as mangé les derniers gâteaux, y a pas cinq minutes, débile.

– Tais-toi, mon cher délateur débilisant débitant, il reste... LE brownie. »

Deux regards se heurtèrent sous une réalisation mutuelle puis, calculateurs, filèrent vers la porte. Compétition neuneu, mais les voir se traiter mutuellement de crétins était étonnamment rafraîchissant. Sublime mise en condition.

Tout ce petit monde prit place, plus ou moins sans dispute. Quand Matsuda eut fini d'essayer d'écraser Akemi pour lui prendre la place – autrement dit, une fois qu'il se résigna à perdre – il s'assit piteusement sur un accoudoir. Mogi lui tapota l'épaule en guise de soutien psychologique essentiel et l'explication commença.

L, adossé au chambranle de la porte, me toisait d'un air narquois. Se pensait peut-être déstabilisant ? Définitivement là pour compter les pots cassés et me les renvoyer à la figure avec un « bien fait » en guise de condoléances.

Mouais.

Lui offris un sourire parfaitement arrogant, parfaitement sûr de la réussite, le temps d'un battement de paupières. Après le dîner, place au spectacle. Il n'avait qu'à suivre la leçon et prendre des notes.

D'abord, récapitulatif des informations déjà données par L sur la poupée. Le pollen trouvé dans les cheveux pour le lieu : Todai. Huit écailles manquantes sur l'une des chaussures. Les éléments de la poupée (œil, col en vison, cheveux, chaussures, jupe) représentaient des nationalités. La symbolique de l'objet.

Les enquêteurs devaient le savoir, pourtant c'était presque comme une première fois. Le tableau derrière moi se parsemait de photos au fur et à mesure, de mots-clés. La lumière s'allumait dans ces esprits plus vacillants qu'une bougie en plein ouragan, chassant l'aspect vitreux de la perdition neuronale dans le charnier de l'abrutissement.

Ensuite, étape suivante : assemblage des éléments. Fallait-il utiliser une triste comparaison avec des Lego ? Tetris ? Je me réservais les Duplo en dernier – désespéré – recours.

Ils faisaient vraiment des efforts et étaient de bonne volonté, ce que tout le monde – les plus empotés pandas de la galaxie alphabétiquement douzième du nom – n'obtenait pas.

L'exposé touchait à sa fin, presque. Quelques questions suspendues, demandes de confirmation, encore. Mon père tenta un dernier résumé, globalement honorable bien que manquant d'ambition.

« L'université organise donc des conférences, la huitième de l'année scolaire est dans quelques jours. Huit correspond au nombre d'écailles manquantes sur la chaussure. » Je confirmais, il poursuivit avec sa gravité de commissaire en exercice de ses fonctions. « La conférence rassemble des intervenants de différentes nationalités, celles qui sont indiquées par la provenance des cheveux de la poupée, de ses yeux et ainsi de suite. » Seconde confirmation. On arrivait à la phase délicate. « J'imagine donc que tu veux y participer, à cette conférence. »

Je n'hésitai pas. Essayai de désamorcer. « Oui, je suis le seul à connaître l'endroit, les professeurs, certains étudiants. Si quelqu'un est suspect, j'ai plus de chance de le repérer que n'importe qui d'autre, ici. Tu pourrais cependant venir en renfort pour nous surveiller et assurer nos arrières en cas de problème. Tu pourras faire une reconnaissance sur les lieux avant, si tu le souhaites.

– Hum. Nous ?

– L connaît l'université.

– Il pourrait y aller seul.

– Non. Il ne l'a pas fréquentée longtemps, n'a gardé aucun contact avec les autres étudiants et, d'ailleurs, il n'en a pas eu pendant qu'il était là-bas. »

Il sourit, désabusé. « Contrairement à toi.

– Oui.

– Tu es malade.

– Je me sens mieux. Ta présence serait essentielle et ne sera pas suspecte.

– Et le fait que L n'ait pas gardé contact en tant qu'étudiant impliquerait que vous ne seriez pas assis côte à côte, j'imagine. Ce qui impliquerait que vous iriez bien moins trouver les ennuis que lorsque vous êtes tous les deux. Et je pourrais surveiller. » Des plis barraient son front. « Je vais y réfléchir. »

L n'était pas exactement au courant. Mais, il l'était, maintenant. À peine les autres partis, je regardai ma montre. Souris franchement. Tellement moins de temps que L sur le même exercice. Faire plus aurait été difficile.


Pas de nouvelles. De Misa. De L. Ça commençait à être inquiétant pour la première. Trois jours. L'idée que L n'y était pas étranger m'avait traversé la tête … corrélation entre l'humeur de l'un qui semblait empirer chaque jour et le silence de l'autre ? J'avais rejeté l'hypothèse aussitôt après l'avoir émise. Trop de facteurs improbables et si Misa avait voulu revenir elle l'aurait certainement dit.

Quant à L... n'y tenant plus, je repoussai mes draps, sortis.

Il n'était pas dans sa chambre, mais dans une salle secondaire. Tous les meubles avaient été poussés dans un angle et le commentaire sur les volets ouverts, pas très sécurité, s'évanouit seul. Bloqué dans ma gorge.

La lune ronde versait ses ondes lactescentes. Elle offrait presque la clarté du jour, à sa manière froide et cisaillante. Les mouvements étaient vifs, solaires. Je restai muet, à regarder. Son corps dansait, s'arquait et se détendait. Radiant et féroce. Brut et élégant. Comme à voir la force électrique roulant ses muscles d'une évidence-foudre, implacable.

Létale.

La fascination m'immobilisait, dévoration de sa silhouette jusqu'au creux de mes reins. La vie vibrait sur le fil de sa mort, à la tension de l'art martial. Chaque déplacement caressait l'air d'éclosions tranchantes, faisait naître au sol des volutes d'ombre, en chasse. Cadence et perfection hypnotiques. Sa pureté fauve et prédatrice me donnait la chair de poule, jouait avec mon souffle, capture des sens et de l'imaginaire. Et mes yeux dansaient à leur tour, à boire ce corps, cette peau opaline, doucement flamboyante. Magnétique à mourir.

Le rythme ralentit pour ourler sa grâce fluide d'une nouvelle nuance, mouvements liquides plus aériens et doux. Aussi terribles et brûlants qu'un baiser.

« Alors, tu as tout prévu pour intervenir à l'université, si je comprends bien. Je suppose que mettre au courant la personne qui dirige cette enquête est accessoire. »

Timbre plat sous-entendant tellement. Ne m'accorda pas un regard quand, moi, je ne pouvais pas cligner des yeux.

« Tu sais très bien que la question est loin d'être réglée, mais au moins, il va y réfléchir sans trop de mécontentement. Je t'offre des cours de diplomatie, en plus des leçons de management ? »

La danse se suspendit comme une perfection brisée. Sa poitrine se saccadait alors qu'il releva les pointes de cheveux tombées sur son visage.

« Tu as dit qu'il fallait que je me passe les nerfs autrement, je le fais. »

Ne me dirait jamais pourquoi il avait besoin de se passer les nerfs. Pas de commentaires inutiles, pas besoin d'échanger ce que nous savions du comportement de l'autre. Alors, il recommença, accroissant en une fraction de seconde ce pouvoir d'attraction qui creusait mon espace de son image. Ses postures déliées m'enfermèrent à lui, plus sûrement que sa foutue paire de menottes. Au détour d'un coup de pied renversé, les commissures de mes lèvres se courbèrent. Il se rétablit, me vit.

« Qu'y a-t-il de si drôle ?

– Je pensais au nombre de fois où tu m'as laissé te frapper. »

Son regard à peine attrapé dans la dépression d'un geste. Iris brasillants, allumes dans la pé si la distance n'avait plus de mots, plus de sens, il passa derrière moi. Amorce pour me retourner, empêchée par un corps coulé contre mon dos. Son souffle un peu sucré glissa un sourire contre ma joue.

« Content que tu le remarques enfin. J'ai failli chercher une image.

– Combien ?

– 100 %. Ton niveau de self défense est déplorable.

– Hn. On connaît ton art des pourcentages impartiaux.

– On peut arranger ça, c'est important pour ta sécurité. »

Ses lèvres caressèrent ma peau, un peu plus haut. Envie dévorante de l'embrasser.

Sans attendre, son genou vint glisser mes cuisses, les écarter. Ses mains sur mes hanches impulsèrent un léger pivot à gauche, remontèrent jusqu'aux côtes, déplaçant mes bras.

Il s'écarta et dit quelque chose. Facile à deviner.

« Je préfère te regarder. »

La vérité, c'était que je ne pouvais pas me concentrer. Il n'y avait que la sensation qui tordait tout le reste en anarchie exclusive, héroïnomane. La vérité, c'était que je n'avais rien écouté, rien compris. Et que « regarder » était très en dessous de la vérité.


