Bonjour à tous et à toutes, voici enfin la dernière partie de ce three-shot. Un ultime OS bien nostalgique et mélancolique (mon inspiration l'avait décidé ainsi). Sinon pour info le prénom de Dame Nature a enfin été dévoilé. Elle s'appelle Emily Jane et j'ai par la même occasion découvert pas mal d'informations nouvelles (notamment qu'elle a perdu son père à seize ans et non à dix ans comme je l'imaginais ou que l'Esprit des orages, Typhon, l'a adoptée). Bref qui sait je pourrais un jour écrire de nouvelles séries de OS autour du passé de la famille Pitchiner mais en suivant davantage les faits des livres (nous verrons!).

En attendant voici ma vision de l'histoire de ces deux personnages qui se conclut ici mais aura une continuité et une conclusion dans ma grande fanfiction Spirits of the Seasons. Mais sachez que Au creux des souvenirs, Mon père ce héros et Les larmes de Dame Nature sont tout à fait suffisant si vous voulez connaître l'histoire entre ces deux personnages. (tout du moins une des versions que j'en ai).

A savoir : Le Royaume de l'Imagination et de l'Insouciance, Amalthée, Tirésias, Iris, Pan, Baba Yaga, l'Esprit du Carnaval et tant d'autres apparaissant par petite touche dans ce dernier OS sont en revanche totalement sortis de mon imagination autour de ce fandom. Merci de me demander la permission si vous souhaitez les utiliser dans vos fanfics (si jamais).

Mais avant tout un grand merci à Abby, SoeRaven, Anima-Celesta, CharlotteOfraises, Tamalice, Naima et Eldaya pour leurs reviews ! Merci aussi à Krystal-Sama pour son ajout en alert de cette histoire.

Sur-ce je vous laisse découvrir cette dernière partie en espérant qu'elle vous plaira. Bonne lecture !

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Roi des Cauchemars


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Elle ressent les murmures des plantes, les gouttes de pluie roulant sur les nervures des feuilles, les fleurs laissant éclater leurs corolles dans une myriade de couleurs, les fruits s'égrenant sur les branches, l'écorce frémissante des arbres, les rayons de soleil sur la mousse et les roches, les insectes butinant le pollen ou courant entre les plantes, les oiseaux sifflotant sur les cerisiers, les animaux nageant entre les algues, se faufilant dans les bois, grimpant, rampant, chassant, feulant, contemplant, sautant…Tout n'est que vie. Bourdonnement, tourbillon et foisonnement de vie.

Elle ressent la vie qui parcoure dans des pulsations et des frissonnements chaque fibre de la nature. Ses doigts s'enfoncent dans la terre pour faire éclore des plantes, ses yeux versent la pluie sur le monde, son souffle repend vents et tornades dans son sillage et selon son humeur, son corps nuageux et éthéré choisi de cacher le soleil selon les besoins de la nature. Elle est les éléments, la nature, la vie. Cet essence, cette source, cet esprit indéfinissable et existant depuis des millénaires. Depuis l'effondrement de l'Age d'Or et la disparition progressive des Légendes dans cette réalité cotonneuse où les hommes ont oublié les merveilles et les mystères qui ont jadis peuplé leur univers.

Un voile sépare maintenant Esprits et Hommes. Chacun menant son existence sur cette terre et cette nature dont elle est la maîtresse absolue.

Dame Nature.

C'est ainsi que l'Homme de la Lune la nomma, faisant d'elle la reine des Esprits des saisons, des farfadets, des leprechauns, des satyres, des nymphes, des korrigans, des tanukis, des naïades…et de toutes autres créatures rattachées à la nature. Reine enveloppée de brume et de mystère mais dont le regard et la présence enveloppent chaque être vivant et chaque esprit.

