Bonsoir à toutes et à tous.

Je suis navrée d'être aussi en retard, mais je suis retournée en Angleterre, j'ai donc du préparer mon départ. Et puis c'est enfin la dernière partie de ce qui aurait dû un One-shot... Oui, oui, un OS... Bref. Je vous remercie de votre soutien en toutes circonstances, et de votre patience également. J'espère que cette fin vous plaira, je suis comme toujours un peu anxieuse, mais je me suis vraiment appliquée. Sachez que j'assume l'intégralité de mon texte, notamment l'avant dernière partie, qui vous paraîtra sans doute un peu... décalée, mais qui était nécessaire. Néanmoins, si quoi que ce soit vous dérange, n'hésite pas à m'en parler. Je serais ravie d'avoir votre point de vue.

Je vous remercie tous pour votre soutien, et vos reviews qui m'ont vraiment aidée. Sincèrement.

Disclaimer: Tous les personnages présents et cités appartiennent à Masami Kurumada.

PS: Je remercie encore et toujours ma très chère Ta-chan qui a été d'une aide incroyable dans tout ce travail. Je sais que tu me diras qu'il n'en est rien, mais c'est grâce à toi que j'ai pu aller jusqu'au bout, et me plonger autant dans le psychisme de ces trois-là. Merci de tout coeur ma douce.

PPS: La fiction est passée en M comme vous l'aurez remarqué. Tant pour le contenu que pour les thèmes abordés, il était temps que je le fasse. N'en soyez pas trop perturbées pour autant!


« Tu comprends Shura ?

-Non.

Un silence.

-Tu acceptes ?

-Non.

Un autre silence. Cette conversation avait des airs de déjà-vu.

-Shu…

-Non Dite. Vous êtes lâches d'abandonner comme ça. Je suis absolument persuadé que vous avez tout faux. Pire encore, je suis convaincu qu'il y a une solution. Et je la trouverais. Je te jure que je la trouverais.

Un troisième silence, dont la tension était palpable. Dite n'avait pas baissé les yeux, mais il était inquiet.

-Alors…Tu vas nous laisser ?

-Jamais. »

Non, cette fois, le Capricorne ne laisserait personne l'éloigner des deux hommes qu'il aimait. Et encore moins les deux idiots directement concernés. Il attrapa la main du Suédois pour l'attirer contre lui. Et l'embrasser, avec un désespoir adolescent.


Il n'avait pas reparlé de la maladie d'Aphrodite. C'était inutile. Il n'avait pas besoin des détails. Tant que les deux autres ne le forçaient pas à s'éloigner… Il acceptait la situation. Il n'avait pas vraiment d'autres choix de toute façon. S'il ne faisait que frôler le sujet du bout des lèvres, les deux autres se braquaient immédiatement. Death' n'acceptait d'en discuter qu'une fois Dite suffisamment éloigné. Jamais en sa présence. Alors il avait fait des concessions. Il se devait d'être avec eux quoi qu'il arrive. Même s'il ne désespérait pas de trouver une solution, n'importe laquelle et où que ce soit. Il savait très bien que Dite fermait les yeux sur son comportement. Le douzième gardien l'avait vu, plongé dans des ouvrages compliqués, sûrement empruntés à leur voisin commun. Il s'était contenté de lui sourire, avec cette expression à la fois heureuse et douloureuse, puis avait fait demi-tour pour parler avec Deathmask. Shura n'aimait pas ça. Ils étaient en train de retomber dans les non-dits, à force de refuser de discuter clairement de la situation. Mais il ne pouvait décemment pas imposer une telle conversation à Dite et Death'. Les deux hommes, même s'ils n'en parlaient jamais, semblaient pourtant avoir besoin de se retrouver de temps à autre. Il ne comptait plus le nombre de fois où il les avait retrouvés allongé côte à côte dans le lit, les doigts entrelacés, le front collé l'un contre l'autre, murmurant des paroles qu'il était incapable de comprendre, comme une litanie connue d'eux seuls. Rien de plus. C'était à peine s'ils échangeaient un baiser ou une caresse dans ces moments-là. En dehors de leurs doigts entrelacés, les deux hommes semblaient plonger dans une conversation, et un monde auxquels personne d'autre qu'eux-mêmes n'appartenait. Il n'en était pas jaloux pour autant. Enfin, si, bien sûr, parfois, mais plus parce qu'il désirait ardemment rester avec eux le plus possible, ne surtout pas s'éloigner des hommes qu'il aimait. Oui, il voulait être avec eux. Mais pas entre eux. La différence était subtile, mais elle existait bel et bien.

Il ne souhaitait pas se prouver à tout prix qu'il était capable de les changer définitivement, ou d'être le favori de l'un ou de l'autre. La démarche aurait été purement stérile. Non, ce qu'il voulait… C'était rester à leurs côtés. Garder un œil sur les lueurs meurtrières qu'il pouvait voir briller dans les yeux d'Angelo. Surveiller le rictus sadique que le Poisson était capable d'afficher également. Il avait fini par comprendre ce qu'ils essayaient de lui expliquer. La folie qui les consumait n'avait pas de remède. Mais ils arrivaient à vivre avec. Parce qu'il était avec eux, c'était ce que Dite n'avait de cesse de lui répéter. Il en doutait. Mais si c'était vraiment possible, il aurait préféré être capable de faire quelque chose pour la maladie de l'homme qu'il aimait. Car à présent qu'il connaissait la vérité, il voyait clairement à quel point cette… chose était en train de dévorer Dite de l'intérieur. Il voyait ses côtes qui devenaient trop saillantes, son teint qui palissait à grande vitesse, ses lèvres qui perdaient leurs couleurs, et que le Poisson tentait, plus que jamais, de cacher derrière ces gloss dont il ne se rappelait jamais le nom. Oui, il pouvait voir tout ça. Et cela lui retournait l'estomac. La nuit, il faisait des cauchemars à n'en plus pouvoir. Il voyait Dite, avec son regard éteint et colérique à la fois, se contemplant avec un sourire fou dans ce miroir brisé couvert de sang. De son sang, qu'il crachait parfois en serrant les poings et en détournant les yeux. C'était à pleurer. Et pourtant, il avait l'impression que c'était toujours le Suédois le plus fort d'eux trois. Comme si tout cela ne l'atteignait pas. Dite ne montrait jamais de faiblesses. Même lorsqu'il brisait quelque chose à la suite d'une crise impossible à calmer, même lorsqu'il fuyait leur lit pour ne pas se montrer, même lorsqu'il lui arrivait de ne pas pouvoir pousser un entraînement jusqu'au bout, il demeurait fier. Pas arrogant, non. Juste… tel qu'il l'avait toujours été.

Néanmoins, si Shura s'était promis de ne jamais atteindre le douzième gardien dans sa fierté, il avait de plus en plus de mal à contenir son envie d'aider l'homme qu'il aimait. Combien de fois avait-il amorcé un geste, avant de se faire arrêter par Deathmask, qui lui retenait la main avec un regard d'avertissement ? Il ne les comptait plus. L'Italien semblait capable de déterminer à n'importe quel moment les gestes qu'il leur était possible d'avoir envers le Suédois. Enfin, le Cancer faisait le malin, mais Shura aussi avait surpris ses regards inquiets ou fuyants, pour ne pas affronter cette réalité qui leur sautait au visage à chaque seconde, et qui leur nouait la gorge dès que leur tiers avait le dos tourné. Combien de coups d'œil désespérés avaient-ils échangé lorsqu'Aphrodite était encore à la salle de bain, crachant son sang, ou prenant tout simplement sa douche ? Impossible à savoir. C'était arrivé bien trop souvent. Mais il avait tenu bon. Pendant des jours, des semaines, des mois même, il avait réussi, tout comme Angelo, à retenir son bras, à ne pas prononcer une parole malheureuse, à ne pas avoir de geste trop attentif. Peut-être que ça faisait partie de sa punition à lui aussi. Après tout, il n'était pas immaculé, il avait fait des erreurs, et avait participé à l'Athéna Exclamation. Les dieux l'avaient peut-être condamné lui aussi. A toujours faire attention, toujours réfléchir, toujours anticiper, à ne jamais blesser leur amant dans sa fierté… Il n'y avait bien qu'au lit que Dite relâchait enfin la pression, sur lui-même et sur eux.
Dans ces moments-là, il se montrait tel qu'il était réellement, et ne les empêchait pas de se conduire, juste un peu, en hommes maladroits et passionnés. Il les laissait le couvrir de baisers, doux ou violents, acceptaient leurs étreintes délicates ou désespérées, et supportaient leurs regards, perdus ou déterminés. Parfois, il lui arrivait même de verser quelques larmes. Pas de longs sanglots non. Juste quelques gouttes salées qui glissaient dans la nuit, et qu'il espérait probablement faire passer pour du plaisir. Ils acceptaient de faire comme si c'était le cas. Aucun d'eux n'était dupe. Mais ils fermaient les yeux. Oui, dans leurs nuits, Aphrodite leur appartenait. Entièrement, corps, âme, et maladie. Il était à eux, et il leur était enfin possible de s'occuper de lui comme ils le désiraient.
C'était probablement ce qui les avait sauvés, et avait permis aux deux autres hommes de tenir bon pendant tout ce temps.