Après de nombreuses contestations, négociations et corruptions auprès de l'équipe, j'avais pu décrocher un tête-à-tête avec L pour élaborer une stratégie. Ô déchéance. Mais pas le moment de m'apitoyer, hors de question de les mettre totalement de côté cette fois, il fallait que la taupe soit découverte, donc il fallait jouer sur un double tableau et doser les données transmises aux policiers et au mafieux. Pour cette raison, il avait été convenu que je ne sache pas les détails du plan du détective pour infiltrer la conférence à Todaï. Me retins de me frotter les yeux. Les draps de L, craquants de miettes, paraissaient étrangement confortables. Me sentais tomber. Paupières lourdes, fermées quelques instants, perception du temps engluée, déréglée. Tout le reste sombrait dans une mélasse aux tentacules de brouillard. Attraction irrésistible, vers le fond.

On me secoua l'épaule. J'ouvris les yeux dans la lueur grise de l'aube, sans comprendre la colère froide vrillant le visage du détective.

Je me redressai sur les coudes. Ne me regardait déjà plus, occupé à écrire des sms avec une lueur qui devrait selon toute vraisemblance inciter le destinataire au hara-kiri avec un mikado à la fraise.

« Quel crime ai-je encore commis ?

– Rien. Il est 5h30. Au boulot. »

Je restai scotché à l'oreiller. Le retenir par un coin de t-shirt, lui demander s'il croyait ... impensable. Alors, ma main retomba et je le regardai partir, sa silhouette environnée d'images presque effacées. Souvenirs nocturnes, mal enregistrés, de L me réveillant et me rendormant patiemment. Les échos de ses murmures s'entrecoupaient par les sensations d'un lit froid et vide. Il était donc parti au cours de la nuit, peut-être plusieurs fois, c'était clair, mais la raison ne l'était pas. Une mauvaise nouvelle ? Une situation de crise à gérer ? Il l'aurait dit, sauf s'il pensait ...

Je me levai sur un sursaut et un juron. Saleté de morceau de plastique rose, indifférent à ma haine, enfoncé dans la plante de mon pied.


Rien ne s'arrangeait dans l'équipe. Pas quand L explosait à la moindre télévision allumée, même pendant les pauses, pas quand Akemi lançait des petites remarques assassines à la moindre occasion. Mogi, parce que c'était sa nature, parvenait souvent à calmer les disputes, force tranquille du statu quo. Jamais à se plaindre malgré la rééducation. Jamais à critiquer, jamais un mot plus haut que l'autre. Son retour agissait comme une source bienfaisante dans la fournaise. Mon père, lui, n'avait plus de raison de convoquer un médecin pour le moment et la question des intervenants pendant la conférence n'était pas encore revenue sur le devant de la scène.

J'hésitais à appeler la production du film, Misa n'ayant toujours pas donné signe de vie. Mais il était plus facile d'attendre et de camoufler mon appréhension, sauvage, pour le jour où je devrais repousser la starlette en frontal. Frisson glaçant, impitoyablement réprimé, il n'y aurait plus de distance. Je plaçais l'idée juste à côté de l'arborescence de questions provoquées par mes tentatives de quitter Misa. Je l'enterrais avec toutes ces idées et hypothèses aux implications trop mystérieuses, trop fragilisantes, trop douloureuses. L'enfouis sous les neurones en ébullition, les pensées neuves, naissantes les pensées galaxies, supernovae, au point d'implosion, d'explosion, d'expansion.

« C'est vrai que tu as l'air d'aller beaucoup mieux. »

Aux paroles de mon père, j'eus l'impression d'être projeté des mois en arrière. À travers ces yeux, un échange fulgurant. Passa le regret de ce sourire, de la simplicité de notre relation, un peu voilée depuis le début de l'enquête. Après, qui serions-nous ?

Simplicité plus mortelle que la peste. Le changement n'avait rien de bon ou de mauvais. Il était simplement inévitable.


Pas de charge jusqu'à trouver celui que je cherchais. Le regard noir avait changé de camp.

Son ordinateur fermé sèchement, il eut à peine le temps d'ôter ses mains du clavier.

« Qu'est-ce que tu fais ?

– Pose-toi la question. »

Pc attrapé, vivement éloigné malgré ses gestes pour le reprendre. Il finit par se mettre debout pour récupérer son bien, en vain. J'étais loin, déjà, ordinappeur.

Dans ma chambre, il nous trouva, moi et mon larcin devant le placard.

« Explique. »

Imperceptible froncement de sourcils. « C'est la victime qui doit fournir une explication au voleur ? »

Légère inclination du menton vers le contenu de mon placard.

« Oui ? » Il suivit la direction, repéra tout de suite le problème, particulièrement criant. « Oh.

– Tu plaides coupable ? Puérilité, vol de boutons de chemise, la liste de tes crimes s'allonge.

– Je ne suis pas responsable. » Confrontation acide de regards, m'efforçai de fouiller son visage, à la recherche d'indices. « Je peux toujours dire que c'est moi pour que tu arrêtes de me poignarder des yeux, mais ça ne changera pas la vérité. » Je croisai les bras, il poursuivit, sa phrase en écho de ma pensée. « Je préférais que ce soit moi.

– C'est peut-être Akemi ou Matsuda. » Je n'y croyais tellement pas... et lui non plus, il fallait quand même vérifier.

Nous savions ce que cela signifiait. Couper tous les boutons des chemises était d'une futilité finie, mais là n'était pas le problème. L'aspect inutile de l'action ne faisait que renforcer la dangerosité de son auteur. Il jouait avec nous avec une aisance troublante, qu'il puisse se permettre ce genre d'actes avait de quoi glacer le sang.


Des bruits de perceuse nous attirèrent dans le couloir de l'entrée, volée de moustiques contre la lumière. Un fouillis de câbles sur le sol, d'outils divers. Un tournevis chuta du plafond, lâché d'une main négligente. Il tinta, rebondit, éclata une poignée de vis. Des échelles, des escabeaux dispersés dans tout le corridor, L et Watari quelque part là-dessus, jouant les équilibristes.

Inutile de demander la raison de ce numéro de cirque avec accessoires : dans le désordre entreposé par terre, il y avait un nombre impressionnant de caisses en plastique. Elles contenaient des caméras noires de toutes tailles. Thermiques, numériques, dotées de détecteur de mouvement, haute vitesse et je ne voyais probablement pas tout. Peut-être des caméras miniatures pour truffer d'innocents objets, également. L allait en parler, n'allait pas ? Dans les deux cas, le traître prendrait un coup de pression. La question était : quel coup de pression serait le plus efficace.

Watari demanda la caméra B3333cx. Ajouta, l'œil glissant, triomphant. « Après, nous nous occuperons de votre couloir, Yagami-kun. » Le couloir, seulement, ben voyons. « Nous allons mettre un nombre affolant de caméras, ne vous inquiétez pas. Il ne faudrait pas qu'un autre incident se produise, vous pouvez dormir tranquille. » Il ne souriait pas mais ses yeux étincelaient de satisfaction. Watari avait décidé à qui il mettait le coup de pression, de toute évidence. En fait, il l'avait décidé dès notre première rencontre. Peut-être même avant, quand il observait à distance.

Dommage pour lui, il était l'heureux propriétaire d'une main pourrie dans un jeu minable à se taper le crâne contre une enclume. Traitement de choc à essayer pour lui remettre les idées en place, manuellement.

Un concert de rugissements furieux, claquements, cavalcades, et un Matsuda surgit, filant dans la direction opposée alors qu'il me hurlait de ne surtout pas prononcer les mots « gâteaux », « je », « tout » et « mangés ». Bientôt la phrase complète ? Le reste des recommandations se perdit entre les murs.

Akemi, qui avait passé la tête par l'entrebâillement de porte de la salle de bains, la retira en pouffant un truc minable comme « Tiens, j'ai cru voir passer un Matsuda en fuite. »

Le mafieux se ravisa, ouvrit franchement le battant, apparemment content de lui. « Alors, mes vêtements de rêve, à ton goût ? »

Je serrai les mâchoires. « Merci de ta générosité. Je n'ai jamais eu un ami avec un tel sens de l'esthétique. Ça crève les yeux. »

Il se retenait de pouffer. « Oh, de rien, je savais qu'ils étaient parfaits ces t-shirts. »

Concluant une énième autre conversation bien trop ironique pour avoir même l'apparence d'un dialogue au premier degré, il retourna à ses ablutions du soir. Avec l'indécence de ne pas s'y noyer.

Il me faudrait désormais affronter le détective infernal, que je trouvais seul, ruminant, marchant de long en large. Une amorce de phrase inachevée quand je le vis, qu'il me vit, et tenta trop tard de cacher ses mains charcutées. Signe qui ne trompait pas.

Distance avalée, son poignet dans ma paume, je soulevai une manche et débusquai la victime qui voulait s'y dissimuler. Non, ce n'était certainement pas une histoire de madeleines, cette fois. Il s'était fait ça avec les dents, inutile d'examiner la main droite. Je le lâchai, mon agacement tourné en colère.

