Prologue
Scène 1 - Draco
Le ciel de Londres était grisâtre, ce qui n'avait rien d'anormal en cet après-midi d'octobre. Cette étrange lumière blanche des jours couverts agressait les yeux clairs de Draco Malfoy, qui les plissa en regardant autour de lui. Il était bien loin de Canary Wharf, le deuxième quartier d'affaire de la capitale. Il n'allait jamais autant à l'est de Londres. A vrai dire, les seuls endroits qu'il fréquentait dans la ville étaient le Chemin de Traverse, son cabinet coincé entre deux librairies sur Charing Cross Road et King's Cross. Il venait d'ailleurs de transplaner dans les environs, dans la petite ruelle où il était apparu avec Scorpius quelques semaines plus tôt pour sa troisième rentrée à Poudlard. Son cœur se serra à cette pensée. Les journées étaient longues sans son fils.
Draco rangea sa baguette dans une poche intérieure de son costume gris perle cousue à cet effet, et sortit un plan de la ville qu'il déplia en sortant de la ruelle. Il jeta un coup d'œil à sa montre. Il avait largement le temps d'arriver à son rendez-vous de l'après-midi.
Il se dirigea vers la bouche de métro la plus proche en déterminant son itinéraire sur la carte, puis la rangea pour sortir un ticket. Il marcha pour atteindre le quai de la ligne Nord en direction de Morden, les doigts crispés autour de la poignée de son attaché-case. Il avait horreur des transports en commun, et pire encore d'être coincé dans une boîte de métal sous terre. Mais c'était tout de même mieux que de se faire démantibuler par un transplanage raté.
Il y avait un monde fou sur le quai, et encore plus dans le métro, mais Draco réussit à se faufiler dans la voiture. Il était grand, ce qui lui permettait de respirer un peu plus confortablement que les moldus qui l'entouraient, se pressaient contre lui, mais le réconfort était moindre. L'air sentait la transpiration, la crasse et la pollution. Draco en était malade.
Il s'accrocha comme il le put à une de ces poignées en métal pour éviter de trébucher à cause des secousses du métro. Sa main était moite, ajoutant à la sensation que son corps ne serait plus jamais propre après cette expérience. Il faisait chaud, lourd. Il suffoquait.
Les stations passèrent, avec son lot de moldus entrant et sortant de la voiture. Draco pensait à son fils, et à la lettre qu'il avait reçue de sa part la veille. Scorpius semblait se plaire un peu plus à Poudlard cette année que les années précédentes. Il savait qu'il s'était fait un ami, et bien qu'il ne l'ait pas nommé, Draco savait qu'il s'agissait d'Albus Potter. Il sentit à nouveau son cœur se serrer, et il baissa la tête pour soupirer, les yeux fermés. Les enfants d'Harry étaient sans doute les seuls qui oseraient se lier d'amitié avec Scorpius. Non pas qu'il soit un mauvais garçon, bien au contraire. Mais le nom qu'ils portaient tous les deux n'avait toujours rien de recommandable. Plus de vingt ans après la mort de Voldemort, la famille Malfoy était toujours associée à son règne de terreur.
Draco s'était plus ou moins coupé du monde sorcier. Ses services d'avocat étaient presque exclusivement demandés par des moldus, et les seuls sorciers qui le sollicitaient étaient des personnes bien peu recommandables, qu'il renvoyait d'où ils venaient sans exception. Son nom était assez sali. Il était inutile de rendre la vie de Scorpius plus difficile en aidant des gens de la sorte, peu importe le nombre de gallions qu'ils proposaient.
Le seul sorcier qu'il voyait régulièrement était Lysander Maxwell, un détective privé d'une trentaine d'années qui lui demandait parfois conseil sur des questions juridiques. Il appréciait la discrétion de Draco et tirait partie de son expérience des vieilles familles sorcières pleines de secrets.
Un moldu lui donna un coup de coude dans le dos, le forçant à sortir de ses pensées. Une vague humaine tentait de sortir du métro, et il remarqua enfin qu'il était arrivé à London Bridge, la station où il devait changer de ligne. Il se laissa entrainer plus qu'il ne marcha en dehors de la voiture, puis emprunta les escalators. Il suivit les indications jusqu'au quai de la ligne Jubilee en direction de Stratfort. Il dût attendre quelques minutes avant de pouvoir prendre le métro, qui était tout aussi bondé que le précédent. Cette fois-ci, il était écrasé contre la porte, rendant son torse douloureusement conscient de la baguette qui était cachée dans la poche intérieure de sa veste. Il n'aimait pas l'avoir sur lui parmi les moldus. Il savait parfaitement que le Ministère de la Magie surveillait sa baguette, mais il ne pouvait pas se balader sans protection. Et il était hors de question de sortir de chez lui avec un révolver. Il aurait bien plus de mal à l'expliquer qu'un bout de bois dans sa poche, si la police moldue devait un jour le fouiller.
