- On est déjà en janvier... Noël est loin maintenant ! Et bientôt on devra travailler sur la Saint Valentin parce que février approche ! Il faut vraiment qu'on se dépêche !

- Je sais ! Mais c'est dur comme scène... Tori va vraiment m'engueuler si je foire encore... Ca fait déjà plusieurs fois que je la redessine...

- A-Ah Yanase-san ! Vous... Vous m'avez fais peur ! C-C'est gentil d'être venu nous aider finalement !

Comme prévu plutôt. Mais bon. Elle a l'air déjà suffisamment timide comme ça sans que je pinaille sur les détails.

Yuu referma donc la porte derrière lui, hochant la tête sans faire de commentaire. Il remarqua immédiatement que Chiaki le dévisageait, sans doute inquiet car il ne l'avait pas rappelé depuis l'altercation de la dernière fois. Mais par piètre vengeance, Yuu fit semblant de ne rien remarquer. L'assistante qui selon Chiaki avait un faible pour lui fit rapidement la conversation toute seule, lui permettant d'ignorer parfaitement son meilleur ami et ses regards anxieux.

Ce n'était pas forcément très sympathique pour la demoiselle mais... Il n'arrivait pas à réellement se concentrer sur sa conversation.

Pourtant, elle était plutôt mignonne. Et assez gentille, aussi. Mais Yuu était gay, malheureusement pour elle. Alors tant que la jeune femme ne lui avouait pas clairement son attirance pour lui, Yuu préférait simplement faire comme s'il n'avait rien remarqué. Mais contrairement à Chiaki - herm - il faisait en sorte de ne pas trop se rapprocher d'elle pour ne pas la blesser le jour où elle se déclarerait à lui.

On va dire que c'est ma petite vengeance de discuter avec elle alors que Chiaki s'inquiète de savoir si je suis en colère ou pas. Et puis comme ça, ce sera plus facile pour garder une certaine distance comme me l'a conseillé Kyô. Enfin... Ijuuin-sensei. Mais ce n'est vraiment pas le moment de penser à lui !

- Alors, c-c'est d'accord ?

- Euh... Ah euh... Oui... Oui bien sûr.

- V-Vraiment ? P-Parfait alors. Enfin ce ne doit pas être très important pour vous mais merci. Merci beaucoup.

Il eut soudainement la désagréable impression d'être... complétement perdu. Et de s'être fait avoir en beauté.

Mais bon. Elle vient de dire que ce n'était pas important, pas vrai ? Ca ne doit donc pas l'être spécialement. Enfin... Sans doute. J'espère. Qu'est-ce que j'ai bien pu accepter ? Bon j'y réfléchirai plus tard. Le boulot, le boulot et le boulot, avant tout !

C'était pour ça aussi qu'on le recommandait et l'appréciait au niveau professionnel. Quand il était là pour travailler, il évacuait les pensées parasites et évita donc d'y réfléchir pour se concentrer sur ce qu'il avait à faire. Il était hors de question d'être gêné dans son travail à cause de Chiaki ou le comportement étrange d'une des assistantes. C'était ce qu'il avait de plus cher maintenant que Chiaki l'avait repoussé, même s'il resterait toujours son premier amour et meilleur ami.

Hors de question de sacrifier son métier pour qui que ce soit, c'était une décision prise depuis longtemps maintenant. Comme tout bon japonais aimant son boulot plus que tout, il s'y rattachait un maximum lorsqu'il se sentait couler au niveau personnel. Cependant, quand l'assistante quitta les lieux, ses amies ne se privèrent pas pour lui rappeler qu'être dans la lune n'avait pas que des avantages.

En fait... Ça avait même de sacrés inconvénients.

- Ah vraiment, c'est vraiment merveilleux que vous ayez accepté de sortir avec elle ! Ne le lui dîtes pas, mais votre attitude stoïque lui faisait un peu peur... J'espère que vous conclurez ce soir !

- ...Pardon ?

- Qu'y a-t-il, Yanase-san ? Vous avez accepté de la retrouver pour dîner en tête à tête ! Vous ne l'avez pas oublié si rapidement, tout de même ?

- ...

...Quelle horreur. Mais qu'est-ce que j'ai fais ? Qu'est-ce que j'ai fais, bon Dieu ?! Je ne veux pas sortir avec elle ! C'est de ça qu'elle me parlait tout à l'heure quand j'étais dans les nuages ? La bourde... Yuu, t'es un bouffon, t'es en train de lui faire pratiquement autant de mal que Chiaki quand il prend ton amour pour lui comme une plaisanterie...

