Hiraeth : Nostalgie pour un foyer où on ne peut retourner, un foyer qui n'a peut-être jamais existé; la mélancolie, le désir et le deuil des endroits que l'on a connu. ...Comme l'indique la signification du titre, on s'embarque pour beaucoup d'angst et une relation entre Bilbo et Thorin trèèèèèèès longue à se mettre en place comme romantique. Je vous promet cependant un happy ending, et j'espère que cela vous plaira !


La Comté exulte de joie, la récolte s'annonce bonne et le ciel est bleu.

Pour tous les hobbits de Comté cela suffit à un bonheur parfait. A l'exception de Bilbo Baggins, qui contemple l'eau qui bout avec une certaine nostalgie. L'eau est sur le point de déborder, mais son regard vide ne semble pas s'en apercevoir.

Lorsque Bilbo a poussé la porte ronde encore marquée du signe de Gandalf, il est resté longtemps, une heure ou plus, au milieu de la pièce. Sans savoir que faire.

Un bain chaud.

Un bon repas.

Une tasse de thé.

Reprendre les bonnes vieilles habitudes. Il est un hobbit de Bag End, après tout.

Il avait mis plusieurs jours à se réinstaller dans sa routine habituelle. Son garde-manger était vide depuis l'arrivée impromptue de treize nains et de leurs estomacs insatiables. Les plantes laissées à l'abandon étaient mortes, son jardinet envahi par les mauvaises herbes.

Bilbo avait passé des mois à se languir de son fauteuil, de ses livres, de son chez-lui. Mais maintenant qu'il peut passer ses journées à lire, tasse ou pipe en main, cela ne ...cela ne va pas.

Tout est étrange. Il est content de revoir sa Comté adorée, qui lui a tant manquée, mais son trou de hobbit lui semble vide et silencieux. Les rires et fêtes des hobbits sont calmes par rapport à la cacophonie d'un feu de camp en pleine forêt. Les murmures sur son passage rendent plus cruelle encore sa solitude, après avoir pris l'habitude de dormir entre treize nains ronfleurs.

Jusqu'au jour où quelqu'un toque à la porte.

Bilbo s'immobilisa dans son mouvement, le cœur battant. Ce ne pouvait...ce n'était pas possible...

Un hobbit ne toquerait jamais ainsi. Un nain. C'était un nain derrière la porte ronde qui tambourinait ainsi. Le petit hobbit n'avait revu aucun de ses compagnons d'aventure depuis qu'il était revenu au pays, trois ans auparavant. Sa vie avait été calme, réglée comme du papier à musique. Solitaire aussi il n'avait jamais été un hobbit très sociable, mais il avait perdu le goût de la compagnie des siens.

Bilbo restait immobile, sans savoir que faire.

Une part de lui souhaitait que le nain s'en aille, le laisse tranquille, le laisse s'enterrer dans sa petite vie de hobbit. Car un nain en Comté est obligatoirement synonymes d'ennuis.

Une part de lui a envie de sauter de joie partout dans l'habitation.

Il n'y avait pas un nain derrière la porte.

Il y avait la Compagnie au grand complet, de Dwalin au dernière rang qui le regardait par-dessus la tête de ses compagnons, à Kili qui lui livre un grand sourire à quelques centimètres de lui, ou de Bofur qui l'étreint d'une embrassade amicale avant qu'il ait le temps de dire un mot.

Les nains sont là. Ses nains sont là, pense Bilbo avant que son cœur ne se mette à exploser quand il tapote gentiment le dos de Bofur. Ils ne l'ont pas oublié.

Avant de se faire écraser par les nains qui trépignaient sur son paillasson et/ou encourir des plaintes de ses voisins pour invités peu recommandables, Bilbo s'effaça et laissa pénétrer le groupe dans son trou de hobbit.

Cette fois, les rouages étaient plus huilés et Bilbo laissa Dori faire du thé pour toute la Compagnie pendant que lui-même apportait un encas à ses camarades.