« Bien. Tu vas me dire ce qu'il se passe. »

Il eut l'air presque surpris, presque pas moqueur, aussi. « Sinon ?

– Tu verras, mais tu n'iras pas dire que je n'ai pas prévenu.

– Effrayant. Vraiment, je tremble.

– Ce ne serait pas plutôt parce que tu as perdu ton contrôle musculaire à force de te ronger les tendons ? »

À son air angélique, je savais qu'une saleté allait suivre. « Je sais que tu n'as pas fait d'études de médecine mais quand même les –

– Tais-toi. Tu sais très bien ce que je veux dire.

– Encore faut-il le dire correctement. »

Envie enfantine de singer sa répartie insupportable, juste pour voir sa tête. Il déteignait trop sur moi, mais je n'allais pas entrer dans son jeu, il ne m'éloignerait pas du sujet.

« L, dis-moi.

– Ça ne te concerne pas.

– Si.

– Non. »

Affrontement des iris, électrisé à la colère.

« Il te faut vraiment une liste ? Je commence par Kira que nous n'arrivons pas à avoir, Beyond que nous n'arrivons pas à avoir, le traître que nous n'arrivons pas à avoir. Je continue ?

– Jusqu'à la vraie raison, oui.

– Les autres ne sont pas suffisantes à ton goût ?

– Certainement pas. Je veux la raison principale, les autres ne sont que des facteurs secondaires. »

Il serra les mâchoires, parfaitement irritant dans son obstination. Mon sourcil relevé, acérant.

« Alors ?

– Tu cherches trop compliqué, il n'y a rien. »

J'avais compté, trente secondes. Et il avait cillé, très légèrement sur une contraction des tendons du cou.

« Menteur. Fais au moins ça proprement, c'est écœurant d'être aussi con. »

Pas de réponse verbale à l'accusation, mais, putain, il venait de me l'avouer quand même. Tout son corps me le hurlait à la gueule. Savais plus si je lui avais balancé qu'il faisait chier ou si je l'avais gardé pour moi. Ma chambre dont je claquai la porte non sans un regard mauvais pour la multitude d'yeux verts qui me suivaient depuis l'angle du couloir.

Je l'avais prévenu, après tout.

Watari n'avait peut-être pas une main aussi pourrie que ça, pas pour les raisons absurdes et insultantes qu'il invoquerait. Que L le veuille ou non, je connaissais son système. Il était coriace, mais je le connaissais. Par analogie, j'avais craqué le code de la porte d'entrée et j'étais dans la maison. Il avait dû me voir, maintenant, je n'avais rien fait pour me cacher dans les lignes de codes. Absolument rien. Et je n'avais rien détruit, rien modifié. Et il le verrait, ça aussi. Son comportement était la seule raison pour laquelle j'avais piraté le système de surveillance, ménageant une minuscule faille temporaire. Une seule chose m'intéressait. : les enregistrements des jours précédents, centrés sur L.

J'entendais déjà des pas, dans le couloir, courir vers moi.


Thirst


Le bruit cavalant, résonnant le long des couloirs, finalement échoué contre ma porte. Enfin, celle de la cuisine, zone de guerre une nouvelle fois sinistrée, redécorée au fur et à mesure de ma colère. Mon ordinateur au clavier à moitié enseveli sous les miettes de cupcakes à la myrtille allait avoir besoin d'un petit nettoyage pour rester opérationnel.

Le battant ouvert, sur un duo rare. Inquiétant.

Watari en tête, sa main refermée sur le bras de Raito. Trop serrée, les plis du tissu en témoignant.

La fureur irradiait, ondes presque sensibles. Le visage placide fissuré de satisfaction vengeresse. Effrayant.

« Je suppose que tu ne sais pas ce que Yagami-kun était occupé à faire.

– Si. »

Ramassai les miettes du bout de l'index, maigre récolte écrasée sur ma langue. Les vingt-cinq mini gâteaux complètement décimés depuis trop longtemps.

Mon attention reportée sur les deux humains, étouffants. Un au bord de la rage, l'autre caméléon derrière une couleur fade et sérieuse. Impossible de les laisser s'entre-déchiqueter. Le désordre trop pénible. Les éclaboussures trop salissantes.

« Tu peux lâcher son bras, maintenant. » La poigne resserrée, par réflexe, avant de se détendre légèrement. Infantilisation, humiliation. Il devait détester ça. Être traîné devant moi comme un enfant en faute. Pris la main dans le bocal de confiture. Intrigante idée, de l'imaginer enfant, se demander s'il avait déjà volé à manger, si son mauvais goût alimentaire n'était arrivé qu'après.

« Je lui ai demandé de forcer le système, pour vérifier si c'était faisable. Ça l'est, donc maintenant, je peux réparer les failles. Merci Raito. »

Remerciements acides, sans le regarder. Ton d'une platitude absolue.

Seconde de silence, froissement de tissu relâché.

« Je peux savoir, dans ce cas, pourquoi tu ne le supervises pas ?

– Parce que je suis occupé de mon côté. Tu veux un rapport détaillé ? »

Oh, il aurait bien voulu. Ne se satisfaisait pas depuis si longtemps d'explications vagues. À peine quelques années de semi-liberté.

Me demander des comptes, surtout devant quelqu'un d'autre, dépassait ses principes. Et avec lui au moins, je savais en jouer.

« Je suppose que ma réaction a été quelque peu excessive. » Qu'il devait lui en coûter de dire ça.

L'ex-étudiant cachait mal son étonnement, son interdiction face à ces excuses tronquées qui n'arrivaient jamais. Et ne seraient probablement jamais complètes.

« Ça n'a aucune importance, Watari. »

Nous étions muselés par les micros, les caméras trop nombreuses. De toute façon, il n'y avait pas besoin de parler. Il savait que je l'avais couvert, je savais qu'il avait craqué le système parce qu'il ne pouvait se contenter d'ignorer quelque chose. Il savait que je savais, et que j'avais décidé de ne pas laisser Watari lui casser le bras pour ça.

« La prochaine fois, essaie au moins d'être assez discret pour ne pas te faire prendre. C'est embarrassant. »

Son sale sourire épinglé sur son visage, dérangeant. Le tressaillement dans ses phalanges promettait une envie de me frapper galopante, impérieuse. Mais il l'avait cherché. On ne me disait pas que j'étais chiant impunément. Surtout quand je ne l'étais pas. Ou pas autant que j'aurais pu l'être, harcelé que j'étais par des sous-fifres au bord de la sédition.

« Tu es le seul responsable de ça.

–- Pour changer. Quand tu auras le temps, entre deux piratages parfaitement prévus et inutiles, tu pourras commander de quoi fabriquer mon bûcher.

– Si tu l'avais dit, si tu avais prévenu... » Pas besoin d'en rajouter. Ambiguïté parfaite. Juste pour me reprocher la situation alors même qu'il l'avait créée. Réplique de sourire sardonique, à sa seule intention.

« Pourquoi aurais-je fait ça ? »

Un placard ouvert, à la recherche de n'importe quoi de mangeable. Évidemment, qu'il allait finir par apprendre la vérité. Bien sûr, qu'il m'en voudrait. Au moins de la lui avoir cachée. Mais en attendant, il n'était plus nauséeux et pâle comme un fantôme de mauvais film d'épouvante. Alors il profiterait encore un peu de l'accalmie et de l'éloignement de l'ouragan qu'il appelait peut-être encore sa petite amie.

« Ça ne changera rien. J'y arriverai, tu ne fais que me ralentir. »

Mes bonbons au melon à la main, je retournai m'asseoir. Première phalange du pouce mordillée, un bout de peau à moitié déchiré mâchonné distraitement.

« Je sais. » Déchirure du plastique. « Mais c'est nécessaire, pour notre sécurité. » Sa santé physique, ma santé mentale. J'époussetais quelques miettes de mon clavier. Calculai les statistiques de salissure par lettre.

Douleur fulgurante alors qu'il frappait ma main hors de ma bouche, me forçant à arracher ce morceau de peau, déposant un goût de fer rouge sur ma langue.

« Aïe. »

Il n'était pas en colère, il avait envie de m'arracher la tête et de s'en servir comme balle de base-ball. Je l'avais souvent vu énervé, mais là, il était sur le podium.

« Nécessaire pour notre sécurité ? De me maintenir dans l'ignorance ? Explique. » Ton dangereusement lent, maîtrise superficielle. Je fermai mon ordinateur, moins de risques pour lui de finir dans un état encore plus lamentable.

« Ça va. Tu n'as pas non plus jugé bon de me prévenir de ton projet d'inviter ton père à nous accompagner à l'université. Mon avis ne t'a pas semblé opportun, le tien ne l'est pas davantage maintenant.

– Ce n'était pas...

– C'est exactement la même chose. Quelqu'un prévoit un plan important, l'autre ne sait rien et subit sans pouvoir l'ouvrir. Pareil. »

Il inspira à fond, expira lentement. S'assit face à moi. Probablement en essayant de se convaincre de ne pas m'éborgner tout de suite avec un couteau à beurre.