On murmure, on colporte, on s'interroge sur elle. Presque personne ne sait rien sur elle. On prétend qu'elle est une privilégiée de la cour de l'Espace à qui Mim, l'héritier de la famille Lunanoff, a incombé la tâche de veiller sur la Terre après la fin de l'Age d'Or. Presque personne ne l'a vue. On sait juste qu'elle existe et veille sur ce monde. Observant de loin les tourments du monde et les troubles des cauchemars. Elle est neutre face à ces guerres et ces luttes. Ce qui compte c'est que le cycle de la nature ne soit pas perturbé dans sa course. L'équilibre de son immense jardin compte bien plus que les luttes entre Ténèbres et Lumières.

Enfin…pas toutes les luttes. Il y en a une qu'elle suit toujours de près. Une dans laquelle elle se permet toujours de donner un faible signe pour faire pencher la balance en faveur de l'un des partis. Une dans laquelle elle vient toujours offrir un discret réconfort impalpable avant de s'envoler vers les cieux pour rependre de ses paupières nuageuses ses larmes sur le monde.

La lutte entre l'Homme de la Lune et le Roi des Cauchemars est la seule digne de son intérêt.

Elle ne l'a toujours pas revu mais elle sait qu'il existe. C'est une certitude féroce ancrée dans son cœur, tatouant sa peau, bouillonnant dans ses veines.

Lorsqu'elle n'est plus que devenue songe. Lorsqu'elle a renaît sous la voûte étoilée et l'éclat de la Lune. Lorsqu'elle n'a plus fait qu'une avec la nature. Alors elle a su. Su que son père était vivant. Su que son essence se trouvait désormais rattachée aux ténèbres de ce monde et aux terreurs de l'enfance.

Une certitude impalpable et fugace mais un instinct certain. L'amour d'une enfant.

Elle l'a cherché pendant des jours, des années, des siècles. Sans résultat. Sans parvenir à saisir totalement cette ombre qui ondoie et se terre dans son royaume souterrain. Forme nébuleuse menant des batailles contre les Gardiens et l'Homme de la Lune. Fugitive présence dont elle sent l'aura sans pouvoir l'étreindre dans ses bras contre son cœur d'enfant.

Il ne la cherche pas, semble ignorer jusqu'à son existence, ne ressent sa présence quand il erre dans son royaume terrestre…et au fond cela lui est bien égal. Il est vivant. Il est là pour l'éternité à déambuler dans le monde et fomenter ses rebellions. C'est au fond plus que suffisant pour la petite fille qu'elle est. Pour cette femme au cœur d'enfant qu'elle est et sera toujours. Enveloppée dans l'élégance du chagrin.

Alors elle observe et agite parfois un doigt pour faire bouger la partie en faveur de son père. Geste fugace. Aide précieuse. Satisfaction enfantine.

Tant pis si il ne l'aperçoit jamais. Tant pis.

Il est vivant.

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—Ton cœur est noyé, murmure une voix enfantine derrière son dos.

Dans un froncement de sourcils Seraphina se retourne vers la petite fille et le vieil homme dont elle étreint la menotte. Les cloches de la cathédrale de Notre-Dame sonnent un chant funèbre dans la nuit sombre et silencieuse. A la faible lueur des étoiles blafardes, Dame Nature aperçoit les mèches cuivrées s'échappant de la tresse lâche de la petite, les couleurs estompées de sa robe en lin et rugueuse, le bandeau vierge de tout impureté cachant ses yeux et se perdant dans sa chevelure.

L'ombre de la surprise s'affiche sur son visage indifférent. Le vent fait voler ses cheveux sombres autour de sa silhouette souple et élancée, enveloppée d'une robe sculptant ses formes dans un bruissement de brume et un froissement de tissus mousseux donnant plus d'éclat à sa peau d'albâtre. Ses lèvres esquissent un sourire, amusées par cette étrange rencontre. Ses longues mains se perdent dans ses jupons, révérence d'une personne refusant de courber l'échine même devant des esprits puissants.

