Bonjour tout le monde !

Je poste enfin le deuxième et dernier chapitre de cette modeste histoire. J'espère que la suite et fin vous plaira autant que le début ^^

Merci à vous tous pour vos reviews, merci d'avoir followé et mis ma fic' en favori. Je ne pensais pas que ce petit two-shot vous plairait autant. Ça me fait vraiment plaisir, vous ne pouvez pas savoir à quel point vous m'avez encouragée à écrire la suite et à écrire tout court !

Une petite réponse à une review anonyme : tu es totalement fan ? l'un des meilleurs que tu aies pu lire ? Waaaaw. Tu me flattes, vraiment ! Je ne pensais pas qu'on pourrait aimer autant ma modeste petite histoire… Voici la suite, j'espère qu'elle te plaira autant !

Petite dédicace à Barjy02 et à ses hypothèses au sujet du comportement de notre ange préféré : tu vas enfin savoir si tu as raison ou pas ^^

Comme j'ai oublié de le dire la dernière fois, je précise que ni Supernatural, ni les acteurs ne m'appartiennent (et c'est bien dommage).

Bonne lecture à tous !


Chapitre 2

Castiel

Il était une heure et demie du matin lorsque Castiel apparut dans la chambre de motel, juste à côté du lit de Dean.

L'ange s'approcha sans bruit du meuble en question, sur lequel reposait son protégé. Il retint à peine un sourire. Si Dean avait été éveillé, et si l'ange ne souhaitait pas l'éviter, le chasseur lui aurait probablement fait une remarque sarcastique et un peu irritée que Castiel n'aurait pas comprise, et Dean aurait alors souri et ri devant son inculture humaine flagrante.

« Dean taquine toujours les gens qu'il aime, lui avait dit un jour Sam. C'est une sorte de… de signe d'affection. C'est typiquement humain. Faut pas t'inquiéter. C'est le jour où il ne t'asticotera pas qu'il faudra se poser des questions. »

Le mince sourire qu'arborait l'ange s'évanouit comme la flamme d'une bougie sur laquelle on aurait soufflé. Dean ne lui parlerait plus jamais ainsi, et ne tenterait plus jamais non plus de lui apprendre petit à petit un peu des références humaines. Cette pensée seule suffisait à rendre Castiel abattu et malheureux – déprimé, aurait dit Dean. Il y avait tant de choses qu'il ne ferait plus jamais avec Dean, et Castiel peinait encore à le réaliser, et, pire, à s'y résoudre.

Il savait qu'il aurait dû se séparer à jamais de Dean, ne plus jamais revenir le voir et tenter de l'oublier, pour ne plus jamais subir autant de souffrance. Après tout, Dean l'avait exposé aux sentiments humains. Ce devait être sa faute, quelque part. Mais tout comme l'ange ne parvenait pas à lui tenir grief de ses toutes nouvelles sensations – qu'il ne parvenait pas non plus au demeurant à regretter –, il était incapable de s'éloigner de Dean.

« Une addiction, c'est quand tu fais quelque chose, et que tu peux pas t'en passer, c'est plus fort que toi », avait un jour expliqué Dean après que Castiel avait visualisé un reportage télévisé sur les dangers de la drogue. Rétrospectivement, Castiel songeait qu'il avait probablement développé une forme d'addiction envers la personne de Dean.

Castiel ne comprenait pas très bien le mécanisme complexe qui était à l'origine de cette inaptitude à s'éloigner de Dean, mais cette dernière était bien présente et, pour une raison au moins aussi nébuleuse, il s'agissait de quelque chose à laquelle il était également incapable de renoncer. Ça faisait horriblement mal – sa grâce en frémissait encore, et le corps de son vaisseau était parcouru de sensations pour le moins déplaisantes – mais se déposséder de ce sentiment serait comme se déposséder d'une partie de lui-même. Il vivait avec ça depuis trop longtemps.

L'ange ne pouvait tout simplement pas se passer de Dean Winchester.

Ses frères et sœurs l'avaient tous prévenu : il devenait dangereusement dépendant du chasseur, c'était une relation toxique pour lui, Dean ne partageait pas vraiment un tel lien avec lui, et il allait terriblement souffrir. Castiel n'était pas assez naïf pour ne pas y croire, loin de là. Simplement, l'ange du jeudi aimait trop Dean pour supporter d'être séparé de lui.

Oui, Castiel aimait Dean. Il le savait depuis longtemps, et le monde entier également. Il ne devait y avoir que le chasseur pour ne pas s'en rendre compte. Mais en fin de compte, ce n'était pas très grave. L'essentiel, du point de vue de l'ange, était de passer le maximum de temps avec son protégé – et cela suffisait à le rendre heureux. Tous deux passaient de bons moments, parfois, et Castiel avait alors l'impression que certains humains avaient raison et que l'on pouvait mourir de bonheur. D'autres fois, ils se querellaient, ou d'autres fois encore, Dean agissait d'une manière terriblement incompréhensible pour l'ange – il le rabrouait, il l'ignorait. Toutefois Castiel connaissait assez Dean pour savoir que sous son apparence bourrue c'était un esprit affectueux qui se cachait, et il savait pour l'avoir vue et portée en son sein que son âme était pure et lumineuse.

C'était peut-être la première étape qui avait rendu Castiel amoureux du chasseur – son âme. Elle l'avait fascinée dès le début. Comment pouvait-on survivre à l'Enfer, être la proie de tant de souffrances, et conserver une âme à la fois aussi simple et aussi immaculée ? Castiel avait alors ressenti que Dean Winchester, ce quasi inconnu, était doté d'une force mentale hors du commun, ce qui ne pouvait que susciter respect et admiration – deux choses que l'ange lui avait accordées immédiatement, indépendamment de la destinée héroïque de son protégé, l'épée de Michael.

Et puis Castiel avait rencontré son protégé « en chair et en os », comme disaient les humains – même s'il avait déjà vu son corps en intégralité, puisqu'il avait dû rebâtir son corps lorsqu'il y avait relogé son âme (quoiqu'il s'était bien gardé d'en parler à l'intéressé, sentant confusément qu'il n'apprécierait pas vraiment cette perspective). Porter et guérir l'âme de Dean Winchester avait déjà été une expérience extraordinaire, mais le rencontrer « en vrai » avait été au-delà des mots.

Il lui avait plu – en tant que personne, du moins, dans un premier temps. Son charisme, son humour, sa force, son affection pour Samuel, sa détermination – son entêtement –, ses qualités, ses défauts, tout avait plu à Castiel. Et comme il devait veiller sur l'humain, il s'était retrouvé à passer de plus en plus de temps avec lui… même lorsqu'il n'était pas censé le faire. Ils étaient devenus amis, peu à peu. Castiel avait acquis toute une variété d'émotions qu'il n'était pas supposé connaître en tant qu'ange (mais était-ce vraiment une bonne chose, d'être insensible à ce point ? Les sentiments n'étaient-ils pas l'un des plus merveilleux cadeaux de son Père ?). Enfin, l'ange s'était attaché à Dean plus qu'il ne le devrait également. Il en était tombé amoureux. Il ignorait quand est-ce que ce changement capital s'était produit, mais quand bien même c'était souvent douloureux, Castiel n'y aurait renoncé pour aucune récompense que l'univers aurait pu lui offrir.