Il faisait toujours aussi chaud et humide, et Draco comptait sur son avance pour lancer quelques sorts de nettoyage lorsqu'il serait au calme. Il était hors de question qu'il se présente à Gordon Westwood dans cet état. C'était un client important, dont l'égo valait son compte en banque. Il l'avait eu plusieurs fois au téléphone, et lorsque Draco s'était étonné qu'un homme du gratin du monde financier londonien requière ses services, Westwood avait rétorqué avec humour que Draco était un Lord, et qu'il était bon d'avoir un Lord dans son cercle.
Un Lord … Draco ricana, l'estomac noué. Il n'avait plus de Lord que le titre. Bien sûr, il avait toujours le manoir, se refusait de vendre la maison dans laquelle il avait grandi - personne n'aurait voulu l'acheter de toute façon, mais il refusait aussi d'y vivre. Trop de choses s'étaient passées à cet endroit. De Lord, il n'avait pas non plus le coffre à Gringotts, la charge de travail de Draco ayant été légère pendant des années, le temps d'accepter qu'il ne ferait jamais affaire avec les sorciers, et le temps de se faire un nom et une clientèle chez les moldus.
Il vivait toujours dans le Wiltshire, dans une maison à l'écart de Trowbridge. Il y avait assez de terrain pour que Scorpius apprenne à voler, caché derrière des arbres imbibés d'un sortilège de Repousse-Moldu, et pour faire pousser quelques plantes qui servaient à ses potions personnelles.
Astoria n'avait jamais accepté ce niveau de vie. Leur mariage n'avait pas survécu au comportement de reclus de Draco, qui ne croyait pas qu'un quelconque effort de sa part pour sociabiliser avec d'autres Sang-Purs redore le blason de sa famille, ni à l'absence de Scorpius depuis son entrée à Poudlard. Elever leur fils avait été leur seul lien, et il s'était brisé moins d'un an plus tôt. Draco se sentait coupable de ne pas en souffrir. Mais il était soulagé qu'aucune autre douleur ne se soit ajoutée à la longue liste que supportait son cœur. La solitude, qui avait longtemps été une ennemie qu'il craignait, était maintenant une alliée réconfortante.
Il vivait au rythme des problèmes de ses clients et des lettres de son fils. Il lisait peu le journal, craignant que de vieilles cicatrices ne s'ouvrent à nouveau, et passait son temps libre à s'occuper du jardin, à voler, à lire et à peindre. Il doutait d'avoir un quelconque talent, mais il appréciait ces longs moments de calme et de concentration pendant lesquels il ne pensait plus.
Il arriva en vue de Canary Wharf, et descendit rapidement pour éviter de se faire écraser par la foule. Il prit la sortie la plus proche, souhaitant par dessus tout se retrouver à l'air libre. La vue de ces hautes tours donna le vertige à Draco, qui avait l'habitude des rues du centre de Londres, où il travaillait près de l'entrée du Chemin de Traverse.
Avisant son environnement, il marcha un peu jusqu'à repérer une ruelle déserte dans laquelle il s'engagea. Il sortit sa baguette, l'agita plusieurs fois pour se sentir plus frais et propre, puis la rangea avec un soupir soulagé.
Un peu plus tard, il était au pied de la tour de verre tinté de bleu qui abritait la société financière que dirigeait Gordon Westwood. Il passa le portique qui tournait sur lui-même, craignant d'être rattrapé par la vitre qui avançait dans son dos, comme à chaque fois qu'il traversait l'un de ces engins moldus. Il marcha jusqu'à l'accueil encadrée de plantes vertes, où travaillaient deux jeunes femmes et un agent de sécurité.
"Bonjour Monsieur, comment puis-je vous aider ?" Demanda l'une d'elle, une jeune femme brune d'environ vingt-cinq ans, qui battait des paupières comme si quelque chose s'était logé dans son œil.
"Bonjour, je suis Maître Malfoy, j'ai rendez-vous avec Mr. Westwood de Westwood Trust."
L'autre jeune femme, l'air plus professionnel, posa son doigt sur la liste qu'elle avait sous les yeux, pendant que la première observait Draco, sans aucune discrétion malgré son air timide.
"C'est votre couleur naturelle ?" Demanda-t-elle en ayant la décence de rougir. Parfaitement embarrassé, Draco la fixa une seconde, avant de tourner les yeux vers l'autre jeune femme.
"Dra … Draco Malfoy ?" Fit-elle en levant un regard incertain vers lui.