« Écoute, il faut que je sache ce que tu fais, sinon on va perdre du temps, c'est pas le moment de jouer à la loi du talion.

– Il ne faut pas que tu saches, non. Mieux, il faut que tu ne saches pas. Ça ferait tout rater. »

Dès qu'il saurait que j'étais le responsable de l'éviction de la lamproie amoureuse de lui, il me forcerait à la libérer, et il serait de nouveau obligé de la supporter. De se retrouver face à ses dilemmes incompréhensibles. Sa culpabilité de la quitter pour... pincement désagréable près de l'estomac. Ce n'était même pas vraiment ce qu'il faisait.

« Si c'est ce que tu penses, il vaut mieux que je m'en aille. » Aigreur absolue. Aussi violente que sa tape sur ma main, au sang à peine coagulé.

« Bonne nuit, Raito. »

La porte laissée ouverte sur le couloir noir pour seule réponse. Maigre consolation de savoir qu'au moins, il n'irait pas vomir avant de dormir.


Les dizaines de messages s'amoncelaient, longue litanie de plaintes tristement similaires.

« Monsieur le juge,

Malgré tous nos efforts, la patiente n°1V1154 refuse toujours la moindre approche. Nous demandons un complément d'information afin de pouvoir avancer sur son cas. »

Sa présence en hôpital psychiatrique ne l'enchantait pas, visiblement. Pas plus que son séjour en garde à vue pour soupçon de recel de drogue. Je n'avais rien trouvé de mieux pour la virer de mon champ de vision, sur le coup. Et comme son ancienne agent était elle-même tombée pour ce motif, rien ne paraissait exagéré. Pourtant, les rapports de police avaient été bien inspirés aussi, à ce moment-là. Et elle avait creusé toute seule sa place à l'hôpital, sur ordre d'un juge et d'un psychiatre qui n'avaient jamais existé, mais avaient tout pouvoir pour la faire interner. Pauvre petite chérie.

« Monsieur le juge,

Je vous recontacte car Amane Misa est réfractaire à toute tentative de communication et se montre d'une violence verbale extrême. Elle a par ailleurs griffé trois infirmiers. Nous sommes obligés de la maintenir en cellule d'isolement la plupart du temps. Elle est prise de délires paranoïaques et prétend connaître le détective L. Avez-vous dans le dossier des informations qui pourraient nous aider à comprendre ces crises ? »

Bonheur de ne plus avoir à entendre sa voix de craie sur tableau noir, pas tout à fait entravé par le devoir de répondre à ce médecin monomaniaque et incompétent, frustré de se retrouver à ce poste après avoir échoué quatre fois la sélection pour les classes de neurochirurgie. Exactement ce qu'il fallait pour miss Endive Vapeur Au Petit Déjeuner.

« Monsieur le juge,

S'il-vous-plaît, nous avons vraiment besoin de son dossier, d'informations, de quelque chose pour calmer Amane. Elle est étonnamment résistante aux calmants, et réclame sans arrêt sa fille. Avez-vous des informations sur cette enfant ? Notre médecin l'a examinée et ne pense pas qu'elle ait déjà eu une grossesse. Nous sommes forcés de recourir à la contention de plus en plus souvent. »

J'en riais, vraiment, de ce que cette gourde ne parvenait même pas à se faire comprendre. Fallait-il être déficient pour faire passer son chien pour sa progéniture. Elle était fantastique, à alourdir toute seule son dossier. Pour une fois, je rédigeai un mail à ce bon docteur, l'informant simplement que la jeune femme squelette ambulant n'avait jamais été gravide. Pas un mot concernant son chien. Aucune idée de ce que la police en avait fait. Une serpillière, un paillasson, un col pour manteau en fourrure, version Cruella sans les taches dalmatiennes. Les os des hanches de Misa ne devaient pas être loin de ressortir autant.

« Monsieur le juge,

Merci pour cette information, qui n'est malheureusement pas pour nous rassurer. Même si Amane a été admise en premier lieu pour ses problèmes d'anorexie, il semble que ses soucis sont bien plus graves que nous le pensions. Elle parle désormais d'un chevalier, en anglais, ou d'une lumière. Nous pensons qu'il s'agit du même personnage. Il est bien entendu hors de question d'envisager sa sortie avant que son IMC ne soit acceptable, ainsi que vous l'avez préconisé, mais de plus amples investigations semblent nécessaires. Nous allons procéder à une sortie pour lui faire passer une IRM, et rechercher une tumeur dans le lobe frontal, qui pourrait expliquer ses délires érotomanes. »

Particulièrement savoureux. Ce serait si beau, si c'était vrai. Si sa fascination pour Raito ne reposait que sur un bout mutant de cerveau. Les chances étaient tout de même infinitésimales.


Les papiers éparpillés, des plans à l'échelle du campus épinglés aux murs, passant parfois un peu devant des étagères ou des écrans, des épingles colorées plantées comme autant de boutons de varicelle sur les fesses d'un marmot contagieux.

Au sol, des clichés issus des quelques caméras de surveillance disponibles, trop peu nombreuses. Plus proches de moi, les détails des conférences de l'année. Juste autour de mes pieds, les conversations par mail de Raito avec ses amis de la fac. Rageusement surlignées. Celles qu'il m'avait données. Et les plus anciennes, volées. Insupportables de banalités, fadasses, indignes de ce qu'il était capable d'échanger. Avec moi. Pas une conversation scientifique, un peu intellectuelle, rien d'enrichissant. J'aurais dû lui interdire ça, de se déliter dans du blabla stérile.

Soupir. Contre-productif. Entendre tout le monde me renvoyer incessamment que j'étais une calamité sociale bien trop vexant, perte de temps.

Attention reportée sur l'océan à mes pieds.

Le mille-feuille de mon plan se devait d'être absolument parfait. Condition nécessaire à sa réussite. Beyond pouvait se servir de la conférence pour trop de raisons. Asseoir Kira, déstabiliser la cellule d'enquête, permettre à sa taupe de lui transmettre des informations facilement, capturer l'un de nous, nous tuer. Un mélange de toutes ces options.

Il fallait absolument qu'il commette une erreur, se trahisse. Laisse un indice, une empreinte, peu importait. De quoi le déstabiliser. Nécessité impérieuse de faire pression, l'angoisser. Ne plus le laisser tenir son rythme sidérant de lenteur métronome, imposer le mien, fulgurance fatale.

La pyramide de craquelins aux amandes bien entamée, les miettes noyées dans le Nutella. Doigts léchés un à un.

La conférence serait une bonne occasion. Il devait savoir que je chercherais à piéger sa taupe, en ne dévoilant pas tout mon plan à l'équipe. Serait nettement moins satisfait en apprenant que personne n'était au courant de mon véritable plan. Ma confiance retirée à tout le monde. Ce sale tricheur ne verrait plus ma main. Jeu équitable. Qui le mettrait en danger. Lui et l'abominable cancrelat résidu de fausse couche qui lui servait de complice.

Mon plan ébauché, la première strate jetée vulgairement sur le papier, en essayant de m'appliquer pour que ce soit clair pour les adultes mentalement déficients de la maison. L'observation de Raito m'avait indiqué que leur parler comme à des chiots moyennement doués était efficace. En mettant des numéros d'étapes et des couleurs, ça passerait peut-être mieux.

1. entrée par la porte principale ouest, sur la rue Hongo Dori

2. opération au hall de conférence Sanjo, lieu de la conférence

3. sortie par la porte sud, proche d'un arrêt de transports en commun, ou par le grillage, peu haut sur ce côté, si la porte était contrôlée

Mouais. Je pris un surligneur, me glissai jusqu'au mur pour tracer le trajet directement sur une des copies du plan. Avec des petits numéros. Que c'était triste. Mais il fallait que l'équipe pense que je ne l'excluais pas, pour que l'ensemble fonctionne.

Le plan de secours sur le même modèle. Officiellement au cas où Beyond se servirait des pouvoirs de Kira pour contrôler des personnes avant leur mise à mort. Kira avait ce pouvoir. N'avait jamais clairement défini pour nous ses limites. Et s'il les avait testées, alors les échecs nous étaient forcément inconnus. Nous savions de quoi il était capable. Il savait ce dont il n'était pas capable. Et c'était un net avantage en sa faveur. D'autant plus si ses capacités différaient de celles des Kira précédents. Ce qui était probable.

Un joli « 2 » inscrit en haut d'un deuxième plan vierge. Le hall de conférence entouré en rouge.

Je me faisais l'effet d'un enfant jouant à un relier-les-points. Encore un peu et je me mettrais à réclamer des gommettes. Que c'était humiliant de se mettre au niveau des gens.

Autre surligneur pour le trajet.