Il voulait voir Dean heureux. Tant pis si ce bonheur se faisait sans lui, Castiel. Mais pour que son protégé puisse accéder à cette félicité (et également parce qu'il était convaincu que c'était la meilleure chose à faire pour l'humanité), Castiel avait commis toutes sortes d'actes interdits, dont certains réellement répréhensibles de tous les points de vue. Il avait même failli perdre son amitié avec Dean. Heureusement, ce n'était jamais arrivé. Castiel ne savait pas bien ce qu'il aurait fait s'il avait perdu Dean à jamais. L'idée seule que son ami puisse décider de ne plus jamais le voir faisait monter en lui un vent de peur, de fureur et de folie qu'il ne parvenait pas à dissiper.

« Je suppose que lorsqu'on aime quelqu'un, on peut se montrer égoïste, parfois. Et agir de façon vraiment stupide », avait dit Sam, un jour, devant un film relatant une histoire d'amour complexe et violente que Castiel n'avait pas comprise. Il avait toutefois retenu la remarque. Elle s'appliquait à son propre cas avec une correspondance étonnante.

L'amour était-il partout le même ?

Ses frères et sœurs avaient beau dire que la relation qu'il entretenait avec Dean était malsaine et toxique pour Castiel, ce dernier n'y prêtait guère attention. Il aimait être l'ami de Dean. Peu importait qu'il doive le rester pour toujours. C'était toujours mieux que rien, et Castiel était heureux ainsi.

Parfois, lors de quelques rares instants, il avait l'impression que Dean l'aimait un peu plus que ce qu'il voulait bien laisser paraître – que, peut-être, un jour… Oh, il savait que ce n'était que pur fantasme. Il n'osait trop y penser. Mais tout au fond de lui, il espérait… il croyait que cette histoire pourrait s'achever en ce que les humains nommaient un « happy end ». Castiel ne savait pas réellement ce qui pourrait se produire alors. Mais il l'espérait.

Depuis quelques temps, le corps de son vaisseau – ou plutôt, son corps, car il avait fini par le considérer comme tel et que l'âme de Jimmy Novak se trouvait à présent au Paradis – avait… quelques réactions gênantes face à Dean. Le genre de réactions qui, un jour, avait provoqué des hurlements offusqués du chasseur lorsque Castiel l'avait découvert dans cet état-là. Cette sorte d'effets se faisait plus fréquente, au fur et à mesure qu'il suivait des yeux le corps de Dean.

Corps qu'il aimait regarder, admirer, détailler. Castiel trouvait Dean beau. Il le trouvait attirant. Il exerçait sur lui une attraction indicible. Habituellement, l'ange se souciait fort peu du physique de ses vis-à-vis, mais Dean était de toute manière un cas particulier.

Castiel avait mis un petit moment à comprendre ce qui lui arrivait – quels étaient les sensations qu'il éprouvait tout le long de son corps, et cette réaction en particulier. Après coup, il avait compris pourquoi les humains appréciaient autant Internet. Cet outil était certes complexe, mais très utile.

Constatant que la situation risquait de devenir de plus en plus gênante au fil du temps, Castiel avait choisi de s'éloigner momentanément des frères Winchester. Encore qu'il n'avait pas pu s'empêcher de demeurer auprès d'eux plus souvent qu'il ne l'avait résolu. Il avait du mal à se retenir de se jeter dans les bras de Dean pour l'embrasser à pleine bouche. Le baiser échangé avec Meg Masters avait été agréable, dans l'absolu – pas trop déplaisant, du moins – mais Castiel se doutait que ce serait infiniment plus satisfaisant avec Dean.

Quelques semaines plus tard, l'ange avait constaté qu'il avait raison.

Ce soir-là, il était sorti du bar. Il s'était éloigné, car non seulement il ne s'amusait pas vraiment, mais également parce que Dean, lui, s'amusait vraiment… avec tout un groupe de filles pour lesquelles Castiel avait éprouvé de la jalousie et des pensées perfides qui ne lui ressemblaient pas du tout.

Et une certaine colère, également. Il avait eu envie de hurler dans le bar : « Dean Winchester est à moi, et uniquement à moi ! Vous n'avez pas le droit de l'approcher ! »

Encore une chose qu'il expérimentait et qu'il avait du mal à contenir. Il ne s'en était jamais ouvert à Dean : il n'avait pas osé, il redoutait sa réaction. Et il lui semblait également qu'il y avait quelque chose de vaguement honteux d'en parler ainsi. Ça faisait beaucoup de choses dont il aimerait pouvoir parler à Dean, alors qu'il ne pouvait pas. Pas s'il tenait à leur amitié.

En revanche, il avait fini par en parler à Sam. Ils étaient devenus amis, au fil du temps, et Sam était le confident idéal – ouvert et patient. Bien que le jeune Winchester grimaçait vraiment très souvent lors de ses conversations dites « à cœur ouvert ». Sans compter que Sam se doutait des sentiments de Castiel depuis le début. C'était par ailleurs le chasseur qui avait abordé le sujet en premier, et par la suite, c'était grâce à lui que Castiel avait réussi à comprendre quelles étaient ses réactions étranges qui l'habitaient.

(« Euh, tu sais, Castiel, avoir ce genre de… trucs, c'est normal. Ça, euh, ça veut dire que tu éprouves du… euh, du désir pour Dean. Oulà. J'arrive pas à croire que je parle de ça avec toi. Mon Dieu. Pardon, je voulais pas blasphémer. Bon, je suppose que tu sais comment on règle le problème. Y a deux solutions. La première c'est avec Dean, et la deuxième… Enfin bon, je suppose que tu connais. Oui, le mieux c'est encore avec Dean. Seigneur. Je vais vomir. Pardon. Bon, de ce côté, tu sais à peu près tout. Mon frère t'apprendra le reste. Ne viens surtout pas me parler de vos leçons particulières. Tu me passes le whisky ? Merci. Euh, oui, et pour les picotements le long de ton dos, et la boule dans ton ventre, et les frissons et tout ça, là, eh ben… Ben ça veut dire que t'es amoureux. Oui, quand nous les humains on est amoureux, ça donne ça. Et ça conduit à… euh, toi et Dean. Tout ça tout ça. Tu as besoin d'explications plus précises ? Bordel. Passe-moi un autre whisky, par pitié. »)

Bref.

Il avait donc compris ce qu'étaient toutes ces choses étranges qui lui arrivaient régulièrement, il avait appris à maîtriser ses pulsions qui ne pouvaient conduire qu'à un résultat catastrophique, avait fantasmé en silence sur ce qui pourrait se produire, un jour peut-être, et… et c'était arrivé.

