Lorsque Ron se réveilla le lendemain, son premier réflexe fut de tâtonner, le cœur battant, à la recherche de sa baguette. Il mit quelques instants avant de comprendre où il était, et lorsqu'il reconnut les murs familiers de l'infirmerie, la réalité s'abattit sur lui, brutale, suffocante, terrifiante. La bataille, Harry, mort, vivant, Lupin, Tonks, Colin…Fred… morts, pour toujours. Hermione…

Il se redressa d'un coup, les yeux écarquillés sur la place vide à côté de lui. Il se leva précipitamment du lit, indifférent au sol glacé sous ses pieds nus, indifférents aux blessés, tous plongés dans un coma artificiel, indifférent au soleil qui entrait par la fenêtre, inondant la pièce d'une lumière qui semblait se moquer du chagrin, du deuil… Hermione, où était-elle ? Il savait que l'angoisse qu'il ressentait était irrationnelle, la guerre était finie, mais il avait besoin d'elle, il avait besoin de la sentir vivante, et si un Mangemort se cachait encore dans le château, et si…

_Ron ?

Elle l'avait interpelé, timidement, les joues rougissantes. Elle était également pieds nus, elle portait un plateau chargé de victuailles et se mordillait nerveusement les lèvres.

En quelques pas, Ron fut devant elle, il lui prit le plateau des mains, le posa sur le lit et l'engloutit dans une étreinte qui eut le don de le relaxer. Elle était là, elle était avec lui…

_Ron, marmonna la jeune femme contre sa poitrine. Je voudrais respirer…

Ron rougit et s'écarta soudain.

_Désolé…

Hermione sourit tendrement et lui prit les mains.

_Tu… Tu peux rester avec moi ? demanda-t-il, incertain.

Il se sentait stupide, il devait être fort pour sa famille, pour Hermione, au lieu de quoi…

Hermione fronça les sourcils.

_Ron… Je serai toujours là pour toi…

_Je sais… Mais… Est-ce que tu peux rester près de moi… J'ai besoin de te voir…

_Ron, commença Hermione, l'air intrigué.

_Hermione, je veux juste… Je veux juste être sûr que tu es là… Que tu vas bien…

_Je vais bien Ron, dit doucement la jeune femme.

Elle montra le plateau.

_Je t'ai ramené un petit déjeuner, je me suis dit que tu aurais faim à ton réveil…

_Quelle heure est-il ?

_Nous sommes en début d'après-midi…

Ron écarquilla les yeux. Il devait être véritablement épuisé, il s'en voulait presque d'avoir dormi aussi paisiblement, alors que tant de personnes souffraient. Alors que sa propre famille souffrait. Il sentit la main d'Hermione serrer la sienne.

_Tout va bien, Ron, tu avais besoin de repos, tu l'as mérité…

Il la regarda, ses cheveux plus sauvages que jamais, les yeux gonflés d'avoir trop pleuré, le nez un peu rouge, un sourire timide flottant sur ses lèvres… La bouffée d'amour qu'il ressentit alors fut telle qu'il eut l'impression que ses jambes allaient se dérober. Il prit son visage entre ses mains, il savait qu'il tremblait légèrement, tout ceci était tellement nouveau, et déroutant de naturel pourtant. Il posa tendrement ses lèvres sur les siennes. Hermione soupira et passa ses bras autour de la taille du jeune homme. Il avait l'impression d'être traversé de décharges électriques, il avait tant rêvé de l'embrasser, et la réalité dépassait tout ce qu'il avait pu imaginer. Entendre ses soupirs, sentir ses lèvres, la sentir elle. Il s'écarta doucement, posant son front contre le sien.

_Merci…

Hermione lui caressa doucement la joue. Il y avait un tel chagrin dans ce regard autrefois si lumineux, si optimiste, elle en avait le cœur brisé.

_Ron… Je suis tellement désolée… murmura-t-elle.

_Je sais…

Un raclement de gorge les fit sursauter et instinctivement, Ron repoussa Hermione derrière lui. La jeune femme protesta mais se tut lorsqu'elle vit le professeur McGonagall leur sourire tristement.

_Mr Weasley, Miss Granger…

Elle se tut, visiblement émue. Elle s'approcha, toujours très droite, et d'un grand geste, elle les enveloppa tous les deux dans une étreinte qui les laissa sans voix. Elle finit par les relâcher.

_Tout ce que vous avez fait… Tout ce que vous avez sacrifié… Vous êtes des êtres exceptionnels…

Ron sentit ses oreilles rougir, il était embarrassé.