Entrée cette fois par l'Est, au niveau du parking privé, proche du bâtiment de recherche pharmaceutique, gardé uniquement par une barrière pour voitures. La sortie se ferait de la même façon que pour le premier plan, en passant au-dessus du grillage. Facile. Rapide. Sans risque.

Et aucunement destiné à être accompli.

Rapide coup d'œil aux caméras des chambres, toutes affichées sur mon écran. Que des dormeurs. Trois heures et quart, personne ne risquait de se réveiller.

Retournai au centre de la pièce, cœur du papier, toutes feuilles tournées vers moi. Position de réflexion, un stylo dansant l'extrémité des phalanges. Nouveau plan. Celui-là ne serait pas annoncé à l'équipe. Des gribouillis sur une feuille, nettement plus personnels. Un graphologue aurait eu des choses à en dire. Si seulement j'y avais porté un quelconque intérêt.

Le déroulé peu explicite, ponctué de temps estimés, de distances, de remarques sibyllines sur le parcours, les obstacles éventuels. La porte Yayoi, au Nord, moins fréquentée, à peine deux minutes à pied du hall. Et la sortie en longeant la salle de gym, débouchant sur un rond-point où il était si facile pour une voiture d'attendre. Une caméra déjà installée à cet endroit, ses statistiques épluchées dans un fichier, enregistré en évidence pas trop évidente... donner à croire que c'était caché. Que c'était mon véritable plan. Les feuilles concernant le trajet prises, pliées, gommées. Abîmées pour les faire paraître utilisées. Travail de faussaire qui aurait été presque amusant, s'il n'avait pas été nécessaire. Rendre cette option aussi viable que celle qui serait réellement utilisée.

La porte ouverte sur Watari, annoncé quelques secondes plutôt par ses pas. Un plateau au bout des doigts, garni de chouquettes embaumant la pièce, délicat parfum s'insinuant jusqu'aux synapses, hypnotisant tout le reste.

« Il est encore tôt, même pour toi. »

L'heure du petit-déjeuner ne sonnerait pas avant au moins une heure. Sa présence signifiait forcément qu'il voulait autre chose. Plateau comme offrande prétexte.

Avancée mesurée, sans faire voler aucune feuille, même de quelques centimètres. Habitude.

Le plateau déposé à la place de l'ancien, vidé.

« Je n'arrivais plus à dormir.

– Tu veux rester avec moi, un moment ? Tu peux t'asseoir sur le rapport des activités illégales des étudiants, là. » Ledit rapport de plusieurs centimètres d'épaisseur au moins aussi confortable que le sol.

Il s'installa, à peine ralenti par le poids du temps sur ses articulations. Se servit une tasse de thé. Il y en avait deux. Forcément prévu de rester avec moi. Mais aucune colère, aucune animosité ne se dégageait de lui.

« Je suis inquiet. »

Mon stylo suspendu, ma main gauche figée, avant même que la chouquette ne soit avalée. Ses yeux aimantés dans les miens, m'interdisant toute autre pensée. Watari, inquiet. Ça n'arrivait jamais.

« J'ai été condamné à mort par Interpol ? BB a sonné à la porte ? Il y a une bombe ? »

Maigre sourire, éveillant un réseau de rides éternel, dont je n'étais pas capable de suivre l'évolution. Voulais pas.

« Tu es malade ? » Idée affreuse, cataclysmique. Écartée par sa dénégation, qui relâcha ma respiration. Rien que l'hypothèse de me retrouver sans lui était irréelle. « Qu'est-ce qu'il y a, alors ? »

Il prit le temps de siroter son thé, m'évaluant toujours. Maître du suspens, magicien du timing.

« Si tu avais devant toi une preuve de la culpabilité de Yagami-kun, la reconnaîtrais-tu ?

– On a déjà eu cette conversation.

– Ce n'était pas la même question.

– Ça revient au même.

– Je t'avais demandé si tu prendrais en compte cette preuve.

– Hypothétique preuve.

– Je te demande maintenant si tu arriverais à la reconnaître, à comprendre que c'est une preuve, en l'ayant devant les yeux. Ou si tu as perdu tout sens commun, et que ton intelligence est amputée par tes émotions.

– Je suis donc devenu idiot.

– Subjectif. Tu le sais bien, un élément n'est révélateur que s'il y a quelqu'un pour le comprendre. »

Nous revoilà revenus plus de dix ans en arrière, moi élève, lui professeur. Il adorait ce rôle.

« Tu as toujours été cette personne, parce que tu en as les capacités, et la volonté. La volonté de ne pas travestir la vérité pour des considérations personnelles. C'est invivable pour certains enquêteurs, pas pour toi. La Justice a toujours prévalu dans tes choix, tes actions.

– Elle prévaudra toujours.

– Elle n'est pas arbitraire. Kira devra être puni. Le traître devra répondre des conséquences de ses actes.

– Je m'y emploie.

– Je sais que tu en es persuadé. »

C'était lui, le traître, avec ses sous-entendus. Je gobai ma chouquette. Même pas si bonne. Pas assez pour avaler l'insulte avec.

« Et toi, tu n'es pas plus objectif. Tu ne l'aimes pas, pour des raisons qui m'échappent complètement, et tu le lui fais payer.

– Je n'ai simplement pas oublié les preuves contre lui et Amane. Je ne devrais pas avoir besoin de te rappeler ces heures que tu as passées à l'observer, à disséquer son comportement. Je ne devrais pas non plus avoir besoin de te faire relire tes conclusions sur son comportement. Son habitude de vérifier si personne n'est entré dans sa chambre, son talent pour cacher aux enquêteurs ces magazines.

– Il ne fait plus ça. Point final.

– Certainement pas. Tu as toi-même noté chaque indice, chaque faille.

– Presque rien, donc.

– Presque. Reste que les preuves contre miss Amane sont plus tangibles, et que son amour pour Raito et les circonstances de leur rencontre restent inexplicables. »

Il n'allait pas se calmer. Me fusillait du regard. Voulait que je cède.

« Tu me fais confiance ? »

Ses doigts caressant la porcelaine ne marquèrent pas de pause, pas d'hésitation. Mais je n'eus pas de réponse, non plus.

« J'ai besoin que tu me fasses confiance. Surtout maintenant. Je vais devoir pouvoir compter sur toi, pour le jour de la conférence. Vraiment. Alors je dois savoir maintenant.

– Je voudrais te mettre dans le premier avion pour l'Angleterre. Te ramener à la maison, et te désintoxiquer l'esprit de tout ça. »

Mortellement sérieux. Mais aussi conscient que c'était impossible. Mon absence tuerait l'enquête, je devais être sur le terrain.

Il se leva, sa tasse maintenue parfaitement droite. Récupéra l'assiette vide, enclencha la poignée de la porte.

« Tu as ma confiance. Ne change pas ton plan. »


Chacun vaquait à sa tâche inutile. Mogi se chargeait de répertorier le personnel du campus et de déterminer qui serait là le jour de la conférence, en croisant les informations avec les fichiers de police pour repérer les éventuelles menaces. Comme si la menace allait venir d'un individu lambda. Matsuda était censé reporter sur la carte fixée au mur les emplacements des caméras existantes, mais vu son absence de capacité à lire une carte, une palourde neurasthénique aurait été aussi utile. Yagami faisait à peu près le même travail, pour tous les bâtiments devant lesquels nous passerions. Akemi s'occupait du périmètre, déterminant de quels immeubles un tireur pourrait nous tuer, cherchant pour chaque angle quel était l'appartement ou le bureau et quelles positions étaient réalistes. Un travail qui avait le mérite de réclamer la concentration de son cerveau, et donc de lui faire fermer sa bouche.

Élégamment assis devant son ordinateur, Raito préparait le système de surveillance. Il n'y aurait qu'à aller placer les caméras. Sa tasse de café entamée refroidissait, ses mains trop occupées à marteler le clavier, danse hypnotique, musique entêtante.

Me recentrais. Je faisais semblant de travailler sur le plan d'action, toujours pas dévoilé pour gagner du temps, tout en gribouillant le plan destiné à la taupe sur une feuille à part, régulièrement éclipsée dans ma manche. Et réellement, j'échafaudais le vrai plan, celui qui serait mis en œuvre. Construction purement mentale, et à moins d'avoir un don de télépathie, personne d'autre n'en connaîtrait la teneur avant le jour J. Yagami père serait intercepté dès qu'il pointerait le bout de son nez, hors de question qu'il nous gêne. Et Raito devrait me suivre. J'aurais aimé pouvoir prévoir quelques minutes de négociation, mais ce serait dangereux. Trop. Cette fois, je ne pouvais pas me permettre d'échouer. Mogi avait assez cher payé mon partage des tâches. Confier quoi que ce soit revenait à ne plus le maîtriser, à le laisser être imparfait. Donc inacceptable. Surtout que ce serait ma vie en jeu. Et celle de Raito. La menace planant sur nos têtes ne serait pas prise à la légère, pas cette fois.

