La somme de toi et moi (généralement calculée par les autres)

\\ The Sum of Us (Mostly Calculated by Everybody Else) /

par Linpatootie

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Sommaire : John décide de faire son coming-out. Plus ou moins. Pas qu'il soit gay ou quoi que ce soit. Il couche simplement avec son coloc.
Note : Je ne suis que l'humble traductrice de cette histoire géniale écrite par Linpatootie sur AO3.
Note 2 : désolée pour le retard, les délais et moi sommes un peu fâchés, ces derniers temps.

Notes de l'auteur : J'ai cette petite théorie que j'aime selon laquelle John et Harry sont jumeaux, basée sur quelques commentaires des entrées précédentes du blog de John. Essayez de faire avec.


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C'est à un moment bien particulier que John se rend compte qu'il en a assez de garder secrète sa relation avec Sherlock. Ça se passe pendant qu'ils font les courses, alors qu'il doit traîner derrière lui un Sherlock très peu enthousiaste.

Sherlock est une sorte d'alien dans le supermarché, un extraterrestre qui fixe les boîtes de céréales comme s'il s'attendait à ce qu'elles sautent des étagères pour lui faire un joli petit numéro de claquettes, juste là, dans le rayon petit-déjeuner. Cette seule raison suffit à John pour l'emmener avec lui de temps en temps – même plusieurs jours après, le seul fait de s'en rappeler lui donne envie de rire. Sherlock s'en plaint souvent de toutes ses forces, bien sûr, mais il finit toujours par trouver le moyen de s'occuper, au final, et lance dans le caddie des choses dont ils n'ont pas vraiment besoin, déclarant avec satisfaction qu'il pourrait les utiliser pour une expérience malencontreuse à laquelle il vient juste de penser.

Ce jour-là, il semble s'intéresser à la mayonnaise, et six tubes différents se retrouvent mystérieusement parmi les bouteilles de lait et le pain de viande que John a mis dans leur caddie. Il ajoute tranquillement une boîte d'œufs, pour pouvoir faire une salade d'œufs ou quelque chose du genre si jamais Sherlock se désintéressait de l'idée qu'il a en tête. Sherlock tournoie dans les rayons, lisant les ingrédients sur les canettes et les bouteilles, alarmant de temps en temps les autres clients en disant par exemple :

- Il y a une parfaite concentration de polysaccharides dans cette compote !

Mais cette fois, la blague se retourne contre John quand il croise une ex-petite amie au rayon fruits et légumes. Elle s'appelle Tessie, c'est une hôtesse de l'air aux longues jambes avec qui John est sorti pendant quelques semaines, un an auparavant. Sherlock rôde autour des tomates, mais n'intervient pas, lançant des regards assassins dans le dos de la pauvre fille. Tessie sourit, entortille ses cheveux, et demande à John comment il va, d'une voix qui suggère qu'il y a encore des options de ce côté-là, et une certaine partie du cerveau de John s'arrête de fonctionner.

- J'ai une relation homosexuelle avec mon coloc.

Les mots s'échappent de sa bouche, et le moment se charge d'intensité tellement rapidement que même la laitue a l'air embarrassée.

- Oh. C'est cool ! répond-elle, et c'est probablement un sourire qu'elle essaye de faire, là, en découvrant ses dents, mais ça lui donne juste l'air bizarre.

John se sent mal, surtout quand il remarque que Sherlock est presque aussi rouge que les tomates qu'il tient, à force d'essayer de ne pas rire. Tessie lui jette un regard glacial et disparaît dans le rayon produits laitiers avec un bruissement de jupe, et Sherlock s'intéresse soudain de très près aux brocolis.

- Oh, seigneur, soupire John, en posant les yeux sur une courgette – ça n'arrive pas vraiment à lui remonter le moral, et de toute façon, John n'a jamais vraiment aimé les courgettes.

- Bien amené, John. Magnifiquement bien amené.

- Je viens de faire mon coming-out au Tesco.

- Oui. On peut le dire.

Du coin de l'œil, il remarque le sourire en coin de Sherlock, et subitement, ils éclatent d'un rire incontrôlable, qui ne s'arrête pas vraiment avant qu'ils aient payé leurs articles et qu'ils soient revenus chez eux, le soleil réchauffant agréablement le sommet de leurs têtes.

- Je suppose que ça veut dire que je suis prêt à en parler aux gens, dit John pensivement, alors que Sherlock cherche les clés de leur appartement dans ses poches.

- À parler de quoi ?

- De nous. Du fait qu'on est en couple, maintenant.

- Ah. D'accord.

Ils trébuchent dans le hall et dans l'escalier, les bras de John pleins de courses, et les mains de Sherlock enfoncées dans ses poches.

- Enfin, ça ne t'embête pas ?

- Quoi ?

Il est déjà distrait, probablement en train de réfléchir aux ingrédients qui composent la mayonnaise.

- Mais suis, un peu ! Je te parle de dire aux gens qu'on est en couple.

- Ah, oui. Non, ça m'est égal. Les gens qui comptent pour moi le savent déjà, et je me fiche de ce que les autres peuvent penser.

Il y a une certaine vérité là-dedans, John le sait, même si ça sous-entend quelque chose d'assez déprimant dans la façon dont Sherlock considère sa famille. Quoi qu'il en soit, Mrs Hudson est au courant, et visiblement, Mycroft aussi. Il n'a même pas eu besoin de lui dire avec des mots, Mycroft a été capable de le deviner en quelques jours rien qu'en voyant leurs expressions et l'état de leurs vêtements, ou quoi que ce soit d'autre qui les aurait trahis.

- Alors John, est-ce dans ce genre de situation que je suis censé vous dire que si vous brisez son cœur, je vous brise les jambes ? avait-il demandé d'un ton aimable.

- Est-ce qu'on peut garder ça en sous-entendu et éviter le discours ? avait proposé John, et Mycroft lui avait fait un sourire poli, quoique à vous glacer le sang, et avait quitté l'appartement.

- Ton frère est terrifiant, avait fait remarquer John, et Sherlock avait simplement haussé les épaules et commencé à accorder son violon.

Quoi qu'il en soit, John est donc le seul à pouvoir en décider. Il y réfléchit, pendant trois nuits, jusqu'à ce qu'il se réveille un délicieux mardi matin et découvre Sherlock endormi, la tête sous son bras, les cheveux emmêlés, les lèvres légèrement entrouvertes, et la vision provoque chez lui un sentiment de bonheur tellement éclatant qu'il en efface tous les doutes encore présents dans son esprit. Il embrasse un Sherlock ronchonnant pour le réveiller, et se dit que ça serait bien de pouvoir porter tout ce bonheur comme un collier autour du cou, afin que tout le monde puisse le voir.

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Il sait qu'il devrait probablement commencer par Harry – il le sait, mais c'est difficile, alors il essaie d'oublier cette inéluctabilité en décidant de passer à Barts rendre visite à Mike Stamford. Il se dit qu'il faut qu'il l'annonce à Mike lui-même – c'est lui qui lui a présenté Sherlock, après tout. Il devrait lui offrir une montagne de cadeaux rien que pour ça, un gros MERCI écrit avec des fleurs, tracé dans le ciel de Londres avec un de ces petits avions de tourisme, ou au moins lui acheter une jolie cravate ; mais en réalité, il va le voir un peu par impulsion, en se disant que s'il lui apporte un cappuccino, ce sera bien suffisant.

- Je te bénis, ils servent toujours le même jus de chaussette qu'autrefois, à la cantine, dit Mike en acceptant avec reconnaissance le café par-dessus la liasse de copies qu'il est en train de corriger.

- Ouais, je m'en doutais, lui sourit John.

Mike a le plus petit bureau au monde, entièrement rempli de livres, de dossiers, les murs couverts de diplômes et de photos de famille. Ils parlent d'abord de choses banales pendant un moment. John apprend que la fille de Stamford s'est fracturé la clavicule à un match de football, et il observe les copies en s'émerveillant du fait que l'apprentissage de la médecine n'a pas changé tant qu'il aurait pu le croire.