D'ailleurs son ami, toujours aussi naïf, finit de l'achever. Sans doute innocemment heureux que son meilleur ami tourne la page et se tourne vers quelqu'un d'autre que lui, il vint donc le féliciter par un "Vous irez très bien ensemble !" et un grand sourire ravi qui lui donna immédiatement envie d'ouvrir la fenêtre pour aller se jeter dans le vide.

Il faisait tout de travers en ce moment !

- C'est... Euh... Quel restaurant déjà ?

- Eh bien le Glam' ! C'est très chic là-bas et c'est juste au bout de la rue ! Faîtes un effort pour vous souven... Yanase-san, ne vous enfuyez pas !

Si. Parce que chercher à retenir Yuu à cet instant fut comme tenter de retenir une tornade. A ce moment-là, il dépassa sans aucun doute le record de vitesse mondial, voire celle de la lumière, complétement décontenancé par la tournure des événements. Si Chiaki lui avait appris une chose... C'était de ne surtout pas faire espérer les autres une relation, parce que ça faisait super mal !

Et lui la première chose qu'il faisait une fois rejeté, c'était reproduire le même schéma avec une de ses assistantes, sans le vouloir !

A croire que le sort s'acharne sur moi. Je suis quoi, un héro tragique destiné à souffrir et à faire souffrir en amour ?! Sérieux... J'ai même pas retenu son nom à cette fille ! Ça n'arrive qu'à moi ces choses-là ?!

Cependant quand il entra dans le dit restaurant et rechercha la jeune femme, en pleine panique, son regard ne se posa pas seulement sur elle... En fait, il se focalisa même sur la table d'à côté où un jeune homme, brun et aux grands yeux verts, était en grande discussion ; pour ne pas dire en train de mourir de rire à une blague d'un homme un peu plus vieux, au sourire charmeur, aux yeux bleus sombres et de longs cheveux noirs. Un homme qu'il connaissait parfaitement.

Bon, pas tout à fait parfaitement vu qu' ils ne se connaissaient que depuis très peu de temps, personnellement. Mais ça n'empêcha une colère sourde de monter lentement en lui, ses poings se serrant sans même qu'il ne s'en rende compte, comme si jamais la situation paraissait tout simplement... inacceptable et oubliant une énième fois la pauvre fille qui l'attendait sagement.

Qu'est-ce qu'Ijuuin-sensei fait ici ? Et ce mec... Ne me dîtes pas que c'est son Misaki, quand même ?!


Je ne sais pas... ce que je fous là.

Yuu avait effectivement décidé de dire à la jeune fille qu'il avait mal compris et de s'excuser en s'inclinant autant de fois qu'il le faudrait pour se faire pardonner... C'était vraiment ce qu'il avait décidé après s'être focalisé de nouveau sur elle. Pourtant... Pourtant son corps avait bougé tout autrement et il était désormais assis face à elle, un sourire crispé sur le visage...

J'aurais même pu utiliser l'excuse parfaite du "c'est pas toi, c'est moi, je suis de l'autre bord, eh oui, je suis gay" ! Je ne vois vraiment pas pourquoi je m'assois à sa table en lui souriant gentiment alors que je sais pertinemment que je ne sortirai jamais avec elle...

Mais bien sûr, ça n'avait aucun rapport avec la table voisine où étaient assis les deux... les deux... enfin où étaient assis Kyô et son invité. Aucun. Pourquoi ça en aurait un de toute façon ? Après tout, ils n'avaient couchés qu'une seule fois ensemble... Ce n'était pas comme si Kyô était Son petit-ami, Sa propriété, à LUI et à LUI seul, l'homme qu'il aime et avec qui il voulait passer tout le reste de ma vie...

...C'est pas du tout comme ça ! Bordel... Je le savais que j'étais pas fait pour les relations d'un soir !

Bien sûr, Yuu en avait eu quelques unes pour essayer d'oublier Chiaki... mais comme ça ne marchait jamais, il avait toujours fini par rompre. Sexfriend étant la relation amoureuse la plus aboutie qu'il n'ait jamais eu, il se sentait assez ridicule et avait du mal à comprendre lui-même d'où venait cette jalousie soudaine. Même s'il avait toujours été quelqu'un de possessif, il se doutait bien qu'ils ne sortaient pas ensemble alors... Ça n'aurait pas du avoir lieu.

- J-Je... Je suis contente que vous ayez accepté de sortir avec moi.