"C'est bien moi." Acquiesça-t-il, mal à l'aise. Son prénom déroutait toujours les moldus. Il évitait d'ailleurs de le donner.
"J'aurais besoin d'une pièce d'identité s'il-vous-plaît, afin de vous faire un badge visiteur."
Réprimant un accès de panique, Draco posa sa mallette et passa sa main à l'intérieur de sa veste pour prendre son "portefeuille" moldu. Il en sortit sa carte d'identité, pièce indispensable dans l'exercice de son travail. La photo avait presque dix ans. Il n'avait pas pris une ride, mais s'était coupé les cheveux depuis. Son apparence sur sa carte d'identité ne manquait pas de faire sourire les moldus, et de faire grincer les dents de Draco.
L'hôtesse d'accueil le regarda, puis sa carte, puis la souleva pour la regarder de plus près.
"Draco Lucius Malfoy … C'est français ?" Demanda-t-elle en tirant une carte magnétique d'un tiroir. Draco serra la mâchoire. Il avait toujours autant de mal à entendre le prénom de son père. C'était d'autant plus dérangeant qu'il sortait de la bouche innocente d'une Moldue, qui n'avait aucune idée que "Lucius Malfoy" avait sans doute tué beaucoup des siens.
"Oui." Répondit-il, laissant entendre à son ton qu'il appréciait peu l'interrogatoire. Mais la secrétaire se contenta de taper son nom sur son ordinateur, puis passa la carte magnétique dans une drôle de petite boîte.
"Voici votre badge visiteur." Fit-elle en le lui tendant. Ses noms et prénoms s'étaient imprimés dessus. Comment avait-elle fait pour imprimer quelque chose sur une carte aussi vite ? "Nous conserverons votre pièce d'identité le temps de votre visite. N'oubliez pas de venir la chercher avant de partir, et de nous rapporter votre badge."
Draco fronça les sourcils. Il n'aimait pas tellement qu'on garde ses papiers, et était presque certain que c'était illégal. Il afficha une moue ennuyée, mais attrapa tout de même le badge qu'on lui tendait.
"Westwood Trust est au 12ème étage. Adressez-vous à leur poste d'accueil pour votre rendez-vous."
Ce discours si formel allait très mal à une jeune femme de vingt-cinq ans dont les ongles étaient rose bonbon.
"Merci."
Il reprit sa mallette et avança vers les ascenseurs.
2ème scène : Albus Potter
Les Serdaigles de troisième année avaient l'après-midi de libre. Il ne faisait pas très beau en Écosse, mais la température était douce, et de nombreux élèves qui n'avaient pas cours s'étaient installés dans le parc par petits groupes. Certains lisaient sous les arbres, d'autres étaient assis près des rives du lac pour regarder le Calmar Géant, qui créait des ondes à la surface en remuant paresseusement ses tentacules sous l'eau. Des élèves de Gryffondor jouaient au football dans un espace dégagé, et criaient et riaient autant qu'ils courraient.
Non loin des remparts qui entouraient l'école, les élèves de première année de Poufsouffle et Serdaigle assistaient à leur premier cours de vol. Assis sur les marches d'un des accès au château, Albus pouvait voir Lily décrire des cercles à un mètre du sol, aisément installée sur un vieux balai de l'école. Leur cousin, Hugo Weasley, écoutait attentivement Madame Bibine en attendant son tour. Il ressemblait énormément à sa sœur, Rose, qui était comme Albus une Serdaigle de 3ème année. Plutôt que de le rejoindre, celle-ci avait préféré profiter de son temps libre pour écrire son essai de Potions à la bibliothèque. Ils avaient beau être cousins, Albus la considérait plutôt comme sa sœur, et Hugo comme son petit frère. Il était amusant de constater que trois d'entre eux cinq étaient des élèves de Serdaigle, alors que leurs parents, et la quasi-totalité de leur famille venaient de Gryffondor. Lily était à Poufsouffle et s'y était déjà fait de nombreux amis. Comme James, qui lui était un Gryffondor pur et dur, elle n'avait aucun scrupule à profiter du renom de leur père pour se lier d'amitié avec ses camarades de classe.
Albus était moins sociable. Il préférait rester en retrait, observant les liens amicaux qui se créaient et se détérioraient entre les membres de sa famille et le reste de l'école. Il était un observateur et trouvait ces interactions intéressantes. Mais il lui était difficile de se lier si rapidement avec de parfaits étrangers. Il avait du mal à accepter qu'on puisse s'intéresser à lui à cause de son père, et non pour sa propre personnalité. Bien sûr, il adorait son père, mais il n'était pas lui. Il était Albus Severus Potter, et n'avait rien à voir avec Albus Dumbledore, Severus Snape, et très peu avec Harry Potter. La ressemblance avec ce dernier était purement physique. C'était du moins ce qu'il pensait.