« Accélérez. Je veux que nous posions le système de surveillance dans quatre jours, maximum. Plus tard, nous risquons de ne rien voir de suspect. »

Concert de souffles, de soupirs, de tapotements agacés.

« Il nous en reste neuf, avant la conférence. C'est …

– Si vous vouliez vous la couler douce, vous vous êtes trompé d'endroit. Je suggère une reconversion professionnelle en bureau de poste ou au service des PV de stationnement impayés. »

Mes doigts réenroulés sur mes genoux, position favorite, perché sur un accoudoir, surplombant la carte de Todai.

L'ébauche prenait forme. Nous allions entrer par le chemin le plus court, pour laisser penser que ce serait notre sortie en cas de dérapage, c'était normalement le plus sûr. Mais pas par la porte Yayoi, encore trop éloignée. Non, le mieux serait de passer par le terrain d'athlétisme, qui jouxtait le hall de conférence. En emmenant une pince coupante, il serait facile de nous frayer un chemin à travers le grillage, dissimulés par la haie. Juste le terrain à traverser pour nous retrouver face aux entrées de service, toujours les meilleures. J'attrapais mon ordinateur, vérifiant les horaires des activités sportives. Un battement entre la course d'endurance et le relais, vingt minutes avant le début annoncé de la conférence. Absolument parfait.

« Bon, je fais une pause hein. Je vais finir aveugle ou avec les mains criblées de punaises sinon. » Me retins de lui faire remarquer qu'en pause ou pas, la différence n'était pas flagrante.

Matsuda s'avachit sur le canapé que j'occupais, lançant un bras derrière le dossier et attrapant la télécommande de l'autre. En plus, ce débile allait nous imposer ses choix d'émissions désolants.

Après la conférence, le mieux serait de prendre vers le sud, de longer le musée de la santé, passer derrière la faculté de pharmacie, avant de prendre à l'ouest et de...

Un rire tonitruant me fit presque lâcher mon stylo, alors que le pseudo policier se tenait les côtes. La cause pas bien difficile à trouver. À l'écran, entre les logos brillants aux mille couleurs de vomi, un type à l'air aussi éveillé qu'un labrador trisomique attrapait des objets en métal, les lançait en l'air et les rattrapait avec sa tête, sous l'hilarité des deux présentatrices qui l'encourageaient. Bassine en fer blanc, micro-ondes, poêle à frire. Même avec le son en sourdine, c'était insoutenable.

« Si vous aviez l'idée de l'imiter, je vous suggère plutôt de mettre votre tête dans le micro-ondes, et de le faire fonctionner trois minutes à pleine puissance.

– Ah, non. » Il ahanait, son souffle perdu dans son rire. Triste. « Ma maman m'a bien appris qu'il ne faut rien mettre de métallique là-dedans, et que ça ne fonctionne que si la porte est fermée. Donc pas possible.

– Dommage.

– Tous les enfants apprennent ça par leurs parents, non ? » Ses yeux larmoyants fixés sur moi, son sourire idiot toujours accroché, dents apparentes. Attendait peut-être que je sois vexé ? Savait-il que je n'avais pas de parents ? Pensait que je les avais dévorés, ou incités au suicide ?

« Je me suis intéressé au fonctionnement de cet objet avant de m'en servir personnellement. J'ai déduit ses contre-indications tout seul.

– Tout seul comme un grand, ouais. Dommage que tu l'utilises quand même pas, ne serait-ce que pour atteindre l'autonomie de te faire chauffer du lait. »

Raito s'était retourné, nous écoutant. Allait intervenir, n'allait pas ? Aucune intention d'attendre de le savoir, je n'étais pas encore une demoiselle en détresse. À l'écran, un bandeau défilant était bien trop inquiétant pour continuer de flemmarder. « D'après l'Agence Japonaise du Mannequinat, la jeune et talentueuse Misa Amane est portée disparue du plateau de tournage du film qu'elle prépare. Malgré la discrétion de son agent, sa famille a lancé... » J'attrapai la télécommande, arrachée de sa main, éteignis la télé.

« La pause est terminée. »

Son air outré n'y changerait rien. Pas plus que son « Eh ben, c'est pas très gentil de te venger comme ça ! ». Comme si j'étais quelqu'un de gentil.

La seule chose importante, c'était que personne ne semblait avoir lu le bandeau d'annonce. Raito retourné à son ordinateur, respiration calme, rythme de travail égal à celui d'avant. Dos droit, pas crispé. Non, il n'avait pas vu.


Il n'était pas revenu me voir, la nuit. Deuxième fois. La première, j'avais pensé qu'il dormait. Il dormait tellement. Toutes ses nuits occupées à dormir. Des heures perdues. D'autant plus maintenant qu'il ne prenait même pas sur son temps pour me tenir compagnie. Et je m'y étais habitué, à son regard sur moi. Dans la même veine que quand je m'invitais dans sa chambre pour travailler sur son lit, ou jouer aux échecs.

J'avais envie d'aller le voir, de jouer aux échecs avec lui. Un jeu dont on connaissait tous les deux les règles, sans variable inconnue, cachotterie sournoise. Détestable plan, caché à tous.

Aucune activité physique n'était suffisamment prenante pour me distraire de cette frustration-là. Ne pas pouvoir lui expliquer ce que je comptais faire. Prendre son avis sur mon vrai plan. Couper le grillage du terrain d'athlétisme, sortir par le sud, profiter des espaces verts cachés des immeubles en hauteur pour passer inaperçus, jusqu'à ressortir sur la rue de la Toei Oedo, juste à côté d'un magasin de pâtisseries médiocre, par une grille jamais fermée, à peine à trente mètres d'un commissariat dont nous n'aurions qu'à voler une voiture si besoin.

Impossible de lui en parler, les risques de se faire entendre beaucoup trop grands. Impossible d'écrire quoi que ce soit, de lui dire que j'avais un plan. Impossible de lui parler de la taupe sincèrement. Et c'était frustrant à m'en ronger les doigts, littéralement.

Et cette frustration s'entretenait d'elle-même, preuve que je ne voulais plus – pouvais plus ? – travailler pleinement seul, sans lui. Je voulais son avis, connaître ses options d'amélioration.

Mon coup de pied partit dans le mur, l'impact assez fort pour ramener mon esprit sur la douleur physique, contrôlable. Préférable.

Malgré la douche et les éclairs au chocolat et à la framboise, je n'arrivais pas à me calmer totalement. J'étais passé devant la porte de Raito pour aller dans la mienne, et j'avais regardé s'il avait placé un petit papier pour vérifier si quelqu'un entrait. Il n'y en avait pas.

Depuis, je repensais en boucle à son attitude, avant de l'avoir rencontré. Pendant plus de deux heures insupportables. J'ouvris le dossier de ses vidéos, avant de renoncer. Il ne méritait pas que je l'espionne de nouveau. Il n'y avait rien de spécial à voir. Je l'avais dit.

Me laissai tomber sur le dos, ordinateur sur mes cuisses. C'était un comportement irrationnel. Ne pas être logique était être faible. Je ne voulais pas ça. Je ne regarderais pas ces vidéos sans une bonne raison.

Et elle apparut. À l'époque, je n'avais pas cherché à savoir s'il était vraiment intéressé par ce magazine qu'il regardait. Ni s'il avait pu savoir qu'il y avait des caméras. Avec ce que je savais de lui maintenant, je serais sûrement capable de lire ses comportements bien mieux qu'à l'époque. Excellente raison.

Je basculai à plat ventre, ordinateur devant moi.

Le fichier retrouvé, dans le système d'archives parfait.

Raito qui rentrait dans sa chambre, son sac en papier à la main. Teint normal, pas rosi d'une quelconque émotion. Rien qui pouvait laisser penser que ce qu'il faisait était source d'explications peu agréables avec sa mère, à l'étage du dessous. À peine un tour de verrou pour assurer sa tranquillité, et il se mettait sur son lit, avec son magazine. J'alternais les plans d'une vingtaine de caméras, ne manquant rien de son attitude. Les pages du torchon de toute façon d'un intérêt comparable à celui du cours du brocoli au Turkménistan.

Menton dans la main, il tournait les pages lentement, mais ne semblait pas fasciné par ce qu'il voyait. D'une froideur impériale. Yeux aux pupilles trop rétrécies pour qu'il soit en état d'excitation sexuelle. Pas un mouvement sur son visage, pas un mouvement de ses jambes encore couronnées de ses chaussures. Quel adolescent regardait des photos érotiques dans cette tenue, avec cet air de collégien devant un exercice de mathématiques ? Il avait témoigné plus d'intérêt plus tard dans la soirée, à refaire douze variantes d'un même exercice de physique en mangeant des chips. Ces affreuses chips au goût immonde, qui laissaient des miettes partout. Pires que des muffins.

Non, là, au détour d'une page. En zoomant sur ses yeux. Ses pupilles s'étaient brusquement dilatées, ses narines avaient frémi. Il avait ressenti quelque chose. Je comptais ses respirations. Accélérées. C'était infime, mais c'était là. Il avait eu une émotion alors qu'il regardait la mannequin sur papier glacé, dans une position absolument ridicule, aguicheuse peut-être pour un lapin en rut. Dégoûtant.

