Disclaimer : Fairy Tail appartient à Hiro Mashima. La photographie appartient à j-adree. L'histoire ci-dessous et certains de ses personnages secondaires m'appartiennent.

Raiting : M. Langage cru et parfois sexuel.

Ndla : Aloha. Voici le dernier chapitre ! Merci à tous pour vos lectures et vos réactions. Ça fait chaud au cœur de voir que cette petite fanfic a plu. Dans le chapitre précédent, le personnage de Juvia en a peut-être étonné certains. Cette Juvia n'a pas encore rencontré les "Fairy Tail", donc j'ai voulu un mélange de l'époque Phantom, mais aussi une part de la Juvia que l'on connait maintenant. (les rougissements et sa perversion)

Joyeux anniversaire ma Lune ! En espérant que Gloire du matin t'ait autant divertie que moi...

Bonne lecture à tous.


Ipomée

Le mercredi, Gray Fullbuster se lève à six heures et il fait encore noir.

Le sommeil le fuit, pourtant il s'est couché tard la veille. Pendant un moment, ses yeux se noient dans la pénombre et suivent distraitement la danse des filaments imaginaires. La lassitude déclenche un premier réflexe : allumer sa lampe de chevet pour mieux y voir.

Près de lui, la deuxième place du lit est occupée ; la couverture taupe est déformée par un corps féminin qui, il le sait, lui a donné du plaisir toute la nuit. Cette fois, l'endormie est brune, et si ses souvenirs ne lui font pas défaut, il pense bien que c'est une fan qui l'a reconnu. Il croit aussi qu'il a failli lui donner un nom qui n'est pas le sien ; à deux reprises.

Un nom qu'il a oublié, qui flotte sur le bout de sa langue.

Quand il se lève pour aller dans la salle de bain, son érection matinale l'empêche d'uriner et il doit bien attendre une bonne dizaine de minutes, avant de se résoudre à utiliser l'eau glaciale pour se débarrasser de son problème. Le liquide le fait grogner puis grimacer, et une fois vidé, il se dit qu'il reprendrait bien une douche malgré celle prise hier soir.

Sous l'eau, Gray apprécie la température froide à laquelle il s'habitue bien vite. La tête penchée en arrière, les perles s'écrasent sur son visage et roulent sur sa peau. La sensation rafraîchissante chasse la fatigue, il ferme les yeux et repose avec nonchalance son front sur le mur carrelé. Pendant qu'il s'offre quelques minutes de plus dans la solitude, l'eau pianote tranquillement sur ses omoplates, et Gray pense à un parfum de pluie et d'océan bleu.

Un verre d'eau glacée. Costume dans les tons sombres ; chemise noire et cravate outremer. Gray se prépare soigneusement ; il a tout son temps. Il essaie même de coiffer quelque peu ses cheveux, avant de laisser tomber : de toute façon, il s'en arrachera face à la sottise de Stuart et de son équipe d'abrutis. Lorsqu'il se déplace sans discrétion dans sa chambre, le bruit de ses pas finit par réveiller la femme dans son lit.

Gray ne s'excuse de rien, il n'a pas à le faire ; il se contente de mettre sa montre au poignet gauche sans un regard pour la brune. A la place de mal le prendre, sa conquête du soir le rejoint dans la salle d'eau pendant qu'il noue sa cravate ; elle vient se coller à lui, son corps emboîtant le sien. Ça le fait grimacer, mais il ne dit pas grand-chose ; à peine un grognement presque inaudible. Elle ne perturbe pas ses mouvements : ses membres bougent à sa guise, et les doigts féminins ne se gênent pas pour voyager sous sa chemise. Ses mains cheminent sur son ventre et son torse, elles flattent et redessinent ses muscles. Dans la glace, il rencontre les yeux verts qui le dévorent.

Gray se dit qu'il pourrait en profiter un instant.

Lorsque sa montre affiche sept heures quarante-trois, le plaisir retombe déjà et son sexe, luisant de salive et de fluide nacré, se ramollit avec lenteur. Sa conquête du matin s'est effondrée à côté de lui, elle ne cherche pas à se blottir contre son torse et ça l'arrange. Les secondes avancent, Gray somnole un peu et se dit qu'il est peut-être temps de prendre la route pour la gare. Quelques instants de plus allongé sur le matelas, puis il se relève du lit où ils ont de nouveau fini tous les deux.

