« Mais Wendy ne revit jamais Peter Pan... »
Deux grands yeux bleus. Ceux de sa fille Jane. Son portrait craché. Petite fille aux joues pouponnes et à la chevelure de miel. Laquelle, du fond de son lit, la regardait d'un air émerveillé. Car une fois encore, comme chaque soir depuis sa naissance, Wendy raconte. Comme elle a toujours raconté. Peter Pan. Le capitaine Crochet. L'île et ses merveilles. Les enfants perdus.
« Raconte-moi encore... »
Sa voix est légèrement enrouée. Le sommeil n'est pas loin. La fillette n'a plus qu'à se laisser fondre dans les draps. Wendy le sait. Elle le sent.
« Non, pas ce soir » répondit-elle dans un léger sourire. «Et puis, il y a eu tellement d'aventures, que j'ai commencé à en oublier... »
Jane baissa alors les yeux et de ses petits doigts, saisit le gland qui reposait sur sa poitrine. Celui que Peter avait offert à Wendy, et qui lui avait sauvé la vie lors de son arrivé à Neverland. Comme le garçon, la petite graine n'avait pas vieillit, préservée à jamais du temps. La fillette le tendit à Wendy.
« Bonne nuit, Maman... »murmura-t-elle.
La jeune femme esquissa un nouveau sourire, reprenant avec douceur le baiser de Peter. Puis se pencha sur Jane pour donner à son tour le sien qui était à présent, non plus celui d'une jeune fille amoureuse, mais celui d'une mère aimante.
« Bonne nuit, mon trésor »
Jane ferma doucement les yeux.
Et comme chaque soir, depuis cette fameuse nuit, Wendy se dirigea ensuite en direction de la fenêtre. Au dehors, Londres était silencieuse. Claire et limpide. La lune brillant d'une lueur réconfortante. Une nuit d'hivers tranquille, qui s'engouffra dans son ancienne chambre lorsqu'elle entrouvrit légèrement les battants. Puis d'un pas tranquille, la jeune femme vint s'asseoir près de la cheminée. Elle y restera jusqu'à ce que Jane s'endorme totalement, veillant sur elle, comme jadis sa propre mère l'avait fait pour elle et ses frères.
Son ouvrage de broderie entre les mains, ses gestes étaient fluides, experts après des années de pratique. Mais mécaniques, car à peine s'était-elle assise au bord du foyer, que déjà, Wendy avait plongé dans ses pensées. Savourant la chaleur du feu à coté d'elle et se remémorant ce qu'elle n'avait jusqu'alors jamais raconté à Jane.
Ses espérances. Son désenchantement. Les regrets qu'elle avait appris à apprivoiser au fil des années, les transformant avec le temps en une douce nostalgie. Regrets et rêves perdus qu'elle caressait toujours du doigts, mais qu'elle se résignait encore et toujours à enfermer à double tour dans ce même tiroir. Et puis son histoire, cette nuit de délivrance avec Crochet, qui avait été en quelque sorte, son réconfort. Elle avait fait la paix avec elle-même. Et le fruit de cette paix était désormais étendue là, à quelques mètres d'elle dans son ancien lit. Jane. Sa Jane. La chaire de sa chaire.
Elle pensait à tout cela lorsque soudain, à coté d'elle, le feu vacilla, semblable à une bougie qu'un courant d'air aurait manqué d'éteindre. Et sentant sa chevelure être elle aussi balayée par une brise légère, Wendy leva les yeux en direction de la fenêtre. Juste à temps pour voir que cette dernière était à présent grande ouverte, et qu'une ombre familière se dessina sur le perron. Une ombre qu'elle reconnu aussitôt et qui manqua à son tour de la faire vaciller.
« Wendy ? »
Aussi léger qu'une plume, Peter Pan s'avança, traversant la chambre, aussi silencieux que son ombre. Il n'aurait pu être qu'un simple rêve, mais dans son cœur Wendy savait que cet instant n'était pas le fruit de son imagination. Le garçon était bel et bien là. Inchangé. Jeune et beau. Il s'arrêta devant le lit de Jane.
«Wendy ? »
Reprenant contenance, Wendy éleva la voix :
«Bonjours Peter...»