Il entendit des bruits de pas derrière lui, sans doute quelqu'un voulant profiter lui-aussi de cette douce après-midi. Mais la personne qui sortait du château s'installa à côté de lui, sur les marches, plutôt que de les descendre pour rejoindre le parc. Albus tourna la tête, et offrit un sourire à Scorpius Malfoy qui le lui rendit timidement.
"Salut Scorpius, tu as déjà terminé tes devoirs ?" Demanda-t-il en haussant ses sourcils bruns.
"Presque. J'avais besoin de prendre un peu l'air." Répondit calmement le garçon aux cheveux d'un blond presque blanc.
"Quelque chose ne va pas ?" Albus plissa les yeux, cherchant à lire l'expression de Scorpius. Mais celui-ci ne fit que sourire doucement et secouer la main dans un geste désinvolte.
"Tout va bien, j'aime beaucoup être dehors, c'est tout." Expliqua-t-il avant de détourner le regard des yeux verts d'Albus pour observer le parc. Il soupira, mais le jeune Potter ne sut dire s'il s'agissait d'un soupir de contentement ou de soulagement.
Il ne répondit pas et regarda à nouveau les Premières Années. Lily était retournée sur la terre ferme, et Hugo affichait le même air concentré que d'habitude lorsqu'il était sur un balai. Il n'avait pas l'air d'y prendre plaisir, mais Albus savait qu'il n'en était rien. Il était aussi bon que Lily, il était simplement plus prudent, au grand bonheur de sa mère.
"Lily et Rose se ressemblent beaucoup." Commenta Scorpius à côté de lui.
"C'est vrai, on dirait qu'elles sont sœurs" Acquiesça Albus en souriant.
Il était content que Scorpius se décide à lui parler de son propre chef. C'était un garçon solitaire et timide, un peu comme lui-même. Mais Albus avait sa famille près de lui. A Poudlard, Scorpius n'avait personne. Les premières fois qu'il était venu vers le blond, Albus devait admettre qu'une part de pitié l'avait poussé à s'adresser à lui. Personne ne voulait s'approcher d'un Malfoy, et bien que Scorpius semblait accepter cet état de faits avec résignation et philosophie, Albus ne pouvait s'empêcher de penser que ça devait être très douloureux. Mais la pitié n'avait pas été sa seule motivation. Scorpius était un élève brillant et aimable, et Albus le trouvait plus intéressant que la horde d'étrangers qui habitaient l'école. De plus, son père avait toujours insisté sur le fait que les enfants ne devaient pas payer pour les fautes des parents ou des grands-parents. Albus, James et Lily savaient parfaitement que lorsque leur père tenait ce discours, il parlait des Malfoy. Il ne faisait jamais allusion à eux devant leur mère. Elle ne les aimait pas du tout.
Albus s'était toujours senti mal à l'aise à cause de ce genre de désaccords entre ses parents. Mais Tante Hermione aussi disait que les Malfoy n'étaient pas mauvais, et que le traitement qu'on leur réservait était injuste. Oncle Ron ne disait rien. Cela voulait dire qu'il savait que sa femme avait raison, mais qu'il n'avait pas envie de le dire à voix haute. A trois contre un, Albus devait admettre que sa mère avait tort.
Il connaissait les origines de cette haine pour les Malfoy. Mais Draco Malfoy n'était pour rien dans les agissements de son père, et Scorpius encore moins. Il était trop cruel d'écarter ainsi un enfant de 13 ans, alors qu'il n'était même pas né à l'époque de Voldemort. Mais la rancœur et la haine étaient des sentiments tenaces. C'était du moins ce que son père disait.
"J'aurais bien aimé avoir des frères et sœurs..." Fit Scorpius d'une petite voix. Albus ne put s'empêcher de sourire en tournant la tête vers lui. Il était vraiment content que le garçon se confie ainsi à lui.
"Tu auras peut-être un demi-frère, ou une demi-sœur" Offrit-il en posant son menton dans la paume de sa main.
Scorpius garda les yeux dans le vague, l'air songeur. Il devait être difficile d'avoir des parents divorcés.
"Peut-être … Peut-être que ma mère se remariera." Il n'avait pas l'air de se sentir particulièrement concerné.
"Pas ton père ?" Demanda Albus. Il savait que Scorpius et son père étaient très proches. Ils s'écrivaient presque tous les jours. Albus écrivait tout autant à ses parents lorsqu'il était en première année, mais il n'envoyait plus qu'une ou deux lettres par semaine à présent.
"J'en doute." Répondit-il. Il baissa les yeux vers les marches et sa mâchoire se contracta. Albus comprit qu'il valait mieux changer de sujet.
"Qu'est-ce que vous avez fait pendant les vacances d'été ?"