A l'aide d'un mouchoir en papier, il essuie sa verge et son bas-ventre des preuves de la luxure. La bouche de l'inconnue caresse une dernière fois ses omoplates avant qu'il ne remette sa chemise. Un passage devant le miroir lui assure qu'il n'a pas l'air de celui-qui-vient-de-tirer-son-coup. Presque pas ; il repasse ses doigts dans les nœuds formés dans ses cheveux, puis remet sa cravate en place.

Dans la chambre, elle se rhabille aussi en silence. Ils sont sur la même longueur d'ondes, et Gray en est ravi. Il n'a pas besoin de trouver une excuse pour la jeter dehors : aux yeux verts, il est un coup d'un soir. C'est réciproque, alors il ne lui accorde même pas d'attention quand elle quitte l'appartement avant lui.

Mais un nom joue sur ses lèvres, et son reflet dans le miroir arque un sourcil ; les prunelles glacées le paralysent pendant une seconde, le coin de sa bouche se contracte imperceptiblement. Méprisant. Alors il détourne les yeux et regarde ailleurs, quelque part sur le côté.

Gray conduit avec calme, et la radio diffuse Always remember me de Ry Cuming. Il augmente le volume et son regard voyage dehors, sur la fenêtre qui s'ouvre dans le ciel. Dans la grisaille perce l'azuré de sa vive couleur universelle ; un appel rescapé, derrière les cotons qui le feutre. Un coup d'œil au rétroviseur et le conducteur capte le sourire dans ses yeux, malgré ses sourcils froncés par sa concentration sur la route.

Quand son téléphone sonne, il marque une pause dans le parking où il vient de stationner. C'est Lucy qui lui demande de s'occuper de sa fille ce soir, parce que c'est leur dixième anniversaire de mariage, à Natsu et elle. Gray répond non, quatre fois de suite ; il ne peut définitivement pas s'occuper d'une gosse de trois ans qui tire sur ses cheveux en plus de lui peindre délibérément le visage avec sa bave. Au sixième refus, il cède face à la demande intransigeante de son amie.

Lucy sait très bien que même si Gray râle à chaque fois, il lui arrive d'apprécier les moments passés avec la petite Reira. Surtout quand elle regarde calmement les dessins animés à la télévision, et qu'il commente à voix basse la stupidité de certains personnages — sans trop de grossièretés pour respecter l'exigence de la mère de l'enfant.

Le rire de Reira est ridiculement contagieux.

A la gare, il remarque sans surprise qu'il y a plus de monde que d'habitude. C'est souvent comme ça, le mercredi. Un père, portant son fils dans ses bras, lui jette un regard assassin quand il allume sa clope.

Gray tire une longue taffe et, après quelques brèves secondes à la garder dans ses poumons, il l'expire le visage levé vers le ciel blanc. Son revêtement blafard rebondit sur la peau de l'homme, et la lumière accroche ses yeux de glace. Dans son costume sombre, sa chair luit d'une pâleur qui n'est pas sienne.

Inhaler ; expirer. Gray jette un unique coup d'œil à l'heure, il attend patiemment son train. Les orbes noirs voguent sur la marée vivante, ils bondissent d'une tête à l'autre. Pendant un bref instant, une barrette bleue et un bandeau de la même couleur retiennent son attention. Il cherche, sans vraiment chercher, et l'introuvable le frustre un peu. Quelques pas nonchalants pour se rapprocher de la ligne de sécurité ; son index fait tomber quelques cendres sur le sol.

Arrive enfin le train ; il hurle, vrille les tympans et ne semble plus vouloir s'arrêter. Calme, Gray suit le quatrième véhicule et il est en tête de file quand les portes s'ouvrent. Ils laissent les passagers sortir, et certains en aident d'autres à faire descendre leurs bagages. Le fumeur garde ses mains dans ses poches et laisse faire les gens près de lui.

Dès que l'occasion se présente, il s'engouffre à l'intérieur ; là où la climatisation chaude et les différentes fragrances étouffent l'air. Il se dit que son parfum de nicotine n'arrange certainement pas les choses pour les autres.