- Et pour toi alors, comment ça va, la vie avec Sherlock ? demande Stamford, et John se dit que ça y est, c'est le moment.

- Bien. Très bien, en fait. On couche ensemble.

- Quoi ?

- Eh oui.

Stamford le fixe pendant un long moment, silencieux, son gobelet de papier à moitié vide immobile à quelques centimètres de sa bouche, puis il lui sort son demi-sourire habituel, combiné à un haussement d'épaules amusé.

- Oh. Je vois. Félicitations. C'est vraiment cool pour toi... Enfin, je crois.

- Ouais, je ne suis pas tout à fait sûr non plus. Sortir avec Sherlock Holmes, ce n'était peut-être pas la meilleure décision que j'aie jamais prise. Mais je ne m'ennuie jamais, en tout cas. Hier, il a réussi à faire exploser trois tubes de mayonnaise dans notre cuisine et j'ai passé presque une heure à essayer de lui laver les cheveux. Si c'est pas de l'amour, ça...

Mike le regarde, John lui rend son regard, et ils éclatent de rire. Pour environ la millionième fois, John se dit qu'il a vraiment de la chance de pouvoir considérer Mike comme son ami.

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- On a déjà eu deux morts similaires, Sherlock, je pensais que ça t'intéresserait un peu plus.

C'est un ton qui lui est familier, celui-là ; celui que Lestrade utilise quand il essaie désespérément d'obtenir de l'aide de la part de Sherlock pour une enquête. Mais Sherlock n'est pas tout à fait convaincu. Pour lui, c'est un six, au mieux, et ça ne vaut pas encore la peine de mettre des habits décents. Lestrade est légèrement irrité – il a déjà deux meurtres sur les bras, après tout. Un peu d'aide de la part de seul détective consultant du monde serait grandement appréciée.

- Les meurtres ne sont même pas encore reliés entre eux, marmonne Sherlock, s'enfonçant encore plus profondément dans son fauteuil.

- C'est bien pour ça que j'ai besoin de toi. Prouve-le. J'ai un pressentiment, d'accord

Sherlock s'esclaffe à la mention du pressentiment de Lestrade avec un geste de la main dédaigneux.

John reste en dehors de la discussion, assis sur le canapé en train de faire ses lacets, prêt pour une visite imprévue à la clinique. Sarah l'a appelé un peu plus tôt en lui disant qu'un des docteurs était malade, et en lui demandant si ça l'embêterait de prendre une ou deux heures à sa place. John ne disait pas non à un peu de salaire en plus, et puisque de toute façon Sherlock ne semblait pas vouloir accepter l'affaire...

- Si tu changes d'avis, appelle-moi. Bon dieu. Si ces meurtres sont liés, on est bons pour un désastre, dit Lestrade sombrement.

Il a l'air de remarquer que John est sur le point de sortir de l'appartement, et n'a pas l'air très enthousiaste à l'idée de rester seul avec Sherlock. John ne peut pas l'en blâmer, pour être honnête.

- Ok, vous deux, arrêtez de vous chamailler, j'y vais.

Il attrape son manteau, fourre son portefeuille dans sa poche, et s'approche du fauteuil de Sherlock.

- Sois sage. Je ne rentrerai pas tard.

Il pose sa main sur l'épaule de Sherlock et se penche pour déposer un baiser chaleureux sur ses lèvres réceptives. Ce n'est que quand il se redresse qu'il réalise qu'il vient juste de le faire devant Lestrade, qui est en train de le regarder comme s'il venait de sortir de sa poche un singe en train de siffloter God Save The Queen.

- Hum... Bye, dit John, embarrassé, en tapotant l'épaule de Sherlock avant de fuir l'appartement.

Il fait semblant de ne pas entendre Sherlock pouffer de rire tandis qu'il descend les escaliers.

Lestrade le suit, et le rattrape en bas des marches.

- Qu'est-ce que je viens de voir là, au juste ? demande-t-il.

Il a l'air amusé – c'est un bon signe, se dit John.

- Moi en train d'embrasser mon petit ami pour lui dire au revoir.

- Oh. Ah. Je vois.

Ils marchent en silence, et John peut presque entendre Lestrade réfléchir, comme un hamster en train d'accélérer le rythme, dans sa vieille roue.

- Alors, depuis combien de temps vous...? Parce que j'ai jamais rien remarqué, alors soit c'est moi qui suis vraiment bouché, soit vous êtes très doués quand il s'agit de faire croire que votre petite scène du "on n'est pas en couple" est authentique.

Les deux, se dit John, mais ce serait impoli de le dire à voix haute. Sherlock le ferait, sans doute, mais il pense qu'au moins l'un d'entre eux devrait s'en tenir au protocole des conventions sociales.

- C'est plutôt récent, dit-il, juste deux mois. Pour être honnête, c'est arrivé un peu par hasard, en quelque sorte, mais ça s'annonce bien, alors on continue.

- Mycroft le sait ?

- Euh, oui. Ça pose un problème ?

- Non, pas vraiment, répond Lestrade distraitement en enfonçant ses mains dans les poches de son manteau.

- Pour l'instant, on a gardé ça secret, répond John d'un ton plein de précautions.

- Ouais, ok. Mais si vous voulez vraiment garder ça secret, vous devriez vous dispenser des preuves d'affection en public.

- Notre appartement n'est pas vraiment public...

- Très juste. Mais au moins, vérifiez s'il y a quelqu'un dans la pièce avant. Je ne suis pas sûr de ce que je suis censé penser de cette expérience plutôt inattendue.

John s'esclaffe et tapote l'épaule de Lestrade, qui lui sourit avant d'appeler un taxi.

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Depuis qu'ils ont commencé à coucher ensemble, Sherlock a développé très vite l'habitude de dormir totalement nu. John n'y voit absolument aucun inconvénient. Le matin, Sherlock est étendu de tout son long dans sa paresseuse nudité, et John se trouve un peu trop vieux pour être aussi excité à cette vue. C'est devenu comme un réflexe de Pavlov, où la simple vue du creux gracieux de son dos, de ces fesses bombées à moitié cachées par un stupide drapé artistique de draps blancs, suffit pour faire descendre tout le sang de John depuis son cerveau jusqu'à son sexe.

- Fuck, soupire John, et Sherlock sourit paresseusement.

- Je suis pas contre.

- La ferme. Je suis en retard pour le travail.

- Non, tu n'es pas en retard. Du moins, pas encore. Ça te dit de l'être ?

- Non. La ferme. La ferme.

Il s'habille en vitesse et s'échappe de l'appartement afin d'éviter la vision de Sherlock en train de prendre son petit déjeuner tout nu. Finalement, il s'avère qu'il aurait pu rester et profiter de la vue, puisqu'il ne reste que deux petites heures à la clinique avant que son portable ne se mette à biper, d'abord une fois, puis deux fois ; et encore une fois, il finit par laisser Sarah s'occuper de tout (il ne pourra probablement jamais lui rendre toutes les faveurs qu'il lui doit) avant de filer à Scotland Yard.

Le message ne vient même pas de Sherlock. C'est Lestrade qui l'a envoyé, un message exaspéré qui dit "s'il te plaît, fais en sorte que ton petit-ami arrête de terroriser mon équipe médico-légale", et il faut encore un échange de quatre messages, dont un qui contient une menace de révélation publique de l'identité dudit petit-ami, pour que John finisse par comprendre que trois autres victimes ont été retrouvées empoisonnées, à la stupéfaction générale, et que Sherlock a finalement décidé de s'impliquer dans l'enquête avec un enthousiasme frénétique.