Scorpius lui jeta un coup d'œil, et se redressa en souriant un peu.
"On a fait quelques randonnées en France. Les paysages sont magnifiques, mais il faisait un peu trop chaud … On a loué un chalet près d'une rivière, pour pêcher."
"Ça a l'air génial ! Vous êtes restés combien de temps ?"
"Deux semaines." Le ton de Scorpius était posé, mais ses yeux gris brillaient.
"Ça donne tellement envie … Ça devait être calme et reposant, des vacances parfaites !"
Scorpius rit de l'enthousiasme d'Albus et sembla prendre quelques couleurs au niveau des pommettes.
"Oui, c'était vraiment bien …" Son expression se fit rêveuse. "Surtout lire au bord de la rivière puis se baigner dedans."
Un silence confortable s'installa, pendant lequel ils écoutèrent les voix des élèves, le chant des oiseaux et le bruit du vent dans les arbres.
"Et vous, qu'est-ce que vous avez fait ?" Demanda finalement Scorpius.
"Oh heu, comme d'habitude … Toute la famille à la maison pendant presque tout l'été. Papa voulait qu'on parte en vacances tous les cinq, mais Maman n'a pas pu à cause du travail." Sa mère n'avait plus tellement l'âge de jouer au Quidditch, si bien qu'elle était devenue entraineuse de l'équipe nationale de Quidditch de Grande-Bretagne, un poste incroyablement prestigieux dans l'univers du sport sorcier, ce qui expliquait qu'elle ne puisse se permettre de s'absenter alors que la coupe du monde avait lieu dans quelques mois.
"Dommage …" regretta Scorpius.
"Oui … J'aurais voulu avoir des vacances au calme, les grandes familles sont tellement bruyantes …" Soupira Albus, qui leva ensuite les bras pour s'étirer. Scorpius se contenta d'afficher un petit sourire légèrement crispé et Albus se sentit instantanément coupable.
Scène 3 – Harry & Ginny
Harry se versa une nouvelle tasse de thé. L'eau était à peine tiède dans la théière à présent, mais ça ne le gênait pas. Il prit sa tasse et l'approcha de ses lèvres en posant à nouveau ses yeux sur le journal. Il aimait lire à quel point les nouvelles du monde sorcier étaient futiles depuis que les derniers Mangemorts avaient été arrêtés et jugés il y avait de ça bientôt dix ans. Il était d'un grand réconfort pour lui de ne plus se demander si des personnes qu'il connaissait étaient mortes. Il but paisiblement une gorgée de son thé puis reposa sa tasse sur la table basse. Il rajusta ses lunettes puis se frotta pensivement le menton en parcourant du regard la double-page "société" du Daily Prophet. Il reconnaissait quelques noms, mais n'était absolument pas intéressé par leur vie. Il cherchait un nom en particulier, et fut rassuré de ne pas l'y trouver.
"Harry ?" Appela Ginny depuis l'entrée.
"Dans le salon" répondit-il en repliant le journal, se sentant étrangement coupable. Il le posa sur la table puis appuya son coude sur le dossier du canapé, tournant légèrement son corps pour voir sa femme entrer dans la pièce. Elle lui accorda à peine un regard et se dirigea directement vers la table de la salle à manger pour y poser son sac à main. Son visage était fermé, ses lèvres pincées, et ses longs cheveux roux étaient légèrement en désordre.
"Quelque chose ne va pas ?" Demanda-t-il en fronçant les sourcils, hésitant à se lever pour la rejoindre.
"Non, ça va" Fit-elle presque froidement. Harry haussa les sourcils, n'en croyant pas un mot. Ginny semblait de plus en plus stressée ces dernières semaines. Il ne la voyait qu'en coup de vent, alors qu'il passait la plupart de son temps à la maison. C'était comme si elle l'évitait.
"Ginny, j'ai fait quelque chose de mal ?" Demanda-t-il sérieusement, se décidant enfin à se lever du canapé. Alors qu'il marchait vers elle, elle le regarda enfin, l'air presque surpris.
"Quoi ? Non, bien sûr que non."
"C'est parce que j'ai mangé toute la tourte à la viande de ta mère ?" S'autorisa-t-il alors à plaisanter en tendant les bras pour l'attirer contre lui. Elle ne résista pas, posa même son front contre son épaule, mais son corps était raide.
"Tu sais bien que je déteste cette tourte …" Fit-elle avec un petit rire, qui aux oreilles soupçonneuses d'Harry, avait l'air forcé.
Il décida de laisser tomber le sujet, et se contenta de lui caresser les cheveux pendant un instant. Elle portait le même parfum fleuri qu'elle utilisait depuis son enfance, et Harry inspira à plein nez avec une certaine nostalgie.