Les nains sont aussi bruyants que dans ses souvenirs et la maison est rapidement envahie par la fumée des pipes, les éclats de rires et les histoires qui fusent dans tous les coins.

Gloïn s'épanche sur la beauté de sa femme, sur la fierté qu'il ressent envers son fils.

Bilbo apprends que Bombur a créé une nouvelle recette de soupe à l'oignon et l'incite à aller en cuisine la faire à l'instant.

Oin crie pour les faire répéter mais personne ne l'écoute.

Bofur montre la nouvelle flûte qu'il s'est sculpté lui-même, tandis que Ori inspecte la petite bibliothèque du hobbit.

Celui-ci a un sourire jusqu'aux oreilles au dessus de sa tasse de thé fumant. Il est bien. Les trous de hobbit sont faits pour être envahis par une meute joyeuse et Bilbo est projeté des mois en arrière, lorsque parfois, lorsqu'ils s'étaient installés pour la nuit sur la route qui les emmenait à Erebor, la joie et les rires autour du feu de camp supplantait la gravité de leur aventure ou le regard sombre de Thorin.

La peur du dragon en moins.

« - Alors, comment est la vie à Erebor ? »

Lança joyeusement Bilbo après tout, c'est grâce à lui que les nains ont récupéré leur foyer, leur maison. Vu comme les choses se sont passées, il n'a pas pu voir Erebor retrouver sa splendeur. Il n'a pas eu le droit à une visite guidée, mais cela ne l'empêche pas d'être curieux. Les soirées autour du feu étaient riches en histoire sur la gloire d'Erebor, sa richesse, son confort, avant que Smaug ne vienne et ne chasse les nains de leur foyer de pierre.

Bilbo s'attend à ce que sa question suscite une vague de réponse enthousiastes, peut-être qu'Ori sorte son carnet à dessin pour lui montrer des croquis des aménagements faits depuis son départ. Des rires, des histoires grivoises, de portes qui claquent, de problèmes domestiques...mais à la chape de silence qui tombe sur l'assemblée.

Soudain les cuillères ne tombent plus sur les tasses, les pipes cessent d'être suçotées et les fourchettes arrêtent de crisser. Le cœur de Bilbo cesse de battre. Il ne croit pas se souvenir d'avoir un jour entendu un tel silence alors que les nains étaient présents. Wargs, dragons, orcs... rien ne les effraye, rien ne les mure dans un silence aussi total.

« -Nous avons quitté Erebor, finit par laisser tomber Balin.

-Qu-quoi ? »

Bilbo en lâche le bout de pain qu'il tient à la main. Son regard passe d'un nain à l'autre, mais tous semblent confirmer les mots du vieux nain à la barbe blanche.

« -Thorin ? » hasarda-t-il, le cœur en miettes.

L'Arkenstone a été détruite, mais peut-être que le Roi sous la Montagne est retombé dans la folie jusqu'à ce que l'irréparable, l'insupportable, ait été commis ? Il est lui-même banni de la Montagne Solitaire, après tout.

« - Un Balrog, rectifie Kili, l'air dramatique.

-Un monstre bien plus terrible qu'un dragon...Faits de feu et d'ombre. Immortel. Nos mines ont du l'éveiller, et... ce fut l'attaque de Smaug, mais venue des profondeurs de la Terre.

Bofur mâchonne sa pipe, pensivement, les yeux plongés dans les souvenirs qu'il évoque.

-Trahis par notre propre élément, » grince Dwalin.

Bilbo les fixe, éberlué. Il a l'impression d'être devenu fou à lier et son esprit refuse de comprendre ce que les nains tentent de lui dire.

« -Gandalf ? Gandalf, qu'a-t-il dit ? Vous n'avez pas laissé Thorin refuser son aide, n'est-ce pas ?

-Nous ne l'avons pas revenu depuis que tu nous as quittés, » explique Fili.

-Introuvable, le vieux magicien, marmonne Dwalin qui se remets à mâcher la viande que Bilbo a posé devant lui dès son arrivée.