Les victimes ont toutes été empoisonnées à l'arsenic, mais n'ont absolument rien en commun entre elles – même Sherlock peine à trouver un dénominateur commun. Très inquiétant, de toute évidence, et John commence à penser qu'il n'osera plus jamais acheter un sandwich en ville, mais Sherlock est convaincu qu'il doit y avoir un lien, probablement de la nourriture, quelque chose qu'il pourrait utiliser pour découvrir l'assassin. Il met donc le cap, de façon très hasardeuse, sur tous les vendeurs de nourriture de Londres, et John se dit qu'il y a de fortes chances que ça se termine avec Sherlock banni de toutes sortes de restaurants pour le reste de sa vie (et comment John pourrait-il s'amuser, ensuite?).

Molly n'est même pas décontenancée quand Sherlock débarque dans son laboratoire avec trois sacs pleins d'assortiments de nourriture. John essaie de ne pas trop y penser. Sherlock, tout excité, commence à couper des ingrédients, et fourre des tranches de pomme et des bouts de chips sous un microscope. Molly l'aide, sans même lui demander d'explications, en ajoutant différentes substances aux échantillons de nourriture afin d'observer attentivement les réactions chimiques. John essaie de s'occuper comme il peut, en leur passant ce dont ils ont besoin, mais il se sent quand même vaguement inutile.

Sherlock repousse une moitié de pomme, et John la saisit et la renifle.

- Est-elle empoisonnée, belle-maman ?

- Quoi ?

- Non, rien. Je peux la manger en toute sûreté ?

Shelrock fronce les sourcils en le regardant ; il est concentré sur les résultats, les nombres, les enzymes, et d'autres choses aux noms imprononçables pour John, et il lutte pour revenir à la réalité de tous les jours, comme par exemple le fait d'avoir faim tout en étant entouré de nourriture à la provenance plus que douteuse.

- Oh, euh, oui, c'est bon, oui. C'est juste une pomme.

John sourit et mord dedans. Les yeux de Sherlock se posent sur sa bouche pendant quelques longues secondes, avant qu'il ne détourne le regard, avec une sorte de sourire dans ses yeux. John sourit et se détourne, poussant doucement le dos de Sherlock avec son épaule avant de s'approcher de la table de Molly. Il s'assoit et la regarde travailler tout en mâchant sa pomme.

- Elle est sans danger, cette pomme ? demande-t-elle en levant les yeux de sa boîte de Pétri.

- Euh, oui. Sherlock a vérifié.

- Quelque chose a changé entre vous deux, dit-elle brusquement, les yeux remplis d'une question qu'elle n'ose pas poser.

Elle comprend bien les gens, se dit John. Pour une fille qui passe tout son temps à fréquenter des morts, c'est impressionnant de voir à quel point elle est perspicace au sujet des vivants.

- Oui, répond-il simplement.

Pas la peine de tourner autour du pot. Molly est une fille intelligente, elle est capable de faire le lien entre les éléments elle-même.

- Oh.

Elle garde les yeux posés sur lui, et il peut voir son cœur se briser, se détacher en morceaux déchiquetés, et il se sent extraordinairement coupable.

- Alors vous... vous êtes... Je vois, continue-t-elle, et un sourire essaie de se frayer un chemin sur son visage. Fé... Félicitations. Je veux dire... C'est bien.

Elle est sincère et elle n'est pas tout à fait sincère en même temps, et John est perdu, pendant un instant. Il a presque envie de lui faire un câlin, et de lui dire que tout ira bien et qu'après tout, un de perdu, dix de retrouvés, mais en même temps, il a incroyablement envie de lui faire savoir que, d'accord, cet homme bizarre et exotique est absolument incroyable, mais que voilà – c'est le sien. Il n'a encore jamais expérimenté un tel niveau de possessivité auparavant. C'est très instructif.

- Merci, dit-il quand même, et il se force à sourire à son tour.

Ils gardent leur faux sourire sur le visage pendant quelques secondes, tandis que Sherlock insulte le microscope de l'autre côté de la pièce et lève sa pipette comme s'il s'agissait d'une baguette magique, comme s'il avait envie que le résultat désiré apparaisse par la seule force de sa volonté.

- Depuis combien de temps ? demande Molly, tout en essayant de garder la conversation sur un ton amical et agréable – et il a presque envie de lui dire qu'elle n'a pas toujours besoin de prétendre que ça ne l'affecte pas.

- Pas longtemps. Un mois ou deux.

- Oh.

Ses traits s'affaissent, et elle détourne les yeux pendant un court moment, avant de prendre une profonde respiration et de tourner à nouveau son regard vers lui.

- Je me sens tellement stupide, dit-elle, si doucement que c'est presque un murmure. Je suis désolée, je ne veux pas dire que... Enfin...

- Je comprends, dit-il, tout en trouvant en lui le courage de lever la main et de lui tapoter l'épaule doucement.

Le faux sourire revient sur son visage, elle se tortille nerveusement, puis elle se recule, posant les yeux sur Sherlock un bref instant.

- Excusez-moi, finit-elle par dire platement avant de sortir de la pièce.

Il la regarde courir dans le couloir et disparaître au coin, et ne peut s'empêcher de se demander si elle est partie pleurer dans une des cabines des toilettes. Il ne sait pas vraiment comment gérer la situation, et il a mal au cœur pour elle, pour cette gentille fille qui n'a vraiment pas de chance. Tout ce qu'il espère, c'est qu'il ne s'agisse pas d'une blessure qui ne puisse être apaisée par un gros pot de crème glacée et un marathon Glee.

Sherlock n'a absolument aucune conscience de ce qui vient de se passer, tournant le bouton de son microscope, l'air frustré. John passe un bras dans le bas de son dos et pose sa tête sur son épaule. Sherlock ne réagit même pas, mais ça n'a pas d'importance. John ne s'attendait pas à plus.

- Ça n'a aucun sens, murmure Sherlock.

- Tu n'as pas les résultats que tu attendais ?

- Non.

Sherlock lève les yeux, et c'est seulement là qu'il remarque le laboratoire vide.

- Où est Molly ? J'ai besoin qu'elle fasse des tests pour moi.

- Elle avait besoin d'une petite pause, répond John prudemment.

- Pourquoi ?

- Elle est au courant pour nous deux.

- Tu lui as dit ?

- Non, elle a deviné toute seule. Tu n'es pas la seule personne sur la planète douée de perspicacité.

- Oh. Pourquoi est-elle partie ?

- Parce qu'elle avait besoin d'une petite pause. Laisse-là.

Tu ne comprendrais pas, de toute façon, se dit-il. Sherlock fronce les sourcils en regardant l'espace vide, et John se penche pour l'embrasser au coin de la bouche, juste pendant un instant – il a plus besoin de ce réconfort que Sherlock. Celui-ci retourne à son microscope, et reporte à nouveau toute sa concentration sur ce qu'il a disséqué et placé sous son microscope, et John reste appuyé contre lui pendant un moment, savourant sa chaleur, avant de le lâcher et de se trouver un endroit où s'asseoir, attendant sagement que Sherlock ait terminé.

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L'enquête est résolue, comme c'est généralement le cas, par un des étranges éclairs de génie de Sherlock, et John se jure qu'il ne mangera plus jamais de pudding pour le reste de sa vie. La vie continue, comme c'est généralement le cas une fois encore, et John essaie de ne pas trop penser au fait que c'est devenu presque banal pour lui et Sherlock d'attraper un empoisonneur en série.

À peine deux jours après que ledit empoisonneur ait été retrouvé mort dans sa cellule, quelqu'un d'autre apprend la vérité à propos de Sherlock et John. Sherlock avait dit à John, peu avant, après l'inattendu moment d'honnêteté de John au Tesco, que toutes les personnes qui avaient de l'importance à ses yeux étaient déjà au courant.

C'était un mensonge.

Évidemment, pas un mensonge qu'il aurait eu du mal à avouer à John, mais finalement, ça commence par un simple sms, qui mène à une conversation beaucoup moins simple, où Sherlock se retrouve à dire la vérité à la seule personne à qui il aurait eu envie d'en parler. Il ressent une étrange satisfaction en le faisant, et comprend, finalement, pourquoi c'est tellement important pour John. Le bonheur d'une personne, réalise-t-il, est fait pour être exhibé, un peu comme les plumes d'un paon, fait pour être mis en valeur et pour briller.