"On a reçu une lettre de Lily, elle est sur le bureau." l'informa-t-il en se détachant d'elle.
"Ah quand même ! Je croyais qu'elle nous écrirait plus que les garçons, je ne m'attendais pas à ne recevoir qu'une lettre par semaine …"
"Moi non plus. Mais je me dis qu'avec ses frères et ses cousins, elle doit se sentir comme à la maison à Poudlard."
"C'est vrai … Mais elle est toute seule à Poufsouffle."
"Et de loin bien plus sociable qu'Albus. Ne t'inquiète pas, elle dit dans sa lettre qu'elle s'amuse beaucoup." Sourit Harry en tendant la main pour remettre une mèche de cheveux flamboyants derrière l'oreille de sa femme.
"Des nouvelles de lui ?" Demanda-t-elle en s'écartant de lui pour fouiller dans son sac à main. Harry eut un pincement au cœur en la voyant s'esquiver, mais pas en lui mentant ensuite.
"Pas depuis hier." A vrai dire, il avait reçu un hibou de la part d'Albus en début d'après-midi, qui lui racontait qu'il parlait beaucoup avec Scorpius Malfoy ces derniers jours. Albus savait très bien que sa mère ne voulait pas entendre parler du fils de Draco, et s'était arrangé pour que sa lettre arrive lorsque son père était seul. Ce qui était le cas presque toute la journée, ces jours-ci.
"Ça veut dire qu'il se fait enfin des amis. C'est bien." Reprit Ginny en sortant un miroir de son sac. Elle se regarda dedans, sortit sa baguette et en deux mouvements, fut recoiffée et remaquillée.
"Tu ne restes pas ?" S'étonna Harry en appuyant sa main sur la table de bois ambré.
"Bien sûr que non. L'un d'entre nous a un travail, je te rappelle." Rétorqua sa femme en levant les yeux au ciel. Elle rangea son miroir et sa baguette, puis mit son sac à l'épaule. Harry ne répondit pas, se contentant de forcer un léger sourire à effleurer ses lèvres. Il n'aurait pas à nouveau cette discussion.
"Je vais chercher quelques papiers dans le bureau et j'y retourne."
Harry inspira profondément pour se retenir de dire quelque chose qu'il pourrait regretter, puis expira par le nez en se forçant à sourire.
"D'accord."
Ginny quitta la pièce et Harry put l'entendre monter aux escaliers pour entrer dans leur bureau. Il retourna s'assoir dans le canapé, posa ses coudes sur ses genoux et soupira avec la tête entre les mains. Il n'arrivait plus à parler à Ginny. Leur relation était tellement tendue qu'il était presque heureux de ne pas beaucoup la voir. Depuis que leurs trois enfants étaient à Poudlard, et qu'il n'y avait plus Lily pour leur rappeler qu'ils étaient des parents, une famille, Ginny était devenue distante, tendue, souvent désagréable et parfois colérique.
Pendant l'été, lorsqu'Albus avait par mégarde évoqué le fait que Scorpius et Rose se parlaient parfois, et que Scorpius avait l'air gentil, Ginny avait explosé, interdisant à leurs enfants d'adresser la parole à ce "fils de Mangemort". Albus et Lily avaient fini en larmes, James était sorti de table sans terminer son pudding, qui était pourtant son dessert préféré, et Ginny avait quitté la maison pendant une heure ou deux, laissant à Harry le temps de consoler ses enfants. Il avait été tellement choqué par cette explosion de colère qu'il n'avait pas su quoi dire pour la calmer. Choqué, et blessé aussi.
Il était heureux qu'Albus n'aie malgré tout pas abandonné son idée d'être ami avec Scorpius. Il savait à quel point il était difficile d'être dans le collimateur de toute une école. Ses enfants et leurs cousins étaient soudés, et pouvaient compter les uns sur les autres. Il lui était difficilement supportable d'imaginer le fils de Draco seul contre tous.
"J'y vais. A ce soir." Fit Ginny d'une voix forte mais monocorde en descendant les escaliers.
"A ce soir !" Répondit Harry, s'efforçant d'avoir l'air enthousiaste. Lorsqu'il entendit Ginny transplaner, il se laissa aller dans le canapé, la tête appuyée contre le dossier. Il ferma les yeux, le cœur serré. Heureusement qu'il avait rendez-vous avec Ron en fin de journée.
Scène 4 - Draco
En fin d'après-midi, Draco récupéra sa carte d'identité à l'accueil de la tour. Il sortit du bâtiment, content d'être de retour à l'air libre. L'après-midi avait été longue et douloureuse. Il avait appris que le père de Westwood avait connu Lucius Malfoy, et avait recommandé à son fils de faire appel à leur famille en cas de besoin. Père et fils aimaient avoir des Lords dans leur cercle.