Il se retourna, souriant avec joie. Comme si toutes ces années passées à l'attendre n'avaient jamais existées. Comme s'il n'y avait eu qu'un seul battement de cils, entre cette nuit d'aventure et celle-ci.
«Tu es là ! » S'exclama-t-il. Puis désignant le lit, il demanda : «Est-ce que c'est John ?
- Non, répondit doucement Wendy. John n'est plus ici…
- C'est Micheal ?
- Non plus. Il a quitté lui aussi la maison. »
Peter se tourna de nouveau en direction du lit, une expression de surprise se dessinant brièvement sur son visage. Puis refaisant face à Wendy, il sourit de nouveau, enjoué.
«C'est un nouvel enfant ? » demanda-t-il.
« Oui » répondit Wendy, dans ce qui ressemblait presque à un murmure.
Et à sa réponse, Peter observa l'enfant qui dormait dans le lit avec intérêt. Cependant, alors qu'il étudiait sa fille, Wendy sentit la crainte l'envahir. La crainte de sa réaction. De le voir réaliser qu'elle n'était plus celle qu'elle était. Qu'elle avait changé.
« Je ne suis pas sûre de pouvoir venir avec toi Peter » commença-t-elle d'une voix peu assurée. «J'ai oublié comment on fait pour voler...
- Ce n'est pas grave ! La rassura le garçon en se retournant une énième fois vers elle. Je t'apprendrais à nouveau! »
À ces mots, Wendy se redressa alors avec hésitation. Lentement. Et malgré la pénombre, elle vit Peter cesser de sourire. Le garçon la regardait à présent d'un air horrifié. Car la silhouette qui se découpait devant lui, devant la lumière tamisée du feu, n'était plus celui d'une fillette. Mais celle d'une femme.
« Ce n'est plus de mon âge » fit-elle doucement, dans une piètre tentative d'humour
Et comme pour donner le coup fatal, tant à lui qu'à elle-même, elle se dirigea ensuite vers la lampe.
«Non, n'allume pas la lumière ! » la supplia-t-il, à présent apeuré.
Mais Wendy ne l'écouta pas. Doucement, elle tourna l'interrupteur. La lampe s'illumina, éclairant à présent son visage, et son regard assombrit par une douloureuse appréhension. La voyant si changée. Si différente de ce qu'elle était, Peter recula.
«Oh Wendy, murmura-t-il avec tristesse. Tu n'as pas fais ça….
Oh si, elle l'avait bien fait. Et même si elle n'avait plus aucun regret, il lui coûtait beaucoup à cet instant précis. Il lui coûtait de voir ce sentiment d'abandon dans les yeux de Peter, et qu'elle avait elle-même ressenti bien des années plutôt, à l'attendre en vain. De voir, la morsure de la trahison qu'elle venait de lui infliger elle-même, et qui lui l'enserrait d'une douloureuse étreinte. Pourtant…au risque de le perdre à tout jamais, il fallait qu'il comprenne...
« J'ai grandi Peter, murmura-t-elle. Et maintenant je suis mariée... »
Peter secoua la tête. Ses yeux s'emplissant de larmes. Une douleur palpable et déchirante.
« Non, tu n'as pas fait ça... »
Wendy s'avança d'un pas. Il fallait qu'il comprenne. Qu'il comprenne ce qu'elle pouvait à présent lui offrir, maintenant qu'il était de retour.
«Et cet enfant, continua-t-elle, est ma fille... »
« Non ! » Contra Peter avec une soudaine dureté, en dépit des larmes qui troublaient son regard. « Non, elle ne l'est pas ! »
Et sur ces mots il se dirigea vers Jane, sortant son coutelas de son fourreau. Il ne comprenait pas. Il ne voulait pas comprendre le cadeau qu'elle lui faisait. Qu'elle était entrain de lui faire. De la vie, la nouvelle chance qu'elle lui offrait. De cet amour pour lui, qu'elle avait toujours gardé au fond d'elle et qui a présent était là, sous ses yeux. Il ne comprenait pas. Il ne voyait que la fillette, qui n'était qu'une étrangère. Un double à éliminer pour que Wendy, sa Wendy, lui revienne. Et effacer à jamais les paroles de Crochet qui avaient pourtant prédis cet instant.