Le Guatemala est magnifique à cette période de l'année. Vous devriez m'y rejoindre. – I

Je ne pense pas que John appréciera beaucoup l'idée de me voir aller flâner en Amérique Centrale sur un coup de tête. – S

Le Dr. Watson est vraiment très protecteur envers vous et l'endroit où vous flânez, n'est-ce pas ? – I

Eh bien, je lui appartiens, il a le droit d'être un peu surprotecteur.

Est-ce que mes yeux me trompent, où est-ce que vous venez de dire que vous lui appartenez ? – I

C'est exact. – S

Il a finalement cédé ? Félicitations, je suis étrangement fière de vous deux. – I

Je ne pense pas que "cédé" décrive de façon vraiment appropriée la façon dont ça s'est déroulé. Mais oui. – S

Je suppose que ça signifie que je ne peux plus vous appeler "le Puceau" ? – I

Vous pouvez, mais ce serait incorrect. – S

La conversation continue pendant quelques temps, débouchant très vite sur un territoire plus explicite. Sherlock en sort avec plein de nouvelles idées fabuleuses concernant tout ce qu'il pourrait faire à John, et il ne dit pas à John d'où il les tient.

John ne songe pas à s'en plaindre.

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Tous les deux ou trois mois, John rencontre ses anciens camarades de rugby de l'équipe de Blackheath. Il ne joue plus, plus depuis qu'il est parti en Afghanistan, plus maintenant qu'il a son problème à l'épaule, à la jambe, et un coloc exaspérant à suivre partout, mais revoir ses anciens amis lui rappelle agréablement sa jeunesse, et à quel point il aimait se faire régulièrement casser la gueule sur un terrain boueux.

Ils approchent tous la quarantaine, maintenant, la plupart sont mariés, avec des enfants – des hommes de famille respectables, avec des sièges de bébé dans leurs voitures. Ceci étant dit, leurs soirées sont aussi macho qu'on peut l'imaginer, à se taper sur l'épaule et à boire leurs bières cul-sec, et c'est un sentiment de normalité plutôt rafraîchissant dans la vie de John, qui est tout sauf banale.

Toutefois, il se retrouve avec un gros choix à faire. Est-ce qu'il parle de Sherlock à ces types, ou pas ? Il vide sa pinte d'un trait et laisse l'idée faire son chemin doucement dans l'atmosphère musquée du pub. Leurs bruyantes discussions ne tardent pas à dériver sur leurs vies – Kev a eu un bébé juste le mois précédent, dont la photo passe de mains en mains, et même l'avant-centre le plus musclé de leur groupe glousse devant sa petite bouille ; Stephen, lui, a prévu d'épouser sa petite-amie Joyce l'été prochain, ce qui donne lieu à beaucoup de moqueries impliquant une balle, des chaînes, et parfois une imitation d'un fouet en train de claquer. C'est un lourd bastion d'hétérosexualité, et bien sûr, ils ne tardent pas à harceler le seul qui soit encore célibataire dans leur groupe – John Hamish Watson, merci bonsoir.

- Alors, tu penses à te poser, toi aussi, Johnny ? demande Kev, un bras passé autour des épaules de John.

- Il a pas intérêt ! Il faut qu'il en reste un parmi nous dont on puisse être jaloux ! s'exclame Amir joyeusement – il est l'heureux père de trois enfants.

- Oui, et de toute façon, John n'est jamais en manque de filles, pas vrai ? fait remarquer Stephen, et John lui sourit.

- C'est marrant comme il arrive toujours à les ferrer, pour un nigaud comme lui !

Eliot le bouscule légèrement, et John donne un coup de coude dans son énorme ventre.

- Ça s'appelle le sex appeal, mon pote. Le sex appeal, dit-il.

- Mais allez, dis-nous en un peu plus ! Tu vois quelqu'un, ces derniers temps ? demande Kev.

Très bien. C'est le signal, décide John. Il prend une grosse gorgée de bière, et hoche la tête, la bouche pleine.

- Génial, c'est notre Johnny, ça ! Dis nous tout ! Comment elle s'appelle ?

Son cœur tambourine dans des tempes, étouffant le bruit de fond du pub autour de lui.

- Sherlock, lâche-t-il, mal à l'aise.

- Sherlock ? C'est un drôle de nom, pour une fille.

- Ce n'est pas une fille.

Il y a un battement, un moment de silence stupéfait, et le bras de Kev glisse de son épaule – ça crée un sentiment de vide tangible, comme un petit courant d'air froid s'infiltrant dans l'espace que Kev occupait juste avant.

- Attends, t'as viré ta cuti ? s'exclame Kev, et il y a quelque chose dans son intonation qui sonne comme un avertissement – le genre que John préfèrerait ne pas voir naître chez un vieil ami.

- Non, pas vraiment, répond-il.

- T'es bisexuel.

- Non. Je ne crois pas, non.

- Mais tu sors avec un mec.

Kev a l'air d'avoir des difficultés à suivre, et John peut le voir essayer de tourner la situation de manière à ce qu'il puisse la comprendre – en vain. Il suppose que ce serait plus facile pour lui s'il pouvait lui apposer cette étiquette "homosexuel", une catégorie bien distincte, mais John ne peut pas se résoudre à simplifier autant ses sentiments pour Sherlock.

- Oui, répond John. Je sors avec un mec, oui. Je suis amoureux d'un mec, même. Je sais que c'est bizarre. C'est... enfin... C'est à la fois très compliqué et très simple. Ça n'a aucun sens, et en même temps, c'est très logique. Je sais que ça paraît bizarre, c'est juste...

- Les gens ne deviennent pas gay, l'interrompt Kev.

Eliot gigote nerveusement, ses grosses mains de pelleteur de charbon se refermant autour de sa pinte. Amir se tient à côté, et regarde John bouche bée, comme s'il lui avait poussé une deuxième tête.

- Sherlock, c'est le nom de ton coloc, non ? Depuis combien de temps tu couches avec lui, alors ? continue Kev.

Il y a quelque chose d'accusateur dans sa voix, comme si la confession de John lui était un affront personnel, et il n'en faut pas plus pour allumer un début de colère dans les yeux de John.

- Ça ne te regarde pas de savoir depuis combien de temps on couche ensemble, dit-il sur un ton défensif. Sherlock me rend heureux, plus heureux que je ne l'ai jamais été. Si ça te pose un problème que ce soit un mec, tu peux aller te faire voir.

- Allons, les gars, restons civils...

Stephen essaie de calmer le jeu en levant les mains, mais John le pousse sur le côté.

- Non, je n'aime pas son intonation. Ça te pose un problème ? Que j'aie un petit-ami ?

Le mot "petit-ami" semble les secouer – c'est une image beaucoup plus concrète que de dire simplement qu'il sort avec un mec.

- Peut-être bien que oui, siffle Kev. C'est pas un crime, si ? Je ne suis pas en train de te tabasser. Mais ça me pose un problème qu'un de mes potes me dise subitement que c'est une pédale comme si ça n'avait aucune importance.

- Ma sœur est lesbienne, tu le sais depuis des années, ça te posait problème, ça ?

Kev vient juste de le traiter de pédale. John se disait que ça finirait par arriver tôt ou tard, mais l'insulte continue à résonner dans ses oreilles, et ça le choque – il a l'impression de mâcher du papier aluminium.

- J'en ai rien à foutre, de ta sœur. Mais j'en ai quelque chose à foutre du fait que tu nous balances ça dans la gueule d'un coup. On prenait des douches ensemble, mec.

Quelque chose dans le cerveau de John court-circuite finalement à ces mots, une sorte de flash blanc, quelque chose pour lequel il aurait préféré être trop vieux, et il doit se faire violence pour se retenir de se jeter sur Kev. Il est plus grand que John, mais John sait qu'il pourrait faire le poids contre lui, s'il le fallait.