Lucius Malfoy avait été associé dans une affaire Moldue. C'était une nouvelle qui étonnait à peine Draco. Son père haissait les Moldus, mais ne crachait jamais sur l'argent. Peu importe son origine. A la mort de son père, sa mère avait revendu toutes les parts que possédait Lucius. Draco n'avait jamais entendu son père parler d'investissement chez les Moldus, mais il se sentit idiot de ne pas y avoir pensé plus tôt.
Gordon ne voulait néanmoins pas de son argent. Il voulait plutôt lui en donner, pour l'aider à divorcer de sa femme sans avoir à lui verser la moindre pension. Draco n'était pas certain que ce genre de méthodes rentre dans son éthique. Il était fatigué de jouer au requin sans cœur avant même d'avoir commencé. A vrai dire, il était fatigué depuis Poudlard. Il avait dit à Westwood qu'il allait y réfléchir et qu'il le recontacterait. L'offre était alléchante, et il savait faire taire sa conscience une fois de temps en temps, mais il s'efforçait depuis vingt ans à vivre à sa façon, sans l'ombre et les préceptes de son père, et il avait peur d'y perdre un peu de son âme. Certains cas traités par les avocats de nos jours étaient de vrais Horcruxes métaphoriques.
Ayant hâte de retourner à son bureau, Draco trouva rapidement un coin sombre et transplana directement dans son entrée. Les protections magiques entourant son cabinet le laissèrent entrer sans problème, et il pénétra dans son bureau. Il posa sa mallette, se débarrassa de sa veste, et fit le tour du bureau pour s'écrouler dans son fauteuil.
Il ferma les yeux un moment, les mains croisées sur son ventre, puis passa ses doigts dans ses courts cheveux blonds, créant des épis. Un hululement le fit sursauter, et il ouvrit brutalement les yeux pour voir une chouette familière posée sur sa bibliothèque.
Il soupira, rassuré, et lui fit signe de venir. Elle décolla, ses ailes menaçant de faire tomber le cadre d'une photographie de Scorpius et lui faisant des anges dans la neige lorsque son fils avait six ans. Elle atterrit gracieusement sur son bureau, et tendit la patte. Draco décrocha le petit rouleau de parchemin qui y était accroché et lui caressa la tête. C'était une bonne chouette, d'un gris clair comme un nuage.
Contacte-moi par cheminée dès que tu auras ce message.
L.M.
Draco ne supportait pas de voir ces initiales, et Lysander le savait très bien. Depuis qu'il l'avait remarqué, il ne manquait pas une occasion de le faire grincer des dents. Soupirant, il tendit le bras à Ivy, et la petite chouette grimpa dessus. Il se leva, marcha jusqu'à sa cheminée qu'il alluma d'un coup de baguette et prit une poignée de poudre qu'il jeta dans l'âtre.
"Lysander Maxwell." Énonça-t-il clairement avant de plonger sa tête dans les flammes.
Il ne vit rien pendant un moment, et battit des paupières jusqu'à ce que l'image nette d'un cabinet ressemblant au sien, mais plus décoré et plus rouge, apparaisse devant ses yeux. Il fouilla la pièce du regard.
"Maxwell ?" Appela-t-il. Pas de réponse. Il roula des yeux, puis mit la main dans les flammes vertes pour qu'Ivy retourne chez son propriétaire. La chouette s'envola en hululant joyeusement, et alla se poser sur son perchoir sur le bureau de son maître.
"Maxwell ?!" Répéta-t-il, à présent agacé. Ivy émit un son qui semblait presque désolé.
"Draco ! Ne bouge pas, j'arrive !" Fit une voix hors de son champ de vision. Draco eut un petit grognement. Il ne savait pas pourquoi Maxwell s'acharnait à utiliser son prénom, mais comprenait encore moins pourquoi ça lui déplaisait autant. Ils n'étaient pas amis, c'était certain, mais ça ne les empêchait pas d'avoir une entente cordiale. Draco se coupait tellement du monde qu'il se sentait sans doute agressé par cette tentative d'établir des liens amicaux. Ou peut-être trouvait-il bizarre que Maxwell l'apprécie, lui, Draco Malfoy. Il penchait vers l'une ou l'autre des hypothèses en fonction de son humeur.
"Qu'est-ce qu'il se passe ?" Demanda-t-il en entendant le détective privé approcher. Ses pieds chaussés entrèrent dans son champ de vision, et Maxwell s'accroupit pour que Draco puisse voir sa tête. Il avait un visage séduisant, de beaux yeux bleus encadrés par des cils aussi sombres que ses cheveux. Son nez avait été cassé, ce qui donnait à son visage quelque chose de plus humain, de plus réel. Cela faisait de lui un bel homme plutôt qu'un bellâtre. Il sourit à toutes dents.
