Voilà une fic dont l'idée m'est venue comme ça, d'un coup, sans prévenir et qui s'est imposée à tel point que j'ai écrit d'une traite les deux premières parties. C'est pas sérieux, quand on pense que j'ai deux autres projets en cours, mais l'inspiration est une chose capricieuse qu'il vaut mieux ne pas contrarier.

Disclaimer : les personnages et leur univers sont à Tolkien et Peter Jackson.

- Kili !

Pouffant de rire, le petit bonhomme se redressa derrière l'énorme souche près de laquelle il s'était accroupi et détala de toute la vitesse de ses petites jambes.

En quelques enjambées, Thorin rattrapa le marmot qui, cependant, lui échappa encore : entendant les pas de son oncle derrière lui, il se mit hors de portée en se glissant, pareil à un renardeau, sous les branches basses d'un épais taillis.

- Kili, je te préviens ! Ca va mal finir !

Tandis que Thorin se penchait en écartant les branchages couverts de neige, le petit fusa de l'autre côté du taillis et s'enfuit dans le hallier, riant toujours.

- Par Durin ! Kili, je ne plaisante pas ! Viens ici tout de suite !

Kili n'eut garde d'obéir et son oncle se précipita derrière lui en jurant dans sa barbe. Il faillit bien passer devant lui sans le voir, car le polisson s'était blotti dans le trou laissé par un arbre abattu, sous le rideau formé par les racines enchevêtrées, rendu encore plus impénétrable au regard par la neige, délicatement festonnée, qui s'y était déposée. Malheureusement pour lui, ses empreintes sur le fin tapis immaculé le trahirent. Cette fois, Kili ne fut pas assez prompt pour quitter sa cachette avant que son oncle ne le saisisse par le bras et ne l'en extirpe lui-même.

- Par ici, chenapan ! fit sèchement Thorin. C'est comme ça que tu m'obéis ?!

Subitement inquiet, le gamin nota les sourcils froncés, le regard sévère, autant que la voix, et dut se rendre à l'évidence : son oncle était vraiment fâché. Il se composa aussitôt une mine de martyr en levant vers lui ses grands yeux bruns, dans une mimique le plus souvent irrésistible, destinée à attendrir celui auquel elle était destinée.

Il apparut toutefois que, cette fois-ci, Thorin n'était pas disposé à se laisser émouvoir. Aussi, dans le même temps, il pinça l'oreille de son neveu entre le pouce et l'index et la tira plusieurs fois, à tous petits coups.

- Aïe ! Aïe ! glapit l'enfant, dont le visage se décomposa comme s'il allait se mettre à pleurer.

En réalité, il n'avait pas eu mal du tout et son oreille était d'un rose à peine plus soutenu qu'à l'ordinaire. Mais, comme tous les enfants, il préférait crier de manière préventive : c'est une ruse qui a déjà fait ses preuves et à laquelle les adultes se laissent pratiquement toujours prendre.

Thorin lâcha en effet son oreille. Mais il saisit fermement sa menotte dans sa grande main et repartit à longs pas rapides vers l'endroit où ils avaient laissé Dwalin et Fili. Obligé de trottiner pour suivre la cadence de la marche, Kili envisagea un instant de se laisser tomber exprès, histoire encore une fois d'amadouer son oncle et de se faire consoler. Mais il sentit instinctivement que ça ne marcherait pas cette fois et que tout ce qu'il en retirerait serait probablement une calotte. Sa petite cervelle se mit à tourner à cent tours minute. Thorin paraissait vraiment mécontent, sinon en colère, ce qui impliquait un retour des moins agréables. D'autant que si sa mère était mise au courant, elle le gronderait également. Sans doute avait-il poussé le caprice un peu loin, mais aussi, ça n'était pas si souvent qu'on leur permettait de quitter leurs cavernes à tous les deux, Fili et lui. Surtout lui.

Ce jour-là, Thorin et Dwalin avaient décidé d'aller chasser. Trois fois rien, ils ne s'éloigneraient guère et seraient de retour en quelques heures. Aucun d'eux ne pouvait évidemment savoir que, cette chasse-là, ils s'en souviendraient longtemps !

Fili et son petit frère avaient trépigné, argumenté, supplié pour qu'on les emmène et leur mère, de même que les deux guerriers, avaient accepté. Tout avait été si captivant, aux yeux du petit Kili, et la première neige, encore toute fraîche, était si pleine de promesses de joie, que lorsqu'il avait été question de prendre le chemin du retour il était devenu insupportable. Il avait protesté, grogné, pleurniché à tel point que même Fili avait fini par en être excédé. Kili aurait dû comprendre alors qu'il allait trop loin mais, obstiné comme le sont tous les nains, même à six ans, il avait refusé d'y prêter attention. Prétextant un besoin urgent, il avait fini par obtenir une halte.

- Fais vite, avait dit Thorin, le ciel menace et je voudrais être rentré avant qu'il recommence à neiger.