Le sourire du vieil homme s'élargit un peu plus sur son visage parcheminé et tâché par le temps devant l'élégante effronterie de Dame Nature. Ses yeux laiteux observent le monde sans le voir, semblant contempler des chimères lointaines et invisibles. Voûté, le vieillard s'appuie sur sa canne, où des motifs ancestraux sont gravés dans un entrelacement, poli par le temps et les caresses de la pulpe de ses doigts sur le bois d'olivier.

—Pourquoi mon cœur serait-il noyé, demande Seraphina de cette nonchalance royale qui lui colle désormais à la peau.

—Parce que depuis trop longtemps tu t'es laissée envahir par ton chagrin, répond la voix chevrotante du vieil homme.

—Il n'y a aucun chagrin. Juste une paix infinie et une douce sérénité qui me font me détacher des tourments futiles du monde ou de l'existence.

—La nature t'offre la paix mais tu choisis d'inhaler ton humanité par peur de la souffrance, réplique, d'un ton empli d'une sagesse millénaire, l'enfant.

—Qui êtes-vous, demande intriguée Seraphina.

—Amalthée et Tirésias. Les Esprits de la Sibylle et de l'Avenir, chante la voix fluette de la rouquine.

L'intérêt de Dame Nature devient soudain perceptible. Un sursaut de curiosité enfantine, enveloppé dans l'élégance de la femme maîtresse de ses émotions, transparaît dans ses yeux mordorés. Même immortelle, elle a toujours fuit le monde et l'effervescence de l'univers des Immortels. Les fêtes de l'Esprit du Carnaval, des Korrigans ou des bacchantes l'indiffèrent. Le Royaume de l'Imagination et de l'Insouciance ne reçoit sa présence que lorsqu'elle vient observer la nature onirique de cet univers. Les discussions entre la Fée des Dents ou Iris, la Messagère et l'Esprit de l'Arc-en-ciel, l'ennuient. Elle préfère le chant d'un oiseau, la beauté d'un bourgeon en éclosion, le fourmillement de vie de la nature à tout cet univers trouble et criard.

Elle n'aime que la compagnie des animaux et des plantes, tolérant parfois avec l'ombre d'un sourire et un calme indifférent la présence du Farfadet Irlandais, de Sanderson, de la bonne vieille Baba Yaga ou de Pan. Le monde, elle l'observe mais n'y prend jamais part.

—Ravie de vous rencontrer et que peuvent apercevoir dans mon avenir vos yeux, demande au bout de quelques minutes Seraphina.

—Beaucoup de mélancolie et de solitude. Enfermée dans ta tour tu protèges ton cœur d'un énième chagrin, chuchote Amalthée sous les frissons du ciel.

—Mais un sourire pourrait de nouveau illuminer ton visage lorsque le Roi des Cauchemars croisera ta route, achève Tirésias.

Dame Nature hausse un sourcil, affichant avec discrétion sa surprise sur son minois. Elle ne voit dans cette prédiction qu'une valse trouble de sens, multiples possibilités qui lui promettent des centaines d'incertitudes teintées d'amertume sur son avenir.

Le Roi des Cauchemars. Le Croque-Mitaine. Pitch Black. Kozmotis Pitchiner.

L'ombre d'un père devenu ténèbres et dont la présence se noie dans la noirceur des peurs. Il n'est qu'une fugitive présence qu'elle n'a jamais réussi à saisir entièrement entre ses doigts. Il se dérobe. Il n'est qu'une évidence lointaine, confirmée par le Tsar Lunar et son dévoué serviteur qui ont fait d'elle ce qu'elle est aujourd'hui.

Tout le reste n'est que brume. Au fond son immortalité est un retour dans le passé. Spirale de l'enfance où le jardin coloré devient le monde et où la présence de papa n'est qu'un souffle lointain affrontant la lumière des Gardiens. Comme autrefois. Sauf que ce n'est plus contre des cauchemars que l'on croise le fer.