Ses yeux voguent le long des sièges et sur les visages anonymes. Une place assise en contre-sens, et un manque de bleu dans le wagon numéro quatre. Il pense qu'il va bientôt la voir, cette inconnue dont le prénom flirte avec son subconscient. Quelque chose avec un V, au milieu — il en est certain. Il sait que s'il cherche à s'en souvenir, il s'en rappellera ; alors il porte son attention ailleurs.

Peut-être qu'il la verra au premier arrêt, quand les voyageurs seront moins nombreux.

Deuxième halte, nulle chevelure bleue à l'horizon, alors Gray comprend qu'elle n'est pas là. Vu le monde qu'il y a dans le train, elle doit sûrement être montée dans un autre wagon. Ça leur arrive de se rater, le mercredi. C'est arrivé une ou deux fois. Deux. Il se dit que ce n'est pas bien grave ; jamais deux sans trois, et qu'au troisième arrêt, il changera de classe parce qu'il est inutile de rester là. Son absence entache le quatrième wagon d'inutilité absolue.

Pendant un moment, Gray observe le mur de costumes noirs ; la robe caramel d'une jeune fille ; les nombreux smartphones colorés muselant leurs propriétaires. Ça le lasse très vite, et il préfère regarder la pluie qui toque contre la vitre pour réclamer son attention.

Le front reposant sur la fenêtre, ses pupilles avalent l'averse douce débordant des nuages. Entre deux grognements des roues sur les rails glacées, quelques murmures et toux discrètes ponctuent le silence. Le mutisme courtois du train le berce quelque peu, mais ça ne suffit pas à détendre ses épaules crispées.

Au troisième arrêt, Gray se lève conformément au plan, mais ne change pas de wagon comme il l'a prévu.

Il descend du train, et il ne sait même pas pourquoi il fait ça.

Parce que t'es un abruti de première.

Les pieds ancrés sur le quai, il regarde le train s'éloigner et l'abandonner dans la station. Les voyageurs autour de lui s'en vont ; ils se dirigent vers les escaliers de sortie. Taquin, le vent siffle à l'ouïe et joue avec les cheveux de jais. Gray se traite de tous les noms quand son regard rencontre les rails vides.

Qu'est-ce que t'es en train de foutre ?

Gray aimerait bien rappeler le train pour (re)venir le chercher ; il se sent délaissé derrière la ligne blanche tracée sur le sol. En mettant à la poubelle ses idées suicidaires, comme celle de sauter sur les rails et de courir derrière la rame de wagons, il se tourne vers la gare. C'est quand il songe posément à s'acheter un billet pour le prochain train, qu'il la voit.

Ses mèches azuréennes disparaissent dans le passage sous-terrain. La couleur éclatante attire son regard comme un aimant et éblouit ses pupilles ; il a bien l'impression de voir une tâche blanche devant ses yeux pendant un bref instant, et il se rappelle de la douceur contre son visage et de la fragrance entêtante — bandante.

Alors quelque chose se déclenche quelque part dans sa tête, et il se met aussitôt en mouvement. Ses jambes portent son corps et il n'est pas certain de ce qu'elles foutent, ces responsables de sa déraison ; c'est bien elles les fautives dans l'histoire, et il plaide non-coupable. Gray la suit à une raisonnable distance.

Plusieurs mètres devant lui, la bleue bifurque à droite et remonte à la surface. Il la perd de vue mais il monte chaque marche avec lenteur et assurance ; il n'a aucune raison de se presser, ni envie de se faire griller.

L'inconnue poursuit son chemin à petits pas, et Gray poursuit le bleu de sa silhouette avec nonchalance. Il s'arrête parfois sans raison, ou parce qu'il est tenté de rebrousser chemin et de prendre son foutu train, parce qu'il se fait l'effet d'un harceleur ; mais très vite, il reprend sa marche pour la rattraper.

Gray veut seulement savoir ce qu'elle fait de sa vie. Elle sait déjà beaucoup trop de choses de lui, elle. Il ne compte pas lui parler, ni s'immiscer dans sa vie. Ce n'est pas ce qu'il est en train de faire ; il ne le veut même pas. Il jettera un unique coup d'œil, et une fois sa curiosité satisfaite, il partira. C'est de la triche, mais il a l'impression de remonter le score.

