Une plaisanterie mortelle ?
Chapitre 1 : Malchance !
Entre deux et trois semaines s'étaient écoulées depuis qu'il avait eu vent de la nouvelle… enfin, des nouvelles. La première concernait l'homme qu'il considérait comme un rival… Zorro. Il était désormais un homme totalement libre. Le vice-roi l'avait amnistié sans contrepartie. La seconde information relevait de l'inconcevable. Son ami, Diego de la Vega se mariait.
Ricardo Del Amo avait quitté San Francisco dès qu'il l'avait su pour le hors-la-loi. Bien évidemment, il irait féliciter les jeunes mariés et prévenir la señora de l'erreur qu'elle avait commise. Dans chaque pueblo qu'il traversait les gens ne parlaient que du Renard. Des rumeurs circulaient sur sa disparition présumée lors de sa dernière chevauchée dans la région de Los Angeles. Il avait aidé les lanciers, une fois de plus, à arrêter des brigands menés par un certain El Lobo. Depuis lors, le hors-la-loi, qui n'en était plus un, n'avait plus été revu. Certains disaient que ce brigand, El Lobo, avait poignardé le Renard traîtreusement et que Zorro ne s'était jamais remis de sa blessure.
Pourtant, l'ombre de Zorro subsistait dans les esprits. Selon d'autres, le Renard était demeuré dans l'ombre, prêt à intervenir en cas de besoin. Ricardo ne savait qu'en penser, Zorro avait-il réellement disparu comme il était apparu ? Était-il tombé lors de sa dernière mission ? L'homme derrière le masque s'était-il finalement décidé à arrêter d'œuvrer dans l'ombre ? Avait-il accepté l'amnistie facilement ? S'était-il démasqué ? Tant de questions se bousculaient dans sa tête, qu'il avait décidé d'aller voir de lui-même.
Il avait aussi en tête l'idée de jouer un nouveau tour à son ami qu'il n'avait pas vu depuis son passage à Monterey. Cependant, il avait appris à ses dépends que l'on ne pouvait pas plaisanter de n'importe quoi avec n'importe qui… Les plaisanteries les plus simples et les plus courtes étaient souvent les meilleurs…
Le soleil cognait durement en cette fin de mois d'août. Il n'y avait pas le moindre petit brin d'air et les prisonniers continuaient leur travail forcé le long d'El Camino Real. Le récent orage, qui contrastait avec le temps actuel, avait provoqué un éboulement et endommagé la voie. Les fouets chantaient pour maintenir la cadence et motiver la troupe. Aucun coup n'était destiné à faire souffrir. Brigands, voleurs de chevaux, receleurs, truands en tout genre était le panel des forçats sur le terrain… Néanmoins dans ce décor idyllique se trouvaient deux hommes enchaînés l'un à l'autre que rien ne prédisposait à se trouver là. Leurs vêtements, encore plus au moins propre, révélaient un noble rang. Leurs visages étaient couverts de sueurs et de poussières. Il faut dire qu'ils étaient ici depuis quarante minutes maintenant et étaient arrivés au moment où le soleil était au Zénith.
Comme pour les inciter à accélérer, le fouet claqua derrière eux. L'homme en costume bleu sentit la lanière lécher sa veste. Il jeta un coup d'œil rapide au garde qui cacha une grimace comme s'il avait manqué faire une bêtise. Puis, il regarda son ami qui ne savait pas s'il devait rire ou non de la situation.
Après tout, s'ils se trouvaient tous deux ici, c'était bien sa faute. Le visage ferme et sévère de l'homme en bleu lui fit comprendre qu'il le tenait pour responsable et lui fit perdre sa bonne humeur qu'il lui restait. Il le remarqua grimacer plus d'une fois et taire une douleur. Ce ne pouvait être ce travail qui le faisait souffrir, il devait y avoir autre chose. Une idée lui effleura l'esprit, mais il la trouva si inimaginable qu'il l'effaça aussi sec. Pourtant, un autre fait vint se rajouter… Selon les rumeurs, la présence de Zorro dans le secteur de Monterey coïncidait avec celle de Diego De la Vega. Mais dans ce cas de figure, Zorro ne se serait certainement pas laissé arrêter si facilement. Ricardo soupira longuement et espéra juste que ce soit une mauvaise plaisanterie comme il avait l'habitude d'en faire. Cependant, c'était bien sa dernière en date qui les avait menés ici… Comment la situation avait-elle pu lui échapper à ce point et dégénérer de la sorte ?
Cela remontait à une petite heure maintenant. Il était arrivé la veille à Los Angeles, après un fastidieux voyage.