Aïe. Ça partait mal. Que répondre à cette pauvre fille ? Yuu tenta bien d'ouvrir la bouche mais sans savoir quoi lui répondre... Il ressemblait à un poisson hors de l'eau. Résultat assez peu glamour et satisfaisant, sans compter qu'il laissa échapper quelques onomatopées telles que "ba" "euh" ne voulant absolument rien dire... avant d'avoir de la chance dans son malheur parce que ce fut celui qui le faisait réagir stupidement qui choisit de les interrompre et de le sauver de l'embarras.

- ...Yanase-san ? C'est vous ?

On se tutoyait et tu m'appelais par mon prénom, la dernière fois.

Bien sûr, c'était un simple détail et Kyô avait sans doute réagi naturellement en l'appelant par son nom dans un milieu aussi classe que ce restaurant. Néanmoins ce détail le piqua au vif et lorsqu'il répondit, son ton fut assez peu... aimable et même presque agressif.

- Oui. Je dîne. Et je vois que... vous aussi, Ijuuin-sensei.

Yuu fit ainsi bien en sorte d'appuyer le vouvoiement pour clairement lui faire comprendre que ça ne lui plaisait que moyennement qu'il ait abandonné le tutoiement... Mais cet enfoiré... sourit. Oui, il souriait, sans honte ni gêne, rien du tout ! Alors qu'il était avec son Misaki et qu'il avait dit plus tôt qu'il maintiendrait de la distance avec lui pour l'oublier...

Tcht ! Sale menteur !

- Oh dans ce cas, vous voudrez peut être vous joindre à nous. Yanase Yuu, Takahiro Misaki... Vous nous présentez la demoiselle ? A moins qu'on ne vous dérange en plein rencart ?

Quel culot ce mec ! Son sourire l'énervant plus que tout, Yuu fut tenté de lui faire payer ses paroles en lui disant que oui, il était en couple avec la demoiselle et qu'il les dérangeait en plein flirt, même si c'était faux... Mais la concernée se ferait des idées. Et Yuu n'était pas assez cruel pour qu'elle s'illusionne par sa faute, déjà qu'il se sentait assez mal d'être arrivé jusqu'ici.

Alors il ravala sa fierté et, non sans gratifier Ijuuin-sensei et son Misaki d'un regard assassin, se contenta de la plate vérité.

Sans présenter "Mademoiselle"... Parce qu'il ne savait pas lui-même son nom ou même son prénom. Ce qui le mettait encore plus mal à l'aise au final. C'était quand même la honte de ne même pas savoir ça.

- Non. On sort juste ensemble comme deux collègues après le boulot.

Il préféra ignorer royalement l'air déçu de la jeune femme et lui fit signe de se présenter. Il apprit ainsi qu'elle s'appelait Kosuke Kaname et qu'elle fonctionnait en freelance également. Et si Yuu mima la totale indifférence, il se promit néanmoins d'être un peu plus attentif la prochaine fois sur les collègues qui flashaient sur lui. Histoire d'apprendre à leur dire rapidement qu'ils n'étaient pas faits pour être ensemble.

Dans l'ensemble, l'idée de rejoindre leurs deux tables pour dîner à 4 sembla plaire à tout le monde... Si on exclue l'aura menaçante émanant de Yuu à chaque fois qu'il regardait le sourire moqueur d'Ijuuin-sensei. A croire qu'il lisait en lui, savait pertinemment ce qu'il ressentait et riait ouvertement de ses sentiments... De quoi l'énerver plus que nécessaire.

Alors que ce Misaki et Kaname semblaient très bien s'entendre, Yuu se sentant au plus mal, ce fut le premier à sortir de table... ne supportant plus le silence et le sourire en coin de cet enfoiré d'auteur de manga pendant que les deux autres meublaient joyeusement sans se rendre compte de rien. Il pensait donc s'enfuir au plus vite de ce restaurant pour ne jamais y revenir mais visiblement... Y en avait un qui était décidé à faire de cette soirée un enfer.

- C'est plutôt impoli de ne pas raccompagner ton invitée...

- Si tu tiens tant à la galanterie, je te laisse le plaisir de prendre ma place. Je suis pressé.

- Pressé de t'enfuir en courant ?

- Ouais voilà, c'est ça, t'as tout compris. Allez, salut.

Pressé d'en finir, et pas qu'un peu, Yuu mourrait d'envie de le planter là... Seulement ça paraissait évident qu'Ijuuin avait plus de force que lui et quand il le retint par le bras, autant dire que ce fut peine perdue pour lui de chercher à se dégager de son emprise. Et vu qu'il lui avait balancé des regards menaçants toute la soirée, on ne peut pas dire qu'il était assez persuasif.

Et cette fois-ci ne fit pas exception... Grogner n'eut aucun effet sur lui et Ijuuin continua donc à le trainer sur plusieurs mètres.

- Où tu m'amènes ?