Et il ne sert à rien d'attendre que papa ouvre le portail rouillé pour aller étreindre sa fille perdue dans ses rêveries jardinières. Parce que papa a oublié jusqu'à l'ombre de sa fille.

Mais il est vivant. Il existe. C'est une certitude qui offre des touches de couleurs à cette existence neutre teintée de nuances de gris sous le parfum enivrant de la nature.

Une moue vient troubler les traits de son visage, soufflant une grâce mutine à ses lèvres semblables à des pétales de rose. Éclairant ses yeux d'une malice enfantine qui s'était perdue depuis longtemps dans le labyrinthe des âges et des tourments.

—L'avenir n'est au fond qu'un mystère insoluble et baigné d'incertitudes. Le prédire ne fait que nous bercer de tristes chimères. Et le bonheur pour moi n'est qu'un doux souvenir d'enfance.

—Il se pourrait bien que tu sois surprise ma chère Séraphina, lui répond d'une voix douce la Sibylle.

—Peut-être bien et peut-être que non. Mais ne rien attendre vous offrira toujours la consolation de ne jamais être blessé.

Sur ces belles paroles pleine de philosophie mystérieuse et nébuleuse, Dame Nature s'estompe sous le bruissement du vent et l'odeur de résine. Elle disparaît comme un songe, fusionnant avec ses créations. Les seules à recevoir toute sa tendresse et des grappes de sourires entre une pluie nostalgique et un battement de paupière nuageuse.

Les cloches de la cathédrale sonnent sous la voûte nocturne, Amalthée et Tirésias perdus dans le silence de la ville. Marcheurs errants claudiquant à tâtons sur les trottoirs. Leurs yeux laiteux et ténébreux contemplant les fils des existences mortelles et immortelles se tisser sur la tapisserie de l'avenir.

Sous le parfum enivrant des roses.

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—Oh ! mon papa, si beau, si doux, si généreux. Oh ! mon papa que j'aimais son sourire, chantonne le petit garçon sur la balançoire.

Les chaînes de montagnes dressent leurs dents acérées et blanches vers le ciel, dominant de toute leur hauteur la vallée au vert pâturages. Le petit village est perdu entre une vaste forêt et une rivière vrombissante. Dans l'azur un avion de guerre survole les Alpes.

Seraphina regarde le petit rouquin rondouillard. Elle s'avance lentement vers lui, ses pieds effleurant la terre ocre et gravillonnée de la place. La fontaine chantonne dans des paisibles glougloutements sous la chaleur étouffante d'une journée d'été.

—Oh ! mon papa je trouvais au fond de ses yeux toutes les joies que les enfants désirent, continue de fredonner le bambin les yeux perdus dans ses souvenirs.

Dans un tohu-bohu chaotique un char passe sur le route principale avec une voiture pétaradant fièrement sous les couleurs de son pays. Le visage impassible Dame Nature observe cette armée envahissant et gangrenant la vallée. Seuls ses yeux dévoilent le fond de sa pensée, ses douloureux souvenirs faisant écho à la comptine de l'enfant.

—Il me prenait sur ses genoux, ah ! quel bonheur. Il me parlait et m'amusait des heures, poursuit toujours le petit en se balançant un peu plus.

Le soleil se faufile entre les feuilles du marronnier, projetant des ombres sur les visages du môme et de l'Esprit. Son regard passe au travers du corps de Seraphina, englué dans ses rêveries et dans son absence de croyance envers cette entité millénaire. Cela l'indiffère complètement. Elle se penche vers lui, un sourire fugitif sur ses lèvres tandis qu'elle effleure de ses longs doigts le visage de l'enfant. Dans un geste tendre et compréhensif. Soutien imperceptible d'un cœur comprenant les tourments de l'enfance et la nature de l'ombre pesant sur les épaules enfantines.