_Merci professeur, répondit Hermione.

_Nous avons fait ce que nous devions faire… marmonna-t-il à son tour.

Le professeur soupira en secouant la tête.

_Mr Weasley, je crois que vous ne comprenez pas à quel point vous, oui vous, avez été déterminant dans la victoire… Mr Potter n'a malheureusement jamais eu le choix… Miss Granger et vous, en revanche, auriez pu faire marche arrière à n'importe quel moment… Mr Potter a de la chance de vous avoir, notre monde a de la chance de vous avoir…

Hermione sentit ses yeux s'emplir de larmes. Elle se jeta dans les bras du professeur, qui lui tapota doucement le dos. Hermione s'écarta aussi soudainement, l'air mortifié. Ron eut envie de ricaner mais se retint.

_Mr Potter s'entretient actuellement avec Kinglsey Shakelbot, ils vous attendent, mais prenez le temps de déjeuner… Je vous retrouve dans le bureau du directeur…

Elle les salua et quitta l'infirmerie. Le bureau du directeur… Pour elle aussi, il demeurait le bureau de Dumbledore, songea Ron. Il se tourna vers Hermione et s'assit sur le lit sans la quitter des yeux.

_Tu as mangé ?

Hermione haussa les épaules. Le regard de Ron glissa sur son bandage, Hermione sembla le sentir et vint s'asseoir à côté de Ron en s'arrangeant pour que son bras ne soit pas visible.

_Est-ce que tu as mangé ? insista Ron, le front plissé par l'inquiétude.

_Je n'ai pas faim… murmura Hermione.

_Tu dois manger ! répliqua Ron en plaçant le plateau entre eux.

Hermione fronça les sourcils.

_Je dois ? Ron, jusqu'à preuve du contraire, j'ai encore le droit de faire comme bon me semble !

Ron leva les yeux au ciel d'une manière si Hermionienne que la jeune femme faillit rire.

_Je sais que tu fais comme bon te semble Hermione, mais, s'il te plait, manges quelque chose…

Avec un soupir vaincu, Hermione attrapa un toast qu'elle porta à sa bouche et mâchonna sans grande conviction. Ron mangea lui aussi du bout des lèvres. Il avait un gout amer dans la bouche, son estomac était noué. Il soupira et finit par reposer sa fourchette. Hermione leva un regard surpris vers lui. Il avait les yeux pleins de larmes. Elle posa aussitôt le plateau au sol et se rapprocha de Ron, passant ses bras autour de ses épaules.

_Je… Je n'arrive pas à croire… que… que… Je ne vais plus jamais le revoir…

Sa voix se brisa. Il éclata en sanglots, et Hermione le serra fort contre elle, le plus fort possible, pour lui montrer qu'elle était là, qu'elle l'aimait plus que tout. Elle pleurait elle aussi, pour l'homme qu'elle aimait, pour cette famille qu'elle considérait comme la sienne, pour Fred qui était comme un frère. Rien de tout cela n'était juste, tout sonnait faux, sa mort ne rentrait dans aucune case, n'avait aucun sens, il riait et l'instant d'après, il était parti, quel sens trouver à tout ça ? Quelle place donner à cette tragédie dans ce qui devait être une célébration ?

Alors elle lui caressa le dos, les joues striées de larmes, lui murmurant tout le réconfort qu'elle pouvait donner.

Kingsley avait l'air grave. Harry affichait une mine soucieuse, et Ron attrapa aussitôt la main d'Hermione, il sentait que quelque chose n'allait pas, mais il n'était pas sûr de vouloir savoir quoi. Il était fatigué, il voulait juste dormir encore, dans les bras d'Hermione, et oublier tout ça, oublier la peine, ne plus ressentir le chagrin. Voldemort n'était plus, ils avaient tellement idéalisé la vie « après » que la réalité leur semblait bien amère. Tout ce chagrin latent, toutes ces larmes…

_Mr Weasley… Miss Granger… Nous n'en avons pas pour longtemps… Arthur et Molly souhaitent que vous rentriez tous au Terrier ce soir, pour préparer…les funérailles…

Harry pâlit d'avantage, Hermione serra la main de Ron, qui posa une main sur l'épaule d'Harry. Ils étaient là tous les trois, tout irait bien.