- Mais t'es complètement malade, ou quoi ?! crie John, tandis qu'Amir se recule pour sortir du cercle. Tu as peur que je fantasme en secret sur toi ? C'est ça ? Eh bien, permets-moi de t'enlever tes illusions : je ne toucherais pas à ton cul même avec un perche de trois mètres ! Alors oui, je suis tombé amoureux d'un mec. Un mec beau, grand, plus intelligent que vous tous réunis, et qui est infiniment mieux que tout ce que vous pourriez imaginer. Alors pas la peine de t'inquiéter du fait que je pourrais devenir une sorte de prédateur gay avec pour seul but de tous vous baiser, parce que crois-moi, j'ai quelque chose de beaucoup mieux qui m'attend à la maison.

- Tu es en train de m'accuser, là ? répond Kev en se redressant, en colère.

- Peut-être que ouais, putain ! Regarde-toi ! Tout va bien, jusqu'à ce que tu apprennes que je suis tombé amoureux d'un mec avec une bite. Si t'as quelque chose à me dire, Kevin, tu peux me le dire en face.

Il le regarde droit dans les yeux, mais Kev reste silencieux, lui rendant son regard furieux.

- Quelqu'un d'autre a quelque chose à dire ? continue John.

Il les observe tous avec un regard de colère pure que seule une personne de petite taille peut réussir à créer – une rage brute enveloppée dans un container trop petit. Amir évite son regard, et Eliot a l'air ridiculement désarmé pour un homme de la taille d'une montagne.

- Je crois que ce que Kev essaie de dire...

Stephen reprend prudemment la parole après un moment de silence inconfortable, mais John l'interrompt.

- Tu prends son parti ? Sérieusement ? Juste comme ça ? Je ne me serais jamais attendu à ça de votre part, les gars, jamais ! s'exclame-t-il. J'essaie juste d'être honnête, ok ? Je vous raconte juste ce qui se passe dans ma vie, et vous me sortez des conneries pareilles ?

Ils restent silencieux, les yeux soit fixés sur John, soit perdus dans leurs boissons, et John décide qu'il en a assez.

- Vous savez quoi ? J'ai vraiment pas besoin de ça, crache-t-il, reposant son verre vide sur le bar d'un bruit décisif.

Il sait que s'il ne s'en va pas maintenant, il finira par s'énerver, et l'un d'entre eux, probablement Kev, se retrouvera avec le nez en sang. Il attrape son manteau, le jette sur son épaule, et sort à grands pas, sans même leur jeter un dernier regard. Ses pieds martèlent le trottoir alors qu'il lutte pour enfiler son manteau en marchant, tellement furieux qu'il sent à peine le léger crachin lui picoter le visage. Il ne sait pas ce à quoi il s'attendait. Ça aurait pu être pire, mais ça aurait pu être mieux, et il se perd en essayant de prendre la mesure de ce qui vient de se passer, au juste.

Il ne lui vient même pas à l'esprit d'appeler un taxi ou de monter dans le métro jusqu'à ce qu'il ait déjà fait la moitié du chemin jusqu'à l'appartement, évitant les autres buveurs de la soirée et un troupeau de touristes allemands beaucoup trop bruyant. Autant continuer à marcher, décide-t-il, même si Londres devient de plus en plus sombre et humide autour de lui. Lorsqu'il pousse la porte du 221B, la pluie coule en gouttes paresseuses le long de son col.

L'odeur lui saute au visage dès qu'il arrive au milieu des escaliers.

Elle réussit l'exploit d'être à la fois organique et chimique, avec une forte sous-note de chair brûlée. Il se dépêche de monter l'escalier, et se précipite dans la cuisine, où une masse non-identifiable, à moitié carbonisée, est posée sur leur table de cuisine. Sherlock, au moins, a eu la présence d'esprit de dresser une nappe de plastique sur la table d'abord, mais l'appartement entier sent comme si un Transformer s'était battu à mort avec un rhinocéros, avant qu'ils ne finissent par se changer tous les deux en cet amas fripé et calciné qui repose sur la nappe.

- Mais qu'est-ce qui s'est passé ici, bon dieu ?! s'exclame-t-il.

- Une expérience.

Sherlock est assis devant l'ordinateur portable de John, en train de taper sur le clavier.

- Qu... Quoi ?! Qu'est-ce que c'est que ce truc ?!

Il montre du doigt l'infâme amas branlant, mais Sherlock l'arrête d'un cri strident.

- Ne touche pas à ça sans gants !

- Quoi ?! C'est pas vrai, je ne peux même pas te laisser seul cinq minutes ! hurle John.

Sherlock lève les yeux vers lui et fronce les sourcils.

- Tu n'es parti que cinq minutes ?

Évidemment. Évidemment que Sherlock a à peine remarqué qu'il était parti pendant deux heures, évidemment qu'il ne se rend pas immédiatement compte que John est à la maison bien plus tôt que prévu.

- Qu'est-ce que t'as fait ? C'est quoi, ce truc ?

- Les effets de la chaleur ainsi qu'un mélange de composés chimiques sur un tissu animal, John. J'en avais besoin pour une affaire.

- Ok, et quand est-ce que tu comptes nettoyer ça ?!

- Je n'ai pas encore terminé.

La réponse est suffisante pour faire voler le dernier morceau de patience de John, et il attrape le premier objet qui lui tombe sous la main – en l'occurrence, un livre qu'il a lui-même laissé sur la table un peu plus tôt cet après-midi – et il le jette dans la pièce. Le livre rebondit contre le mur et atterrit tristement sur le tapis. Sherlock se recule du bureau et le regarde avec des yeux agrandis par la stupéfaction.

- Tu fais toujours ça ! hurle John. Tu fous la pagaille partout, et tu ne prends jamais tes responsabilités ! Tu ne remarques jamais les conséquences que ça a sur la vie des autres ! Notre appartement pue le zoo et le robot calciné, tu t'en rends compte ?! Tu te rends compte que je dois vivre là-dedans ?!

D'accord, John mélange un peu tous ses problèmes, là. Il en a douloureusement conscience, comme s'il s'agissait d'une lumière jaune clignotant à la périphérie de sa vision, mais il le camoufle avec une colère clairement dirigée contre la mauvaise personne.

- Je rangerai ? propose Sherlock, mais ce n'est pas suffisant.

- Ce n'est pas le problème, Sherlock ! Réfléchis un peu avant de faire quelque chose ! Pense, un peu ! Pense à moi, pour changer.

Sherlock a l'air presque offensé par ces paroles, et John réalise ce qu'il est en train de faire, et se sent déraisonnable – et il a l'impression de détester le monde entier pendant un lugubre instant.

- Laisse tomber. Va te faire foutre. Je vais me coucher. Laisse-moi tranquille, il marmonne.

Il tourne des talons, ignorant sciemment le chaos dans la cuisine, et se dirige vers la chambre d'un pas lourd. Il jette ses vêtements au hasard dans la pièce, déchire presque le tee-shirt qui lui sert de pyjama en l'enfilant si violemment que ses coutures se mettent à protester, et il s'enfonce avec colère dans le lit de Sherlock.

Il ne tarde pas à prendre conscience que le concept du "je quitte la pièce d'un air furieux" aurait été plus efficace s'il avait eu l'idée d'aller se fourrer dans son propre lit. Sa chambre est l'étage est toujours telle qu'elle était avant, avec une fine pellicule de poussière recouvrant les draps inusités. Mais l'idée d'aller dormir là-haut contracte douloureusement son estomac, et il reste où il est, roulé en boule sur le côté dans une attitude de défi.

Sherlock le rejoint dans la chambre peut-être une demi-heure plus tard, et se met au lit dans le noir. C'est tellement douloureusement silencieux que John croit même être capable de l'entendre retenir sa respiration, et il serre les poings sous les couvertures.

- Je t'ai mis en colère, dit Sherlock dans la pénombre, chaque mot mesuré avec prudence.

- Tu as remarqué, bravo, marmonne John.

- J'ai nettoyé. L'odeur restera sans doute pendant un jour ou deux, par contre. Je suis désolé.