La fin de matinée avait porté ses lots de surprises. D'abord, il y avait eu des manœuvres militaires sur la plazza. La vue du sergent l'avait fait sourire et avait ravivé quelques doux souvenirs… Il se trouvait à côté du caporal et organisait les lanciers sous le regard avisé et attentif du capitaine en charge au pueblo… Il avait alors quitté sa chambre pour mieux aller profiter du spectacle. Là, son ami était arrivé en calèche aux côtés d'une ravissante señorita… Sans doute la señora De la Vega. Bernardo était aux commandes de la voiture et affichait un air serein et heureux.
Il envia soudainement son ami. La señora était des plus charmantes. Il se demanda cependant ce qu'elle pouvait bien trouver à pareil dandy… Il avait été les saluer et ainsi fait plus ample connaissance avec la jeune mariée, s'attardant sur son regard et gardant sa main dans la sienne plus longtemps que nécessaire. Diego finit par lui faire un discret rappel, le mettant mal à l'aise. Son ami lui avait brièvement inspiré la crainte. La señora s'était excusée avant d'aller faire quelques courses parmi tous les étals du marché, accompagné par Bernardo puis Diego avait invité Ricardo à prendre un verre à la taverne.
À peine furent-ils assis que Diego vit arriver son « meilleur ennemi. » Tout sourire, ce dernier approcha de leur table pour le saluer et fit connaissance avec le señor Del Amo. Ricardo remarqua de suite qu'il y avait une tension entre les deux hommes… Tension qui contrastait fortement avec la relation qu'ils entretenaient…Ricardo n'avait même pas eu le temps d'aborder le sujet de doña Salena. Finalement Diego avait fini par s'éclipser pour rejoindre sa chère et tendre. Del Amo en avait alors tiré parti pour essayer de faire plus ample connaissance avec le señor Monastario. Néanmoins, ce dernier n'avait pas été très loquace quant à se relation avec le jeune De la Vega… Il s'était cependant révélé prêt à lui jouer un tour. Son regard et sa barbiche lui donnait un air de petit diablotin espiègle.
Le plan expliqué alors par le señor Monastario paraissait pourtant si simple. Ricardo allait faire découvrir à Diego une arme à feu dont le travail d'ouvrage la rendait unique. Lorsque Don Diego l'aurait eu en main, une mini-explosion aurait dû se passer pour envoyer une épaisse fumée noire sur le visage du jeune don. L'idée avait bien fait rire Ricardo, mais le voyant hésiter, Monastario avait alors rajouté l'intervention du capitán Toledano. Devant l'interrogation de Ricardo, Enrique lui expliqua que le capitán interviendrait en arrêtant le jeune don pour dégradation d'une œuvre d'art et trouble… Ne restait plus qu'à convaincre Toledano de participer lui aussi.
Les deux hommes échangèrent une ferme poignée de main et se donnèrent rendez-vous un quart d'heure plus tard. À charge au señor Del Amo d'occuper son ami pendant ce laps de temps et de veiller à ce qu'il ne reparte pas trop vite.
Ricardo se demanda alors s'il n'avait pas été dupé par le señor Monastario. Il ne le trouvait pourtant pas homme capable d'une telle vilénie.
Le voyage jusqu'au chantier, bien qu'à seulement vingt minutes du pueblo, avait été un véritable calvaire pour Diego. Non qu'il n'ait pas été en état de faire un tel trajet, mais son moral en avait pris un coup. Salena, témoin de la scène, avait voulu s'interposer… en vain. Les lanciers ne l'avaient pas laissé approcher. Bernardo avait dû la retenir fermement afin qu'elle ne fasse pas de bêtises. Quant au vice-roi, il était resté ferme sur sa décision. Diego avait été pris sur le fait, le pistolet encore fumant en main, et malgré son regard hagard, sa culpabilité ne faisait aucun doute. Salena s'était effondrée dans les bras de Bernardo qui lui aussi était hébété face à cet événement qui avait provoqué une stupeur général dans le pueblo.
Comment une telle réplique avait-elle pu le conduire d'abord derrière les barreaux, puis sur ce chantier de travaux forcé, alors que Zorro avait échappé à tout et même au pire ? À en croire Don Esteban, ce n'était pourtant pas une réplique comme Ricardo l'avait dit, mais bien l'original qui avait été dérobé à un haut dignitaire une semaine auparavant à Monterey. C'était une pièce unique fabriqué par un armurier de renom et un orfèvre non moins célèbre. Comment avait-elle pu se retrouver entre les mains de Ricardo, puis entre les siennes par la suite ?
En voyant l'arme, Diego avait pensé que son ami voulait lui jouer un tour à sa façon, mais lorsque ce dernier avait été chargé pour vol, il en avait douté. Avant qu'il ne le réalise, il s'était retrouvé enchaîné à son ami. Le problème en soi n'était pas la possession de l'arme, mais bien l'accident qui en avait découlé lorsqu'il l'avait prise en main pour mieux l'observer. Oui l'accident, pour lui c'était un accident … Mais un accident tragique.