L'enfant a la sensation de ressentir un vent frais farfouiller dans sa tignasse et glisser sur sa joue. Fugace alizé.

—Oh ! mon papa, si beau, si doux, si merveilleux, il comprenait la moindre de mes peines, balbutie le garçon le menton soudain tremblant.

Les lèvres de Seraphina se contracte, sa main se figeant dans les airs, son souffle se stoppant alors qu'une vague de souvenirs vient toquer à la porte de son esprit.

« Que t'arrives-t-il Ina ? », demande Kozmotis en se penchant vers son enfant.

La petite sanglote entre ses poings, sa robe pervenche salie par la terre meuble du jardin. Les insectes crissent sous le soleil et le parfum musqué des plantes.

« Mon…mes…fleurs…Elles sont mortes. Je n'ai rien pu faire. », pleure Seraphina en se réfugiant dans les bras de son père.

Le général regarde les fleurs dévorées par les pucerons et gisant au sol. Tendrement il passe sa main dans la chevelure de sa fille.

« Ne t'en fait pas ma chérie. Je ferais payer à ces vilaines bestioles ce qu'elles ont fait à tes fleurs. Et je t'en offrirais des plus jolies à planter. », assure-t-il en essuyant son visage baigné de larmes.

Seraphina renifle piteusement, se mordant les lèvres pour étouffer ses sanglots.

« Ne t'en fait pas Ina. Je suis là tout ira bien. »

—Et il calmait mes larmes dans un seul baiser….Lui si gentil qu'il me manque aujourd'hui, achève du bout des lèvres l'enfant les joues striées de larmes.

Dans l'immensité de l'océan aérien les avions volent sous un vrombissement apocalyptique de moteur et d'hélices menaçantes.

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Doux mois d'avril. Paisible nuit voilée de nuages. Lune scintillante.

Elle glisse sur les trottoirs et vole au-dessus des toits, regardant les bribes de vie se déroulant à travers les fenêtres illuminées ou observant les passants déambulant dans le labyrinthe urbain. Les lampadaires et les néons projettent des lumières irréelles sur l'asphalte et les murs de bétons ou de briques.

Elle flâne et rêvasse dans Burgess. Songeuse, mélancolique et indifférente. Ses pas la conduisent finalement au sommet d'un immeuble où elle se pose pour contempler l'horizon, sa robe bruissant sous le vent. Frissons de l'herbe ou d'un ruisseau.

Ses doigts passent entre ses longs cheveux d'ébène et de ses lèvres s'échappe une vieille comptine teintée de nostalgie.

Tranquille solitude. Tendre rêverie.

Soudain un bruit résonne et brise la quiétude de la nuit. Des gémissements d'enfant entrecoupé de sanglots. Surprise elle baisse son regard et descend vers la fenêtre où les pleurs s'échappent. Elle entraperçoit, dans une chambre rose virant à l'ocre sous la lueur de la veilleuse, le corps d'une fillette potelée se tordant de peur dans ses draps.

Ses fins sourcils se froncent tandis qu'elle se glisse pour mieux observer les grains sombres qui tournoient au-dessus de la tête du chérubin. Elle les effleure du bout de la pulpe de ses doigts et sursaute lorsque ceux-ci sifflent d'un air menaçant et se métamorphosent en un étalon sombre piaffant de fureur. Cheval noir. Grains de sable ténébreux.

Une ombre de surprise voile ses yeux mordorés alors que son cœur est étreint par un sentiment trouble mêlé à une impatience fébrile. Elle s'enfuit, atterrissant dans la rue et observant les alentours. Ignorant les hennissements de colère de l'animal sablonneux et ténébreux.

Dans la mer nocturne voilée d'îlots nuageux, la Lune éclaire la nuit de toute sa rondeur. Pendant quelques minutes elle cherche, scrute les alentours avant de soupirer de dépit devant le silence et la solitude qui l'enveloppent. Ses mains se crispent sous un rien de frustration en songeant qu'encore une fois ce n'est qu'une illusion ou un jeu du chat et de la souris perdu d'avance.