Quand elle s'engouffre à l'intérieur d'une boutique de fleurs, une petite clochette carillonne et Gray ne la suit pas. Il se contente de rester devant la vitrine à observer les plantes disposées dehors, par terre, bouffant avec appétit la lumière du jour et décorant avec goût l'entrée du magasin. Le brun regarde discrètement à travers la vitre : derrière le comptoir, il aperçoit une autre femme, plus âgée, qui salue son employée. Celle-ci se débarrasse de son manteau et se retourne. Gray se fond presque dans le mur, entre deux pots de fleurs.

La fleuriste ne le voit pas : il est bien caché, dos contre la boutique.

Il se dit que son comportement est ridicule ; qu'il est ridicule. Ça ne lui ressemble pas, et il est bien tenté de rentrer à l'intérieur et…

Et quoi ?

Gray ne se rappelle même pas de son nom. Il pourrait, mais il n'est pas sûr de le vouloir. Alors il fait enfin ce qu'il aurait dû faire depuis le début. Les mains dans les poches, il rejoint la gare à pied, puis fait la queue pour acheter son billet de train. En attendant celui-ci, il a le temps de fumer quatre clopes de suite.

A l'entrainement, Stuart ne le fait pas trop chier et soulève certains points pertinents dans le jeu des attaquants. Gray est presque impressionné par ses joueurs, notamment par Anderson qui réussit à bloquer huit buts de suite ; c'est une première, dommage que Gray ne soit pas journaliste, il aurait fait la une.

Son joueur manquant arrive un jour à l'avance et s'applique à rattraper son retard. Le coach ne compte pas le laisser jouer ce vendredi, mais le joueur a l'air heureux de retrouver la glace ; même s'il restera sur le banc. L'équipe arrive même à réussir la stratégie mise en place, presque sans rechigner. L'entraineur boit quelques gorgées d'eau quand sa gorge est irritée par ses commandements vociférés.

Gray ne croit pas en leur victoire, mais il fait son travail.

Pendant une seconde, il se dit qu'il devrait apprendre à y croire.

Ses orbes caressent le sol gelé de la patinoire. Il a presque envie de chausser des patins ; ça fait un an et demi qu'il n'est pas retourné dessus. Il pourrait, mais à la place, il se contente de glisser la pointe de sa chaussure noire sur la glace. Les mains dans les poches, il regarde son équipe suer sur le terrain.

Vous étiez bon.

A seize heures et quart, il demande à Stuart de gérer la fin de l'entrainement. Dans la gare, il n'est pas nerveux : sa respiration est calme, ses gestes sont contrôlés et pleins d'assurance. Il sait ce qu'il est en train de faire : il arrête de (trop) réfléchir. Alors il prend le train, et pendant le voyage, il pianote sur son portable pour vérifier ses messages, et un compte à rebours se déclenche automatiquement dans sa tête.

Trois ; quatre ; cinq. Gray compte les arrêts.

Au septième, il descend de la première voiture. Trois arrêts avant sa destination. Ce n'est pas un hasard, c'est exactement ce qu'il veut faire.

Il est dix-huit heures. Le soir tombant drape les rues et avale les lumières. L'ambiance est froide et dénuée de couleur ; ardoise glaciale propre au mauvais temps. Les lampadaires ne sont pas encore allumés, et la fatigue de la journée se ressent : les voitures klaxonnent ; les pas accélèrent, empressés de rentrer ; les mains dissimulent quelques bâillements.

Gray emprunte exactement le même chemin pris ce matin, pose ses pieds là où elle a posé les siens, et c'est toujours sans réfléchir qu'il pousse la porte du Beffroi de Salomon.

L'intérieur de la boutique est décoré de plusieurs fleurs et plantes, disposés sur des étagères dans des vases ou des pots ; des compositions florales reluisant d'élégance. La vitrine compte trois arrangements de plusieurs couleurs : l'azurin, le thé vert, les teintes vermeilles, les robes blanches, les cœurs rosés.

Il entend vaguement des salutations auxquelles il ne répond pas. Son regard est attiré par cette fleur solitaire à l'intérieur d'un vase en verre ; elle resplendit dans sa carnation. Un bleu majestueux, du pâle au nuit, qui charme l'orbe de son allure séduisante. Un peu hautaine, ses pétales sont tournés vers le plafond ; la tête penche vers l'ombre, presque timide.