John se tourne sur le dos et lance un regard noir au plafond.

- Non, tu n'es pas désolé. Arrête de t'excuser alors que tu ne le penses même pas.

Sherlock se tait pendant quelques temps, et John ferme les yeux et essaie de toutes ses forces de s'endormir. Ce qui ne fonctionne évidemment pas – la colère et l'étrange sentiment d'impuissance qu'il ressent tournent en boucle dans son crâne, comme un chien qui essaierait d'attraper sa queue. Sans oublier le soupçon de culpabilité qui réclame son attention à propos de la façon dont il a engueulé Sherlock, mais il décide d'ignorer celui-là. Il n'est pas certain d'avoir la capacité émotionnelle de faire face à toutes ces émotions en même temps sans finir par exploser.

- Dis-moi pourquoi tu m'en veux, demande Sherlock.

Ça devrait sonner comme un ordre, mais finalement, pas tellement ; l'intonation est maîtrisée pour ne pas risquer d'encourir à nouveau la colère de John.

- Oh, bon sang, marmonne John. Déjà, tu as transformé notre cuisine en déchetterie, pour commencer. Écoute. C'est pas... C'est pas juste à cause de toi.

Il soupire et frotte ses yeux avec ses pouces.

- J'ai parlé de nous à quelques amis du rugby. Leur réaction... n'a pas été très favorable.

- Oh.

Sherlock semble prendre le temps d'assimiler la chose.

- Et tu as rejeté ta colère sur moi.

- Oui. Exactement. Parce que je suis un connard, apparemment. Mais ça se justifiait, j'imagine, vu l'état de la cuisine.

- Je suis désolé.

- Non, tu n'es pas désolé. Tu mets toujours la pagaille partout et tu ne t'excuses jamais.

- Pas à propos de la cuisine. À propos de tes amis.

- Ah, d'accord. Oui... Moi aussi, en fait.

- Ils t'ont insulté ?

- Oh, non non. Rien de... véritablement homophobe, j'imagine. C'est juste qu'ils n'arrivent pas à l'accepter. À t'accepter. Je leur ai crié dessus.

Sherlock fait un geste vers lui, mais s'arrête en plein mouvement. L'hésitation semble l'envahir par vagues, et John est heureux de ne pas pouvoir voir dans la pénombre le regard de chien perdu que Sherlock lui fait – et il soupire.

- Allez, viens là, abruti, il murmure.

Sherlock est contre lui presque immédiatement, ses longs bras autour de lui et le serrant contre sa poitrine comme un enfant. Il porte un pyjama, ce qui indique à John que la situation le mettait trop mal à l'aise pour oser dormir nu comme il le fait habituellement. Sherlock n'est pas le seul à être capable faire des déductions sur les autres, après tout.

- Ça va... je crois, répond John d'un ton songeur, en posant le front contre le doux coton de la chemise de Sherlock. Au moins, maintenant, je sais qui sont mes vrais amis.

- Non, ça ne va pas, répond Sherlock, et John sait qu'il a raison aussi.

Sherlock respire dans ses cheveux, et même si John déteste l'admettre, sa simple présence chaleureuse est suffisante pour dénouer le nœud d'émotions négatives qui tournait dans sa poitrine. Il enroule deux doigts dans l'ourlet du tee-shirt de Sherlock et écoute les battements de son cœur, ce qui l'aide à retrouver un calme fragile, entouré des bras de Sherlock.

La côté tangible des battements de cœur de Sherlock, ce martèlement sourd et constant, le prend par surprise, de temps en temps. Sherlock est tellement en dehors des normes, tellement loin de ce qui est généralement jugé commun, qu'il est facile de le prendre pour un surhomme (ou un sous-homme, ça dépend des points de vue). Le fait qu'il soit absolument comme tout le monde, finalement, que son cœur batte, que son estomac fasse parfois de drôles de bruits, que ses ongles d'orteils aient aussi besoin d'être coupés, c'est toujours suffisant pour surprendre John, de temps en temps. Cette sensation est toujours accompagnée du la prise de conscience qu'il est probablement la seule personne que Sherlock ait jamais autorisée à se tenir assez près de lui pour remarquer ces détails, aussi. Comme le fait qu'il parle dans son sommeil, ou que des contusions apparaissent facilement sur sa peau lorsque John y pose ses lèvres et ses dents avec un peu trop d'enthousiasme.

- C'était notre première dispute de couple, fait remarquer Sherlock.

Sa voix profonde gronde dans sa poitrine, et John se sent chez lui, en entendant ça, plus que nulle part ailleurs.

- Mmh. Ça ne sera probablement pas la dernière, dit John.

Sherlock rit – un autre grondement profond, et John voudrait pouvoir se glisser dedans et ne plus jamais en sortir.

- Je t'aime, dit Sherlock.

- Lèche-bottes.

- Idiot.

- Je t'aime aussi.

- Je sais.

John sourit, et glisse un bout du tissu du tee-shirt de Sherlock entre ses dents. Il se sent mieux.

xXxXx

Tôt le lendemain matin, John reçoit un message, de la part de nul autre qu'Eliot.

Dsl à propos d'hier soir, mec. Je voulais pas te blesser. – Eliot

Ouais, je sais. C'était quand même merdique. – J

Tu connais Kev, il s'énerve, mais c souvent du pipeau. J'suis pas d'accord avec ce qu'il a dit, perso. – Eliot

Je connais Kev. Et je crois que je vais arrêter de le voir à partir de maintenant. Pas besoin de ça dans ma vie. – J

On est tjs potes, hein ? Je me fiche de savoir que tu couches avec des mecs – Eliot

On est toujours potes, Eliot. – J

Merci. – J

No pb, Johnny. Dis bjr à ton mec pour moi. – Eliot

John le fait. Sherlock le regarde d'un air délicieusement confus.

xXxXx

Et puis, trois semaines et quatre jours après qu'il ait pris la décision d'être ouvert à propos de sa toute nouvelle sexualité (qu'il considère généralement comme "hétéro avec une exception"), John ne peut plus retarder l'inévitable.

C'est une chose de faire son coming-out à sa logeuse, au frère de son petit-ami, à ses amis. La famille, en revanche, est d'un niveau bien supérieur, en ce qui concerne les jugements. Ils vous ont connu toute votre vie. Les chances de désapprobation, de déception, de refus d'admettre, tout simplement, sont si grandes et si dévastatrices que ça l'étouffe presque, ça le garde éveillé, ça le distrait constamment.

Il aimerait croire que la chose sera rendue plus facile par le fait d'avoir une sœur ouvertement lesbienne depuis ses dix-neuf ans. Ce n'est pas le cas. C'est justement le fait de savoir comment sa famille a réagi à son annonce qui rend le tout si difficile. Ce sentiment de responsabilité, de ne pas vouloir faire subir à sa mère ce que Harry lui a fait subir, est tellement immédiat que ça lui donne la nausée. Il se fait l'effet d'un traître, envers sa sœur, envers lui, et peut-être même envers Sherlock, coupable de ressentir ça, mais c'est enfoncé en lui tellement profondément qu'il ne peut pas s'en dégager.

Alors, Harry. Oui. Harry. Il reste planté devant sa porte pendant presque dix minutes après avoir frappé, jusqu'à ce qu'elle vienne finalement ouvrir, l'air surpris et coupable. Il essaie de ne pas le remarquer, de ne pas penser à ce qu'elle était en train de faire, mais il y a un verre de vin vide dans son évier et une bouteille à demi vide sur le comptoir, et personne d'autre dans le coin. Elle a bonne mine, elle a pris un peu de poids, mais le maquillage étalé sur son visage cache à peine les cernes sombres sous ses yeux.

L'appartement est tel qu'il l'a toujours été, mais l'absence de Clara est évidente ; ses petites affaires ont disparu, tout comme les bougies parfumées qu'elle avait l'habitude d'allumer, et l'énorme pièce de crochet afghan au dessus du sofa a disparu. Il ne le mentionne pas. Il ne mentionne pas non plus la nouvelle bouteille de vin qu'elle ramène depuis la cuisine, et accepte en silence le verre qu'elle lui donne.