"Un truc qui va te plaire ! Une affaire d'effraction chez Emily Hobbs, la styliste ! Elle a porté plainte, elle cherche un avocat !"
"Depuis quand est-ce que tu me cherches des clients ?" Demanda Draco, perplexe.
"Ça lancerait tes affaires chez les sorciers." Argumenta Lysander.
"Il est plus probable que le coupable soit innocenté si je défends Emily. Tu connais les jurys." Répondit sèchement Draco.
"Ne sois pas si pessimiste …" Soupira Maxwell en s'asseyant sur ses talons. "J'ai la dalle, viens manger avec moi que je te présente l'affaire."
"Pas …" Draco allait répondre Pas question, mais il aimait bien Emily Hobbs. Maxwell savait bien qu'il avait tapé en plein dans le mille. "D'accord … Mais ça ne veut pas dire que je prends le dossier."
"Tu vas le prendre Draco, tu verras !" Fit Lysander avec un clin d'œil. Draco leva les yeux au ciel, et Ivy ferma les siens.
Scène 5 - Harry
Harry avait passé le reste de l'après-midi à répondre à la lettre d'Albus et à celle de Lily. Il en avait écrit une à James, mais n'avait envoyé que celle pour Albus. Il voulait que Ginny écrive un mot aux deux autres avant de les envoyer. Il avait félicité son fils pour avoir réussi à faire s'ouvrir un peu Scorpius et l'avait encouragé à continuer. Il n'avait pas besoin de lui préciser qu'il ne valait mieux pas en parler à sa mère. Albus savait très bien que ce n'était pas le moment, après l'épisode de cet été. Il trouvait triste de devoir cacher une amitié naissante à Ginny alors qu'elle semblait importante pour leur fils. Mais tant que sa femme ne se serait pas détendue un peu, il ne serait pas une bonne idée de lui parler de cette histoire. Avec un peu de chance, la Grande-Bretagne gagnerait la coupe du monde de Quidditch au printemps, et Ginny accepterait que leur fils soit ami avec un Malfoy. Pour plus de sécurité, il ferait boire un peu de Felix Felicis aux deux garçons.
A cette pensée, Harry ne put s'empêcher de sourire en enfilant ses chaussures. Ses enfants avaient souvent entendu les épisodes de leur vie où Harry et ses amis avaient eu besoin de la potion, et à quel point elle était efficace. Ils n'avaient de cesse de demander à l'essayer à leur tour.
La soirée s'annonçait pluvieuse, Harry prit donc son parapluie, qu'il réduisit pour le mettre dans la poche de son jean. Il se concentra sur la ruelle la plus proche du Chaudron Baveur, et transplana en plein chaos.
Une femme hurlait, et Harry dût se retourner malgré le léger vertige que provoquait toujours le transplanage. Ses vieux réflexes n'étaient pas perdus, puisqu'il avait sorti sa baguette sans s'en rendre compte. Plus loin dans la ruelle, là où elle débouchait sur Charing Cross Road, un homme en costume glissait le long du mur de briques jusqu'à s'écrouler au sol, les mains sur la poitrine, là où quelque chose d'anormal dépassait. Attirés par le cri de la femme, des Moldus s'arrêtaient, formant un attroupement qui obscurcit la ruelle déjà sombre. Harry se mit à courir sans s'en rendre compte.
Draco Malfoy gisait sur le bitume, le dos contre le mur, avec ce qui semblait être une baguette enfoncée dans la poitrine. Le choc fut tel pour Harry qu'il lâcha la sienne en se laissant tomber par terre à côté des jambes de Draco. Les mains de ce dernier tremblaient autour de la baguette, là où une tâche rouge se formait sur sa chemise blanche et sur sa veste grise.
"N'y touche pas !" S'exclama Harry d'une voix brisée, écartant le plus doucement possible les mains de Draco en les prenant dans les siennes. Il regarda enfin son visage. Il était d'une pâleur morbide, et ses yeux gris métalliques étaient écarquillés de terreur. Mais très vite, ses paupières papillonnèrent. Il luttait pour rester conscient, et ses mains s'accrochèrent plus fermement à celles d'Harry. Celui-ci le vit ouvrir la bouche, les yeux à moitié ouverts le fixant à travers des larmes. Il n'eut pas le temps de lui demander de ne pas parler.
"Je t'aime …" Murmura-t-il, la voix rauque. Harry n'eut pas le temps de réagir que Draco se mit à trembler violemment, la respiration sifflante. Sans réfléchir, il lâcha une main de Draco, attrapa sa baguette, et les fit transplaner dans le lobby de St. Mangouste.