Il finit par se remettre assis, mais impossible de déterminer si sa réaction avait été jusque là. Son pantalon trop lâche. L'écran claqué sur le clavier. J'avais voulu savoir, vérifier. Ce n'était pas la réponse que je voulais.

Je repris la liasse de ses conversations avec Takada. Cette fille qui poursuivait ses études en réussissant à peu près convenablement – pour quelqu'un d'une intelligence à peine au-dessus de la moyenne des autres pintades qui constituaient le reste de l'humanité étudiante – et serait l'alibi de Raito pour y retourner. Les mails parcourus, les dates souvent espacées, jamais trop. Jamais plus de quelques semaines, sauf pendant l'enfermement de Raito. Et elle s'était « inquiétée ». Gourde.

Mais ses réponses à lui étaient bien pires. Je pouvais accepter ce côté neuneu de sa part à elle. C'était sa nature. Mais que lui s'y abaisse, qu'il réponde à son humour. Semble apprécier ces échanges. Réponde autant que possible à ses questions. Envisage de la revoir. Je n'étais même pas au courant. Soit qu'il ne comptait pas vraiment la revoir, soit qu'il fomentait un nouveau coup de poignard dans le dos, peut-être une nouvelle fois avec la complicité de Watari. L'idée était déjà saugrenue la première fois, pourquoi pas une deuxième ?

C'était blessant. À mes mails, il ne répondait pas comme ça. Ne respectait pas autant la politesse. Avait déjà refusé de répondre, ou par quelques mots laconiques, quand il était fâché.

Il ne la rejetait jamais. D'une amicalité bien trop parfaite pour n'être que ça. J'avais résolu assez d'enquêtes de meurtres passionnels, lu assez de conversations entre des amants et des maîtresses pour savoir à quoi ça ressemblait, quand c'était susceptible d'être lu par d'autres. Ça ressemblait à ce que j'avais dans les mains.


L'obscurité de la chambre était quasiment tangible, une fois la porte refermée et verrouillée. Le silence lourd de sommeil bientôt brisé.

C'était imprudent, mais j'en avais vraiment besoin, maintenant.

Le sol sans obstacle était un bonheur pour pieds nus. Pas de risque de cogner un malheureux orteil, et pas de bruit inopportun.

J'arrivai au bord du lit, l'observais dormir quelques dizaines de secondes, accroupi devant lui. Admirable beauté endormie. Son visage détendu, éloigné de tout conflit éveillé. Possible de me gaver des heures de son image sans en être repu. Mais pas suffisant, ce soir.

La couette écartée, me faufilai dessous, profitant de la douce chaleur pour me réchauffer. Me rapprocher. Caresse courue le long de ses côtes, par-dessus le pyjama inutile. Puis dessous, le grain de peau admiré, cajolé. L'autre main à plat sur son ventre, suivant la respiration toujours apaisée. Partai picorer son visage de baisers, refaire la ligne de la mâchoire, descendre le cou, la clavicule exposée.

Doigts inquisiteurs, jouant avec la taille élastiquée du pantalon. Mon souffle un peu désorganisé sur sa peau, le faisant grimacer et entrouvrir des yeux tout flous de sommeil. Absolument adorable.

Main échouée de plus en plus bas, ongles enroulés contre quelques poils, titillant l'épiderme si fin à cet endroit.

Inspiration chaotique, alors que ses yeux s'ouvraient pour de bon, et que sa main enserrait mon épaule. Pas le bon endroit s'il voulait m'arrêter, il en avait forcément conscience. Quelques secondes laissées, par politesse, lui offrir le temps de me repousser s'il le voulait. Pas le temps de trop réfléchir, non plus. Ses lèvres capturées avant que ses yeux n'aient l'occasion de saisir l'éclat rougeoyant de la caméra dans le coin de la pièce. Je ne pouvais de toute façon pas déduire son état d'excitation d'après ses pupilles, forcément dilatées dans une telle noirceur.

Je repris mes caresses, aller-retour entre ses côtes et son ventre d'une main. L'autre à moitié sciée par l'élastique, à moitié électrisée par le contact de cette chair. Évitant ce qu'elle cherchait encore un peu. Assez pour sentir les jambes frémir, ne pas se dérober.

Il avait refermé les yeux. Je détestais ça. Derrière ces paupières closes, il pouvait avoir l'audace d'imaginer n'importe qui. Certainement pas Misa. Mais Kiyomi Takada était l'option la plus évidente. Inconcevable qu'il m'échappe, ose croire que cette main était une autre que la mienne.

Me saisis de ce que je voulais, effleurant et enserrant.

Intelligence noyée dans une absence de mots, le chaos déferlant dans les salles du temple mental à l'ordre parfait.

Sa poigne agrippée à mon avant-bras, essayant d'empêcher tout mouvement. Souffle roulant sur ma peau, perdu. Ses lèvres entrouvertes sur un mot qui ne voulait pas venir.

Mes doigts en mouvements lents, déclencheurs de frissons qui commençaient sur un corps pour finir sur l'autre.

« Arrête. »

À peine un souffle, un murmure. Pas un vrai ordre. Je collai mon front au sien. Rien de net, à cette distance.

« Non. »

Respirations désorganisées sur un demi-gémissement, directement lié à mes reins. Caresses approfondies, plus franches, sa poigne sur mon bras plus ferme, spasmodique. Ses lèvres tendres sur les miennes. Je profitai d'une séparation pour le dévorer du regard.

« Tu n'as le droit de ne penser qu'à moi, maintenant. »

Ma voix curieusement rauque.

Sa seconde main enfouie dans mes cheveux encore un peu humides, possessive. J'adorais.

Câlinais tout ce que mes doigts atteignaient, cherchant dans la pression de ses mains et ses soupirs ce qu'il appréciait le plus, me délectant de le lui donner. Mordillais son cou, me forçant à ne pas laisser de marque, me régalant de tout ce que je pouvais toucher, et de la pression de sa main qui gardait mon crâne contre lui.

« Ryu... »

Un jour, je lui dirais mon vrai nom, juste pour l'entendre le dire avec cette voix-là.

« Ryuzaki, L, arrête. Je veux que tu arrêtes, maintenant. »

Sa main crispée sur mon bras me faisait mal. Me figeai, relevai les yeux. Les siens fixés sur l'œil rouge de la caméra. J'avais beau sentir les battements accélérés de son cœur, ils ne voulaient plus rien dire.

Je le relâchai, il se recula. S'assit au bord de son lit, seul son dos encore visible.

« Je... je vais aux toilettes, je reviens. »

Il passa la porte, devant s'y reprendre à deux fois à cause du verrou. La laissa ouverte.

Je me tournai vers le bord, recroquevillé. Terriblement mal au ventre. Envie de vomir lancinante.

Il finit par revenir. Sans le regarder, je sentais son hésitation sur le pas de la porte. Aurait sûrement préféré que je m'en aille. Goût de bile. Si je me levais, ce ne serait que pour rendre le contenu de mon estomac sur le sol.

Il se rallongea, un rapide coup d'œil par-dessus mon épaule me prouva que lui aussi me tournait le dos. Couverture rabattue sur lui. J'aurais aimé en prendre un bout, voulais pas risquer de lui donner une raison de me virer. La température n'était pas si dérangeante. Je fermai les yeux.


Un coup de coude paraissant accidentel, pour tout le monde. Mais l'occasion parfaite pour moi.

« Je te présente mes excuses. » La formule trop polie, trop repentante pour un simple coup d'inattention. Il avait parfaitement compris. Hocha simplement la tête.

« Passe-moi le tsukemono, et je verrai ce que je peux faire pour te pardonner. »

M'emparer moi-même d'un plat de légumes, ne serait-ce que pour le donner, était déjà plus que ce que je faisais gratuitement.

« Merci.

– Votre Grâce aura-t-elle la bonté de pardonner au pauvre mortel que je suis ? Je peux aussi lui faire offrande d'un de mes financiers glacés.

– Heureusement pour le pauvre mortel, ma mansuétude est infinie. Je t'absous de tes fautes. »

Je n'aurais pas pensé être si peu puni. Mais je n'allais certainement pas m'en plaindre.

« Après le déjeuner, je vous présenterai le plan d'action pour la conférence. »

Gémissement de douleur chez Matsuda, regards croisés entre les autres. Hommes de peu de foi. Et de peu de courage.

« Et le plan B, au cas où il y ait un imprévu de dernière minute. »

Matsuda prit sa tête entre ses mains, jetant un regard fou d'angoisse autour de lui. Akemi reposa sa fourchette dans son assiette, et Yagami but deux verres d'eau d'affilée. Seul Mogi restait stoïque. Même si ce n'était qu'une apparence, je l'appréciais pour ça. Je n'allais m'adresser qu'à lui, tout le temps de l'explication. Très bonne résolution.