-Nous ne retournerons pas à Erebor. Il y a un Balrog dans les murs, souffle Ori et ses yeux écarquillés font de la peine à Bilbo.

- Il y avait un dragon, » rappelle celui-ci.

Cette conversation lui rappelle celle qu'ils avaientu, il y a .. deux, trois ans maintenant ? Autour de cette même table. On lui avait parlé de dragon, de calamité venue du ciel, de feu et de mort. Il s'était évanoui.

Aujourd'hui, on lui parlait de Mal invincible venu des entrailles de la terre. Il remerciait Dori qui lui resservait une tasse de thé et posait des questions.

On ne revient pas d'une aventure comme on est parti. Mais Bilbo ne regrettait pas l'innocent hobbit qu'il avait cessé d'être, et la vie confortable qu'il avait retrouvé lui pesait sur les épaules.

Il était fier de ce qu'ils avaient accompli, tous ensemble et sourit jusqu'aux oreilles :

« -Et regardez, nous l'avons tué.

-Pour le bien que ça nous a fait, » commente Bofur, relâchant une bouffée

Bilbo, ahuri, parcourut la tablée du regard. Tous les nains évitaient son regard, plus ou moins mal à l'aise. Ils fixaient le vide droit devant eux, leurs pieds, trituraient leurs armes ou leurs tasses de thé.

« -Quoi ? Qu'est-ce que ?

-Nous n'allons pas affronter ce Balrog, précisa Balin.

Il l'observait de son regard perçant, comme s'il lisait dans ses pensées. Bilbo se sentit mal à l'aise sous ce regard sage qui le jugeait avant même qu'il ait dit quelque chose. Cela lui rappelait Gandafl beaucoup plus sage que lui, mais plein de tendresse dans le jugement. Le regard du vieux magicien était déjà difficile à soutenir, mais Bilbo se révéla incapable de soutenir celui du nain : il y avait plus de tendresse dans les yeux de Balin, et décevoir le nain était insupportable.

Est-ce que c'était ce regard que Thorin devait soutenir depuis des dizaines d'années ?

« -Nous ne retournerons pas à Erebor. Il n'est pas sage de se battre pour des lieux maudits. La Moria et la Montagne Solitaire nous sont interdites, et … quelque soit la douleur que cela nous cause, il nous faut aller de l'avant, pour le bien de notre peuple.

-Alors..pourquoi ...si vous n'êtes pas là...si vous ne m'invitez pas à repartir pour une quête...pourquoi êtes-vous là ? »

Bilbo était déçu. Il ne se maudissait d'être déçu et non pas satisfait d'être laissé au confort de ses pénates, mais cela ne changeait rien à l'affaire. Il était déçu. Affronter un Balrog aurait sans doute causé la mort de toute la compagnie, ce n'était donc pas raisonnable de souhaiter cette quête si ardemment...il ne voulait pas que ses nains trouvent la mort. Mais ...quitter la Comté, partir sur les routes avec ses seuls amis et trouver la mort à leurs côtés, dans le feu et les rires...

« - On ne peut plus rentre visite à notre cambrioleur préféré? » Sourit joyeusement Kili.

Mais son sourire était faible et dès que Bilbo posa les yeux sur lui, il baissa les siens vers sa tasse.

Personne ne rentre d'une telle aventure égal à lui-même, se répéta Bilbo, le cœur brisé. Il secoua la tête :

«-Pas tous les treize en même temps...Douze, où est Thorin ? Resté à jouer le roi aux Collines ? »

La question était amère, et il eut envie de manger ses paroles aussitôt qu'elles sortirent de sa bouche. Il n'avait pas voulu dire ça, mais n'avait pas pu s'en empêcher. Il était amer de comment il avait quitté le brun, de comment tout cela s'était terminé, pour eux d'eux et il aurait voulu le revoir, au moins une fois. Que Thorin lui présente ses excuses, mais apparemment être roi comptait plus à ses yeux que le hobbit qui l'avait sauvé d'Azog, sauvé des orcs, sauvé des elfes, aidé à tuer un dragon, à récupérer Erebor et enfin sauvé de lui-même et de sa folie, contre son gré.