Elle reprend à contrecœur sa déambulation dans les rues.

Une voix doucereuse s'envole dans les airs. Au pieds d'un réverbère, dans sa longue robe sombre couvrant sa longue silhouette osseuse à la peau grisonnante, il se tient devant elle. Parlant avec l'Homme de la Lune qui contemple le monde de son éternel mutisme.

—Mon armée est prête. Ce n'est plus qu'une question de temps mon ami…mais toi ? Est-ce que tes Gardiens le sont ?

Des nuages recouvrent soudainement la Lune, exposant leur ventre noirâtre dans des grondements furieux. Une goutte heurte le pavé juste devant Pitch qui fronce les sourcils de surprise devant le changement soudain du temps. Les sens alertes il se retourne et ses yeux mordorés croisent ceux de Seraphina.

« Papa, vous êtes revenus ! » s'écrit la petite brune en courant vers le général se tenant sur le pas de la porte du potager. L'arrosoir tombe sous le choc du pied d'une fillette enthousiaste. L'eau ruisselle dans l'herbe miroitante, sous un soleil de plomb. Les rires aimants bruissent dans le vent.

Il sent les pulsations de son cœur se figer, une boule obstruer sa gorge sous le poids d'un sentiment inconnu qui provoque en son âme une colère indéfinissable. Une frustration amère qui le pousse à prendre une attitude défensive devant cette personne qu'il a l'impression de connaître sans parvenir à poser un nom sur son visage.

« Sois sage durant mon absence Ina. », dit le général dans son bel uniforme en caressant la tête de l'enfant. Un nœud bleu nuit se perdant dans sa chevelure sombre, symétrie avec ses grands yeux innocents.

Elle se jette dans ses bras, l'étreignant de toute ses forces.

« Je vous aime…Revenez vite papa ! »

Dame Nature frissonne comme une feuille en le voyant devant elle. Si réel. Des larmes roulent sur ses joues alors que les nuages se gonflent de plus en plus. Écho du trouble qui secoue son être.

« Non…Non…Papa ! »

Il est là devant elle. Vivant. Si différent. Mais c'est lui.

« Papa j'ai peur ! Ne me laissez pas…Ne me laissez pas s'il vous plaît ! »

Papa.

Paternel qui fronce les sourcils, disparaît dans un nuage de sable noir et plaque contre le mur la brune. Sa main enserrant le cou de sa fille sur laquelle il pose un regard menaçant.

—Qui es-tu, demande-t-il en appuyant ses ongles sur la peau d'albâtre de l'immortelle.

Elle écarquille les yeux, ses larmes continuant de rouler sur son visage alors que le ciel devient sombre et que des éclairs fendent les cieux. Il la soulève un peu plus, rapprochant son visage du sien comme pour tenter de retrouver dans ses traits ce souvenir perdu qui hante tant sa pauvre carcasse.

Il ne peut s'empêcher de frissonner en sentant les doigts diaphanes agripper son poignet. Supplique silencieuse pour desserrer son étau autour de sa prise. Ses lèvres minces sont fermement contractées, fureur contenue devant une incompréhension incessante et trouble. Lorsqu'il plonge son regard dans le sien, dans ses yeux si mordorés et comparables à ses pupilles, il a alors la sensation de l'avoir déjà rencontrée. De connaître cette jeune femme dont les émotions sont le reflet du temps. De revoir l'enfant inconnue troublant ses rêves sombres.

« Papa ! Je vous en prie ne me laissez pas…Ne me laissez pas toute seule ! »

Les doigts desserrent leur prise autour du cou de Seraphina qui prend une grande goulée d'air alors que la pluie tombe en une délicate bruine sur les buildings et les rues. Larmes du ciel se diluant avec les siennes.

