CHAPITRE 1 : un arrière-goût… magique !

Une blonde à forte poitrine et un tas de muscles, perdus sur une île déserte. Vous voyez déjà poindre le scénario d'une comédie romantique foireuse, n'est-ce pas ? Tout y est : la faune et la flore encore inconnues qui nous permettraient de survivre à la faim et à la soif, la solitude, les rochers bien aiguisés qui nous apporteraient l'espoir d'un accès à la civilisation mais nous mèneraient surtout à l'accident tant redouté, la solitude, la faune et la flore, un peu mieux connues depuis le temps qu'on y serait sur cette maudite île et qui nous permettraient de soigner sommairement la blessure, la solitude, l'abris qui nous protègerait de l'unique tempête de la décennie où nous nous blottirions l'un contre l'autre et partagerions notre premier baiser croyant notre dernière heure venue, la solitude, et enfin cette putain de plage de sable fin où, euphoriques de notre survie pourtant évidente - une romance ne peut dignement pas s'achever par la mort cruelle des deux principaux acteurs -, nous unirions nos corps pour la première fois…

Une blonde à forte poitrine et un tas de muscle, perdus sur une île déserte. Mains dans les poches, la mine renfrognée, je shootais rageusement dans le sable. Pourquoi ? Qui ne rêverait pas de vivre une histoire aussi mielleuse ? Et bien je serais le premier à le souhaiter si seulement la blonde à forte poitrine était ma Nami-chérie ou Robin-chwan (oui elles ne sont pas blondes et alors ?) ou même n'importe quelle déesse que la Terre ait pu concevoir. Sauf que la blonde à forte poitrine, c'était moi, Sanji, un homme. Enfin, initialement. Mais pire encore, le tas de muscles, c'était le marimo et je JURE que JAMAIS pareil dénouement n'achèvera cette nouvelle aventure…

Je tournai la tête vers les algues vertes échouées à quelques pas, repérant aisément la mienne, en train de piquer un roupillon non loin de ses congénères. Tout ça n'avait pas l'air de l'atteindre vraiment mais, au fond, qu'est-ce qui pouvait bien l'atteindre ? Déjà la semaine dernière, il était resté de marbre face à ce qui nous était tombé dessus… Non, pire, ça l'avait amusé je crois bien… La journée avait pourtant commencé sans esclandres sur le Vogue Merry. C'est peut-être ce qu'il y avait d'ailleurs de plus anormal, c'est pourquoi nous ne nous étions pas vraiment méfiés de la suite, plus réaliste pour un équipage tel que le nôtre…

« SANJIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII ! VIAAAANDE ! »

Sortant prestement de la cuisine, pour aller détruire la source de mes futurs problèmes avant même qu'elle n'ose franchir le seuil de mon antre, je réfléchis à la meilleure utilisation culinaire de son cadavre : gratin luffynois, luffyettes de veau, moules luffynières ? J'optai finalement pour un poulet luffy, simple mais efficace. Il me le fallait donc entier, quoique je pouvais me passer aisément… de la tête. Mon pied s'encastra une seconde plus tard dans la face de notre précieux capitaine. Moi, injuste ? Il n'avait encore rien fait ? Comme si vous doutiez réellement de ce qui aurait pu se passer sans mon intervention…

Mais Luffy n'y fit même pas attention, se contentant de pousser de nouveaux cris, sautillant sur le pont du Merry. Un sourire jusqu'aux oreilles, il pointait quelque chose dans le ciel.

« SANJIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII ! VIAAAANDE ! LÀ-HAAAAAAAAAAAAUUUUUUUT ! »

Depuis quand Luffy parlait-il de viande sans m'en réclamer ? Et merde, oui, j'avais été injuste. Mais il se foutait tellement d'avoir pris un coup que mes remords ne mirent pas longtemps à disparaître et je m'intéressai à ce qui paraissait monopoliser l'attention du chef Mugiwara. Levant la tête, j'aperçus au loin… une simple cigogne. Luffy serait déçu, je ne comptais pas cuisiner cette bestiole, elle était très bien là où elle était.

« SANJIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII ! VIAAAANDE !

- C'est bon Luffy, je ne suis pas sourd (pas encore), laisse cet oiseau tranquille. Nous avons suffisamment de réserves, ne t'inquiète pas.

- MAIS CA A L'AIR BOOOOOOOOOOOOON !

- SANJIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII ! FAIS-LE TAIRE ! »

Ma Nami-chérie, dérangée une énième fois dans ses travaux, était arrivée en furie, suivie de prêt par Chopper qui craignait que la navigatrice fasse de nouveaux blessés.

« Tout de suite, Nami-swaaaan ! »

Mais avant je n'aie le temps de faire quoi que ce soit, Chopper poussa lui aussi un cri.

« SANJIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII ! UN BÉÉÉÉÉÉB… »

Il fut stoppé net par un poing rageur. Le petit renne n'avait peut-être pas prévu d'être lui-même la prochaine victime de la fureur de ma Nami-swan… Je souris à cette idée mais relevai bien vite la tête vers le ciel, cherchant nerveusement ce que Chopper avait cru apercevoir. Si la boule de poils avait raison, cela ne présageait rien de bon. La cigogne s'était rapprochée du navire, rendant visible un petit paquet suspendu à son bec qui confirma mes craintes. La cartographe avait également remarqué le colis, qui prenait dangereusement la direction de notre embarcation, puisqu'elle le fixait d'un œil ombrageux. Le reste de l'équipage, rameuté par les cris du médecin de bord - plus alarmants que ceux du capitaine -, semblait avoir également saisi la situation. Seul Luffy, réjoui, bavait devant son repas qui approchait de lui-même. En fin de compte, si la cigogne nous ramenait bien un paquet d'emm… un bébé, je la cuisinerais sans états d'âme.

Dans un silence quasi religieux, l'oiseau arriva au-dessus du Merry, sembla dévisager chacun d'entre nous, s'attarda sur Luffy, hésita puis, après ce qui nous paru durer une éternité, adressa un cri à Chopper et… lâcha son colis.

Nos réactions furent diverses : Luffy, voyant s'enfuir sa viande, envoya son poing en direction de la cigogne qui était déjà bien trop loin ; ma Nami-swan - pas si cruelle que ça - tourna la tête et ferma les yeux pour ne pas assister aux conséquences inévitables de cette chute vertigineuse ; le marimo, qui s'était endormi, ne se rendit compte de rien ; Chopper traduisit les dires de la cigogne, comme quoi le paquet nous était destiné mais qu'il fallait le rattraper car il était fragile ; Usopp hurla en tremblant :

« SANJIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII ! ATTRAAAAAPE-LEEEEE ! »

J'essayai mais pris de court, il était évident que je n'arriverais pas à temps. Heureusement, Robin-chwan, un léger sourire aux lèvres, amortit l'atterrissage forcé du paquet de ses multiples mains, paquet qui nous laissa perplexes dès son arrivée.

Après un silence, Chopper pris doucement la parole :

« Il… me semblait pourtant qu'un bébé respirait… Pourquoi est-ce que le paquet est… complètement fermé ? »

C'était une excellente question. Soit nous venions de démontrer que la crédulité de Chopper était égalée par celle du reste de l'équipage puisque nous avions supposé bêtement qu'il s'agissait d'un bébé… car… il était transporté… par une cigogne… - depuis quand étions-nous devenus aussi stupides ? -, soit il s'agissait vraiment d'un bébé et dans ce cas…

Je me précipitai sur le colis pour l'ouvrir et laisser avec appréhension mon geste trancher entre la preuve formelle de la niaiserie des Mugiwaras et la migration subtile de cette histoire dans le genre « horreur ». Le carton se laissa déchiqueter et dévoila enfin la réelle source de notre stress : un panier d'osier décoré de rubans lavandes et azurins contenant de minuscules œufs multicolores. Oui, les terribles Mugiwaras avaient redouté de recevoir avant de craindre la chute… d'un panier d'œufs en chocolat. Heureusement, cet incident resterait a priori connu d'eux seuls.

Conscients du ridicule de la situation, personne ne semblait vouloir rompre le silence qui s'était imposé. Personne, sauf Luffy…

« SANJIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII ! CHOCOLAAAAAAT !

- Non, n'y touche pas ! coupai-je. On ne sait pas d'où ça vient…

- … du piaf. »

Tiens, on ne sait par quel miracle le marimo s'était réveillé. Mais ce n'était vraiment pas le moment qu'il se mette à l'humour… si on pouvait appeler ça de l'humour. Je commençais à être à cran avec toutes ces conneries, il n'allait pas en rajouter. J'allais répliquer quand Luffy prit un air sérieux que nous lui connaissions bien. Cela lui arrivait rarement, mais dans ces cas-là, il fallait écouter, c'était en général essentiel à la survie de l'équipage… Instantanément, il capta l'attention de tous.

« Ces chocolats ne sont pas ici par hasard, Mugiwaras ! Appelez ça comme vous voudrez : le sort, le destin…

- … le piaf, insista le marimo. » (1)

Mais Luffy restait imperturbable.

« J'ai donc pris la décision de leur faire confiance. »

Très mauvaise décision, pensai-je. Déjà, comment pouvait-on faire confiance à un chocolat ? Et depuis quand des chocolats avaient-ils un lien avec la survie de l'équipage ? Heureusement que j'avais précisé « en général »… Je gardai néanmoins mes commentaires pour moi. Dans ces moments-là, on ne remettait pas en cause les décisions de son capitaine, on lui devait une confiance aveugle. Sinon, autant changer de nakamas.