Car Thorin n'était pas dans la pièce.

Bilbo l'avait noté depuis l'arrivée des nains. Il les avait compté, machinalement, ressassant leurs noms, leurs petites habitudes, les souvenirs et tous les petits détails qui ressurgissaient à leur vue. Ils lui avaient manqués. Il avait étreint Kili et Bofur, mais n'avait pas osé faire plus. En partie parce qu'il craignait le regard de Thorin si celui-ci arrivait à ce moment là.

Il s'était dit que, comme la première fois, Thorin arriverait bon dernier, en retard mais sans qu'on puisse vraiment lui faire de reproches.

L'absence du leader de la compagnie lui portait sur les nerfs et il pianotait nerveusement sur le rebord de sa tasse. Luttant contre l'envie très peu hobbite de jeter la dite tasse contre un mur.

Il ne pouvait pas s'empêcher d'être agacé par l'absence de Thorin. Il aurait voulu que le roi soit là pour qu'il puisse lui dire qu'il était agacé par son comportement. Affronter son regard lui causerait sans doute nombre de bégaiements et autres hontes, mais Bilbo n'avait pas eu le temps de lui dire tout ce qu'il avait sur le cœur la dernière fois, et il se remémorait trop bien les dernières paroles du roi sous la Montagne.

Cela ne lui avait pas manqué. D'être agacé par Thorin Oakenshield sans pouvoir rien faire.

« -Thorin est la raison pour laquelle nous sommes là, » dit doucement Balin.

Bilbo remarqua qu'il s'adressait à lui sur le même ton qu'il s'adressait à Thorin lorsque celui-ci était prisonnier d'un de ses accès d'obstination furieuse. Doux, diplomate, comme s'il apprivoisait un animal sauvage.

Bilbo repoussa sa chaise avec fracas. Ce n'était pas très hobbite de sa part. Il n'était pas très hobbit depuis qu'il était rentré, et il blâmait directement les nains. Son cœur battait dans sa poitrine, dans ses tempes et il luttait pour transformer son désir de s'effondrer en larmes en juste colère. Réagir de façon naine plutôt qu'hobbite alors que ses yeux s'embuaient de larmes.

La compagnie était ses amis, ses camarades. D'invités inoportuns ils étaient devenus des amis pour lui au cours de la quête, et il aurait aimé que cela réciproque. Il avait cru qu'il comptait pour eux, qu'ils avaient fini par l'estimer. La Comté était loin d'Erebor et il ne s'attendait pas à le voir débouler tous les jours de fête, mais... rien ne l'empêchait d'espérer et il n'y avait pas grand chose d'autre à faire en Comté pour un hobbit aventureux.

« -Vous ne pouvez pas venir me voir sans l'ordre de votre roi bien-aimé, n'est-ce pas ? »

Si c'était comme ça, ce serait sans lui, merci ! Qu'ils pillent ses réserves de nourritures, qu'ils s'amusent bien sans lui, il partait.

«-Non, non, Bilbo ! »

Bofur bondit de sa chaise pour le rattraper lui prenant le bras, il le ramena vers ses camarades.

Toute les velléités de résistance de Bilbo avaient été consumées par son éclat et il se laissa ramener sans vraiment combattre : Bofur l'arrêta devant la table, sans le lâcher ou laisser s'enfuir. Approchant son visage soudain sombre de celui de Bilbo, il expliqua, sans le lâcher des yeux :

« -Nous avons tous émigré aux Collines de Fer. Certains aux Montagnes Bleues, où nous vivions auparavant, mais on a découvert du mitrhil aux Collines, donc...enfin...On a repris nos vies d'avant la quête, et...

-Et Thorin est devenu fou, coupa Fili.