Plagier les techniques de prise de parole de Raito avait du bon. Avec de jolies couleurs sur le diaporama, et la même carte du campus distribuée à tous, avec les deux versions du plan mises en deux couleurs différentes et une petite légende follement passionnante en bas à droite, j'avais eu droit à nettement moins de questions idiotes. N'y avais pas forcément répondu plus gentiment, par contre. Avec tous les efforts déjà faits de ma part, ils pouvaient bien y mettre un peu du leur et connecter leurs neurones pendant dix minutes.

« Il reste un problème. »

Oh non, pas lui. Il ne m'avait pas pardonné, et voulait se venger ?

« Ah, tu vois, si même Raito a des questions, c'est que c'est pas clair !

– Tu exagères, quand même. Ça va, là.

– Non non, franchement, si c'était Raito qui avait expliqué, on serait déjà à la pause apéro.

– Fermez-la, vous deux. » Je n'aurais pas pensé que Yagami leur dise ça. Normalement, c'était ma réplique. À croire que lui avait apprécié mes efforts.

« Je disais, il reste un problème. Ta présence sur le campus doit avoir une raison. Les autres étudiants vont se demander pourquoi tu réapparais après tout ce temps.

– Les autres étudiants s'occuperont de leurs petites affaires. Ça ne les intéresse pas, ce que je fais.

– Ils remarqueront ta réapparition. Se poseront des questions. Mes amis savent ce que je deviens, et que je vais revenir, ça ne les surprendra pas, personne ne me surveillera ou ne sera intrigué. Toi, c'est une autre histoire. »

Si quelque chose était chiant, ce n'était pas moi. C'était les relations humaines. Spécialement entre adolescents et jeunes adultes. Incroyablement indiscrètes.

« Ringo te hait, Futi est... absent. Tu n'as aucun ami, là-bas. »

Les autres avaient très clairement envie de rajouter quelque chose. Dans l'idée du « ici non plus ».

« Peu importe, je n'avais déjà pas besoin d'amis pour vivre avant et me promener sur le campus, je n'en ai pas plus besoin maintenant. »

Un « c'est triste » anonyme étouffé par l'indifférence collective.

« Je n'aurai qu'à m'habiller un peu différemment et on ne me reconnaîtra pas. Les gens ont le sens de l'observation d'une mouche morte. Ça va marcher. »

Tellement gênant, handicapant, de ne pas pouvoir lui dire que ce plan ne servait à rien d'autre qu'à tromper la vigilance du traître.

« Et puis, évidemment, certains détails ne seront connus que de moi-même et de Watari. Ça doit vous paraître logique, au vu des circonstances. »

Un miracle se produisit : tout le monde comprit.


Mouvements répétés inlassablement, maîtrisés, lutte contre des ennemis invisibles, détente et contraction alternée des muscles.

La présence de Raito, à l'angle, simple existence patiente, là. Adorablement là. Sentir ses yeux sur moi, savoir qu'il n'était concentré sur rien ni personne d'autre que moi... frissons impertinents.

Me figeai, lui renvoyant son regard. Il avait toujours refusé de s'exercer. Pourtant, il allait bien falloir qu'il se fasse violence. Mon plan ne souffrirait pas qu'il réclame une pause parce qu'il se serait fait un claquage dans des escaliers. Il était encore très tôt. Même pas minuit.

« Viens avec moi. »

Le terrain gelé semblait inutilisé depuis plusieurs semaines. Le froid avait dû décourager les frileux, renvoyer tout le monde aux courts intérieurs.

« Tu l'as convaincu de nous laisser sortir, en pleine nuit. Chantage à base de service à thé lancé contre le mur, ou grève de la faim ?

– Parle pas si fort. » Watari en bordure de terrain, à peine à une vingtaine de mètres. « Il est là parce qu'il était quasiment impossible de lui cacher cette sortie. Et que c'était plus simple à négocier comme ça.

– Tu aurais choisi la facilité. Toi. »

Me croyait pas. Tellement sûr de ses capacités sociales à décrypter le comportement des autres. S'amusait toujours tant à me prouver sa supériorité dans ce domaine insignifiant.

Il n'avait pas besoin de savoir que l'excuse de l'entraînement sportif en vue du plan Réel, préparé dans le dos de tout le monde, avait davantage penché en ma faveur que la simple envie de nous dégourdir les jambes.

Mon sac lâché au sol, fermeture éclair éventrée sur les raquettes, la boîte de balles.

« J'ai d'autres préoccupations. Ça devrait avoir effleuré ton esprit si brillant.

– Le tien n'a apparemment plus la lumière à tous les étages. Celui de la mémoire semble subir des dégâts, parmi tant d'autres. »

Une balle extraite de l'étui, rebondie sur le sol. Bruit de métronome, hypnotique. Rageant.

J'adorais qu'il essaie de me comprendre. Détestais qu'il y arrive si souvent. Ou aimais ? En tout cas, ne pas pouvoir vraiment lui cacher mon énervement était énervant.

« Je t'avais dit que ça ne te concernait pas.

– Et tu as menti. Tu n'aurais pas effacé les bandes sans raison.

– Je fais des tas de choses sans raison. »

La balle rattrapée, je m'éloignai, avant qu'il ne puisse riposter. Trop d'exemples et contre-exemples en réserve. Me connaissait trop bien pour mon propre bien. Ou pour le bien de ma mauvaise foi.

La concentration rapidement retrouvée, au rythme des balles sifflant, transperçant l'air d'un bout à l'autre du court. Simple plaisir de partager un jeu, d'échanger des feintes, des attaques et des parades. De le regarder courir, anticiper mes mouvements, prévoir sa riposte. L'encaisser, et le surprendre ensuite. Un dialogue, partition répétée, parfaite, enchaînement de glissements, courbures, forces et essoufflements.

Il était certainement moins vif que des mois plus tôt, à l'université. Inutile de dire qu'il ne passerait pas ses examens, ne ferait pas sa rentrée. Si je jouais assez finement, il accepterait peut-être de ne plus jamais en faire. Si facile, de nous imaginer jouer sur le terrain de la Wammy's, entre deux enquêtes un peu fades, à profiter d'une de ces rares journées pas trop pluvieuses.

La balle claqua au sol, de mon côté.

« 30-15. Arrête de rêver. »

Nouvelle balle, lancée loin, plaisir sadique de le faire courir. Il regagnait un peu en souplesse. Dommage de ne pas avoir de terrain de jeu au QG. De ne pas en avoir eu avant. Je ne savais même pas que ça m'avait manqué.

Il faillit remarquer, balle rattrapée de justesse. Temps d'attaquer davantage.

Longues dizaines de minutes écoulées, jusqu'à ce que la voix de Watari brise le rythme de la terre foulée.

« Il est 5h, les premiers travailleurs vont sortir. Il est temps que nous rentrions. »

L'essoufflement appréciable, bénéfique. Quelques courbatures à prévoir malgré l'échauffement et la douche brûlante qui nous attendait. Il serait aussi fatigué aujourd'hui, puisque j'avais bien sûr avancé le jour de la mise en place des caméras supplémentaires sur le campus, réalisée d'ici une vingtaine d'heures. Mais ce serait peut-être moins violent pour lui de devoir courir, dans sept jours


Voila pour le chapitre d'été, nous espérons que l'explication sur la poupée est assez compréhensible (même si je suis passée assez vite dessus dans ma partie).

Petite précision concernant les fameux magazines : le passage avec les magazines porno se situe vers le début du manga. Raito suppose que L va bientôt placer sa maison sous surveillance. Il utilise divers systèmes pour repérer les intrusions et savoir à quel moment les caméras seront posées. Un jour, Raito s'aperçoit qu'on s'est introduit chez lui. Il sait que les policiers se rendront compte d'au moins quelques astuces lui servant à détecter les intrusions et doit justifier la présence de ces astuces sans paraître suspect. Les magazines ne servent qu'à détourner les soupçons et justifient le fait qu'il surveille l'accès à sa chambre... (car bien sûr qu'un ado ne voudrait pas que ses parents tombent sur du porno en fouillant sous le lit.) Pendant que Raito feuillette donc joyeusement sa pornographie pour ne pas être suspect, Ryuuku cherche les caméras dans la chambre.

Dans le chapitre, L visionne l'enregistrement et repère une émotion chez Raito, avec les pupilles dilatées. Logiquement, L pense que la réaction est de l'excitation et a un lien avec la photo regardée. C'est bien de l'excitation, oui. Mais ce que L ne peut pas savoir, c'est que cette excitation est en réalité provoquée par ... lui-même... parce que c'est le moment précis où Ryuuku confirme la présence des caméras à Raito. Autrement dit, c'est le moment précis où Raito sait que L commence (très légèrement) à s'intéresser à lui. Ô ironie.

On se retrouve pour la suite aux alentours du 20 septembre !

Prenez soin de vous,

Meyan