Jusqu'au jour où Dite s'était effondré dans l'arène en combattant contre Camus, devant une assemblée de chevaliers d'Or interdits. Incapables de comprendre. Tellement surpris qu'ils en avaient oublié d'être moqueurs. Dite n'avait pas pu encaisser le choc de l'attaque du Verseau. Ce n'était, à priori, rien de grave. Avec leur constitution, leur entraînement, et tout ce qui faisait d'eux des chevaliers, il n'y aurait dû y avoir aucun problème. Mais Dite était, aussi abominable que Shura trouve ce mot à prononcer, affaibli. Et il s'était violemment cogné la tête contre le mur qui cerclait l'arène sous la pression de l'attaque du Verseau. Il s'était redressé avec difficulté, cherchant à reprendre son souffle, avant de se rendre compte que quelque chose coulait sur sa tempe, et gouttait sur le sable. Shura, le cœur au bord des lèvres, avait vu Dite qui cherchait à analyser ce liquide carmin qui tachait le sable de l'arène. Il y avait du sang sur le sol et sur ses doigts. Le sien. Encore. Toujours. Il y avait eu un début de panique dans le regard céruléen. Ce fut probablement ce jour-là que l'Espagnol comprit pour la première fois, après plus d'un an, les paroles du Cancer. Ce qu'il avait réellement voulu dire en parlant de punition. Devait-il agir ? Aller à l'encontre des principes de Dite, et l'aider, tout en prenant le risque qu'il lui en veuille irrémédiablement ? Ou bien devait-il observer, en silence, la lente et douloureuse agonie de l'homme qu'ils aimaient, sans rien pouvoir faire pour pouvoir l'aider ou le soulager, et le voir rejeter leur aide, chaque fois qu'ils auraient aimé la proposer ? En temps normal, Shura s'en serait tenu à leur accord tacite. Seulement, lui-même n'était pas toujours capable d'être raisonnable. Et cette fois-là, oui… Juste cette fois, il décida de briser leurs règles. Parce qu'il ne pouvait plus supporter le regard que les autres portaient sur lui. Et l'expression interdite de Dite. Il avait couru vers lui et l'avait soulevé afin de le porter, malgré les cris de protestation de ce dernier. Il n'arrivait pas à croire qu'il était réellement en train de faire ça. Sur le moment, cela lui semblait la meilleure chose à faire en effet. Il s'agissait d'une nouveauté entre eux trois. Il aurait presque pu être heureux. Ce fut la première fois oui, et la dernière également. Aphrodite ne s'était absolument pas laissé faire. Il avait hurlé, tellement fort qu'on devait l'avoir entendu jusqu'aux autres arènes en contre-bas.

« Lâche-moi immédiatement ! avait-il ordonné d'un ton venimeux.

-Pas question.

Rester inflexible. Ne pas céder, surtout pas. Ne pas penser aux regards d'incompréhension que tous les autres portaient sur eux. Ne pas croiser les yeux trop bleus de l'homme qu'il aimait non plus. Ne penser qu'à son but, ne penser qu'à remonter ces fichues marches, ne pas…

-Ca suffit Shura ! Je suis adulte, je peux parfaitement m'en sortir par moi-même !

Le Capricorne eut une hésitation et posa un regard légèrement surpris sur son vis-à-vis. Le ton était presque suppliant. Et ses yeux aussi. Soudain, Shura se demanda si ça n'était pas une question que le Poisson lui posait S'il n'était pas en train de lui demander d'y croire lui aussi. Mais ces quelques mots suffirent également à le rendre dingue. Il en avait assez que Dite prenne toujours sur lui. Il explosa.

-Tu es adulte oui, mais ça ne veut pas dire que tu fais les bons choix pour autant! Ce ne serait pas la première fois ! » Cingla-t-il.

Silence. Mordant. Cruel. Horrible.

Il regretta ces mots à l'instant même où il les prononça. Dès que ces lettres glissèrent sur ses lèvres, il souhaita pouvoir les rattraper avant qu'elles ne parviennent aux oreilles de l'homme qu'il aimait. Parce qu'il savait déjà qu'elles auraient un impact bien plus grave sur le Poisson. Et que même si ses mots avaient dépassé sa pensée, même s'il ne pensait pas réellement ce qu'il avait dit, rien ne pourrait consoler Dite de ces paroles violentes. Parce qu'ils venaient de lui. Dite se fichait du reste du monde. Mais pas d'eux. Et il l'avait blessé. Il aurait voulu rattraper ses paroles. Mais il était trop tard. Il vit le magnifique visage passer de la colère à une peine immense. Il était devenu livide, et avait baissé les yeux devant lui. C'était bien la première fois que cela leur arrivait. Et Shura n'en tirait aucune joie. Il ne ressentit rien, si ce n'était un goût amer dans la bouche. Aphrodite s'était tu, interdit. Il avait cessé de s'agiter, et sous l'assistance médusée, Shura avait ramené le douzième gardien dans ses appartements. Deathmask toussa, écœuré par le goût de la cigarette qu'il avait trop serré entre ses dents pendant l'échange, avant de la jeter sur le sol pour l'écraser d'un geste rageur. Les regards s'étaient tournés vers lui. Il les ignora. Ça ne les regardait pas. Rien, non rien dans toute leur histoire ne les concernait tous autant qu'ils étaient. Surtout dans une telle situation. Il avait eu peur de devoir intervenir entre eux. Parce qu'une intervention physique de ce genre signifierait forcément la fin de leur histoire à trois. Il en avait conscience. Les deux autres également. Un différend entre deux d'entre eux ne devait jamais se résoudre à trois. Ils avaient bien trop d'ego pour cela, et ça aurait été le meilleur moyen de se braquer. Alors à moins qu'un conflit n'éclate entre eux trois à la fois, ils ne s'engueulaient jamais tous ensemble. Mais ça n'en restait pas moins difficile, surtout face à une telle situation.

Il s'était contenu du mieux qu'il avait pu, les poings serrés. Il avait vu le sang de Dite qui coulait sur le sable. A croire que son corps ne connaissait plus de limites depuis qu'il était malade, et que les choses s'accéléraient. Il avait observé les traits de Shura également, et avant même de pouvoir esquisser un geste vers lui, il avait compris que le Capricorne s'apprêtait à faire une bêtise. Une erreur. Qu'il aurait souhaité être capable de faire lui-même. Shura avait été plus courageux que lui cette fois. Lui-même n'avait pas la force de s'imposer à Dite de cette manière. Ou plus exactement, il ne l'avait plus. Il s'était trop battu avec et contre Dite. Il lui fallait de l'aide. Et le dixième gardien en était une. Néanmoins, il n'aurait jamais cru que le Capricorne se ferait autant déborder par ses émotions. Et il avait entendu les mots monstrueux que Shura avait prononcés, incapable d'y croire. Il n'avait pas osé dire ça quand même ? Mais qu'est-ce qu'il lui avait pris à l'autre hispano, là ? Il n'était donc pas capable de se tenir cinq minutes non ? Pas vrai ça…

Il avait gravit les marches à son tour, et était arrivé juste à temps pour voir le dixième gardien reposer le douzième au sol. Dite n'avait pas bougé, le dos tourné à Shura et lui, il resta là quelques secondes, semblant réfléchir à quelque chose connu de lui seul. Il y eut un instant de silence, où seules leurs respirations aux différents rythmes pouvaient se faire entendre. Deathmask pouvait sentir la tension qui parcourait la pièce. Là, tout de suite, il savait que le douzième gardien était parfaitement capable de mettre fin à leur relation. Oh les deux autres ne l'auraient probablement pas laissé faire, mais concrètement… La blessure du rejet aurait été plus violente que tout autre chose. Leur avenir se jouait ici, et maintenant. Shura avait pris le pari risqué de tout foutre en l'air. Et Deathmask n'était même pas certain qu'il en avait pleinement conscience. Soudain, il vit le Poisson se retourner avec une rapidité exceptionnelle, avant qu'un coup de poing d'une rare violence n'envoie Shura au sol, complètement hébété. Dite, le regard furibond, et une émotion indéfinissable dans la voix, le fixait de toute sa hauteur. Deathmask soupira. Evidemment. C'était évident que la situation tournerait ainsi. Dite avait toujours eu horreur qu'on le prenne en pitié, que ce soit pour son physique, ou pour ses faiblesses. Ils en avaient toujours eu conscience. Et ils n'avaient jamais souhaité qu'il en soit autrement entre eux. Mais Shura avait de plus en plus de mal à gérer la réalité. Il ressentit néanmoins un infime soulagement. Parce que cette réaction valait mieux que tous les discours de rupture que Dite aurait pu leur lancer au visage.

«Ne refais plus jamais ça ! » siffla le Poisson.