Lentement, Bilbo détourna son regard de Bofur pour le poser sur l'héritier d'Erebor. Fili, était enfoncé dans sa chaise, et triturait pensivement sa fourchette qu'il fixait d'un air regard vide. Même les tresses de sa moustaches oscillaient doucement dans l'air avec tristesse. Le hobbit avala sa salive

« -Fou comme... »

Comme avec l'Arkenstone, mais Bilbo ne le dit pas à haute voix.

Il n'était pas sûr d'arriver à le dire, alors que les souvenirs lui revenaient comme un coup de poing dans l'estomac. La folie du roi sous la Montagne, ses yeux bleus devenus aussi sombres que les ténèbres, sa mâchoire crispées, ses cris de rage... Le leader de la Compagnie n'avait jamais eu un caractère facile, mais ce qu'il était devenu...Leur dernier face à face revenait encore dans les cauchemars du petit hobbit, qui s'éveillait chaque nuit en hurlant alors que le visage dément de Thorin se penchait sur lui.

Il n'est pas sûr que Thorin l'a pardonné d'avoir volé l'Arkenstone, même maintenant. D'avoir trahi son amitié, sa confiance. De s'être comporté en voleur, en cambrioleur, en menteur les mots du nains étaient gravés dans son esprit et tout le thé, toute l'herbe à pipe du monde ne les faisait pas s'effacer.

Les autres lui avaient assuré que Thorin était revenu à son état normal, et il était reparti vers la Comté avec Gandalf. Sans oser affronter le regard du roi une dernière fois.

« - Pas fou...dépressif. » corrigea Oin.

Le nain était le guérisseur de la Compagnie et Bilbo ne comptait pas le nombre de fois où il l'avait vu soigner les nains qui l'entouraient ou même panser ses propres plaies. Il le respectait et lui devait la vie. Pourtant, Bilbo douta soudain de son art.

Thorin ? Dépressif ? On pouvait accoler beaucoup de mots au leader de la Compagnie, dont beaucoup de qualificatifs peu flatteurs et de noms d'oiseaux autant que d'éloges, mais..dépressif ? Passionnés, monomaniaque, sombre et ronchon, d'accord. Mais le feu qui brûlaient dans les yeux sombres du roi en exil était inconciliable avec l'idée de dépression.

« - Il a conduit notre peuple dans l'exil, a tué Smaug, nous a permis de revenaient

-Beaucoup de souffrances pour revenir au départ, lâcha Nori à mi-voix.

-Ce n'était pas pour rien, Erebor est notre maison, le tança Dwalin.

-Mais nous ne pouvons y retourner, remarqua à nouveau Balin.

Un court silence s'installa et Bilbo se tourna vers Bofur, interrogatif. Le nain sursauta et reprit son explication :

« -La vie aux Collines ou aux Montagnes est moins douce à Erebor, mais cela ira. Thorin est également roi de la colonie des Montagnes Bleues, et Dain le laisse participer au gouvernement des Collines, mais... ce n'est pas Erebor. Il nous a guidé et a échoué, il n'est pas le Roi sous la Montagne et...

-Pourquoi ne peut-il pas vivre sans son trône, gémit Bilbo.

Toujours les mêmes histoires, les mêmes défauts.

«- Notre oncle n'est pas comme ça ! Jappa Kili .

Bofur continua doucement, l'air désolé de ses propres paroles :

« -Ce n'est pas une question de pouvoir, maître Baggins. Même si les gens ne disent rien, même si tout le monde lui pardonne et sait qu'il a fait au mieux... Cela lui rappelle son échec. Il a échoué et ce n'est pas quelque chose que Thorin Oakenshield peut facilement avaler. Il ne va pas bien, maître Bilbo. Il... »

Soudain rattrapé par la pudeur naine habituelle, Bofur se tut et alluma sa pipe, fuyant le regard interrogateur du hobbit.

« -Est-ce que Thorin pourrait rester chez vous un moment ? Demanda enfin Ori d'une voix timide.

-Qu-quoi ?