« Nous allons donc manger…

- … un piaf. »

Ma Nami-swan rompit la presque gravité de la situation d'un coup de poing bien mérité, c'était la fois de trop. Luffy regarda un moment son second, dépassé par la « bêtise » de celui-ci (comment pouvait-il penser à manger un oiseau qui s'était déjà enfui alors que du chocolat se tenait bêtement sous ses yeux ?). Le capitaine eût ainsi droit au coup de poing de Nami-chérie également, puisqu'il n'était même pas fichu de discerner que le bretteur n'était pas sérieux… Cela ne l'empêcha pas de reprendre son discours là où il en était :

« Nous allons donc manger… LE CHOCOLAAAAAT ! »

Luffy avait perdu sa solennité pour se précipiter sur les quelques œufs, espérant ainsi les garder pour lui tout seul mais c'était sans compter sur mon coup de pied légendaire qui l'arrêta un instant, bien assez long pour que Robin-chwan les mette hors de portée du ventre sur patte, nous laissant le temps de les observer.

Les œufs étaient… décorés d'une bien étrange manière. Pas un seul ne se ressemblait : l'un arborait des bandes successives de rouge, de bleu et de jaune ; sur le second, un liseré vert scindait deux hémisphères blanc et noir ; le troisième, orange et bleu, était couvert de cercles blancs ; sur le quatrième, deux fines lignes blanches tranchaient sur un fond uni marron ; le cinquième était noir, voilé de bleu et parsemé de pois jaunes ; une croix blanche ornait le sixième, tout rose ; enfin, le dernier, noir ombré de violet, dénotait par sa simplicité. Au moins, ils étaient sept, comme nous, ce qui écourterait nettement la répartition. Pourtant, étrangement, ces œufs dégageaient un sentiment… de familiarité… Encore une fois, ce fut notre capitaine, qui avait réussi à s'approcher sous l'œil vigilant de ma Nami-chérie, qui intervint :

« Ils sont cools, ces œufs, on dirait nous ! »

Et malgré l'absurdité de sa remarque, il nous était impossible de nier, chacun ayant reconnu dans ces couleurs les différents membres de l'équipage. Luffy nous fit part de son dilemme : pouvait-on vraiment manger ces chocolats ou était-ce comme dévorer une partie de nous, dilemme bien vite résolu par le gargouillement de son ventre, pendant que les chamailleries allaient bon train quant à la comestibilité de certains œufs. Celui du marimo ne serait-il pas trop dur, celui d'Usopp explosif ou encore celui de Chopper avec un arrière-goût de médicament ? Et qui mangerait qui ? Ma Nami-swan prit alors les choses en main :

« On ne va pas passer dix ans sur ces chocolats. Chacun prend le sien, le mange et on n'en parle plus. J'ai autre chose à faire !

- Tout de suite, Nami-swaaaan ! »

Je pris mon œuf qui, soit dit en passant, était loin d'égaler ma classe absolue, le déballai et le savourai longuement. Contre toute attente, le chocolat était délicieux, fondant à souhait et sublimé par une saveur exquise que je n'arrivai pas à reconnaître. Il faudrait absolument que je me renseigne sur la prochaine île, les chocolats ne devaient pas venir de très loin…

Tous avaient l'air de se régaler autant que moi. J'eus un léger pincement au cœur, ça me faisait toujours ça quand mes nakamas appréciaient un met qui n'était pas de moi… mais je réprimai bien vite ce sentiment égoïste. Après tout, je n'étais pas le seul cuisinier au monde à faire des chefs-d'œuvre et personne n'avait émis la moindre comparaison avec ma propre cuisine. Tous… sauf le marimo. Enfin, il n'avait rien dit mais jamais je ne l'avais vu aussi satisfait… Ce n'était pas bien difficile, il tirait toujours la gueule devant ce que je lui servais. Je ne pus m'empêcher de le fixer d'un regard assassin qu'il remarqua bien vite, comme s'il s'était consciemment et consciencieusement délecté de ce chocolat devant moi.

« Un problème, Love-Cook ? Tu viens de découvrir le vrai sens du mot « cuisine » ?

- Baka-marimo, ce sont tes papilles qui ont un problème ! Tout le monde ici apprécie ma cuisine sauf toi !

- Dès que quelqu'un n'aime pas tes plats, tu rejettes la faute sur lui ? Tu risques pas d'progresser si tu réagis comme ça face à un… É-CHEC… »

Décidément, il avait le chic pour me foutre en rogne celui-là. Je sentis la colère monter, plus vite que d'habitude. Il faut dire qu'avec tous les événements de la matinée, il y avait de quoi être à cran… Je me mis à rugir :

« PARCE QUE TU CROIS QU'UNE TÊTE D'ALGUE COMME… »

Je me coupai net. Ce n'était pas ma voix… Elle était beaucoup trop aigüe pour appartenir à… un homme. Je sentis une angoisse se répandre lentement en moi à mesure que les Mugiwaras se tournaient vers la source de cette voix nouvelle, me fixant comme si j'étais devenu une créature méconnue de tous… Le rire assourdissant du marimo éclata tandis que je baissai imperceptiblement mon regard vers ce qu'il restait de moi…


(1) dialogue faisant référence à un dessin animé, saurez-vous le reconnaître ?