Shura ne répondit pas. Trop surpris. Ou trop conscient de ses actes au contraire. Il resta allongé au sol, les bras en croix, fermant les yeux et se mordant la lèvre pour ne pas répondre. Le Cancer se contenta de sortir une autre cigarette de son paquet, observant la scène d'un air qui se voulait neutre. Le silence retomba entre eux, seulement brisé par le bruit du briquet. Soudain, Aphrodite partit s'enfermer dans la salle de bains, le corps secoué de tremblements. La cuvette. Vomir. Vite, avant de salir le sol. Vomir, oui, mais vomir quoi d'abord ? Il n'avait rien mangé ce matin. Ah… Du sang. Oui, évidemment. Il se demandait presque d'où il pouvait provenir. Il ne s'était donc toujours pas vidé depuis toutes ces années ? Où son corps pouvait-il trouver la force d'en rejeter autant ? Vomir son mal être aussi. Vomir les mots que Shura avait fait couler sur lui. Il ne lui en voulait pas, non… Juste… Il avait juste mal. Il posa son front brûlant sur le carrelage froid. C'était agréable. Il eut un sourire désabusé. Les choix, hein… ? Inutile de se demander de quoi le Capricorne parlait. Il le savait déjà. Et le pire, c'est qu'il avait totalement raison. Mais ça n'était pas agréable pour autant. Vraiment pas. Egoïstement –comme toujours d'ailleurs-, il avait gardé l'espoir que Shura lui ait pardonné ses décisions passées. Elles n'avaient pas été les meilleures, certes, mais il les avait prises malgré tout, puisque les deux autres semblaient incapables de prendre une décision concrète. Il était persuadé que c'était la bonne décision à prendre. Il croyait sincèrement protéger Shura. Il le croyait toujours en cet instant : son amour pour le Capricorne avait toujours été mêlé d'un grand sentiment de culpabilité. Il s'en voulait de l'avoir privé d'une relation avec le Cancer, alors qu'il était évident à ces deux que les deux hommes se plaisaient mutuellement. Et il regrettait de ne pas lui avoir donné le sien… Mais il était également persuadé que sans cela, ils auraient fini par étouffer l'Espagnol. Shura était trop gentil avec eux. Ils l'auraient broyé, c'était évident. Ce n'était pas une question de confiance qui l'avait poussé à agir ainsi, mais la volonté de faire face à la réalité. Ce dernier, encore un rien naïf, avait toujours du mal à entendre lorsqu'ils lui affirmaient être fous. Alors à l'époque… Il n'aurait rien voulu entendre. Il aurait cru pouvoir les changer totalement, il aurait cru pouvoir faire d'eux des gens biens. Ce qui était faux. Shura atténuait leur folie oui, mais il ne la faisait pas disparaître. Ils étaient psychologiquement tordus, comme Shura était droit et fier. Ça n'était pas comme une fatalité non, mais plutôt comme un trait de leur esprit. C'était en eux. Gravé dans leur chair.

Tout comme cette foutue maladie était en lui. Et lui bouffait ce qui lui restait de vie, petit à petit, jour après jour. Tel un poison. Car c'en était un. C'était à devenir fou. Enfin… plus qu'il ne l'était déjà. Il ne voulait pas finir comme ça. Voir la pitié ou la détresse dans le regard des hommes qu'il aimait… Ça le terrorisait. Parce qu'il paniquait aussi. Parce qu'il y voyait la réalité de la situation. Ne comprenaient-ils pas que de les voir ainsi, cela le faisait trembler lui aussi ? Il avait besoin de leur soutien, pas de leurs doutes. Si eux s'effondraient, que lui resterait-il pour demeurer solide et fermement accroché à ses convictions ? Il avait besoin d'eux. Il le savait. Il en avait parfaitement conscience. Mais besoin qu'ils restent forts, par-dessous tout. Pour lui. Parce qu'Aphrodite n'en était tout simplement plus capable. Il voulait qu'ils soient capables de soutenir le poids de ses regrets et de ses larmes, le jour où il s'effondrerait en sanglots contre eux, si cela devait arriver. Car ce serait le cas. Il ne faisait que retarder l'échéance. Mais tôt ou tard, il finirait par tomber en les suppliant de le pardonner pour tout. Il priait chaque jour pour être capable de laisser sa fierté de côté, et d'agir en homme responsable lorsque cet instant arriverait.

Allongé à même son carrelage, les bras en croix, il entendit une dispute étouffée à travers la porte. Il tourna la tête, la respiration toujours erratique. Le Cancer et le Capricorne étaient sûrement en train d'échanger leurs points de vue de la manière la plus virile qui soit. Par sa faute. Il se mordit la lèvre. Des larmes lui montèrent aux yeux, qu'il effaça d'un geste rageur et dégoûté. Les caprices émotionnels devaient cesser. C'était pathétique. Il était pathétique. Il fallait qu'il se reprenne, ça n'était pas le moment pour ça. Un nouveau cri de l'autre côté de la porte. Il ne voulait pas qu'ils se battent. Non, il ne fallait pas que ça continue ainsi, sinon, tout ce qu'il tentait de construire peu à peu depuis tout ce temps risquait de disparaître. Il fallait qu'ils continuent à s'aimer, et à construire leur pan de l'histoire. Shura et Angie devaient vivre pour connaître cette ère de paix sans le poids de sa maladie. Ils l'avaient mérité. Ils s'étaient bien battus. Deathmask avait fauté, c'était vrai mais il s'était amendé. C'était bien sa seule consolation que de savoir qu'il payerait pour eux deux. Il devait s'assurer que les deux hommes resteraient debout après lui. Il ne fallait pas qu'ils se fâchent. Surtout pas. Jamais. Enfin… Pas trop du moins. Juste ce qu'il fallait pour être capable de communiquer correctement. Les deux méditerranéens devaient être heureux, pour toujours. Comme dans ces histoires complètement idiotes qu'il avait lues dans des livres empruntés à la Bibliothèque. Il leur souhaitait un bonheur sans fin, parce qu'il était absolument persuadé qu'ils pouvaient l'atteindre. Il devait tout faire pour qu'ils vivent après sa mort.

Sa mort…

Il écarquilla les yeux, et éclata d'un rire glacial qui résonna sur les murs en marbre, dans un écho froid et sans fin. C'était un rire sans chaleur, un rire sans bonheur, un rire de fou, et de malade. Ce qu'il était d'ailleurs. Un fou-rire. La tête rejetée en arrière, les cheveux coulant sur le sol, il se passa une main sur ses yeux desquels coulaient des larmes impossibles à arrêter, incapable de retenir l'hilarité qui s'emparait de son corps, de sa trachée, de sa gorge, alors que le goût du sang était toujours aussi présent. Les lèvres rougies et le regard fou, il continua à rire en fixant son plafond durant de longues minutes. Il se tint le ventre de douleur et d'hilarité, avant que ses bras ne retombent de part et d'autre de son corps. Il allait mourir. C'était absolument cocasse. C'était absolument et horriblement ironique. Son rire ne cessait pas. Et ses larmes non plus. Il n'eut pas la force de se fustiger de nouveau. Pas cette fois-là.

Dans le salon, les voix se turent. La dispute cessa. Par inquiétude pour celui qui rait sans joie.


« Dis Angie…

-Quoi ?

-Quand on s'est retrouvés… là-bas. Tu pensais à quoi ? »

Deathmask, occupé à caresser distraitement l'épaule d'Aphrodite après une longue séance de câlins plus ou moins crapuleux, se figea en entendant la question du Poisson. C'était étrange qu'il lui demande ça. Ils en parlaient déjà peu avant, mais depuis qu'ils avaient commencé leur relation à trois, le sujet avait complétement disparu de la table, sans y revenir une seule fois, même de manière détournée. Pour ne pas se rappeler de souvenirs douloureux, mais par-dessus tout, pour ne surtout pas risquer de mettre de nouveau le Capricorne de côté dans une conversation qu'il n'aurait pas pu saisir. Oui, mais justement, aujourd'hui, ce dernier était absent. Parti pour une mission depuis une semaine. Alors ça n'était pas si étonnant que Dite lui en reparle maintenant. Il eut le réflexe de tendre la main vers son paquet de cigarettes, mais une tape sur ses doigts l'en dissuada, ainsi qu'un regard noir céruléen. Dite n'aimait pas qu'il fume dans leur lit. Ça l'énervait. Il n'en aimait ni l'odeur, ni l'horrible couleur des cendres. Il soupira, marmonna un peu dans sa barbe inexistante pour la forme, avant de se redresser légèrement, attirant le corps de Dite sur le sien. Appuyé sur son torse, les jambes de part et d'autre de ses hanches, le Poisson le fixait de son regard lagunaire, cherchant visiblement ses réponses dans celui bien plus terne de son amant. Deathmask soutint ces yeux aux nuances incroyables, et entama quelques caresses dans le dos nu du douzième gardien qui frissonna avant de se concentrer un peu. Deathmask finit par lever les yeux vers le plafond. Il grimaça. Il y avait des fissures. Ce Sanctuaire partait vraiment en morceaux. Une main sur sa joue le ramena à la réalité, et à la question de l'homme qu'il aimait. A quoi pensait-il ce jour-là ? A rien. Enfin, rien de trop important. Il n'était plus qu'un esprit après tout. Non même pas, plutôt une forme de résidu de cosmos conservé dans son armure et qui avait pris son apparence pour assurer un dernier front contre le mur des Lamentations. Il se souvenait s'être « réveillé » dans un espace noir et glacé, avoir légèrement paniqué et s'être agité pour sentir la présence de Dite à ses côtés. En réalité, c'était la seule chose à laquelle il avait vraiment pensé sur le coup et la seule à laquelle il accordait de l'importance sur l'instant.