Ce soir-là, Dean s'était approché de lui. Ils avaient parlé quelques minutes, et puis… et puis Dean l'avait embrassé.

Castiel ne put s'empêcher de sourire béatement en repensant à ce baiser. De sa longue vie, cet instant avait probablement été le meilleur. Il avait espéré un jour sentir les lèvres de Dean sur les siennes, ses mains sur sa peau, son odeur se mêlant à la sienne, et leurs deux corps étroitement enlacés. Le résultat avait été au-delà de ses espérances.

La bouche de Dean était une sorte d'avant-goût du Paradis. Castiel, qui s'y connaissait après tout en la matière, aurait même dit que c'était encore mieux. Les lèvres du chasseur étaient fougueuses et tendres en même temps, à la fois ardentes et aimantes. Sa langue, habile, était désireuse et exigeante, et avide et câline. Castiel ignorait complètement si on pouvait qualifier ainsi un baiser, mais ce n'était pas très important. Lui l'avait ressenti comme cela. Ce baiser avait été un concentré de Dean en brut, et Castiel avait adoré ça.

Lorsque Castiel s'était décidé à lui rendre son baiser – sans même en avoir conscience – ça avait été encore un cran au-dessus. Volcanique et endiablé. Parfait.

Castiel s'était entièrement perdu dans ce baiser, dans cette étreinte. Il sentait encore les mains délicieusement expertes de Dean fourrager dans ses cheveux – il n'avait encore jamais été aussi reconnaissant envers Jimmy Novak et son patrimoine génétique de lui avoir offert une chevelure bien fournie.

Dans les bras de Dean, il s'était senti… bien. Juste bien. Il était lui-même. Il n'y avait plus rien alentour, juste Dean et Castiel qui s'embrassaient passionnément. Il n'y avait plus de soucis, plus de problèmes, plus d'anges, plus de démons, plus de fin du monde, plus de dictatures célestes ou démoniaques… Castiel aurait pu rester ainsi des heures et des heures à embrasser Dean, lui qui auparavant avait tant de mal à cerner l'utilité d'une telle activité.

Et quand Dean s'était écarté, après quelques secondes de bonheur béat, Castiel avait réalisé. Il était sorti brusquement de son rêve éveillé lorsqu'il s'était dit que c'était trop beau pour être vrai.

La fureur, la déception et la tristesse s'étaient emparées de lui.

Dean ne l'avait pas embrassé par amour.

Il l'avait embrassé parce qu'il avait eu peur que Castiel ne s'en aille, le laissant seul sans allié aux pouvoirs angéliques pour l'aider dans ses chasses et ses missions anti-fin du monde, et parce que, étant ivre, il n'avait pas trouvé d'autre moyen pour retenir l'ange auprès de lui.

C'était ça. Ce ne pouvait être que ça. Dean n'était pas amoureux de lui. Il lui avait dit, avant de l'embrasser, qu'il devait rester auprès de lui. Il l'avait appelé « son ange », ce qui résumait tout à fait ce qu'il représentait pour Dean. Un ange. Rien de plus et rien de moins.

Alors, fou de rage envers lui-même – il ne parvenait pas à en vouloir à Dean, malgré tout – Castiel était parti. En tentant de ne pas regarder en arrière.

Car quelque part, une partie de lui désirait revenir dans les bras de Dean, et l'embrasser encore et encore, peu importait la raison du baiser offert par Dean.

Ça avait été le moment le plus merveilleux de sa vie, oui. Même les motivations troubles de Dean ne parvenaient pas à gâter ces précieux souvenirs, et si cela avait été à refaire, Castiel savait qu'il n'aurait pas hésité à succomber à cette tentation.

Malgré toutes ses résolutions, il revenait chaque nuit auprès de son protégé. Il ne se résolvait pas à l'abandonner tout à fait. Et Dean l'avait appelé, il l'avait prié, avec tant de désespoir, qu'il ne pouvait pas s'empêcher de revenir, encore et encore, la nuit, quand Dean dormait.

Il ne souhaitait pas le rencontrer quand il était éveillé – car malgré tout, il continuait à entretenir ses illusions. Il redoutait d'entendre la vérité de la bouche de Dean, car il ne savait franchement pas comment il s'en remettrait alors.

(« Mais enfin, Cas', qu'as-tu cru ? Moi, amoureux de toi ? Mais jamais ! C'est n'importe quoi ! Comment ça pourrait être possible ? Tu es tellement… enfin, tu vois, quoi ! »)

Pire encore, peut-être Dean s'était-il amusé à ses dépens ?

Castiel savait que bien souvent, la plupart des railleries que le chasseur faisait à son encontre allaient en ce sens. Certes, l'ange doutait que les plaisanteries de son ami puissent être aussi cruelles, aussi dénuées de délicatesse, que ne le serait un faux baiser, échangé dans le seul but de… De quoi, d'ailleurs ? Quoique cela n'avait strictement aucune importance.

Mais il redoutait que Dean ne lui fasse un de ses grands sourires (il avait un sourire formidable, lumineux, éclatant, qui plongeait l'ange dans un monde de rêves et de bonheurs), et ne lui dise : « Ah, Cas', je t'ai bien eu ! Tu y as cru, hein, avoue ! Je voulais voir jusqu'à quel point j'avais de l'influence sur toi ! Et puis, j'étais curieux de savoir quelle serait ta réaction ! ». Après tout, Dean était ivre, ce soir-là. Il n'était pas en pleine maîtrise de ses moyens ni de ses pensées. S'il y avait bien une chose que Castiel avait du mal à appréhender, c'étaient les réactions d'un humain enivré : tous agissaient différemment, et il était difficile de juger de ce qui était vrai et de ce qui était faux dans ce qu'ils faisaient et disaient alors. Il avait vu des humains qui versaient dans une sorte de folie sans aucun but, et d'autres pour qui l'alcool servait de révélateur à leurs pulsions et leurs secrets les plus enfouis. Evidemment, Castiel espérait que Dean avait appartenu à la seconde catégorie ce soir-là.

Mais comment Dean Winchester aurait-il pu l'aimer, lui, Castiel ?

C'était impossible, songeait l'ange. Il n'était pas destiné à être aimé : il était un ange. Et encore moins à être aimé du chasseur : Dean était si… extraordinaire, et lui si…

Il ne savait pas très bien ce qu'il était, mais il n'avait aucun doute sur le fait qu'il ne méritait probablement pas Dean. « On n'obtient pas tout ce qu'on veut dans la vie », avait soupiré Dean un jour, et Castiel ne pouvait que soupirer également en songeant à la vérité de cette maxime.

Toutefois, il veillerait à ce que le chasseur, lui, obtienne ce qu'il méritait : le bonheur.