Cause toujours ! Sitôt à l'abri des regards, à quelques pas du chemin, le galopin avait décampé, bien décidé à faire durer la récréation aussi longtemps que possible. Lorsque Thorin, impatienté après l'avoir appelé en vain à plusieurs reprises, s'était lancé à sa recherche, puis à sa poursuite, c'était devenu un jeu.

Enfin, disons que pour Kili, ç'en était un.

Il ne s'était pas rendu compte à quel point son oncle, dont la patience n'était certes pas le point fort, était déjà excédé par ses jérémiades. Oups ! Pousser Thorin à bout n'était jamais une bonne idée.

Kili n'avait que six ans mais il n'était pas sot. Il tirait outrageusement parti de son statut de petit dernier, celui auquel on a toujours tendance à pardonner davantage qu'à ses aînés il tirait outrageusement parti de l'affection de son frère, toujours prêt à prendre sa défense. Pour autant, il était capable de voir que ce jour-là il avait dépassé la limite. Il se creusait donc la cervelle pour trouver le moyen de désamorcer la situation quand, sans prévenir, le monde bascula sans dessus dessous.

Peu désireux de refaire tous les détours auxquels Kili l'avait contraint précédemment, Thorin avait coupé court. Son neveu et lui-même traversaient une partie du sous-bois creusée de dolines, ces dépressions du sol pareilles à des cuvettes plus ou moins profondes, plus ou moins vastes, causées bien souvent par un éboulement du sol. Le terrain, ici, était instable, probablement creux comme un gruyère.

L'adulte et l'enfant, celui-ci remorquant celui-là, passèrent sagement à côté des dépressions et s'engagèrent dans une pente douce. La neige qui était tombée durant la nuit formait un blanc tapis vierge de toute trace sinon, de-ci, de-là, celles, à peine marquées, de pattes d'oiseaux.

Malheureusement, sous cette neige toute fraîche s'ouvrait une crevasse traîtreusement "recouverte" d'un tapis fragile de racines enchevêtrées qui avaient lancés au-dessus du vide leurs ponts graciles, formant une sorte de voûte aérienne. Les feuilles mortes et autres débris végétaux, au poids parfaitement infime, s'étaient déposés par-dessus. Par endroit, il y avait même un peu de terre, et la neige rendait le tout uniforme.

Nul, à moins de connaître par coeur chaque pouce du terrain, n'aurait pu deviner le piège. Thorin s'y engagea sans soupçonner le danger.

Il y eu soudain un craquement effrayant. Kili eut le temps de voir la neige et les feuilles mortes qui tapissaient le sol comme aspirées devant lui par la terre qui s'ouvrait, puis tout appui se déroba sous ses pieds et il se sentit tomber dans le vide.

Par réflexe, Thorin saisit au passage, de la main gauche, l'une des racines qui venaient de se briser sous son poids. Il y eut une première secousse. Durant quelques secondes, la racine parut se dénouer, elle s'allongea, se déplia, il semblait même qu'en fait elle allait carrément se décrocher. Puis, il y eut une seconde secousse et la chute s'arrêta.

Thorin se balança un instant en tourbillonnant au-dessus du vide, sa main droite toujours serrée autour de celle du petit Kili qui hurlait de terreur. S'il avait été seul, il lui aurait été facile de se hisser le long de ce support inespéré : le bord de la crevasse était à moins d'un mètre au-dessus de lui. Mais pour arriver jusque là, il avait besoin de ses deux mains.

Il n'eut pas le temps d'y songer, de toute façon : la racine céda brusquement. Trois mètres plus bas, les pieds de Thorin heurtèrent le sol... le sol ? Non. Une saillie, une pente vertigineuse. Il perdit l'équilibre et eut le réflexe de se jeter en avant, si bien qu'il dévala vers le fond de la crevasse, certes les pieds en avant mais à plat ventre, sans lâcher l'enfant, au lieu de tomber en arrière et de se fracasser le crâne avant d'être avalé par le vide.

Kili continuait de hurler. Thorin, de sa seule main libre, essayait désespérément de s'accrocher à quelque chose et ralentir leur glissade, en vain. Soudain, le pire se produisit : le vide, le vrai, s'ouvrit sous eux et ils s'enfoncèrent, en chute libre, dans les ténèbres. Ils rebondirent contre une nouvelle saillie, boulèrent pêle-mêle dans le noir, heurtèrent un nouveau surplomb et tombèrent à nouveau. Instinctivement, Thorin avait ramené l'enfant contre sa poitrine, à l'abri de ses bras repliés, et s'était littéralement enroulé autour de lui, de manière à lui éviter autant que possible tous les chocs et de lui faire rempart de son corps. Ils glissèrent sur un nouveau plan très incliné, cela parut durer une éternité, puis ils heurtèrent rudement une paroi... et leur chute, leur glissade s'arrêta enfin.

Durant quelques instants, le silence ne fut troublé que par le bruit des racines brisées et autres débris végétaux qui de paroi en paroi continuaient à tomber au-dessus d'eux. Loin, très, très loin dans les profondeurs, on entendait le grondement fortement assourdi d'un torrent. Lentement, Thorin se déplia, avec précaution, son neveu toujours serré contre lui.