Il avait vu l'esprit du Poissons à ses côtés, et ne s'était guère posé plus de questions. Ils avaient échangé un regard, avant de se tourner vers leurs compagnons d'armes. Il avait vu Dite serrer la main de Mû, auquel lui-même avait adressé un vague regard. Le Bélier n'y était pour rien après tout, il les avait même aidé à mener à bien leur tâche de lâches en les tuant aussi rapidement. Ni Dite ni lui n'avaient vraiment eu le cœur de frapper de toutes leurs forces. Et puis, le premier gardien était redoutable de toute façon. Tout concordait parfaitement. Ensuite… Il avait aperçu Shura, auprès de Saga et Camus. Leurs regards s'étaient croisés, et Dite l'avait vu lui aussi. Ils avaient échangé silencieusement des vœux qui n'appartenaient qu'à eux. Et une promesse également, qui mêlait leur désir le plus cher à d'autres, un peu plus capricieux. Shura était là-bas… Il allait mourir de nouveau, comme lui, pour s'effacer lentement de la surface du monde. Ce jour-là, il se demanda s'il lui serait possible de protéger le Capricorne. Même si c'était stupide, étant donné qu'ils étaient déjà « morts ». C'était la première fois qu'il ressentait une telle chose. C'était inexplicable. Néanmoins, il aurait vraiment voulu avoir le temps de lui tendre la main cette fois-là. De lui demander de leur pardonner, à Dite comme à lui, de l'avoir mis de côté si longtemps, de ne pas avoir su lui dire qu'en réalité, il crevait d'amour pour lui. Que c'était aussi le cas du Poisson. Qu'il était leur seule raison d'être réellement autre chose que des tueurs. Car Deathmask et Aphrodite ensemble n'avaient pas le pouvoir d'être heureux. Bien évidemment que non. Ils étaient bien trop malades pour ça. Il leur fallait Shura. Mais l'intégrer à l'équation, c'était prendre le risque de le broyer sous leurs contradictions. Et ils ne se le seraient jamais pardonné. Un léger rictus, ressemblant vaguement à un sourire, c'était tout ce qu'il avait pu lui offrir. Mais c'était suffisant. Jusqu'à la prochaine fois. Jusqu'à dresser de nouveau leur étendard. Le Capricorne n'avait pas besoin de plus. Il avait compris. Tant mieux.

Et puis finalement… Il avait tourné les yeux vers ce mur gigantesque… et il avait senti un poids monstrueux glisser en lui. Soudain, face à cette incarnation même de ce qui les séparait des Dieux, et de la paix sur Terre, il s'était senti… faible. Et presque effrayé. Sans Dite à ses côtés, il aurait probablement hurlé de terreur. Même si ça n'était pas digne, même si ce n'était pas comme ça qu'un chevalier devait se conduire… Il en aurait été capable. Parce que cette forme gigantesque incarnait à ses yeux tous les obstacles qu'il n'avait jamais été capable de surmonter. Tous ses démons, toutes ses peurs, et toute la lâcheté dont il avait fait preuve jusqu'à ce jour se trouvaient face à lui. Comment était-il supposé réagir ? A ses côtés, ses frères d'armes malgré leur sagesse, malgré leur désir de protéger Athéna, malgré toute leur volonté, tous, ils avaient tous profondément l'air d'avoir les mêmes craintes que lui. Le seul qui semblait à peu près à sa place, c'était Dohko. Il ne l'avait pas vu trembler. Contrairement aux autres Ors qui, comme lui, tentaient de faire bonne figure face aux Bronzes pour qui ils devaient ouvrir la voie.

Il eut un sourire mauvais. Il ne pardonnerait jamais au Dragon. Il en était certain. Pas de l'avoir tué non. Mais d'avoir osé toucher à Shura. Il savait très bien que Dite ressentait la même chose que lui. Mais ça n'était pas le moment pour ça : les deux tueurs du Sanctuaire devaient prouver leur fidélité envers Athéna en se jetant sans la moindre hésitation contre ce mur tellement imposant qu'il lui donnait envie de vomir. Il n'était pas tout à fait sûr de vouloir faire ça, ou même d'être être prêt. Il savait parfaitement que c'était pour cette raison que son… âme ? Etait revenue ici. Inconsciemment, il avait probablement eu le désir profond de se racheter avant de faire le saut final. Mais maintenant qu'il se trouvait là… Il lui venait l'envie égoïste de tuer le Dragon sur place, peut-être même de cogner Andromède, et de prendre les mains de Dite et Shura pour s'enfuir. Mais ils n'iraient nulle part ainsi. Evidemment. Ce n'était pas leur destin que de finir ensemble. Ils avaient une tâche à accomplir. Une tâche qui n'attendait qu'eux. Aioros avait pris sa flèche et s'était mis en position. Ses doigts avaient cherché ceux de Dite, une dernière fois. Pour ne pas mourir seul. Surtout pas. Et pour ne pas laisser l'autre disparaître dans cet éclair aveuglant sans être à ses côtés. Ils avaient concentré leur cosmos, et prié pour l'âme de Shura. Pas pour la leur non, ils n'étaient pas naïfs à ce point. Mais pour celui qu'ils aimaient tous les deux… Ils pouvaient bien sacrifier leur dernière pensée.

Se concentrer, et sentir la chaleur les envelopper. Autour d'eux, un éclat doré étincelant, qui avait fini par devenir aveuglant. Ils avaient donné toute leur puissance à Aioros, avant que ce dernier ne tire la flèche dans cet immense Mur face à eux. Un silence, de quelques secondes, où ils s'étaient vaguement demandé s'ils avaient échoué. Et puis… Une immense onde de choc les avait balayés, emportant avec elle leurs souvenirs, leurs idéaux, et leurs espoirs, avant de réduire leurs corps en poussière. Il avait mal. La souffrance qu'il avait ressentie à ce moment-là n'avait aucune comparaison possible. C'était horriblement douloureux. Comme si on lui arrachait l'âme. C'était peut-être le cas en fin de compte. Une fin… Détonante et un peu pathétique en même temps. Il n'aimait pas trop se rappeler de tout ça. Parce le dernier souvenir qu'il avait de ce moment-là, c'était la vision des corps des hommes qu'il aimait en train de se désintégrer violemment, dans une expression totalement indéchiffrable mais légèrement souffrante. Et ça… C'était probablement la pire chose à laquelle il n'aurait jamais pu penser.

« Angie… ? »

Un contact froid sur sa joue. Et ce bleu magnifique qui n'appartiendrait jamais qu'à Dite. Dite qui s'inquiétait visiblement de son absence de réponse, mais également de sa respiration un peu trop rapide, et de son expression légèrement douloureuse. Il ne se souvenait pas s'être plongé à ce point dans ses souvenirs. Sa main droite vint trouver sa place dans la masse opulente de son amant, serrant quelques mèches bien trop fort entre ses doigts avant de plaquer ses lèvres contre les siennes, ravageant dans un baiser affamé cette bouche qu'il aimait bien trop pour sa propre santé mentale déjà largement sujette à caution. Si Dite fut surpris, il n'en laissa rien paraître, et se contenta de répondre avec la même ardeur à son baiser, lui mordant même la lèvre inférieure dans la démarche. Dite répondait avec une passion merveilleuse, plaquant Angelo de toutes ses forces sur les draps, penchant la tête sur le côté pour approfondir encore le baiser. Pour lui montrer qu'il n'était pas seul. Et qu'il ne s'en tirerait pas sans lui répondre également. Deathmask joua un moment avec la langue agile et taquine du Suédois, profitant de cette caresse aussi humide qu'elle était brûlante. Il adorait les baisers du douzième gardien. Même s'il ne lui disait jamais, bien évidemment.

Il le sentit se redresser légèrement, et grogna un peu. La position était suffisamment équivoque sans en rajouter, et il était toujours incapable de résister au corps de son amant. Qui était parfaitement au courant d'ailleurs. Les mains de part et d'autre du visage du Cancer, sans jamais rompre leur baiser, Dite avait commencé à mouvoir son bassin, lentement, mettant leurs corps plus en contact qu'ils ne l'étaient déjà, leur arrachant quelques sons honteux. Deathmask grogna. La sensation du corps anguleux de Dite juste … Bon sang, ça n'était pas humain… Les mains de l'Italien glissèrent sur le dos du Suédois, l'encourageant doucement. Il ferma les yeux, et profita de toutes ces sensations, incapable de réaliser qu'elles risquaient de disparaître à jamais. Non, il ne voulait pas y penser. Dite ne pouvait pas mourir. Il n'en était pas question. Sa prise se fit plus ferme, presque douloureuse sur les hanches du Suédois qui rompit le baiser pour lui mordre le cou violemment. Ça ne se faisait pas après tout ! Mais le Poisson revint finalement coller son front contre le sien, frôlant ses lèvres des siennes également, cherchant toujours sa réponse dans les yeux cobalts. Dite était têtu. Et alors même qu'ils étaient partis pour faire l'amour de nouveau, il désirait toujours sa réponse. C'était important pour lui, sans aucun doute. Il lui mordit la lèvre supérieure, l'ouvrant très légèrement, et vint y aspirer lentement le sang qui coulait, malgré les protestations de Dite. Deathmask n'avait pas peur. Cette chose ne le tuerait pas lui. Elle n'en avait pas le pouvoir. Et si seulement elle en était capable… Mais non, c'était bien pire : elle tuait Aphrodite. Et même s'il devait être contaminé à son tour… Ce serait un réel soulagement pour lui. Il était toujours lâche. La possibilité d'une existence où le Poisson n'était plus là le terrorisait. Alors mourir serait sans doute bien mieux…
Il finit par plonger entièrement son regard dans celui du douzième gardien, et, alors qu'il se glissait lentement en lui, ses doigts enserrant fortement ses hanches pour contrôler sa descente, alors que la respiration de Dite se bloquait sous le plaisir, alors que leurs bouches n'étaient qu'à quelques millimètres l'une de l'autre, il lui offrit la réponse qu'il attendait tant :

« Donnez-nous une autre chance. Je ne veux pas mourir. Pardon de ne pas avoir compris. Pardon de t'avoir laissé décider pour nous. Ce jour-là Dite, la seule chose qui tournait dans mon esprit, c'étaient mes regrets. Pour vous deux. Et mon espoir complètement dingue.»