- J'ai quelque chose d'important à te montrer.

Et c'est donc contraint et forcé qu'il fut obligé de rebrousser chemin, encore mené par le bout du nez par l'auteur de manga qu'il insulta silencieusement sur tout le chemin.


- Ils doivent être partis maintenant... Pourquoi tu m'as ramené au restaurant ?

- Pour une fois, tais-toi et regarde.

Malgré s'être fait trainer tout le long du chemin, Yuu n'en restait pas moins curieux et pointa donc le nez vers la scène que désignait Ijuuin-sensei. Et Yuu avait raison, la jeune femme était bien partie, cependant, le garçon dont Kyô s'était entiché était encore là... et il discutait avec un autre homme désormais. Sans doute un peu plus vieux que Kyô mais tout aussi grand, les cheveux gris et portant un costume...

C'est quand il se retourna pour indiquer la sortie à Misaki que Yuu le reconnut. Et pour cause, sa photo apparaissait un peu partout en ce moment pour la sortie de son dernier livre. Il aurait été difficile de passer à côté.

Mais qu'est-ce que Usami Akihiko, le célèbre écrivain, pouvait bien faire ici ?

- Il est revenu chercher Misaki, déclara Kyô avec un ton amer, comme s'il lisait dans ses pensées. J'ai dû faire des pieds et des mains auprès de lui pour le revoir et lui dire que j'acceptais... qu'il soit amoureux d'Usami-san. Et qu'il ne le sera jamais... de moi.

Est-ce qu'il tentait de lui expliquer que ce n'était pas un rendez-vous pour le draguer mais, au contraire, mettre les choses au clair ? Ca expliquerait sans doute pas mal de choses. Enfin pourquoi est-ce qu'il prenait la peine de lui expliquer tout ça maintenant ? Il aurait senti sa jalousie ? Bon en même temps, Yuu avait tiré une tête de trois pieds de longs tout le long de la soirée, c'est vrai que ça lui avait peut être mis la puce à l'oreille...

- Attends, on... on peut pas rester là... C'est pas un spectacle que tu dois apprécier, je veux dire.

- C'est sûr. Mais c'est bien ce qu'il te fallait pour arrêter de bouder et faire ton grand jaloux, mmh ?

- Hein ? Mais j'étais pas jaloux. Tu fais... ce que tu veux.

Assez convaincant avec le regard fuyant, les joues empourprées et les bras croisés au niveau du torse. D'ailleurs Kyô ne parut pas spécialement persuadé par ses dires. Mais au moins, il se détourna de la scène des deux autres tourtereaux. Yuu y jeta néanmoins un dernier coup d'œil.

Misaki était visiblement en train de se disputer à voix basse avec le romancier, peut être pour éviter de déranger les autres clients du restaurant et parce que celui-ci avait fait quelque chose qui lui avait déplu. Alors le grand écrivain était aussi de ce bord et... sortait avec un adolescent ? C'est vrai qu'ils avaient l'air assez proches, enfin ça surprenait un peu l'assistant mangaka.

Suivant Kyô qui reprenait tranquillement son chemin, il eut la surprise de sentir une légère chaleur au niveau de sa main droite après quelques instants... Et il sursauta en constatant que Kyô venait de prendre sa main dans la sienne.

- On est en pleine rue ! Qu'est-ce que tu fous ?! Marmonna-t-il, tentant alors de lâcher la main qui retenait prisonnière la sienne.

- Je fais ce que je veux. C'est toi qui l'as dit tout à l'heure.

- Mais pas dans ce sens !

- Ah ? Pourtant il me semble bien que tu voulais me dire que j'avais le droit de sortir avec qui je veux.

Il se figea en l'entendant, fustigeant intérieurement sa soudaine tension en croisant le regard satisfait du jeune homme qui resserra encore un peu sa prise sur sa main. L'idée qu'il ait une telle emprise sur lui provoquait un drôle de sentiment entre la gêne et... la gêne.

- Qu'est-ce que tu sous-entends ? On ne sort pas ensemble.

- Vraiment ? Toujours pas décidé à me dire que tu tombes amoureux de moi ?

- Mais non ! Allez, lâche ma main !

- Non. C'est une bonne punition pour les gamins jaloux et butés.

Et c'est ainsi que sur tout le chemin du retour jusque chez lui, il dut endurer les regards des passants ainsi que les yeux emplis de fierté d'Ijuiin qui l'agacèrent au plus haut point. Mais dans le froid de l'hiver, il sentit encore longtemps la chaleur dégagée par sa main le réchauffer doucement, bien qu'il n'ait jamais été aussi perdu de toute sa vie.