Castiel se pencha au-dessus de Dean, qui dormait toujours aussi calmement. Il aimait venir le voir la nuit – juste pour le regarder, pour se délecter de sa vision. Son visage à la fois fin et fort, ses mâchoires puissantes (Castiel avait un faible pour ses mâchoires on ne pouvait plus viriles, et il se demandait encore comment, étant un ange, il pouvait ressentir une attirance aussi physique), son nez délicat avec de minuscules petites taches de rousseur, sa bouche mince (non, il ne devait surtout pas penser à la bouche de Dean !), ses cheveux blond foncé où il avait envie de passer la main (il était convaincu que ses cheveux seraient doux, et qu'il serait formidable de pouvoir y enfouir ses doigts), et ses yeux. C'était probablement ce qui manquait le plus à Castiel : voir ses magnifiques yeux vert prairie, si vifs, si pétillants, si déterminés…

Castiel tendit la main vers le visage de Dean, puis se ravisa. Il mourrait d'envie (encore une expression humaine qui prenait son sens) de caresser le visage tant chéri, mais ce geste risquait de réveiller Dean, et Castiel n'était pas prêt à affronter ça. La colère sur le visage de Dean, ou la surprise, ou le déni, ou… Tout, sauf ce à quoi il aspirait de toute sa grâce.

L'ange était convaincu que Dean l'avait entendu s'envoler, la nuit dernière et encore celle d'avant – il l'avait appelé, après tout, mais son cœur battait si fort et il était si paniqué qu'il ne parvenait pas tout à fait à réaliser ce qu'il en était réellement.

Oui, Castiel s'étonnait d'éprouver un amour à la fois aussi spirituel et aussi physique pour Dean Winchester. Il ignorait qu'il était possible à un ange d'aimer ainsi. Que diraient ses frères et sœurs ?

Castiel les chassa immédiatement de son esprit. Il ne s'en souciait pas. Tout ce qui comptait, c'était Dean.

Que devait-il faire, ou ne pas faire ? Devait-il avoir une conversation avec Dean ?

Lui apparaître et lui expliquer calmement l'étendue et la puissance de ses sentiments pour lui ?

Le mettre « au pied du mur », comme disaient les humains, et le contraindre à justifier sa conduite d'il y avait deux semaines ?

Lui dire que s'il ne voulait pas de lui, alors, il partirait, et que Dean ne le reverrait plus ?

Tout passer sous silence et agir comme s'il ne s'était rien passé – prétendre qu'il avait dû s'absenter pour mener une mission au Paradis ?

Parler à Dean, et faire… quelle était cette expression… « table rase » du passé, et faire que tout redevienne comme avant ?

Castiel soupira. Parfois, il songeait qu'il aurait peut-être mieux fallu que ce baiser ne se produise jamais, même s'il savait parfaitement qu'il ne voulait rien changer à ce qui s'était passé, bien au contraire. Simplement, si Dean ne l'avait pas embrassé… ils seraient toujours amis.

En fait, ce n'était pas tout à fait vrai. L'ange s'était toujours posé des questions… Il s'était toujours demandé ce que Dean ressentait exactement pour lui.

Il était quasiment sûr qu'il ne s'agissait que d'amitié et rien d'autre, mais il arrivait que les évènements lui suggèrent que Dean avait peut-être des sentiments un peu différents à son égard.

Castiel savait qu'ils possédaient une relation très particulière, qui ne ressemblait pas à l'amitié que lui-même entretenait avec Sam. Cependant, l'ange peinait à savoir en quoi ses rapports avec Dean différaient de ceux qu'il possédait avec l'autre chasseur, ou avec Anna, ou Balthazar, pour ne citer qu'eux. Etait-ce le lien ange gardien-protégé qui modifiait ainsi les paramètres de leur relation ? Ou était-ce autre chose ?

Oui, parfois, les regards que lui lançait Dean, les sourires qu'il lui destinait, les marques d'affection qu'il avait envers lui (une main glissant sur son bras, une tape amicale sur son épaule, une étreinte, bien que plus rarement, et celle-ci était alors toujours un moment intense et magique), tout cela laissait penser à l'ange qu'un jour peut-être, il y « aurait plus » entre eux qu'une simple amitié.

Et Castiel ne pouvait pas dire que c'était la faute de Dean. L'ange se connaissait assez bien pour pouvoir affirmer que si ce baiser dont Dean était l'instigateur ne s'était pas produit, il y aurait alors eu un autre moment, un autre jour, où Castiel aurait cédé sous le poids de ses questions, de ses sensations et de ses espoirs, et il aurait lui-même embrassé le chasseur, ou lui aurait tout raconté de ses aspirations et de ses sentiments, ou fait peut-être encore quelque chose d'encore pire. Et là, réellement, toutes ses chances auraient disparu à jamais.

Tandis que là…

« Est-ce que tu crois que Dean m'aime ? Est-ce que tu crois que, peut-être… » avait demandé Castiel à Sam, une semaine plus tôt. Il n'avait encore jamais osé évoquer le sujet avec le chasseur. Mais cette fois-là, Sam l'avait appelé, pour lui demander ce qui s'était produit au juste pour que Castiel disparaisse ainsi, et l'ange, ravi d'avoir quelqu'un avec qui se confier, lui avait tout raconté.

Sam l'avait écouté sans mot dire, en auditoire attentif qu'il était. Il s'était montré très patient et ouvert d'esprit – il n'avait failli s'étouffer avec sa bière (nécessaire pour supporter son récit, avait argué le chasseur) que deux fois, ne l'avait fixé d'un air profondément choqué qu'une seule autre fois, et ne l'avait interrompu que pour lui dire que non, il ne voulait vraiment pas savoir Dean avait mis ses mains ni comment il embrassait. Castiel s'était attendu à pire.

Finalement, un long moment après que l'ange avait posé sa question désespérée, Sam avait regardé l'ange, et avait pris la parole d'un air très gêné et embêté.

« Ecoute, Cas'… Ce n'est pas à moi de te dire ça. Ce serait trahir mon frère. Lui ne m'a même pas parlé de tout ça… Attends, Castiel. Il est très perturbé, tu sais. Depuis ce fameux soir. (Il avait posé sa bière sur la table et regardé Castiel avec compassion.) Ce que je veux dire, c'est que c'est avec Dean que tu dois en parler. Pas avec moi. »

Castiel avait baissé la tête.

« Je comprends » avait-il soufflé, penaud d'avoir dérangé Sam, et un peu déçu aussi.

Sam avait secoué la tête.

« Non, tu ne comprends pas. Je n'arrive pas à te dire ce que… Enfin, Castiel. Dean… Dean est spécial, on le sait tous les deux. Tu devrais lui parler. Quand tu seras prêt. Il n'attend que ça. (Puis Sam avait froncé les sourcils.) Il ne voit pas très clair dans tout cette histoire, et il aura besoin d'aide pour comprendre ce qu'il en est vraiment. Ce serait mieux que ce soit toi qui l'aides, plutôt que moi. »

Il avait avisé l'expression de Castiel, et soupiré.