-Changer d'air, ne plus penser à Erebor et ne plus voir ceux qu'ils estiment avoir laissé tomber pourrait lui faire le plus grand bien, approuva fermement Bofur en tapant dans le dos du hobbit

-C'est décidé alors, oncle reste avec vous ? S'exclama joyeusement Kili. Oh, maître Baggins, je suis sûr que l'air frais de la Comté va lui faire du bien ! »

Ils n'avaient pas perdu la main, décida Bilbo en réceptionnant Kili qui venait de lui sauter au cou. Dire que les elfes tiennent les nains pour des êtres stupides et barbares. Les nains sont des êtres fourbes, comploteurs et extrêmement doués pour manipuler les hobbits qui ne voient jamais où ils veulent en venir et qui se retrouvent soudain dans les ennuis

« -Bien, si je suis censé vous héberger, je vais devoir aller chercher de quoi nourrir une compagnie de nains. Vous êtes là, nous... profitons pour faire un bon repas. »

Bilbo recule, lentement. Il agite les mains en parlant et affiche un grand sourire alors que son rythme cardiaque s'est distinctement accéléré.

Fuir. Prendre l'air. Tenter de comprendre le ciel qui vient de lui tomber dessus.

D'abord un dragon, et maintenant ça ? Thorin ? Thorin Oakenshield, vivant à la Comté, vivant dans un trou de hobbit ? Cela n'avait aucun sens. Cela ne marchait pas. Imaginer Thorin, avec un gilet de velours jaune, les pieds nus et achetant des légumes avec grand sourire.

Non.

Bilbo avait envie de hurler non.

A la place, il sortit de son trou avec une vivacité de cambrioleur et claqua la porte rond derrière lui. Il resta sur le seuil un instant sur le seuil, penché en avant. Les mains sur les hanches, le petit hobbit secouait vivement ses boucles tout en monologuant intérieurement : Non. Nope. Pas possible. Non, non non. Oh non. Cela ne se peut. Nope.

Bilbo fut interrompu par un bruit sourd qui lui fit lever la tête.

Le roi déchu avait abandonné son habituel manteau de fourrure sur le banc devant la maison du hobbit. Ses manches étaient retombées jusqu'aux coudes, dévoilant des bras musclés et velus... au bout desquels des mains serraient le manche d'une hache.

Bilbo sursauta lorsque celle-ci s'enfonça brutalement dans un morceau de bois, le faisant éclater en deux.

Sans sembler remarquer le discret cambrioleur, Thorin ramassa l'un des morceaux de bois tombé, le replaça sur le bilot et abattit à nouveau

Si couper du bois était une intention louable – Bilbo aimait un bon feu de cheminée mais était déplorable à la hache – Thorin semblait plutôt avoir pour but de passer ses nerfs sur quelque chose au vu de la taille minuscule que prenait les bouts de bois sous ses coups forcenés.

« -Vous savez, je ne crois pas que la sciure fait un bon combustible. Oh ça prends feu, bien sûr mais... »

La voix du hobbit mourut dans sa gorge lorsqu'il croisa le regard de Thorin. Derrière le rideau de ses cheveux noirs, son regard était aussi fixe et intimidant qu'il se le rappelait. Le fait qu'il reprenne sa hache mieux en main sans le lâcher du regard n'aidait pas à le pauvre hobbit à lutter contre l'envie de s'enfuir en courant.

Il avait soudain l'impression d'être revenu au point de départ, au jour où Thorin Oakenshield, leader de la Compagnie l'avait regardé de haut en bas avant de le juger inapte à sa glorieuse quête.

Ou lorsque le roi sous la Montagne s'était trouvé sous l'emprise de l'Arkenstone, que ses yeux s'étaient transformés en abysses de cupidité, qu'il l'avait saisit par le col et que... Bilbo ne croyait pas qu'il pourrait un jour oublier ce moment. Ou se sentir encore plus mal qu'il l'avait été à ce moment là.

« -Quelque chose à dire, demi-homme ? »

Thorin Oakenshield est né pour détruire tout ce que vous pensiez certain le cœur du hobbit éclata au mépris présent dans la voix du roi.