Ors pourtant, alors qu'il observait à présent Jane, Peter se sentit vaciller. Et comme l'enfant qu'il était, Peter Pan pleura. Se laissant tomber à genoux prêt du lit. Pleurant pour ce qui avait perdu. Perdu Wendy. Perdu contre Crochet. Perdu la seule chose qui le retenait au monde réelle. Sa conteuse d'histoire. La fillette au sourire éblouissant. Aux lèvres douces et au regard pétillant. Ce qu'il croyait avoir perdu, avant qu'une petite voix n'interrompt ses sanglots.
«Pourquoi est-ce que tu pleures ? »
L'enfant releva la tête. Au dessus de lui, Jane le regardait interrogation.
« Je ne pleure pas ! » se défendit-il en se redressant souplement, essuyant ses larmes d'un revers de main rageur. Puis rangeant son coutelas, il ajouta : « Je suis Peter Pan ! »
«Je sais ! » répondit la fillette avec aplomb. « Je t'attendais. Je m'appelle Jane »
À ces mots, Wendy ne put s'empêcher de sourire. De même que Peter. Et esquissant alors un regard hésitant dans sa direction, il comprit alors. Il comprit le don qu'elle lui faisait. Et qu'il l'avait pas entièrement perdu. Si la petite fille avait grandit, la conteuse d'histoire était toujours là. Après tout, ne l'avait-t-il lui même pas entendu raconter ses aventures, nuit après nuit ? Ainsi que ce soir ? Non, la fillette ne l'avait pas abandonnée. Elle était toujours là, quelque part. Séparée désormais en deux. Une part dans cette femme, qui lui faisait façe et qu'il ne parvenait pas à haïr, et dans l'enfant qui l'observait avec une curiosité émerveillée. Son enfant. La fille de Wendy. Jane.
Se tournant alors vers elle, il s'inclina et après qu'elle lui eu rendit son salut, il lui désigna dans un sourire malicieux la fenêtre, au delà de laquelle la nuit sembla subitement s'éclaircir, laissant place à un jour nouveau. Un jour porteur d'une musique nouvelle ; remplie de chants d'oiseaux inconnus et du ressac de la mer. De chants de pirates et de sirènes. Une musique qui promettait monts et merveilles. Mille et une aventures. À nouveau.
À cette vision, le visage de Jane se fendit d'un sourire, puis subitement excitée, la fillette se tourna alors vers Wendy.
« Maman ! Je peux aller avec lui ? Je veux vivre des aventures ! »
- Oui... je sais, répondit Wendy en souriant.
Et à ces mots, une boule de lumière entra à toute vitesse dans la chambre. Tourbillonnant tout autour de ses occupants.
«Clochette ! » s'écria Jane avec joie.
La petite fée vola avec effusion autour d'elle, la recouvrant d'une poussière d'or qui ne tarda pas à la faire s'élever au dessus de son lit. Aussi légère qu'une plume.
«Je vole, maman ! Regarde ! Je vole ! »
Devant l'enthousiasme de sa fille, Wendy sourit. En proie aux souvenirs. Devinant sans peine l'euphorie de se sentir si léger, de se sentir s'élever. Et ne désirant pas gâcher ce moment, elle resta alors à l'écart. Ne cherchant nullement à les retenir lorsque Clochette fila de nouveau par la fenêtre
« Je reviendrais bientôt Maman ! » cria Jane, lorsqu'elle et Peter suivirent la petite fée.
Wendy hocha la tête.
« Avec plein de nouvelles histoires ! » ajouta alors Peter.
Puis d'un seul et même mouvement, ils s'élevèrent en direction du ciel étoilé. Se fondant définitivement dans la nuit. S'effaçant comme un rêve.
De ce départ, Wendy n'éprouva pas le moindre regret. Pas la moindre peur. Pas même un vide. Si ce n'est, ce sentiment de paix avec elle-même. Une paix sereine et rassurante. Car les dernières parcelles d'ombres venaient d'être définitivement balayée. Là, s'arrêtait enfin son histoire. Pour laisser désormais place à celle de sa fille...
Fin.