« Sérieusement, Castiel. Dépêche-toi. Après, il sera peut-être trop tard. Dean ne… enfin, il ne t'aurait pas embrassé juste pour le fun. Tu le connais comme moi. Laisse-lui une chance de te parler. Il a besoin de toi, tu sais. »

Mais Castiel ne percevait pas les choses ainsi.

Dean ne voyait pas clair, certes mais il était probablement vexé d'avoir été repoussé ainsi. D'après ce que Castiel avait compris des séries télévisées, les humains prenaient mal ce genre de choses.

Dean avait besoin de lui exact. Il le lui avait dit. « J'ai besoin de toi. » Il avait besoin de ses pouvoirs d'ange. Il avait besoin d'un ami. Il avait besoin d'un soutien.

Pas d'un amant. Pas d'un « petit ami », selon l'expression humaine. Pas d'une relation amoureuse.

Castiel s'assit doucement sur le lit, à côté de son protégé, et se pencha une nouvelle fois vers Dean l'observant avec tendresse. Qu'est-ce qu'il pouvait l'aimer, son humain…

Il se rendit alors compte que Dean, en se couchant, avait négligé d'éteindre la lampe de chevet du motel. L'ange sourit. C'était Dean « tout craché », comme disaient les humains. Se rappelant que les humains préféraient pour la plupart dormir dans l'obscurité, il se pencha pour appuyer sur le bouton coupant le courant de l'objet… et se figea à mi-chemin.

Une enveloppe blanche était posée sur la table de chevet.

Et les enveloppes, d'après ce que Castiel savait de l'humanité, ça contenait soit des factures, soit des lettres.

Mais Dean avait de fausses cartes de crédit, il ne payait donc pas de factures… Du moins, pour ce que Castiel y connaissait…

La bouche de Castiel s'assécha brusquement, et il les humecta sans s'en rendre compte, en un réflexe purement humain.

Etait-il possible que cette lettre provienne de Dean ?

Etait-il possible que cette lettre lui soit adressée ?

Etait-ce pour cela que Dean avait laissé la lumière allumée ? Pour que Castiel trouve l'enveloppe ?

Sauf qu'il n'y avait aucune preuve que cette lettre soit pour lui. Aucune…

Mû par un instinct difficilement explicable, Castiel tendit la main, saisit l'enveloppe et la porta à portée de ses yeux. L'écriture de Dean se détachait sur cette dernière. Quatre mots. Quatre petits mots qui firent battre le cœur de Castiel plus vite et qui firent vibrer sa grâce d'excitation, de peur, de bonheur et d'expectative en même temps.

Pour mon ange gardien

Son ange gardien. L'ange gardien de Dean. C'était lui, réalisa Castiel. Oui, c'était bien lui.

Cette lettre lui était destinée.

Dean lui avait écrit.

Dean engageait le contact avec lui.

Dean avait des choses à lui dire.

Castiel regarda l'enveloppe fixement, mille sentiments s'agitant à l'intérieur de lui-même. Il avait l'impression que son cœur se dilatait et qu'on avait ouvert une bouteille de ce liquide pétillant – du champagne, se rappela-t-il – à l'intérieur de son ventre. Il tremblait, constata-t-il.

Pour mon ange gardien. Mais que Dean pouvait-il bien vouloir lui dire ? Castiel sentit un courant froid traverser son échine. Peut-être lui écrivait-il pour lui expliquer que rien n'était possible entre eux. Que c'était une mauvaise blague. Qu'il était tellement ivre qu'il ne s'en rappelait même pas.

Pour mon ange gardien. Que signifiait cette formule ? Etait-ce un rappel de la fonction de Castiel, et donc une façon de lui intimer qu'aucune relation plus poussée ne pouvait exister entre eux deux ? Ou était-ce quelque chose de plus affectueux ?

Pour mon ange gardien. Peut-être que… Et si ? Et si…

Pour mon ange gardien.

La seule façon de savoir ce qu'il en était, décida Castiel, c'était de lire la lettre. Ce serait probablement douloureux, mais au moins, la situation serait claire, et ce de façon définitive.

Prenant une grande inspiration – encore un réflexe humain – Castiel retourna l'enveloppe et, de ces doigts frissonnants, la décacheta et en extirpa une feuille de papier pliée en trois.

Le moment était venu. L'ange déplia lentement la lettre qui lui était destinée.

Cas',

Castiel ferma les yeux. La lettre commençait par son surnom, son contenu ne pouvait donc logiquement pas être ouvertement cruel et blessant. C'était une bonne chose.

Par ailleurs, Dean continuait à l'appeler par son surnom, ce qui tendait à signifier qu'il éprouvait toujours une forme d'amitié et d'affection envers la personne de l'ange. Leur relation n'était ainsi peut-être pas irrémédiablement détruite. Elle pouvait être réparée.

D'un autre côté, réalisa le séraphin, utiliser son surnom était peut-être un rappel de leur amitié. Amitié, pas amour.

Castiel fronça légèrement les sourcils. Préférait-il avoir Dean en tant qu'ami uniquement, plutôt que de ne plus l'avoir du tout ? Probablement. Toutefois l'ange se rappela que si c'était le cas, ce ne serait qu'une question de temps avant que lui-même ne fasse quelque chose de désastreux.

L'ange choisit de continuer de lire plutôt que d'extrapoler sur ce que Dean pouvait avoir à lui dire.

Je sais que tu viens me voir toutes les nuits.

Castiel inclina la tête sur le côté. Jusque-là, rien de nouveau. Il se doutait plus ou moins que Dean l'avait entendu, après tout.

Je ne te ferai aucun commentaire sur le respect de l'espace privé, ni rien de tout ça

L'ange sourit. Ça correspondait tellement à Dean qu'il lui était impossible de ne pas être amusé et même attendri.

ni rien de tout ça, car en fait, ça me fait plutôt plaisir de savoir que tu veilles sur moi. Même si c'est pendant mon sommeil.

Le sourire de Castiel s'épanouit un peu plus. Dean était… ça lui faisait plaisir que l'ange soit encore là, auprès de lui. Il sentait le semi-reproche de son protégé dans sa dernière phrase, mais tout ce que l'ange parvenait à retenir, c'était que Dean était content qu'il vienne le voir. Dean était content.

Les bulles de champagne se diffusèrent à travers tout son corps.

Dean était heureux qu'il veille sur lui.

Castiel avait envie de dire à son protégé : « Bien sûr, que je veille sur toi, Dean. Je veillerai toujours sur toi. »

Castiel inspira profondément. Bon. La lettre débutait plutôt bien. Dean n'était donc pas en colère contre lui, finalement.

Que lui réservait la suite, alors ?

Etant donné que tu es parti cette nuit-là, et que depuis tu ne réponds plus à mes appels,

Castiel grimaça. Cette phrase en revanche était emplie de reproches.

D'après ce qu'il en concluait, Dean ne lui en voulait pas franchement, à savoir qu'il ne semblait pas lui en vouloir de l'avoir embrassé mais il était… déçu ? triste ? furieux ? que Castiel se soit envolé aussi brusquement, et qu'il ne soit plus revenu par la suite.