_Je ne trouverai jamais les mots pour vous exprimer ma gratitude… commença Kingsley en les regardant tour à tour. Ce que vous avez fait dépasse de loin le courage, la puissance, le talent, de tous les meilleurs Aurors réunis… Vous nous avez tous sauvés…

Kingsley, ému, contempla ces trois visages, qui portaient encore quelques traces d'enfance, si graves, le visage de ceux qui avaient vu…

Hermione sentit qu'un « mais » allait venir.

_Mais je dois vous demander la plus grande vigilance. De nombreux Mangemorts sont encore en fuite, et vous serez leurs cibles privilégiées.

Un frisson parcourut Hermione, elle sentit le bras de Ron glisser autour de sa taille.

_Nous sommes activement à leurs recherches, les Aurors qui ont sur…survécu, et des volontaires… Notre cible numéro un est un loup garou du nom de Greyback…

Ron se tendit aussitôt. Il entendait encore la voix du loup garou dans son oreille, ses murmures chargées de menaces, sous entendant les horreurs qu'il ferait subir à Hermione, son visage maculé de sang penché sur le corps inanimé de Lavande.

_C'est pour cela que pour le moment, en attendant que je puisse détacher des gardes, je vous demande de limiter vos déplacements… Je sais que vous n'aspirez qu'à une chose, vivre en paix et tourner la page, et cela viendra, mais en attendant, votre sécurité sera ma priorité… Greyback a toujours été insaisissable, depuis son évasion, il nous a été impossible de le localiser durablement, il est très dangereux, il s'attaque principalement aux femmes…

Ron eut l'impression qu'il allait vomir. Son regard affolé glissa malgré lui sur Hermione. Hermione, qui était une proie qui lui avait échappé, Hermione dont le statut de sang la condamnait aux yeux d'immondes sorciers, Hermione sans qui Voldemort serait encore…

_Il a déjà fait entendre parler de lui chez les Moldus, ajouta l'Auror avec un air sombre. Il agit comme s'il ne craignait rien, tout ceci est à prendre très au sérieux… Ce sera provisoire je l'espère, nous ferons tout pour…

Il marqua une pause, les regardant tour à tour, puis il ajouta, avec précaution, comme s'il soupesait chaque mot.

_Je souhaiterais également m'entretenir avec vous… De la suite vous concernant…

Un silence las lui répondit. Ils étaient épuisés, et ils n'aspiraient tous qu'à une chose, tourner la page. Mais ils étaient conscients que ça ne se ferait pas comme ça, ils étaient conscients que malgré tout, ils avaient encore tellement de choses à décider, à mettre en place, à gérer…

_Pour la suite à court terme, nous allons avoir besoin de vos témoignages à tous les trois… Nous avons besoin de savoir ce qui s'est passé pendant votre année de cavale…

Harry, Ron et Hermione échangèrent un regard, ce qui n'échappa pas à Kingsley.

_Nous savons que Dumbledore vous avait confiés une mission… Je sais que je vous demande beaucoup, mais plus nous aurons d'informations rapidement, plus il nous sera aisé d'appréhender les Mangemorts encore en liberté et de condamner ceux que nous avons déjà arrêtés… Vous choisirez évidemment les modalités…

_Comment ça ? demanda Hermione.

_Soit témoignage oral, soit témoignage visuel via une Pensine…

Hermione fronça les sourcils, considérant cette option, tandis que Ron soupirait de soulagement. Mettre des mots sur tout ce qui s'était passé en un an lui semblait une tâche titanesque, pour laquelle il n'avait aucune énergie. Il préférait se laisser extraire ses souvenirs.

_Vous nous accompagnerez dans la Pensine bien entendu, et vous serez libre d'arrêter l'expérience dès que vous le souhaiterez… mais vos témoignages sont capitaux, j'en ai peur…

Harry hocha la tête avec compréhension.

_Autre chose, poursuivit Kingsley. J'ai parfaitement conscience que le moment est particulièrement mal choisi, vous avez tellement fait et vous traversez tous un moment difficile…

Il jeta un rapide coup d'œil à Ron, qui fixa ses chaussures, résolu à ne pas pleurer, tandis qu'Hermione lui attrapait le bras, se blottissant contre lui. La chaleur de son corps agit comme un baume sur la plaie encore béante qui se rappelait à lui à la moindre occasion…

_Nous avons des propositions à vous faire, propositions qui prendront effet, si toutefois vous l'acceptez, dès que vous vous sentirez prêts… Les offres du Ministère seront toujours valables sans date limite de réponse pour vous trois…

Ron releva la tête avec curiosité tandis qu'Harry se laissait tomber sur un fauteuil, sans quitter Kingsley des yeux.