Le petit écriteau juste en dessous exhibe clairement son nom.

Gloire du matin.

Gray n'en montre absolument rien, mais il la remarque dans sa vision périphérique. Sauf qu'il n'accroche jamais son regard. Pas un seul coup d'œil, et pourtant il sent le sien, rongé par l'étonnement, qui le dévisage. Ces mêmes prunelles qui ont chatouillé sa nuque à plusieurs reprises, sont en train de la flamber. Sa chair le brûle, noyée dans l'eau bouillonnante.

Il s'empêche de justesse de se retourner pour la voir ; lui prouver que c'est vraiment lui, vraiment pour elle. C'est bien trop facile, alors il ne veut pas rompre ce moment d'incertitude. Non pas que Gray a peur de l'affronter, mais bien parce que la situation l'amuse. Il sent son envie d'attirer son regard, son appréhension lui crie de le faire ; qu'elle est là. Ne l'a-t-il pas remarquée ?

Gray ne fait que ça.

A la place, il se tourne vers l'autre caissière, une femme dans la trentaine qui s'est approchée de lui pendant son inspection. Elle lui sourit aimablement, de ce sourire affable imposé par son métier. Gray ne le lui rend pas, son regard froid la transperce et il attend qu'elle fasse son boulot. Il n'a pas à faire quoi que ce soit de son côté.

— Puis-je vous aider, monsieur ?

Le client est tenté de l'envoyer chier, mais il a en effet besoin d'aide. Il indique l'être végétal qu'il convoite, et la marchande de fleurs fait quelques pas de plus vers lui.

La bleutée, elle, reste derrière la barrière du comptoir ; près de la caisse. Elle laisse sa collègue se charger de lui et ne fait rien d'autre.

A part le regarder.

L'assurance qui se dégage de lui semble intimider les deux femmes. Il en est conscient, et il en joue.

— J'aimerais offrir cette fleur à une connaissance, déclare-t-il après un long moment, en insistant sur le dernier mot.

Solitaire, belle et froide. Œil nacré, candide, pour sa chair aristocratique. Couronne bleutée, intense, pour sa chevelure vive. Pigments sombres, profonds, pour ses prunelles marines.

La gloire du matin le fait penser à elle.

— Oh ! s'exclame la vendeuse, ravie. Les Morning Glory sont des amoureuses de l'eau et de la nuit. Nous avons quelques indications pour prendre soin d'une ipomée. La voulez-vous en pot ou en vase ? Je peux vous proposer quelques conten–

— En vase, répond-il en la coupant.

— Vous savez, pour prolonger sa durée de vie, cette fleur se porte bien mieux dans un pot que–

— Je choisis le vase, insiste-t-il.

Les conseils futiles de la vendeuses lui passent par-dessus la tête. Gray espère bien que la fleur ne durera pas longtemps.

La marchande hoche la tête poliment et s'en va préparer l'achat. Elle ne va pas bien loin, parce que la boutique est petite. Si Gray était claustrophobe, il serait déjà en train de fuir l'endroit. D'autres doivent sûrement trouver au lieu un certain côté charmant. Lui, il pense que le comptoir peut sûrement accueillir deux corps fiévreux et quelques ébats charnels.

En observant le bois foncé, il ancre consciemment ses yeux au niveau des mains pâles de la jeune caissière ; mais il fait exprès de ne pas répondre à l'appel lancé par l'océan sous ses paupières.

— C'est un très bon choix, commente l'autre pendant son travail. Un bleu naturel qui ira bien aux yeux de votre amie.

Elle lui fait un petit clin d'œil entendu et Gray grimace ; sa tentative de chasser le silence fait tiquer le client. Il devrait lui demander, vertement, de la fermer. Il a très envie de le faire et les pics de glace, prêts à transpercer leur cible, valsent sur sa langue ; après tout, le client n'est-il pas roi ?

A la place, son manque de réponse et son regard impassible parlent pour lui. La femme abandonne ses efforts pour faire la conversation, et ne rajoute rien d'autre. Elle poursuit son travail et arrange la fleur avec un professionnalisme délicat.