Ils papotent à propos de choses stupides pendant un bon moment – Harry parle de son travail, John parle de la clinique, et ils remplissent les vides entre eux par des mots qu'ils se sont dits tellement souvent qu'ils ont perdu tout leur sens. C'est le genre de conversation badine que Sherlock refuse purement et simplement, et pendant vingt bonnes minutes, John envie sa capacité à tout simplement décliner ce genre d'obligation sociale.

Finalement, après qu'elle ait bu son deuxième verre de vin depuis qu'il est arrivé, elle lui demande pourquoi il est là. Une question qui aurait probablement été impolie, sans doute, si ce n'était pas aussi inhabituel pour son frère d'apparaître à sa porte sans prévenir comme il l'a fait.

- Il faut que je te dise quelque chose, dit-il lentement, les mots emprisonnés dans sa gorge.

Le vin est lourd et lui tiraille la langue. Elle hausse les sourcils en le regardant.

- À propos de Sherlock, il continue.

Toujours trop vague. Un de ses sourcils s'abaisse, l'autre reste perché.

- À propos de Sherlock et moi.

Il la regarde, et attend que la révélation fasse effet.

C'est finalement le cas, et une lumière s'allume dans la partie du cerveau de Harry qui n'est pas encore trop affectée par l'alcool.

- Oh, dit-elle. Oh. Bon sang, Johnny. Tu es sérieux ?

Il hoche la tête, tout en serrant son verre vide contre sa poitrine.

- Mortellement sérieux.

- Oh. Oh, bon sang.

Les minutes s'écoulent sur une horloge au mur – une babiole criarde, aux chiffres écrits dans une police de caractères élaborée, dont Harry est tombée amoureuse dans une boutique de bric-à-brac hors de prix à Hastings – et, toujours assis, il regarde Harry remettre en ordre tout ce qu'elle sait à propos de son frère.

- Comment c'est arrivé ? demande-t-elle finalement.

Avec une sorte de sourire en coin, il hausse les épaules et lui raconte son histoire, à Sherlock et à lui ; c'est la première fois qu'il prend le temps de raconter tout ce qui s'est passé du début à la fin.

- Ça a l'air stupide, mais il a commencé à venir dans mon lit pour une de ses expériences débiles. Juste dormir, rien d'autre. Enfin, au début. C'est juste... Je ne sais pas. J'ai réalisé, à un moment donné, à quel point c'était agréable de l'avoir là, tout le temps à côté de moi. Il parle dans son sommeil, c'est... étrangement réconfortant. Et ensuite, je me suis rendu compte que c'était comme si on était déjà ensemble, sauf qu'aucun de nous deux n'avait fait d'effort conscient pour être ensemble, et il m'a fallu un bon, bon moment d'introspection. J'ai fini par réaliser que j'étais complètement amoureux de lui et que je ne m'en étais jamais rendu compte. Je lui ai dit. Il m'a dit qu'il ressentait la même chose. Ça fait quelques mois maintenant, et... Voilà. C'est très simple, en fait, même si ça ne l'est pas toujours, et je ne me suis jamais senti aussi à ma place... Si tu vois ce que je veux dire.

- Oui, je vois ce que tu veux dire.

Harry lui répond d'une voix douce, émerveillée, et elle le regarde avec une expression qu'il ne lui a jamais vue auparavant – et il est frappé à l'idée que c'est la toute première fois de leur vie qu'ils se comprennent entièrement.

- Tu vas le dire à maman ?

Il grimace.

- Je ne sais pas. Peut-être. Je ne... On ne se parle pas souvent, de toute façon. Je sais que c'est probablement lâche de dire ça, mais...

- Oui, c'est lâche, mais je comprends, l'interrompt-elle avec un soupir. Pas besoin de rejouer le drame de notre enfance.

- Je lui dirai, un jour, dit-il sans conviction, et ils savent tous les deux qu'il ment.

- Papa ne s'en serait pas formalisé, ajoute-t-elle.

Il aurait préféré qu'elle ne dise rien, mais il hoche quand même la tête en guise d'assentiment.

Elle se sert un autre verre de vin, et lui permet d'en refuser un.

- Il faut que je te demande. Tu es gay, maintenant ?

- Je doute que les gens deviennent subitement "gay, maintenant", répond-il, pensif.

- Tu vois où je veux en venir.

- Oui. Non, je ne suis vraiment pas gay. C'est juste lui, j'en suis sûr. Pas que mon horizon ne soit pas un peu plus ouvert qu'avant, mais tu vois ce que je veux dire. Il a cet effet sur les gens, et pas juste sur moi. Tout ce que tu crois savoir sur toi-même et sur le monde, il le prend et il envoie tout à la renverse.

Elle sourit d'un air entendu tout en avalant une gorgée de vin.

- J'ai lu quelque part que si l'un des jumeaux est gay, l'autre a 70% de chances d'être gay aussi.

- Je suis presque sûr que ce n'est valable que pour les vrais jumeaux.

- Allez, c'est du détail. Regarde-nous, c'est quand même bizarre, non ? Mais si on voit le bon côté des choses, maman a enfin le beau-fils dont elle avait toujours rêvé.

- Oh, crois-moi, Sherlock n'est pas exactement le beau-fils rêvé.

Elle sourit, faisant tourner son vin dans son verre.

- Tu sais qu'il va falloir que je le rencontre, maintenant. Encore plus qu'avant, même. Il faut que tu nous présentes, on fait presque partie de la même famille.

- Ouais, ouais. Tu le verras bien assez tôt, j'en suis sûr. Prépare-toi à une douche froide, il adore insulter les gens.

- Toi aussi. Il est juste plus direct que toi.

Il la regarde, surpris par tant de perspicacité, et repose son verre vide sur la table.

- C'est vraiment sérieux, n'empêche ? demande-t-elle après avoir vidé le sien sans l'avoir rempli à nouveau.

- Quoi ?

- Je veux dire, vous envisagez le mariage, tout ça ?

- Oh, seigneur. Non, non, non.

Pas que John ne puisse pas aisément les voir ensemble pour le reste de leur vie – il ne pense pas que Sherlock le laisserait partir, de toute façon – mais l'idée d'en passer par là semble tout à fait stupide, pour le moment.

De toute façon, Sherlock risquerait de mourir de rire si John évoquait l'idée. Il voit plutôt leur future longue vie ensemble rester sous le sceau d'une relation non-officielle.

- Tu es sûr ? Je suis persuadée qu'il serait magnifique dans une robe blanche à froufrous.

John lui balance un coussin.

xXxXx

John se sent entier. C'est une conclusion étrange, puisqu'il ne se rappelle pas s'être déjà senti une moitié de lui-même, ou deux-tiers, ou n'importe quel autre nombre mathématique complexe, mais c'est ce qu'il ressent, et c'est agréable, alors il s'en contente.

Il est amoureux. Il ne s'en cache pas. Il est probablement impliqué dans le partenariat domestique le plus bizarre de Londres (et s'il y a vraiment quelqu'un d'autre en ville dont le petit-ami garde un thymus humain dans un Tupperware dans le frigo, il adorerait le rencontrer, ils s'entendraient sans doute fantastiquement bien), et il se fait toujours tirer dessus plus que nécessaire, mais il est amoureux et tout le monde le sait, il est tout simplement en paix avec lui-même, et surtout, il est heureux.

Entre les mauvaises choses qui lui sont arrivées et les bonnes choses qui lui sont arrivées, il est parvenu à un équilibre. Il a l'impression que c'est la chose la plus importante qu'on puisse souhaiter dans la vie.

Il pose sa soupe de tomate et de nouilles devant Sherlock, dans un bol orné d'un Schtroumpf qu'il a eu gratuitement en faisant ses courses. Sherlock regarde le Schtroumpf et pendant un instant, John se demande s'il sait de quoi il s'agit.