_Nous espérons vous voir rejoindre le Ministère, et plus particulièrement le bureau des Aurors… Vous êtes tous les trois des sorciers au talent exceptionnel, nous avons besoin de personnes comme vous pour remettre sur pied le département des Aurors… J'imagine que dans l'immédiat, vous aspirez à un peu de paix, et nous le comprenons, aussi cette offre sera valable ad vitam eternam…

_Mais…Mais… balbutia Harry, et nos ASPICS…

-Inutiles dans votre cas, vous maîtrisez tous les trois bien mieux votre baguette que beaucoup d'Aurors aguerris…

Les trois jeunes gens le dévisageaient avec stupeur, amusé, Kingsley se racla la gorge et ajouta.

_La formation des Aurors se fait normalement en trois ans, mais étant donné les circonstances, un an de formation a été prévue pour vous, si vous acceptez… Vous devez également savoir que Poudlard ouvrira ses portes à la rentrée prochaine si tout va bien… Le professeur McGonagall a souhaité proposer à chaque élève de reprendre ses études là où il en était avant le nouveau régime… Vous serez donc libre de faire une septième année à Poudlard et de passer vos ASPICS… Je n'attends pas une réponse dans l'immédiat, bien entendu…

Ils acquiescèrent légèrement, chacun perdu dans ses pensées alors qu'ils réfléchissaient aux opportunités qui leur étaient offertes. Après un an à ne pouvoir se projeter, c'était grisant et libérateur de pouvoir faire des projets. Ça avait également quelque chose d'effrayant, pendant leur quête, même s'ils avaient des moments de flottement, ils avaient toujours tous les trois le même but précis : trouver et détruire les horcruxes. Et quand chaque jour vivant paraissait être un miracle, réfléchir à l'avenir avait semblé être une idée saugrenue pour Ron. Hermione, elle, les avait encouragés à le faire, arguant qu'imaginer un avenir était un bon moyen d'aider le présent. Désormais, il s'agissait de prendre des décisions qui n'engageraient qu'eux. Leur vie n'était pas en jeu, mais finalement, c'était confortable d'avoir une tâche imposée, par Dumbledore en l'occurrence. Cette fois ci, ils étaient libres, et si leur année de cavale s'était apparentée à une longue chute sans filet,

_Pour finir, une escorte vous attend à l'extérieur pour vous accompagner à Sainte Mangouste…

Ron regarda aussitôt Hermione, qui avait pâli et semblait retenir son souffle tandis que son bras se glissait de manière presque inconsciente derrière son dos. Il se retint de dire quoique ce soit, mais il avait soudain hâte d'être à l'hôpital…

_Nous souhaitons nous assurer de votre état de santé avant de vous laisser quitter notre surveillance… Ne soyez pas surpris si vous voyez des journalistes rôder dans les couloirs, chacun de mes hommes est prêt à évacuer quiconque viendrait vous importuner… Nous nous verrons après-demain…

Son visage s'était assombri, Ron, lui, eut l'impression qu'on lui avait porté un coup dans le ventre, il avait soudain du mal à respirer et son regard se voilait. Hermione passa un bras autour de sa taille.

_Ron, je suis là… souffla-t-elle si bas que lui seul l'avait entendue.

Après demain, il dirait adieu à son frère. Certains disaient que ce n'était qu'un au revoir, mais la peine qu'il ressentait était celle d'un adieu. Après demain, un membre de sa famille serait arraché, un point final serait mis, George perdrait sa moitié, son reflet, son double. Il savait que sa famille ne serait plus jamais la même, et à chaque fois qu'il y pensait, il était si en colère que pendant un moment, il avait l'impression d'hurler, jusqu'à se rendre compte que ses cris étaient prisonniers de sa cage thoracique, l'étouffant, l'oppressant. Mais il n'avait pas le droit de craquer, sa mère, George, oui, mais pas lui, pas alors que pendant un an, il leur avait imposé sa disparition, pas quand le pilier de sa famille, sa mère, était anéantie. Il avait vu sa mère joyeuse, souvent, en colère, presque trop souvent, triste, parfois, mais jamais il ne l'avait vue anéantie. Et c'était l'une des choses les plus effrayantes qu'il ait pu voir. Sa mère était un repère, un baromètre, elle les avait toujours aidé à relativiser leurs problèmes, plus rien ne leur semblait grave après une conversation avec elle… Un pilier, un pilier qui s'était effondré, et Ron essayait d'empêcher tant bien que mal sa famille de s'écrouler.

_Je suis là… souffla à nouveau Hermione.