Au-dessus de lui et sur lui, Aphrodite s'était figé. La bouche entrouverte, une mèche collé sur ses lèvres, il sembla réaliser ce qu'il venait de lui dire. Ses gémissements avaient cessé, et il avait plongé de nouveau son regard dans le sien, cherchant à savoir s'il lui disait la vérité. Oui. Le corps entier de son amant lui hurlait que tout était vrai. Le douzième gardien vint poser son front sur le torse de son amant en serrant les dents, les doigts crispés sur les draps, les épaules agitées par quelques soubresauts honteux. Les larmes qui commençaient à couler sur son visage et sur le torse de son amant le mortifiaient. Il avait décidément de plus en plus de mal à masquer ses émotions, et ça lui devenait intolérable. Les bras du Cancer vinrent l'entourer pour le plaquer fermement contre lui, le cachant au reste du monde, comme pour lui dire que ça n'était pas grave. Pour le rassurer aussi. Pour le protéger de tout le reste. Entre les draps, Dite n'avait pas besoin d'être quelqu'un d'autre. Il n'avait pas besoin de se faire agressif, moqueur, ou souriant. Il pouvait faiblir. Ils ne lui reprocheraient jamais.

Ils restèrent silencieux un moment, jusqu'à ce que Dite finisse par se redresser un peu pour bouger de nouveau lentement sur lui, les faisant gémir de concert dans la démarche. Un nouveau regard entre eux. Plus sauvage. Presque animal. Deathmask lui attrapa fermement les hanches et inversa leur position. Il ne voulait plus parler. Il voulait profiter du temps qu'il leur était accordé pour voir le magnifique visage de Dite céder au plaisir. Rien d'autre. Et s'il en jugeait par l'expression de son amant… Celui-ci partageait entièrement son avis. Le sourire mi douloureux, mi extatique du Poisson lui retourna le ventre, et il eut l'envie irrépressible d'effacer toute émotion autre que le plaisir du visage de l'homme qu'il aimait. Parce que cette expression lui devenait de plus en plus intolérable au fur et à mesure que le temps passait. Parce qu'il devenait de plus en plus difficile de faire semblant. Pour Shura comme pour lui. Shura… Il eut une pensée pour lui au moment où Dite cria sous un de ses coups de reins. Il était temps que le Capricorne rentre. Ils avaient besoin de lui. Dite en particulier. La preuve, c'était qu'alors même qu'ils n'étaient que tous les deux et qu'il s'appliquait à lui faire oublier tout le reste, Dite continuait à gémir le prénom de l'Espagnol, y mêlant sien, dans une litanie merveilleuse qui le rendait fou. Et dans les yeux remplis de plaisir du Suédois, il y avait l'ombre de l'Espagnol.

Alors Deathmask leur fit l'amour à tous les deux. A Dite qui se tordait entre ses bras, et à Shura où qu'il soit.


Dite jouait. Siégeant au milieu de ses roses, les genoux dans le sol humide, et de la terre jusque sur le visage, une expression béate imprimée sur son faciès divin, il jouait. Shura ne voyait pas d'autre mot pour décrire l'activité à laquelle se livrait actuellement leur tiers qui, un sourire idiot aux lèvres, effleurait les corolles du bout des doigts en leur murmurant des paroles dans une langue qui leur était inconnue. De temps à autre, sa bouche venait frôler un bourgeon, lui glissant quelques syllabes douces, avant d'éclater d'un rire étrange, comme si la fleur lui avait faite un calembour particulièrement cocasse. Puis il reprenait son manège, passant ses ongles sur les pétales, murmurant des chansons dans une langue créée uniquement pour ce jardin, avant de sourire, puis de rire de nouveau, toujours avec cet timbre très particulier, et parfois inquiétant qui les faisait frémir et les inquiétait en même temps. Deathmask, assis sur une chaise de jardin qui avait connu des jours meilleurs, observait les mouvements élégants du Suédois, une cigarette au bec malgré les regards réprobateurs de Dite qui craignait pour ses monstruosités végétales. Le Cancer lui avait rétorqué qu'entre le feu et ses roses, il était persuadé que ces dernières gagnaient par K.O. Sans le moindre doute. Dite avait grommelé pour la forme, mais le quatrième gardien avait bien vu son petit sourire en coin. Il était fier l'enfoiré.
Shura, pour sa part, bouquinait vaguement, allongé sur un rocher plat qui brûlait sous le soleil de Grèce. Le livre avait des allures de vieux parchemin, avec sa reliure de cuir, et ses pages jaunies Sûrement une antiquité piqué chez le voisin du dessus ça. Bon, après tout, ça n'était pas leur faute si Camus faisait office de bibliothèque nationale. A se demander s'il n'était pas mieux fourni que le Palais du Pope le français hein. Enfin bon. Les deux hommes ne s'étaient presque pas regardés depuis qu'ils étaient arrivés là deux heures plus tôt.

Toute leur attention était pratiquement centrée sur Dite, qui, avec ses vêtements complètement irrécupérables, sa chevelure emmêlée, et la manière dont il se frottait frénétiquement le front pour en chasser la sueur –rajoutant une bonne dose de terre dans la manœuvre à chaque fois-, avait plus l'air d'un gosse dans un bac à sable qu'un chevalier d'Athéna de près de vingt-sept ans. Néanmoins, en dépit du sourire indulgent du Capricorne, et du rictus un peu moqueur du Cancer, les deux hommes pensaient en réalité à autre chose. Ce qui retenait le plus leur attention, c'était le sourire fou de Dite s'amusant dans son parterre de fleurs monstrueuses. Et ses rires qui sonnaient faux. Ils connaissaient l'homme qu'ils aimaient par cœur. Ils avaient appris à l'observer, tout comme ils s'apprivoisaient encore eux-mêmes mutuellement au quotidien. Chacun d'eux connaissait chaque geste, chaque intention des deux autres au cours de la journée, lorsqu'ils ne restaient que tous les trois dans leur monde clos. Et s'ils n'avaient pas été eux-mêmes, le quatrième et le dixième gardien auraient sans doute laissé transparaître leur inquiétude face à la situation actuelle. Dite n'était pas dans son état normal. Ils avaient beau tenté d'endiguer la chose, parfois même de l'occulter, la réalité venait sans cesse les rattraper pour leur sauter à la figure avec une violence à laquelle aucun d'eux ne se serait attendu. Ce n'étaient que de petits signes bien sûr. Mais systématiquement, chaque fois que l'un d'eux se laissait aller à croire que Dite avait enfin miraculeusement guéri… Une nouvelle quinte de toux le prenait. Ou bien il faiblissait brusquement, sans aucune raison apparente. Dite et son sourire de sang… Dite et ses yeux trop bleus… Dite qui lui, contrairement à eux, ne se faisait aucune illusion… C'était à pleurer. Shura se trouvait particulièrement pathétique. Deathmask un peu plus réaliste. Mais dans des moments comme ceux-là, il avait tout simplement envie de croire que les choses s'étaient arrangées toutes seuls, sans intervention divine, et sans guerre à mener. Juste parce qu'un coin de son esprit avait envie de croire que la Nature réaliserait à quel point le Poisson était un homme qui méritait de vivre. Alors pour faire bonne mesure, il se moquait de leur comparse, juste pour le plaisir de voir l'étincelle joueuse dans son regard. Juste pour qu'il continue à vivre. Juste pour faire briller ses yeux encore un peu. Juste pour entendre ses réponses acerbes quelques minutes de plus.