—D'où vient cette souffrance mon enfant ? Pourquoi remplis-tu le ciel de tes larmes ?, susurre la voix de Pitch Black au creux de son oreille.

La pluie tambourine sur l'asphalte dans un rythme morne sous les halos des réverbères. Et dans une ruelle sombre dérobée aux regards, deux silhouettes immortelles se confrontent, invisibles aux regards des passants.

—Qui es-tu, redemande Pitch d'une voix éteinte et soudainement lasse.

Elle ne dit rien, se mordant les lèvres, incapable de dire ce mot. Ce simple mot. Papa.

Élégance discrète, douce nonchalance, paisible indifférence…tout semble s'être évaporé dans la nuit. Dame Nature n'est plus. En cet instant c'est la petite Ina qui sanglote sous les yeux de ce père qu'elle n'a jamais cessé d'aimer et de pleurer. Ce père qui ne se souvient plus d'elle.

Appuyée contre le mur, elle n'est plus qu'une enveloppe corporelle molle et sans force. Le monde se noie dans des teintes de noirs et de gris sous l'emprise d'une lourde lassitude.

Soudain un éclat doré vient lentement osciller sous ses yeux. Son cœur s'affole alors que son regard est hypnotisé par le médaillon doré qui pend au cou de son père.

L'enfant est penchée sur la table, un grand sourire sur ses lèvres alors qu'elle regarde le petit bijou entre les doigts de son père.

En son cœur elle peut y découvrir son portrait. Douce estampe au creux d'un écrin d'or. Des mots tendres sont gravés en-dessous le couvercle.

« C'est le bijou qui appartenait à maman ? », demande-t-elle.

« Oui. Il était à ta mère. C'était un cadeau…et maintenant que tu es à l'intérieur de ce médaillon je le garderais toujours sur moi. »

« Comme ça vous ne m'oublierez pas ! », s'enthousiasme l'enfant.

« Comme ça tu seras toujours contre mon cœur. », lui répond dans un tendre sourire Kozmotis.

Un sourire tremblant naît sur son visage sous le regard surpris du Roi des Cauchemars. Dévoilant un peu plus à chaque seconde les rangées de perles entre ses lèvres roses. Pitch a un geste de recul. Mouvement fugitif pour se protéger de cet éclat de joie irradiant sa carcasse habituée aux ombres de la peur et des ténèbres.

Seraphina sourit. D'un sourire qu'elle croyait oublié depuis longtemps alors que ses yeux contemplent le petit médaillon se balancer au cou de son père.

Pitch sent une boule se former dans sa gorge devant ce simple sourire. Crochetant la serrure des portes scellant une myriade de souvenirs qui viennent chatouiller son esprit dans un chatoiement de couleurs. Ils dansent devant ses paupières, éclat de bonheur lointain qui resteront à jamais obscurs pour lui. Et devant lui se trouve cette jeune femme. Cette jeune immortelle dont la tristesse semble s'être envolée pour laisser place à une joie soudaine et enfantine.

Il a la sensation de la connaître mais peut-être n'est-ce qu'un mauvais tour de la solitude qui hante chacun de ses pas. Illusion d'un cœur solitaire. Et pourtant.

« Papa ! Vous m'avez tellement manqué ! »

—Qui es-tu, murmure-t-il.

Les larmes roulent sur les joues d'une Seraphina souriante. Elle ne dit rien. Muette. Le cœur étouffé par un bonheur soudain et étourdissant qu'elle ne croyait plus jamais ressentir. Elle s'évapore. Disparaissant sous l'odeur de l'herbe fraîchement coupée et du parfum enivrant des roses.

Les doigts de Pitch ne saisissent que des fragrances et du vide. Seul dans la ruelle et sous la voute étoilée, il regarde l'endroit où se trouvait quelques minutes plutôt cette mystérieuse jeune femme.