Amer, songea Castiel. Voilà le mot qu'il cherchait.

Peut-être était-ce bon signe ? Dean était-il amer de ne pas avoir pu lui parler de ce qui s'était passé ? Amer de s'être fait repousser (ce qui était vraiment positif pour Castiel) ?

L'ange nota que Dean semblait se souvenir de ce qui s'était passé. Son état d'ébriété n'était donc pas assez avancé pour qu'il ait oublié tout la scène. Ce qui n'indiquait en rien à Castiel de quoi pouvaient être constituées les pensées de Dean ce soir-là, ignare qu'il était sur les différents comportements et attitudes d'un humain enivré.

Castiel reprit sa lecture.

tu ne réponds plus à mes appels, j'ai choisi de t'écrire cette lettre, pour pouvoir mettre les choses au clair avec toi.

La grimace de Castiel s'accentua.

Dean voulait éclaircir la situation. Qu'est-ce que cela signifiait ? Etait-ce une introduction à une explication laborieuse et pénible ? A des reproches à peine voilés ?

A… autre chose ?

Castiel eut envie de grogner. Il était capital qu'il arrête de garder cet espoir ridicule. Il savait depuis longtemps qu'aucune de ses aspirations ne serait jamais réalité.

Note bien que je ne t'en veux pas de t'être envolé. A ta place, j'aurais probablement fait la même chose.

Castiel se mordit la lèvre inférieure. Ainsi, Dean ne lui en voulait pas, au final ?

Il en fut immédiatement soulagé.

Chose étrange que les lettres, songea-t-il. Etait-il courant que cette forme de communication donne l'impression à ses lecteurs de ne plus savoir distinguer le vrai du faux et les fasse changer de sentiments en l'espace de quelques secondes ?

Soudain, l'ange, en pleine illustration de ses propos, relut avec une panique grandissante la seconde phrase de Dean. Que voulait-il dire par là ?

J'ignore de quelle façon tu as interprété mon geste. Simplement, sache que je ne voulais ni te rendre triste, ni te mettre en colère ou te blesser.

Castiel relut les mots de Dean avec incrédulité. Il savait que le chasseur ne voulait pas le blesser. Certes, il l'avait fait, mais ça n'avait pas été intentionnel. Du moins, Castiel ne le pensait pas. Dean était ivre, ce qui était précisément la raison ayant motivé son geste. Sobre, le chasseur n'aurait jamais embrassé l'ange. Ce dernier ne savait pas trop s'il devait s'en réjouir ou non.

Que cherchait à lui dire Dean ? Que ce baiser était une erreur ? Castiel ne put empêcher la lettre de trembler entre ses mains fébriles. L'ange n'était pas très sûr de vouloir lire la suite de la missive.

Je te prie sincèrement de m'excuser si je t'ai fait du mal d'une façon ou d'une autre. Ça n'a jamais été ce que je voulais.

« Oh, Dean », songea Castiel. C'était lui qui était parti, lui qui avait repoussé le chasseur, et c'était ce dernier qui s'excusait et s'inquiétait des ravages qu'il avait pu causer.

Castiel était conscient que oui, ce baiser avait et allait probablement encore causer des ravages, et peut-être endommager leur amitié. Mais les torts étaient partagés. L'ange s'était éloigné de son ami. Pire encore, il avait trouvé le moyen de tomber amoureux de son protégé. C'était sa faute à lui, dès le départ. Il ne pouvait s'en vouloir qu'à lui-même, même s'il était également conscient qu'aimer ne pouvait pas être un crime – ô paradoxe.

Une fois de plus, l'ange s'attarda sur la dernière phrase de Dean. Ça n'a jamais été ce que je voulais. Que n'avait-il pas voulu ? L'embrasser ? Lui faire du mal ?

Castiel se demanda s'il n'y avait pas un double sens derrière ses mots. L'ange ne comprenait jamais rien aux messages subliminaux (pourquoi dire quelque chose pour que ladite chose veuille en réalité dire encore autre chose ? voilà qui le dépassait), mais il savait que Dean était féru de cette pratique. Y avait-il quelque chose de particulier à comprendre à travers ces termes ?

Castiel inspira profondément. Il sentait confusément que le moment approchait où il allait lire le fin mot de toute cette histoire de baiser – et peut-être de l'histoire en elle-même. Chose étrange que de s'impatienter et de redouter à la fois une même chose.

J'aimerais pouvoir te dire que ce baiser était une erreur.

J'aimerais pouvoir te dire que j'étais trop ivre pour savoir ce que je faisais.

J'aimerais pouvoir te dire que c'était un accident.

J'aimerais pouvoir te dire que tout peut redevenir comme avant.

J'aimerais pouvoir te dire que je souhaite revenir en arrière.

Mais je ne le veux pas. Je ne le peux pas.

Castiel en oublia de respirer.

« … Quoi ? » fut la seule et unique chose qu'il parvint à penser.

Dans son esprit, tout n'était plus que confusion.

Les mots de Dean n'avaient pas de sens. Rien de tout ça n'avait de sens.

Dean devait lui dire ça, justement ! Il était Dean Winchester, et Dean Winchester pensait et ressentait les choses ainsi. C'était dans la logique des choses. C'était tellement logique, tellement indubitable, que Castiel ne s'était préparé à aucune autre réaction de sa part, à l'exception de ses rêveries chimériques.

Dean était censé le rejeter, parce que c'était Dean, et que Dean aimait les femmes, et que Dean n'aimait pas les hommes, et que Castiel était un ange dans un corps d'homme et qu'ils étaient amis et que…

Mais Dean ne semblait pas vouloir le rejeter.

Castiel ne voyait absolument pas où Dean voulait en venir. A moins que… mais c'était idiot. C'était Dean. Dean ne pouvait pas ressentir ça pour lui.

Alors que se passait-il ? Ce n'était ni un accident, ni une erreur, Dean savait ce qu'il faisait et ne souhaitait pas revenir en arrière et ils ne pouvaient pas retrouver leur relation d'avant. Ça ne menait à rien. Rien de rien.

Dean était incapable de lui dire ce qu'il était censé lui dire. Encore une fois, que se passait-il ? Pourquoi Dean rencontrait-il une telle incapacité ? Avait-il un problème quelconque ?

Malgré lui, Castiel sentit un espoir fou l'envahir, dévorant, brûlant, étouffant.

Et s'il s'était trompé depuis le départ ?

Je pourrais te dire un million de choses, Cas'.

Je pourrais te dire que je n'ai pas aimé ce baiser, que ce n'était qu'un moment d'égarement, que je n'ai pas envie de recommencer, que nous ne sommes qu'amis, qu'il ne peut rien se passer entre toi et moi, que tu me laisses insensible…

« Bien sûr », songea Castiel, dérouté. C'était ce que Dean lui aurait dit en temps normal, mais rien n'était plus vraiment normal en ce moment.