Quand elle finit, il rejoint la caisse, là où l'inconnue ne bouge toujours pas. Il sait qu'elle essaie de ne pas le regarder ouvertement, mais il sent ses petits coups d'œil voulus discrets. Elle ne cherche pas à aider sa collègue et se tient un peu à l'écart ; elle a peut-être peur de trop s'approcher, mais son allure fière et hautaine le provoque.

— Un petit mot pour accompagner le présent ? Vous pouvez me le dicter afin de l'imprimer, nous faisons une promotion sur les cartes du Beffroi. Si vous ne vous sentez pas inspiré, ça arrive souvent et c'est tout à fait normal ne vous en faites pas, rit légèrement la pipelette. Nous pouvons vous proposer nos cartes personnalisées classées par thème. On a de tout, mariage, naissance, fêtes... C'est pour un anniversaire ?

Gray ne compte pas utiliser de mot personnalisé. S'il est là, c'est bien pour cette foutue carte, et il compte utiliser ses propres mots. Pour se distraire, il la laisse finir son speech sans l'interrompre. Une fois qu'elle a fini, il prend son temps avant de répondre ; il observe la respiration un peu haletante de l'employée qui, semble-t-il, vient de réciter ce qu'elle a appris par cœur.

Dommage pour elle.

— Non. Pas un anniversaire. J'ai un mot. Plusieurs, même.

— C'est parfait alors ! sourit-elle quand même en se tournant vers son ordinateur. Je vous écoute.

Gray est conscient qu'il a volontairement plongé dans la marre ; il n'a d'autre choix que de se laisser porter, ou de couler. Il sait qu'elle est suspendue à ses lèvres, les prunelles fixées sur sa pomme d'Adam où sont nichés les mots qu'elle attend. Les yeux vissés au clavier de l'ordinateur, il pense à ce qu'il va dire. Ce n'est pas parce qu'il ne trouve rien, mais bien parce qu'il y en a trop. Les idées se bousculent et il ne sait pas par où commencer ; il pourrait ne rien dire et se casser.

Sauf qu'il ne veut pas repartir maintenant.

Alors Gray ouvre la bouche : il parle des rails de glace, des regards de pluie d'hiver et de son sourire tiède ; du quatrième wagon, du troisième arrêt, de leur premier échange ; de la douceur de sa chevelure, de sa couleur intrigante et de son parfum de mer ; d'un café glacé, qu'il aimerait prendre avec elle, pour la voir ailleurs que sur ces rails de givre, où le temps ne s'arrête jamais assez longtemps pour combler sa soif. Il va même jusqu'à faire quelque chose qu'il n'a jamais, jamais, fait : marquer son numéro à la fin, où il parvient à le caser avant que la fleuriste ne l'arrête.

— C'est tout juste ! Vous avez atteint la limite de caractères, s'excuse-t-elle avec une petite grimace désolée. Je vais essayer d'enlever l'espace avant le numéro.

Quand la carte est imprimée, elle la relit pour s'assurer de sa lisibilité. La bouquetière semble presque émerveillée par le mot, et ne se doute pas une seconde qu'il est adressé à la personne juste à côté d'elle. Pourtant, cette dernière en est consciente, et Gray devine son visage tourné vers lui ; l'espoir au bord des lèvres.

Peut-être que c'est le bon moment pour enfin lui donner ce qu'elle désire : ancrer ses prunelles dans les siennes et répondre aux questions qu'elles lui hurlent.

Sauf qu'il ne le fait pas, et il refoule le sourire narquois qui flirte avec ses lèvres. Enfin, Gray paie et arrivé près de la porte ouverte, la cloche carillonne agréablement. Avant de sortir avec son achat, il se tourne en biais pour voir l'inconnue perdre son masque de froideur et s'asseoir devant l'ordinateur. Les yeux voletant de l'écran à son portable, elle s'empresse d'enregistrer le numéro dans son répertoire de contacts.

Gray observe la fleur ; il se dit qu'elle va très bien à l'inconnue du train, et quelque chose de primordial se faufile doucement dans sa mémoire.

Juvia.

Fin.


Un sincère merci à toi, cher lecteur, d'avoir lu jusque-là.

A la revoyure, mes chers ! Je vous embrasse.