Sa main glisse vers le médaillon qu'il garde toujours précieusement autour de son cou, quand bien même ce dernier n'évoque rien à sa pauvre mémoire en ruine. Il entrevoit à l'intérieur l'estampe de cette petite fille aux yeux d'un tendre bleu nuit et à la chevelure aussi sombre que la nuit.

Elle sourit.

Un sourire nostalgique et amer naît sur ses lèvres alors que la bruine se change en un rideau d'eau bruissant dans la nuit.

L'enfant se tient sur le pas de la porte, face à son père qui se penche vers elle pour l'étreindre de toutes ses forces. Une dernière fois avant le départ fatidique. Le petit médaillon doré se balance au cou du général.

« Je reviendrais très bientôt Ina. »

« C'est une promesse ? »

« Sur mon âme. »

Déambulant sans but dans le parc, Seraphina rit. De joie, de tristesse, d'amertume, d'espoir. Baignant son visage et Burgess de ses larmes. Un grand sourire illuminant ses traits.

Il ne l'a pas reconnu mais dans ses souvenirs elle revoit tressauter le médaillon doré au cou du Roi des Cauchemars. Alors elle rit de nouveau.

Bras écartés et tête en arrière.

Heureuse.

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—Maman d'où vient la pluie ?

— Jamie. Tu ne crois pas qu'il serait temps de dormir ?

—Oh s'il te plaît maman. Dis-moi et je te promets que je me coucherais vite. Je ne regarderais même pas si la Fée des Dents ou le Marchand de Sable passeront dans ma chambre !

— Bon d'accord. La pluie…vient des larmes de Dame Nature.

— Oh…et pourquoi pleure-t-elle ?

— Avant que la Terre naisse, il n'y avait que les Ténèbres. Les Grecs appelaient ça le Chaos. Et un jour la Terre est venue, sortant des entrailles des Ténèbres, puis ce fut le tour du ciel, du jour, de la nuit, du soleil, de la lune et des hommes. Dame Nature protège le monde et veille sur les plantes et les bêtes. Mais parfois elle pleure, laissant alors ses larmes éclater en de violents orages ou une forte pluie.

—Pourquoi ?

— Pare que ses parents lui manquent. Parce que les Ténèbres lui manquent. Mais la Nature ne peut vivre sans le jour, alors elle a dû faire son choix. Elle a dû choisir entre sa passion et sa famille. Alors parfois elle pleure pour évacuer le chagrin et la solitude qui pèsent sur ses épaules.

— …C'est triste.

— Oui.

— Et elle n'a jamais pu revoir sa famille ?

—Jamais…


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Dans les livres de William Joyce Sanderson est la véritable identité du Marchand de Sable, et ce dernier est un des proches de Seraphina avec Typhon.

Dans mes fics sur ROTG le serviteur de Mim qui a aidé Seraphina à devenir Dame Nature (cf chapitre précédent) est un OC qui aura une grande importance dans Spirits of the Seasons mais vous êtes libres de lui donner l'identité qui vous convient.

Dans la mythologie grecque Amalthée est la sibylle de Cumes qui vécut en même temps qu'Enée et qui aurait vécu pendant mille ans suite à un vœu demandé à Appollon. Tirésias est un aveugle de Thèbes et l'un des deux, avec Calchas, devins les plus célèbres de la mythologie grecque.

Et voilà la fin de cette histoire qui se conclut par les retrouvailles entre Pitch et Seraphina et un caméo de Jamie découvrant la légende de Seraphina...et par la même occasion le sens du titre de ce three-shot.

Je vous remercie de m'avoir lu. J'attends avec impatience vos avis et vos réactions. Etant définitivement fascinée par cette famille et cette relation vous pourrez certainement un jour revoir de nouveaux OS naître sur ces deux-là.

En attendant je vous remercie encore chers lecteurs et vous dit à bientôt.