Mais ça non plus, je ne te le dirai pas. Jamais.

Castiel sentit l'Espoir gonfler ses poumons jusqu'à lui couper le souffle.

Parce que je ne peux pas te mentir, Cas'. Et tout ça… ce seraient des mensonges.

- Oh ! souffla Castiel sans pouvoir s'en empêcher.

Ce seraient des mensonges. Et si c'étaient des mensonges… ça impliquait que…

J'ai adoré t'embrasser, Cas'. C'était le meilleur moment de ma foutue vie. Et je crève d'envie de recommencer. Encore et encore.

Incrédule, Castiel contempla la lettre, relisant fébrilement les mots de Dean. C'était impossible. Dean… Dean… avait aimé l'embrasser ?

L'ange eut l'impression de découvrir un nouveau Paradis, encore plus beau, plus resplendissant, plus formidable que le Paradis originel.

Son corps n'était plus que chaleur, espoir, bonheur. Il ne savait même plus ce qu'il était réellement, ni où il se trouvait. Et ce n'était pas important.

Je vais te dire la vérité, Cas'.

J'ignore pourquoi, au départ, je t'ai embrassé. Tout ce que je savais, c'était que je risquais de te perdre, que je risquais de ne plus jamais te voir, et cette idée m'était insupportable.

Ça m'a dessaoulé tout de suite. Cas', je savais ce que je faisais quand je t'ai embrassé. J'en étais parfaitement conscient.

Castiel eut l'impression qu'une pierre lui tombait au fond de l'estomac.

Etait-ce qu'il avait redouté ? Que Dean ait tenté de le manipuler ? Sans être ivre, de surcroît ?

Et je mourrais d'envie de t'embrasser. Je ne savais pas pourquoi, mais je le voulais vraiment. Ce n'était même pas pour te retenir (même si au fond, pour être honnête, j'en ai peut-être eu l'espoir). C'était juste que… je ne sais pas comment dire.

Allez. Puisque j'ai choisi d'être honnête, soyons-le jusqu'au bout. (C'est encore plus compliqué que ce que je pensais. D'être honnête, je veux dire. Bref.)

Je crois que ça fait très longtemps que j'en avais envie, Cas'. Très très longtemps. Mais tu me connais. Je suis capable de me mentir à moi-même sans aucun problème. Ce qui me déplaît… je le mets de côté. Je suppose que j'ai mis cette envie de t'embrasser de côté également parce que je ne la comprenais pas, et ce que je ne comprends pas, ça me déplaît. Un cercle vicieux, en fait.

Alors quand j'ai eu l'impression que tu allais partir… il y a eu comme quelque chose qui a explosé en moi. Et ce quelque chose, c'était ça.

Castiel avala sa salive, peinant à en croire ses yeux. Est-ce que la vue de son vaisseau était défaillante ? Ou était-ce lui qui avait absorbé de quelconques substances hallucinogènes ?

Son vœu le plus cher, son plus grand désir, tout ce qu'il appelait de toutes ses forces, était en train de prendre vie, de devenir réalité.

Il peinait à y croire.

L'ange était arrivé au bout de la page couverte de l'écriture de Dean. Lentement, ou précipitamment, il n'aurait pas su le dire, il retourna la feuille. Son monde se résumait à cette lettre. Rien d'autre n'existait plus. Ni le temps, ni l'espace. Comme le soir où ils s'étaient embrassés.

J'ignore pourquoi tu as fui, Cas'. Est-ce que notre baiser t'a déplu ? J'avais pourtant eu l'impression que tu avais apprécié, au départ.

« Et comment ! » fut la seule chose que Castiel put penser dans l'état quasi catatonique où il se trouvait, et il ne remarqua même pas qu'il pensait comme un humain – comme Dean.

Peut-être alors t'es-tu trompé sur mes intentions.

Quoiqu'il en soit, Cas', ça ne m'empêchera pas de te dire ce que j'ai sur le cœur.

L'idée de te perdre m'est insupportable, mais tu vois, l'idée que tout redevienne comme avant me déplaît presque autant. Je ne veux pas que nous soyons amis.

Castiel prit une inspiration sifflante.

Je veux que nous soyons… plus que des amis.

Il m'a fallu un long moment pour le réaliser (ainsi qu'un sacré tas de papier pour tenter d'écrire cette lettre et une conversation animée avec ma propre conscience, qui est encore plus chiante que moi). Mais je te le dis. Après ce baiser, après tout ça, je ne crois pas que je pourrai me contenter d'une simple amitié.

Je vais être clair. Il faut que je te le dise, ou je le regretterai toute ma vie. Je franchis peut-être tes limites, et peut-être que tu n'as pas envie d'entendre ces mots, mais je pense qu'au point où nous en sommes, mentir ou faire comme si de rien n'était ne fera qu'empirer les choses.

« Mais si ! » s'écria Castiel en son for intérieur.

Il ferma les yeux un court instant et les rouvrit tout aussitôt.

« Dis-le, Dean, je t'en prie. Ecris-le. Fais ce à quoi je pense… »

Je suis tombé amoureux de toi, Cas'.

J'ai envie qu'on devienne un couple, toi et moi.

Castiel se sentit sourire. Un sourire immense. Son cœur ne se dilatait plus il débordait littéralement de son être. Sa grâce ne vibrait plus elle était un volcan en éruption.

J'ai envie de t'embrasser chaque jour que ton Père fait, et j'ai envie de toutes ces choses idiotes que font les couples, et parce que j'ai envie de les faire avec toi, je ne les trouve plus idiotes du tout…

Je n'arrive pas à croire que je dise et, pire, que je pense, ça. Mais c'est la vérité, et je ne pense pas pouvoir la cacher plus longtemps, et je sais aussi que je n'arriverai pas non plus à faire comme si de rien n'était.

C'est le grand moment, Cas'. A présent, je ne sais pas du tout où on va. On ne pourra plus être amis après ça. Peut-être que tu ne voudras plus jamais me voir.

Ou peut-être… peut-être que mes sentiments sont partagés. Ce serait trop beau pour être vrai, mais je ne peux pas m'empêcher de croiser les doigts.

Je t'ai tout dit, Cas'. C'est à toi de décider, maintenant. Sache que je comprendrai et respecterai ta décision quelle qu'elle soit. Tu as tellement fait pour moi, Cas', que je regrette de t'imposer ça, et d'avoir peut-être détruit notre amitié, mais on ne peut pas faire autrement. J'en suis désolé. Vraiment. Essaie de ne pas trop m'en vouloir si tu choisis de ne plus me voir.

Crois bien que je ne m'attendais pas à tomber amoureux de toi. Mais tu es la plus belle chose qui me soit arrivée, et ces années ont été les plus belles de ma vie. N'oublie jamais ça.

(Je n'arrive vraiment pas à croire que je pense vraiment ça. Tu m'as jeté un sort ? D'ailleurs, tant qu'on y est, ne montre JAMAIS cette lettre à personne. C'est entre toi et moi.)