Son attention fut détournée par le bruit d'un livre qu'on referme. Il vit Shura se lever pour s'installer les genoux dans la boue derrière le douzième gardien, s'attirant un regard curieux et méfiant de la part du Poisson. Deathmask observa avec une fascination presque malsaine les gestes du Capricorne, la façon dont il dégagea les cheveux turquoise sur une épaule opaline afin de lui embrasser la nuque, lui murmurant des mots que Deathmask ne pouvait pas percevoir de là où il était. Il eut la sensation que les frissons qui parcouraient le corps du Poisson remontaient également dans son propre corps. Le sourire fou de Dite disparut, s'étirant en une moue plus amusée et heureuse, avant qu'il ne se mette à glousser légèrement. Il se fit plus séducteur et tourna lentement la tête pour adresser une expression charmeuse à leur amant. Puis, sans prévenir, il embrassa à pleine bouche l'Espagnol tandis que ses doigts plein de terre venaient couler dans les mèches noires, les salissant en même temps, histoire de faire bonne mesure. Il ne lui laissa pas le temps de protester : le baiser se fit immédiatement sulfureux, violent, posé puis emporté de nouveau. Il vit les dents blanches mordre les lèvres sèches du dixième gardien, avant que le Suédois ne reprenne ses baisers enfiévrés. Le ventre de l'Italien se tordit. Ces deux-là allaient le rendre fou. Il aurait voulu avoir la volonté de détourner le regard de ce spectacle atrocement merveilleux mais il ne l'avait pas. Un rictus vint étirer son visage lorsqu'il vit les traces de boue dans la chevelure noire. Dite était un sale gosse, et à la manière dont il éclata de rire en entendant la réprimande du Capricorne, il en était visiblement parfaitement conscient. Son rythme cardiaque accéléra très légèrement en les regardant ainsi, Dite toujours en train de pouffer entre les bras d'un Capricorne désespéré. Il y avait quelque chose de complètement irréel dans cette scène. C'était plutôt rare qu'ils se retrouvent tous les trois de cette façon. Si ses souvenirs étaient exacts, et il était certain que ce soit le cas, ça n'avait pas dû arriver plus d'une vingtaine de fois cette année. L'un d'entre eux partait en mission quand l'autre revenait. Shura faisait le point sur lui-même quand Deathmask essayait de faire retomber ses pulsions meurtrières.

Quant à Dite… Ils avaient fini par en parler avec Shion. Qui n'était pas plus surpris que ça d'ailleurs, après tout, il avait participé à la guerre précédente, et puis au fil des années, ils avaient vu bien des chevaliers des Poissons défiler devant lui. Alors ils lui avaient dit, sans en parler à Dite bien évidemment, que l'état de leur amant se dégradait de plus en plus. Tant d'un point de vue physique que psychologique. L'un n'allait pas sans l'autre. Et si Dite ne se laissait pas abattre pour ce qui était de sa maladie, il avait néanmoins cessé de faire des efforts pour cacher le fait qu'il était littéralement un tueur. Là où Angelo semblait pour sa part faire des progrès dans ce sens-là, le Poisson se laissait lui de plus en plus rapidement glisser dans la démence la plus totale. Il ne fallait donc pas l'assigner à n'importe quelle mission, sous peine de créer plus de problèmes que d'en régler. Et empêcher Dite d'accomplir son devoir en tant que Saint était inenvisageable : Il aurait été intenable. Son honneur et sa fierté étaient restés intacts. Y toucher, ce serait condamner le Sanctuaire dans la seconde. Alors il fallait trouver un moyen de faire passer tout ça. Chercher des compromis. Négocier avec le Poisson sans en avoir l'air. Ils y étaient parvenus du mieux qu'ils pouvaient, mais ça n'était pas parfait. Ils ne savaient plus vraiment s'ils devaient craindre pour la vie de Dite lorsque ce dernier partait en mission car son état de santé se dégradait rapidement, ou bien prier Athéna ou n'importe quelle divinité un tant soit peu concernée par le sort des hommes en espérant que le Poisson ne provoquerait pas un carnage digne de Deathmask à l'heure de son adolescence. Parce qu'il en était capable. L'Italien était un psychopathe qui ne faisait pas dans la dentelle. Mais Dite, dans son espèce de vision artistique extrêmement douteuse était bien capable de tuer le triple de personne nécessaire, pour harmoniser son «œuvre ».
Il fut tiré de ses réflexions morbides par une attaque en règle de la part du douzième gardien, toujours logé entre les bras de la chèvre, s'appuyant contre son torse.

« Angie, je suis navré, mais tu n'es vraiment pas un cérébral. Quand tu réfléchis trop, tu as l'air idiot.

Et il lui souriait en prime cet enfoiré !

-Moi au moins j'essaye, espèce de fausse diva, grogna le Cancer d'un air peu amène.

-Dite, tu exagères, tu l'as ramené au stade de Neandertal primaire là… soupira tragiquement Shura.

-Oh flûte, tu penses que j'aurais mieux fait de me taire ?

-Je suis navré mais je crois que oui, souffla le Capricorne sur le ton de la confidence. Tous ses beaux efforts sont ruinés…

-Je ne vous dérange pas trop, ça va ? Gronda Deathmask en les fusillant du regard.

Ils reportèrent tous deux son attention sur lui. Et l'Italien sentit qu'ils allaient lui sortir une bêtise plus grosse qu'eux.

-Geuh ! répondirent en écho les deux abrutis qui se fendaient la poire face à lui.

-Et vous êtes fiers en plus ?

Deux sourires lui firent face cette fois-ci. Enfin, pour être tout à fait exact, il eut droit à un immense sourire Suédois, et à une expression franchement amusée Espagnole. De nouveau, il sentit son ventre se tordre violemment. Ces deux imbéciles auraient sa peau, ça ne faisait absolument aucun doute. Et le pire dans tout ça, c'était qu'il y consentait avec un masochisme presque touchant. Il se mordit la lèvre en observant l'air ravi de ses amants. Cette situation était tout bonnement complètement surréaliste. Ça n'était pas possible, il allait se réveiller. C'était un rêve complètement stupide…

-Angie, arrête je te dis ! Ça n'est pas fait pour toi !

-Il n'a pas tort…Ajouta Shura avec l'air de sucer un bonbon.

-Ah ouais…? »

Le quatrième gardien se releva brusquement, s'avança vers eux et prit deux poignées de boue à pleine main avant de leur envoyer dans la figure. Les deux autres, trop surpris pour réagir, ne purent que recevoir en plein visage le projectile qui leur était destiné, sous le rire moqueur du Cancer. Quelques secondes de silence suivirent, jusqu'à ce que Dite ne lui fauche les jambes, le faisant tomber de tout son poids sur le sol bourbeux. Il resta étalé un moment, les yeux écarquillés, le souffle coupé, et les vêtements complètement pourris à cause de cet abruti de Poisson trop sûr de lui. Un oiseau les survola. Il ferma les yeux, prit une inspiration avant qu'un rictus purement sadique ne vienne lui étirer les traits. Très bien… Ils voulaient jouer ? Ils allaient jouer ! Il se redressa et se jeta sur les deux fautifs, transformant leur après-midi de farniente en rien de moins qu'une bataille de chiffonniers dans la boue, où aucun d'eux ne se restreignit sa force, s'envoyant régulièrement quelques attaques vicieuses ou extrêmement mal placées, utilisant de la boue comme projectile s'il le fallait. Tous les coups étaient permis : les chocs violents comme les morsures tendancieuses. Dite s'en servait à outrage d'ailleurs, usant de son charme sans aucun remords, les caressant d'une main pour mieux les cogner de l'autre. Cet enfoiré n'avait aucun principe. Ça tombait bien : eux non plus. Ou du moins, pas en cet instant. Shura n'était pas en reste, leur offrant des baisers violents comme des coups de poings à couper le souffle.

Deathmask eut un sourire fou : c'était sans nul doute le meilleur entraînement qu'ils n'avaient jamais eu jusqu'ici. Il plaqua finalement le Poisson au sol, un bras en travers de sa gorge, affichant un air goguenard et très fier de lui, du moins jusqu'à ce que Shura n'arrive derrière lui et lui fasse une clé de bras monstrueuse, lui faisant perdre sa poigne sur le douzième gardien. Il ne dut de ne pas s'effondrer sur Dite qu'à la force de son bras gauche, solidement planté à côté du visage souriant du Suédois. Il tourna la tête pour adresser un regard noir à l'Espagnol. Il devinait le sourire complice que le Capricorne échangeait dans son dos avec le Poisson sous lui. Il grogna un peu pour la forme. C'était de la triche. La position était équivoque certes, mais douloureuse également. Et ils ne ressemblaient vraiment à rien présentement : Dite était couvert de boue de la tête aux pieds, les cheveux complètement couverts de terre et les vêtements déchirés. Et il était certain qu'il en était de même pour lui et l'autre toréador d'opérette derrière lui. Il soupira et secoua la tête d'un air navré.

« Vous êtes cons, vous le savez au moins ? »

Deux gloussements lui répondirent. Non mais de quoi avaient-ils l'air, franchement ? Ah, ils étaient beaux les tueurs du Sanctuaire. Et puis c'était quoi cette ambiance d'école de maternelle ? Aucun d'eux n'aurait jamais agi de cette manière en d'autres circonstances... Et s'il était le seul à être raisonnable, c'était que la situation était réellement critique ! Malgré tout, le sourire lumineux de Dite suffisait à le calmer. Le Suédois avait l'air tellement heureux que c'en était presque criminel. Il était sur le point de leur proposer d'aller se doucher, mais deux choses l'en empêchèrent simultanément. La première fut le genou de Dite, étrangement remonté à un endroit très délicat de son anatomie qui avait été déjà bien échauffé par leurs petits jeux de sales gosses. La seconde fut la sensation de la bouche de Shura contre son cou, qui lui mordit la nuque avec une violence rare et le fit gronder plus fort. Il interrogea du regard le Suédois, mais n'eut comme réponse que le sourire parfaitement équivoque du douzième gardien, qui en profita pour s'étendre de manière aguicheuse sur le sol boueux. Angelo ne savait pas comment il faisait ça, mais Dite était horriblement sexy ainsi. Même couvert de boue, les joues rougies par leur lutte, les cheveux dans tous les sens, et avec la tête d'un sale gosse en prime, Dite était magnifique. Beau à en crever. Il allait protester une dernière fois pour faire bonne mesure et parce que ça ne se faisait pas de s'envoyer en l'air à la vue de tous, mais un mouvement de hanches de Shura derrière lui l'en dissuada. Après tout… Leur réputation n'était plus à faire. Ou à refaire. Et si ces deux idiots voulaient jouer à ça… Il serait à la hauteur de leur défi. L'horrible pensée qu'ils n'avaient pas de temps à perdre lui effleura l'esprit avant qu'il ne la rejette au loin rageusement. Il se pencha pour venir mordre violemment le cou de Dite qui gémit, tandis que le Capricorne relâchait sa prise sur son bras pour se pencher par-dessus lui et venir ravager la bouche du Poisson de nouveau, lui tirant un gémissement ravi. Lorsque le baiser cessa, le même sourire lupin vint étirer les lèvres des deux tueurs du Sanctuaire. Finalement, Shura était peut-être lui aussi un peu fou. Un peu comme eux.