- Kili, tu n'es pas blessé ?

Pas de réponse.

A tâtons dans le noir, il chercha le visage de l'enfant, puis parcourut rapidement son corps à la recherche de lésions éventuelles.

- Kili ?

Un son étranglé lui répondit. Le gamin, choqué, ne pouvait parler.

- Ca va bien, Kili. Ca va bien. N'ai pas peur.

Il ne paraissait pas blessé, pas physiquement, du moins.

- Ne bouge pas.

Ils étaient plongés dans les ténèbres totales. Pourtant, ils ne devaient pas être si loin que cela de la surface, mais les parois de la crevasse étaient très irrégulières -heureusement, en un sens, car c'est sans doute à cela qu'ils devaient d'être encore en vie- et, formant saillies ici et là, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, les séparaient de la lumière du jour, laquelle d'ailleurs ne pouvait pénétrer que chichement, par la voute végétale crevée.

A tâtons toujours, Thorin explora les alentours immédiats. Première constatation : il était impossible de remonter.

Il se redressa avec précaution, posa une main sur la paroi et risqua quelques pas sur le côté en tâtant prudemment le sol du pied. Un couinement terrifié s'éleva dans le noir derrière lui :

- Thorin !

Il entendit l'enfant bouger, se lever, paniqué de se sentir seul dans cet endroit obscur et inconnu.

- Kili, ne bouge pas ! Reste où tu es.

Une hésitation. Un reniflement à peine audible.

- Tu es où ?

- Tout près de toi. Je « regarde » s'il y a un moyen de remonter.

- Tu me laisses pas, hein ?

- Par Durin, pour qui me prends-tu ?!

Il n'alla pas bien loin de toute manière, car son pied rencontra rapidement le vide. « Explorer » l'endroit où ils se trouvaient lui prit relativement peu de temps, bien que tâtonner en aveugle, lentement et avec précautions afin de ne pas risquer de faire une nouvelle chute, ne puisse se faire que lentement.

Sans doute pouvaient-ils considérer tous deux qu'ils avaient eu une belle chance : ils se trouvaient, apparemment, sur une sorte de pallier de trois à quatre mètres, jaillissant de la paroi et accroché au-dessus du gouffre. Partout alentours, le vide, le néant absolu.

Certes ils étaient vivants, quasiment indemnes (quelques bleus, quelques écorchures et contusions sans gravité), mais ils étaient pris au piège.

OOoOO

A trois cents mètres de là, peut-être, Dwalin attendait, en selle, le jeune Fili assis en croupe derrière lui.

Dwalin regardait le ciel qui devenait menaçant et pestait entre ses dents.

- Ce garnement mériterait une bonne fessée ! bougonna-t-il.

Fili soupira et ne répondit pas. Il était bien vrai qu'aujourd'hui, son petit frère avait réussi à lasser sa patience, pourtant grande à son endroit. Pour autant, il ne pouvait s'empêcher de toujours vouloir prendre sa défense. Mais il était inutile de discuter avec Dwalin, surtout lorsqu'il était de mauvaise humeur. Mieux valait le laisser bougonner tout son saoul, Fili savait qu'il se calmerait d'autant plus vite.

Il n'empêche, le jeune prince se promettait bien, lorsqu'il serait seul avec Kili, de lui dire ce qu'il pensait de sa conduite. Il savait qu'une réprimande de sa part ferait forte impression au petit.

Le garçon, qui avait l'oreille fine, se redressa soudain, sourcils froncés :

- Monsieur Dwalin ! Vous avez entendu ?

- Entendu ? Non, rien, quoi ?

- J'ai cru entendre crier... hurler, même.

Dwalin tendit l'oreille.

- Je n'entends rien, fiston, dit-il au bout d'un moment.

Fili, lui aussi, interrogeait le silence.

- Non, il n'y a plus rien. Pourtant j'aurais juré que j'avais entendu crier. On aurait dit la voix de Kili.

- Tu es sûr ?

- Eh bien non... mais...

- Thorin ! appela le guerrier de toute sa voix. Thorin !

Seul le silence lui répondit.

- Ca ne me dit rien qui vaille, grommela Dwalin.

A tout hasard, il saisit l'une de ses haches puis, d'une pression des talons, tenant toujours par les guides le poney de Thorin, il mit sa monture en marche.

- C'est bizarre qu'on n'entende plus rien ; quand Thorin a cessé d'appeler le petit, j'ai pensé qu'il l'avait retrouvé, mais pourquoi ne reviennent-ils pas ? Tu es sûr d'avoir entendu crier ?

- Non, répéta Fili, je ne suis pas sûr.

- THORIN ! brailla Dwalin, provoquant l'envol de plusieurs oiseaux dans les arbres alentours.

- KILI ! appela Fili de sa voix enfantine.

Silence.

- Bon sang... jura Dwalin dans sa barbe.