À peine l'avait-il eu en main que le coup était parti provoquant la chute du capitán… Avila avait accouru aussitôt et s'était penché sur le corps de Toledano avant de prononcer de dures paroles. Arturo Toledano n'était plus… La señora Toledano avait crié de terreur en voyant son mari tomber à terre, elle aurait voulut s'approcher, mais Garcia la retenait. Lui-même était choqué par la situation. Les larmes de Raquel n'étaient pas feintes. Il avait bel et bien était l'instrument de la mort du capitán… Son sentiment de culpabilité avait été très fort, il était complètement effondré et n'avait pas du tout réagi lorsque les lanciers l'avaient mené en cellule avant de l'enchaîner à Ricardo.
Seulement, un détail avait éveillé ses soupçons… Il n'y avait pas eu de jugement… La sentence avait été rendu nette, directement par le Vice-roi qui en avait eu un air contrit.
…
— Les deux nouveaux, on ne rêvasse pas, fit la voix dure d'un des gardes avant de faire claquer son fouet.
Diego en était certain… Quelqu'un se jouait d'eux. Mais qui, comment et pourquoi ? Le doute le reprit lorsqu'il se rappela les mots d'Avila. Le médecin était-il de mèche lui aussi ?
— Ne t'inquiète pas, Diego, Zorro va nous sauver, assura Ricardo.
Si seulement il savait… Zorro n'était pas vraiment en position de leur porter secours.
— J'en doute, affirma le jeune don avec tant de conviction que son ami se retrouva perplexe.
— Le Renard ne porte-t-il pas secours aux opprimés ? questionna Ricardo en voyant Diego grimacer.
— Encore faut-il qu'il soit au courant de la situation, rétorqua Diego amer en donnant un vif coup de pioche dans la roche devant lui qui se brisa sous le choc. De plus, tu ne dois pas être sans savoir que Zorro a été gracié il y aura bientôt trois semaines… Nous ne l'avons plus revu au pueblo depuis lors, dit-il en cachant de nouveau un rictus de douleur.
Sa récente blessure à l'épaule n'avait pas apprécié le dernier coup porté à la roche. Il devait se maîtriser pour atténuer sa colère et frapper moins fort.
Voyant son ami autant en colère, Ricardo réprima son envie de lui avouer sa part de responsabilité dans cette affaire. Néanmoins, Diego ressenti que son ami lui cachait quelque secret et remarqua son expression faciale qui dissimulait mal son sentiment de culpabilité.
— Ricardo ? interrogea-t-il.
— Si ?
— Que ne me dis-tu pas ?
— Moi ? fit Ricardo en frémissant malgré la forte chaleur. Mais rien du tout.
— Ricardo ? gronda Diego en posant la pioche et voyant son ami reculer.
Le garde en charge de leur surveillance et connaissant le fin mot de l'histoire les observa en souriant narquois.
— Voyons, Diego, tu me connais.
— Justement ! Tu aurais très bien pu me faire arrêter… de nouveau.
— Sans doute, mais me faire arrêter moi-même… Ça, ce n'est pas de mon fait, affirma-t-il.
— Donc, tu admets que tu as une part de responsabilité.
— Je… débuta Ricardo qui réalisa son erreur. Écoute, Diego… tenta-t-il.
Mais déjà celui-ci l'empoignait fermement par le col et le faisait reculer jusqu'aux abords du chemin. Le garde les regarda, mais n'intervint pas. Il avait ordre de ne rien faire si ce n'est faire claquer le fouet dans le vide derrière eux. Déjà qu'il avait failli faire du mal à l'un d'eux peu auparavant.
— Diego, ne fais pas de bêtises, supplia Ricardo en essayant de se libérer et voyant où son ami le menait.
Il l'avait vu grimacer à plusieurs reprises et là encore le fait de le porter lui faisait mal. Sa douleur était visible malgré sa colère.
Ce n'était pas l'aveu en soi qui l'avait poussé à réagir ainsi, mais le souvenir de la douleur de Raquel en voyant son mari s'effondrer. Celui du visage de sa chère et tendre parcouru par l'incompréhension et la douleur de le voir tourmenté par la culpabilité et par sa propre affliction. Cela n'aurait touché personne d'autre, il n'aurait pas réagi de la sorte. Mais là… Ricardo était allait trop loin.
Diego s'arrêta aux abords d'un petit ravin pas bien haut où l'on pouvait descendre facilement à pied, ou à cheval. À une centaine de mètres d'eux, deux cavaliers les observaient.