N'hésitant pas à traîner littéralement leur étendard dans la boue. Pour leur plus grand bonheur.


Au bout de quelques heures, alors qu'ils étaient tous les trois allongés à même le sol froid et humide et que leurs corps étaient encore brûlants, Dite se redressa très légèrement. Il les regarda tendrement, du moins autant qu'il le pouvait, et voulut esquisser un geste vers eux, avant de s'arrêter. Les deux autres, la respiration toujours erratique, l'interrogèrent du regard. Il eut un sourire magnifiquement tragique, et murmura lentement, si bas qu'ils lurent plus qu'ils n'entendirent ces trois mots abominables sur la bouche tant aimée :

« Je suis désolé. »

Ses lèvres étaient rouges, et son visage trop pâle. Il s'effondra. Pas au ralenti comme dans tous ces films idiots. Non. Violemment, et avec une véritable grimace de souffrance gravée sur ses traits.

Deathmask hurla. Et Shura ne réagit pas. Il en était incapable.


Le feu brûlait, dans cette arène vidée de ses combattants. Devant le brasier se tenaient seulement les onze Ors en armure, ainsi que Kanon, et Shion en tenue popale mais sans son masque ni son casque. Trop officiel. Trop décalé par rapport à la situation. Et il n'était pas question de cacher ce qu'il ressentait aujourd'hui, quand bien même il était le chef et la figure d'autorité du Sanctuaire. Les cinq bronzes étaient venus également, rapatriés par la Déesse dès qu'elle avait appris la nouvelle. Athéna se trouvait actuellement un peu plus en avant qu'eux, plus proche des flammes, avec un air absolument indéchiffrable sur le visage. Rigide, ses yeux glissaient sur le brasier, mais elle restait parfaitement impénétrable. Ne laissant transparaître ni peine, ni joie devant le terrible spectacle qui se tenait devant ses yeux. Comme si cela ne la touchait pas. Peut-être que c'était le cas pourtant, mais ça aurait été bien difficile à dire. Les chevaliers se tenaient pour leur part une vingtaine de mètres en arrière, observant le brasier gourmand d'un œil éteint, comme s'ils ne réalisaient pas réellement la situation. Parce qu'elle était incompréhensible. Et qu'ils n'arrivaient pas à réaliser ce qui se passait devant eux. Ce qui s'était déroulé derrière eux en réalité, et dont les conséquences se trouvaient présentement juste là, à quelques mètres.

Deux autres hommes se trouvaient un plus avancés que leurs camarades. Le Cancer, assis à même le sol, contemplait les flammes qui dévoraient le corps d'un homme qu'il avait aimé depuis qu'il était en âge d'avoir des souvenirs. Une cigarette à la bouche, parfaitement silencieux, il restait là, à observer le mouvement des flammes qui se nourrissaient de la chair de son amant. Shura pour sa part, se tenait raide comme la Justice à ses côtés, sans dire le moindre mot, lui aussi pratiquement indéchiffrable compte tenu de la situation. Deathmask ne hurlait pas. Shura ne pleurait pas. Ils contemplaient tous deux la fin d'un être qui avait fait partie de leur vie pendant plus de vingt ans. Depuis qu'ils avaient posé un pied au Sanctuaire. Depuis qu'ils avaient compris que leur destin était scellé entre ces pierres. Depuis que Dite leur avait adressé son tout premier sourire. C'était le Poisson qui avait insisté pour qu'on brûle son corps. Cette fois, ils avaient le temps de bien faire les choses, et il ne fallait pas prendre le risque que son sang n'empoisonne le sol sacré du Sanctuaire et abîme de sa maladie ce qui serait amené à y pousser. Surtout pas. Jamais plus. C'était ce qu'il avait dit. Alors ils avaient accepté sa demande. Et à présent, ils contemplaient son corps qui disparaissait, léché par ces flammes redoutables, pour se transformer en cendres. Et ne plus laisser de traces derrière lui. Dite s'effaçait lentement, horriblement devant leurs yeux. Et ils étaient parfaitement incapables d'y réagir. Il s'agissait pourtant de la dernière fois. Pour eux trois. Pour leur étendard. Mais ils ne pouvaient pas esquisser le moindre geste. Ils restaient là, tout simplement. A contempler bêtement l'anéantissement d'une part de toute leur vie. Ils auraient dû tendre la main, se brûler eux aussi pour sentir la douleur de la réalité. Mais ils n'étaient pas suffisamment courageux pour ça. Pas suffisamment courageux pour rompre le dernier engagement qu'ils avaient pris envers leur amant.

Dite s'était éteint la veille. Il avait souffert. Dire le contraire aurait été un mensonge. La rage au corps et le cœur fendu, le quatrième et le dixième gardien avaient veillé tant bien que mal le Poisson qui s'agitait dans son sommeil, dans une demi-folie à peine descriptible, secouant la tête de gauche à droite en pleurant. Le corps transpirant, les jambes agitées de soubresauts, gémissant à cause du poison qui lui dévorait le corps et l'âme, Aphrodite avait enduré le martyr. Ils n'avaient laissé personne s'approcher du lit où se tordait le malade. Il n'y avait plus rien à faire après tout, et les derniers instants de Dite et de leur histoire n'appartenaient qu'à eux. Il s'était bien battu. Quelques années. C'était déjà énorme. Quatre ou cinq ans de gagné… Sa mort n'avait rien eu d'héroïque ou d'admirable. Comme chacune des précédentes, avait-il murmuré lui-même dans un sourire cynique. Une existence faite de mensonges et de meurtres. Il avait honte. Mais il voulait qu'eux vivent. C'était important. Il l'avait répété un nombre incalculable de fois. Il avait pleuré aussi, parce qu'il avait peur de mourir. A présent que la vie s'éloignait, il était absolument terrifié d'imaginer le néant qui allait venir après. Et de s'y retrouver seul, bien évidemment. Deathmask lui avait murmuré que tout irait bien, qu'ils entretenaient de bons rapports avec Hadès. Il n'irait pas dans le Cocyte, que ce n'était qu'un passage douloureux pour… autre chose. Dite lui avait souri difficilement. Cette fois, c'était lui qui était trop naïf. Il leur avait dit des choses, à peu près sensées, et d'autres, beaucoup moins compréhensibles. Il avait demandé pardon, énormément. A ceux qu'il avait tués. A Shun. A Albior. A Mû. A Saga. A eux. A sa Déesse aussi. Et à d'autres noms qui leur étaient inconnus. Il était désolé d'avoir été un tel idiot. Mais il ne regrettait pas. Non, ça surtout pas. Parce que s'il n'avait pas été un chevalier, jamais il n'aurait pu les rencontrer. S'il n'avait pas eu un tel caractère, peut-être qu'eux ne l'auraient jamais remarqué. Ils étaient sa plus belle réussite, et certainement la seule aventure de toute sa vie qui avait valu la peine d'être vécue. Il leur avait fait promettre de rester ensemble. Il leur avait dit qu'il les attendrait, là-bas, quelque part. Il ne savait pas où malheureusement. Mais certainement pas à Elysion, même s'il en était désolé. Qu'il était navré de les avoir entraînés dans tout ça. Et qu'il aurait préféré qu'ils ne le voient jamais dans cet état lamentable. Mais c'était dur de rester fort, même dans un moment pareil. Il n'était pas comme eux, lui… C'était bien pour ça qu'il avait voulu rester à leurs côtés… Parce qu'ils le protégeaient mieux que personne. Mieux que ses fleurs même. Ses roses magnifiques qu'il aimait tant et qui avaient fini par le tuer… C'était étrange, non, qu'il soit incapable de leur en vouloir ? Mais à qui en fait… ? Il avait froid. Il avait toujours détesté ces temples trop grands. La température y était toujours glaciale. Ou bien était-ce lui… ? Et finalement il leur avait demandé s'ils savaient à quel point il les aimait, figeant les deux hommes qui ne surent pas comment réagir. Dite avait posé un dernier regard sur eux.