Malgré lui, Castiel rit. De soulagement, de bonheur, d'incrédulité, parce que la vie était belle, parce que Dean était amoureux de lui, parce que Dean racontait n'importe quoi, parce que lui aussi était amoureux de Dean.

Je t'aime, Castiel.

Dean.

PS : si jamais, par miracle, mes sentiments sont partagés… réveille-moi.

Castiel relut les trois dernières lignes de la lettre et la referma lentement.

Dean l'aimait.

Il aimait Dean, et Dean l'aimait en retour.

Castiel se rendit compte qu'il pleurait. De joie. Une première.

Dean l'aimait.

Il fallait qu'il réveille son humain. Tout de suite. Pour lui dire que oui, mille fois oui, ses sentiments étaient partagés.

Castiel ne pouvait plus s'arrêter de sourire, fou de joie. Il avait attendu si longtemps, et la vie lui offrait le plus beau de tous les cadeaux. Dean était à lui, rien qu'à lui. Ils allaient former un couple. Ils seraient ensemble. Dean l'aimait.

Il releva la tête, prêt à tendre la main pour caresser le visage de Dean pour l'éveiller, ou peut-être à l'embrasser fougueusement pour obtenir le même effet…

… et son regard rencontra deux yeux vert émeraude qui le fixaient, bien éveillés, pleins de peur et d'espoir.

Castiel se rendit compte qu'il avait dû réveiller Dean à un moment ou à un autre, sans s'en apercevoir, absorbé qu'il était par la lettre.

Dean, murmura-t-il, la voix si enrouée par l'émotion qu'elle lui apparut déformée et faillit ne pas la reconnaître.

Le chasseur se redressa un peu plus sur le lit, jusqu'à se retrouver assis, à quelques centimètres de Castiel.

Ce dernier ne pouvait pas détacher son regard de celui de Dean, s'y plongeant comme ils en avaient l'habitude, parce qu'ils communiquaient mieux avec les yeux qu'avec les mots. C'était ainsi qu'ils fonctionnaient, et l'un comme l'autre en étaient pleinement satisfaits. Castiel réalisa soudain combien écrire cette lettre avait dû coûter à Dean.

Et, plongé dans les yeux de son humain, Castiel sentit que les derniers doutes qu'il aurait pu avoir ne pouvaient que s'effacer. Dean avait été sincère avec lui. Il voyait défiler dans les merveilleux yeux verts tous les sentiments, tous les troubles, tous les questionnements, tous les non-dits qu'il y avait eu entre eux. Et Castiel décida qu'il était grand temps que tous leurs interdits et tous leurs mensonges disparaissent à jamais.

L'ange prit une grande inspiration.

- Je t'aime aussi, Dean, murmura-t-il.

Dean ouvrit de grands yeux ébahis, et Castiel sut immédiatement que son humain ressentait la même chose que lui quelques minutes auparavant. Puis le chasseur sourit, un immense sourire, un peu incrédule, un peu intimidé, mais indéniablement heureux, et Castiel, ne pouvant résister plus longtemps, se jeta sur son humain pour l'embrasser à pleine bouche.

Ils basculèrent sur le lit, riant et s'embrassant à en perdre la tête, leurs mains se caressant, s'enlaçant passionnément.

- J'aurais jamais cru… j'aurais jamais cru que tu pourrais m'aimer, chuchota Dean entre deux baisers.

Pour toute réponse, Castiel déposa une ligne de baisers dans son cou, et adressa un immense sourire au chasseur. Ils auraient certainement beaucoup de choses à se dire, beaucoup d'explications à se donner, mais ça attendrait. Oui, ça attendrait largement. Pour l'instant, l'ange goûtait à son paradis personnel.

Dean, soupirant de bonheur, saisit Castiel par le cou et cueillit ses lèvres avec tendresse.


BAM.

Sam Winchester, dans la chambre 58 d'un motel perdu au fin fond de l'Iowa, se réveilla en sursaut à très précisément deux heures treize du matin cette même nuit.

L'instinct du chasseur prit immédiatement le dessus, et, attrapant une arme qui traînait dans le coin, Sam se précipita vers la chambre 56, d'où provenait le bruit – soit la chambre de son très cher frère. Aucun doute que le charmant frérot s'était encore attiré des emmerdes plus grosses que lui, se dit-il, oubliant complètement à quelle activité ledit frérot s'était livrée l'après-midi même et ce qu'il pouvait en résulter.

Ce fut ainsi que, ouvrant à toute volée la porte de la chambre 56, Sam Winchester reçut en pleine figure un objet volant non identifié qui l'aveugla instantanément. « Ça devient une habitude ! » grogna mentalement le chasseur en se remémorant une certaine boulette de papier ayant atterri malencontreusement sur son appendice nasal… et ce fut alors qu'il réalisa.

Il ôta le projectile, lourd et épais, avec précaution, et le tint à bout de bras. Un trench-coat.

Ouvrant tout grand les yeux et la bouche, Sam avisa la scène qui se déroulait sur le lit au centre de la pièce.

Dean. Et Castiel. S'embrassant fougueusement. Vraiment très fougueusement. Et – oh bordel, mais où était le T-shirt de Dean ? Et la chemise de Castiel ? Et… qu'est-ce que Dean foutait avec la cravate de Castiel ? Et qu'est-ce Castiel foutait, lui aussi, avec sa langue ?

« Bordel de Dieu ! » jura Sam en son for intérieur. Il jeta le trench-coat par terre – désolé Castiel – , sortit précipitamment de la chambre 56 – le couple tout nouveau tout beau ne l'avait même pas vu, il ne savait pas s'il devait s'en réjouir ou le déplorer – et s'enfuit à toutes jambes, décidant qu'il valait mieux pour sa santé mentale qu'il aille passer la soirée ailleurs, n'importe ailleurs que dans ce motel.

Et dire que c'était lui qui les avait aidés. Tout ça c'était son œuvre. Un travail d'orfèvre, absolument formidable, devait-il reconnaître pour être honnête envers lui-même. N'empêche que maintenant, il avait d'horribles images de son frère et de son meilleur ami en train de… Non, ne surtout pas y penser !

Dire qu'il avait déjà dû supporter les rêves suggestifs de Dean, que son frère oubliait au petit matin – raison pour laquelle ils avaient pris deux chambres différentes – et les questions gênantes de Castiel ! Tout ça pour être traumatisé à vie. La vie était dure avec lui.

La scène qu'il trouva le lendemain matin en entrant – très très prudemment – dans la chambre 56 pour réveiller son frère, lui fit oublier toutes ses lamentations. Sam sourit avec affection et referma doucement la porte.

Dean et Castiel, blottis l'un contre l'autre, un petit sourire heureux aux lèvres, dormaient paisiblement, enlacés.

Sur la table de chevet, premier témoin de leur amour, la lettre reposait dans un rayon du soleil qui se levait sur leur bonheur tout neuf.