Du sang sur les lèvres devenues trop pâles. Dite avait violemment serré leurs mains. Puis il s'était éteint. Comme ça. Son visage s'était figé. Avec une ombre de sourire sur la bouche, et un rien de souffrance gravé sur ses traits magnifiques. Ses yeux s'étaient légèrement écarquillés, avant de se voiler. Pour toujours. Et il n'avait jamais entendu la réponse des deux hommes de sa vie face à une déclaration qui n'avait jamais pris autant d'importance qu'en ce jour funeste. Les deux hommes étaient restés là, incapables de réagir. Incapables de comprendre. C'était Shion qui les avait trouvés ainsi quelques heures plus tard. Et qui avait appelé les autres pour s'occuper de la cérémonie mortuaire. Shura et Angelo, atones et tenant toujours les mains du douzième gardien, s'étaient contentés de fixer le corps de Dite. Immobile. Bien trop pâle. Sans vie.

Mort.


Aphrodite avait souri. De cet incroyable sourire qui n'appartenait qu'à lui, aussi beau que mystérieux. Il s'était avancé vers lui, pour lui glisser à l'oreille ce secret qui résonnait encore dans tête. Et il lui avait murmuré ces mots, à une époque si lointaine qu'elle semblait être un rêve :

« Non Shu'. Toi, tu es la rose blanche. La plus pure. Celle dont je ne me servirais jamais que contre des adversaires de valeur. Celle qui me protégeras toujours, jusqu'à la fin. Celle que je garde précieusement comme mon dernier atout. Tu es mon Salut Shura. N'oublie jamais cela. Tout comme Angelo sera toujours ma meilleure défense. Je sais que vous me sauverez, quelles que soient les circonstances.»


Et finalement, un hurlement retentit dans tout le Sanctuaire. Pas un cri de colère. Pas un cri de joie. Pas un cri de soulagement. Pas un cri de peur. Mais une plainte de douleur, telle qu'on n'en avait rarement entendu en ces lieux sacrés. Un cri de torture, un appel au secours, un chant de folie et d'incompréhension. Le son avait résonné entre les murs blancs, s'était propagé, retournant le ventre des personnes présentes et alentours, se répercutant à l'infini sur les pierres, créant un écho effrayant et d'une souffrance indescriptible. Un cri animal, qui n'avait pas de fond, pas de sens, pas d'explications autre que la perte d'un être aimé. Juste une plainte de souffrance face à une situation inexplicable.

Deathmask était à terre, le front contre le sol, plié dans un sanglot douloureux, les poings serrés, et la gorge bloquée dans un cri qui refusait de sortir. Ce n'était pas lui qui avait hurlé. Il en était incapable. Il laissait cela à Shura, tellement meilleur que lui pour laisser parler ses émotions, même en des circonstances pareilles. Sa réaction lui semblait tellement plus… humaine. Shura, à genoux et les yeux levés vers le ciel, hurlait sa peine, laissant éclater une douleur et des sentiments qu'ils s'étaient tous trois évertués à masquer depuis des années. Le regard fou et les yeux emplis de douleur, les bras devant lui paumes tournées vers le ciel, il sentit à cet instant que sa confiance envers sa Déesse venait de se briser. Il sut qu'il ne croirait jamais plus en rien. Que la Justice, telle qu'il en rêvait, et en parlait depuis des années, avait perdu tout son sens. Il avait tellement voulu y croire, il avait tellement espéré que toute cette histoire ne soit qu'un cauchemar, que quelque chose allait se passer, pour sauver Dite, le sauver parce qu'il ne pouvait pas mourir, pas comme ça… Ce jour-là, il posa un regard rempli d'une telle peine et d'une telle haine sur sa Déesse, que les autres se demandèrent un instant s'ils n'auraient pas à le retenir. Dans ses yeux noirs aux airs de poignard, il y avait une douleur et une incompréhension si grande qu'ils réalisèrent soudainement qu'ils auraient été prêts à le laisser agir. Mais Shura ne bougea pas d'où il était. Hébété, il resta là, sans comprendre ce qui se passait, des larmes coulant sur son visage aux traits anguleux. Il se passa frénétiquement la main dans ses cheveux sombres, et eut envie de rire, rire pour ne plus pleurer, avant d'agripper sa chevelure dans une poigne violente qui lui arracha sans doute quelques mèches. Le rictus de démence qu'il affichait n'avait rien à envier à celui que Deathmask tentait de masquer. Le regard fou, les deux hommes observaient le brasier emporter les derniers souvenirs de leur amour. Shura toujours à genoux, les yeux levés vers le ciel. Deathmask, les bras toujours au sol, les yeux posés sur le feu. Ils ne se tinrent pas la main, ne se soutinrent pas mutuellement non plus en se murmurant des mots de réconfort qui aurait été complètement vides de sens. Ils restèrent juste là, côte à côté, leurs corps se frôlant presque, condamnés à tenir la dernière parole qu'ils avaient donné à Dite : Vivre.

Vivre, parce qu'ils étaient encore deux. Vivre parce que le Capricorne et le Cancer s'aimaient eux aussi depuis bien longtemps. Et que c'était une raison suffisante au douzième gardien pour les condamner à rester en vie après lui. Visiblement, Aphrodite était incapable d'apprendre de ses propres leçons. Pourquoi n'avait-il jamais compris qu'ils n'étaient rien sans lui ? Sans sa présence pour apaiser les caractères redoutables des deux hommes, sans son sourire pour compenser leurs airs agressifs, sans ses mains pour griffer leurs corps… Malgré toutes leurs promesses, ils surent tous deux que rien, non, jamais rien ne pourrait raviver leur amour pour leur Déesse, ou pour d'autres divinités. Qu'en sacrifiant Dite sur l'autel de la punition, les instances divines s'étaient attirées la haine irrémédiable de deux défenseurs d'Athéna. Et cela, les autres le sentaient bien. Mais à présent, il était trop tard. Ils comprirent enfin que cette nouvelle vie qu'on leur avait accordée n'existait pas réellement. Elle n'était que le fruit de caprices divins, exactement comme le Poisson l'avait murmuré à Shura il y avait bien longtemps de cela. Et puisque Deathmask et Aphrodite avaient si mal agi au cours de leur vie, pourquoi devraient-ils accepter de leur pardonner en réalité ? Mieux valait les sanctionner pour l'exemple, et surtout, parce que leurs actes étaient impardonnables.

Le long sanglot d'adieu des deux hommes à terre continua de se répercuter longtemps sur les pierres nues du Sanctuaire, bien après que le corps ait entièrement brûlé, bien après que Shion leur ait doucement touché l'épaule en leur disant qu'ils emmenaient ses cendres, et qu'ils seraient libres d'en disposer comme ils l'entendaient plus tard. Ils n'avaient pas répondu. Ils n'avaient même pas compris sa phrase, ou ce qu'il voulait bien dire par là. Ils restaient simplement là, à attendre que Dite revienne. Parce qu'il reviendrait un jour, n'est-ce pas ? Leur amant ne pouvait tout simplement pas disparaître de cette façon. C'était impossible. Improbable. Shura et Deathmask n'existaient que parce qu'Aphrodite était à leurs côtés pour les aider, pour leur sourire, pour les secouer également. Où avaient-disparu ses baisers ? Ses cheveux ? Ses promesses ? Ses paroles tendres ? Ses caresses ? Les sensations de son corps brûlant contre les leurs ? Non, il ne pouvait pas disparaître. Un sourire fou vint étirer le visage du Cancer. Aphrodite allait bientôt revenir, et lui faire la morale parce qu'il était trop sanglant lorsqu'il tuait. Parce que sans Dite, il redeviendrait l'homme qu'il était avant. Le Poisson n'aurait jamais laissé une telle chose se produire, n'est-ce pas ? Shion et Athéna non plus. Ça n'était pas possible, ils avaient à cœur la protection du Sanctuaire, non ? Oui, bien évidemment, comment aurait-il pu en être autrement ? Dite allait donc revenir bientôt. Pour le serrer dans ses bras, et lui sourire. Il releva les yeux, et chercha du regard la chevelure céruléenne qui n'appartenait qu'au douzième gardien, sous l'expression glacée et terrifiée à la fois du Capricorne.

Ils étaient foutus. Evidemment. Il eut un sourire fou.

Comment Dite avait-il pu croire un seul instant qu'ils se remettraient de sa mort ? Qu'ils puissent ne serait-ce que l'accepter ? L'écho d'une conversation sur les marches menant au douzième temple revint au Capricorne. C'était vraiment ridicule. Et cocasse. Purement génial d'une certaine façon. Ils étaient condamnés à vivre. A vivre, bon sang ! Pure ironie, mordante et parfaite à la fois. Shura perdit l'esprit ce jour-là. A genoux dans le sable de l'arène, devant une fumée encore sombre, il sentit son âme se fissurer de nouveau. Mais de manière bien plus violente qu'autrefois. Il n'y avait aucune comparaison possible. Il avait mal. Non. Il était à l'agonie. Le monde perdit de ses couleurs ce soir-là. Le lendemain, le Capricorne ne vit plus qu'en noir et blanc. Et le Cancer en rouge. Rouge sang. Pour que l'histoire puisse donner raison aux Dieux. Pour que les chevaliers à venir comprennent la leçon.

Aphrodite était mort. Deathmask avait définitivement perdu l'esprit, et Shura sa foi.

Mais « Justice » était faite. Et c'était tout ce qu'on demandait.


Voilà, ce gros écrit sur mon trio se finit ici. Je vous remercie de votre soutien de nouveau. Cela me tenait vraiment à coeur, et je suis arrivée à le finir. Merci, vraiment.

A très bientôt pour un nouvel écrit,
Saharu-chan.