- Je n'ai pas faim, John, dit simplement Sherlock.

Il retourne à ses papiers concernant le thymus, pleins de chiffres et de longs paragraphes couverts de son écriture hasardeuse. John ne lui pose pas de question. C'est amusant de tout de même de voir à quel point leur relation se réduit souvent à ça.

- Tu as mangé, aujourd'hui ?

- J'ai pris un petit-déjeuner.

- Tu mens.

- Je ne mens pas.

Évidemment qu'il ment. Sherlock était peut-être endormi quand John est parti travailler, mais il est prêt à parier son âme que ce connard imbuvable n'a rien mangé de la journée.

- Tire la langue, fais-moi voir.

Sherlock s'exécute, montrant un petit bout de langue, et lève les yeux vers John.

- Tu vois ? Tu n'as pas mangé de la journée.

La langue disparaît dans la bouche, et Sherlock le regarde avec émerveillement.

- Comment tu le sais ?!

John sourit.

- Je ne le savais pas. Tu viens juste de me le confirmer. Maintenant, tu vas m'écouter, et tu vas manger cette soupe.

Sherlock fronce les sourcils et émet un bruit de mécontentement que la plupart des gens évitent de faire après avoir dépassé les six ans, mais il finit tout de même par porter des cuillerées de soupe à sa bouche. C'est une bonne soupe, de toute façon. John est très fier de sa capacité à fourrer n'importe quoi dans une casserole d'eau et à faire bouillir le mélange.

Il s'assoit en face de Sherlock, ouvre son ordinateur portable, et attend patiemment qu'il s'allume. Son blog a besoin d'être mis à jour – ça fait presque une semaine depuis la dernière fois qu'il a mis quelque chose dessus. Mais ils ne sont pas sur une affaire, en ce moment, et il n'y a pas grand-chose à partager, à part... voilà. Il se demande s'il devrait. Il se demande s'il pourrait. Il sait que Sherlock s'en moque et il sait aussi que ce serait effectivement le moyen le plus rapide de faire en sorte que ce soit clair comme de l'eau de roche aux yeux des autres.

Il fixe l'écran de son ordinateur, et réfléchit.

- Je peux ? lui demande Sherlock, en repoussant le bol plus loin sur la table.

- Tu peux quoi ?

- Mettre à jour ton blog.

- Tu veux mettre à jour mon blog ?

- Tu envisages de leur dire ce qu'il y a entre nous, mais tu n'arrives pas à trouver les mots. Je peux essayer ?

Comment est-ce qu'il fait ça ? Comment ?

- Tu veux écrire un post... à propos de nous.

Par-dessus l'écran de son ordinateur, John hausse en sourcil en direction de Sherlock.

- Oui, John, c'est évident. Essaie de suivre.

Sherlock ne le regarde même pas, toujours en train de gribouiller des notes à côté de ce qui semble être un schéma étonnamment détaillé de thymus.

- Pourquoi tu ne le mets pas sur ton site ?

- Personne ne lit mon site, John.

Oh. Effectivement, c'est une bonne raison.

- D'accord, dit-il.

Sherlock lève les yeux vers lui, cette fois, en haussant les sourcils.

- Vraiment ?

- Oui, vraiment. Mais je le relis avant que tu ne le mettes en ligne, d'accord. Je ne veux pas de mauvaise surprise.

Sherlock fait un demi-haussement d'épaules, un demi-sourire, et abandonne promptement son travail sur le thymus, ce qui signifie qu'il doit sans doute être assez sérieux à ce sujet. John se lève, récupère le bol de soupe vide, et se dit qu'il ferait aussi bien de faire la vaisselle en attendant. Sherlock s'assoit et tape calmement à l'ordinateur.

John a terminé la vaisselle, essuyé le plan de travail, la cuisinière, et l'eau du thé est à moitié en train de bouillir, quand Sherlock l'appelle.

- John, j'ai terminé. Tu peux venir lire ?

Il tourne l'ordinateur, et John s'assoit pour lire, et il manque d'en tomber de sa chaise.

Bonjour, lecteurs de John. Aujourd'hui, ce n'est pas l'honorable Dr. Watson qui a le privilège d'amuser la galerie. À sa place, me voici, Sherlock Holmes lui-même, ayant obtenu l'unique privilège de mettre à jour le si célèbre blog de John.

Pour information, mon propre site se trouve à cette adresse : www:thescienceofdeduction:co:uk. N'hésitez pas à y passer pour une expérience plus instructive.

La raison pour laquelle John m'autorise à faire ceci est simplement qu'il y a quelque chose qu'il souhaite communiquer au monde entier, mais qu'il a du mal à trouver les mots appropriés. J'ai proposé mon aide – après tout, il s'agit d'un sujet qui me regarde tout autant que lui.

Voici de quoi il s'agit – les rumeurs qui ont couru nous concernant tous les deux, presque depuis le jour où nous nous sommes rencontrés. Aujourd'hui, nous vous confirmons qu'elles sont vraies. Elles sont absolument vraies. Elles ne l'ont pas toujours été, mais elles le sont aujourd'hui. John et moi sommes, en effet, impliqués dans une relation à la fois sentimentale et sexuelle.

Très longtemps, les gens ont cru que nous étions en couple alors que c'était faux. Pendant la majorité cette période, John a cru que c'était lui qui envoyait à ces gens des signaux erronés, peut-être à cause d'une ambiguïté dans son comportement, mais il avait tort. C'était moi. C'était la façon dont je le regardais, et que tout le monde a tout de suite remarqué, à part John.

John est l'homme le plus fascinant que j'ai jamais eu le plaisir de rencontrer. Extraordinaire, même. Je n'arrive jamais à le comprendre entièrement, ce qui est fantastique. Il me surprend continuellement. Juste comme je me dis que j'ai compris comment il fonctionnait, il fait quelque chose que je n'aurais pas pu prédire. Juste comme je pense que mon monde tourne doucement sur la droite, il lui donne un coup de pied et l'envoie tourner sur la gauche.

Juste comme je pense que je sais enfin comment le gérer, nous gérer, il hausse les épaules et me dit qu'il est amoureux de moi. Je n'ai jamais de ma vie ressenti envers personne ce que je ressens envers John Watson, ce qui est à parts égales terrifiant et exaltant.

John écrit ce blog sur moi, et sur sa vie avec moi et vous commentez en lui disant qu'il a de la chance, que sa vie est excitante et intéressante grâce à moi, mais vous vous trompez. C'est ma vie qui est excitante et intéressante grâce à lui, et, certainement, c'est moi qui ai de la chance.

Alors voilà, chers lecteurs, la vérité, juste pour vous : je n'ai jamais aimé quelqu'un, ou quelque chose, dans ma vie, aussi profondément que j'aime John Hamish Watson, mon blogueur. Je suis incapable de vous dire le bonheur que ça me procure de savoir qu'il a choisi de m'aimer en retour.

Sincèrement,

Sherlock Holmes.

John relit. Re-relit. Fixe Sherlock, qui est retourné à ses papiers comme s'il n'avait pas du tout écrit la plus incroyable déclaration d'amour qui soit. John la relit encore une fois.

Il appuie sur "publier". Ça ne prend que quelques secondes avant d'être lâché dans la nature, et John se sent incroyablement bien.

- T'es quand même un sacré numéro, tu le sais, ça ? dit-il tendrement.

Sherlock répond par une sorte de haussement d'épaule évasif.

- Qui aurait cru que tu avais l'âme d'un poète, finalement ?

Là, Sherlock lui lance un regard noir – comment ose-t-il suggérer qu'il est autre chose qu'un scientifique, bien sûr – mais il y a quelque chose, au coin de sa bouche, une sorte de pli satisfait, qui indique à John qu'il l'a quand même pris pour un compliment.

John se lève, ferme son ordinateur – il est à moitié certain qu'il y aura une avalanche de commentaires, ce matin, mais pour le moment, il n'a pas envie de s'en soucier – et s'avance vers Sherlock, entoure ses épaules de ses bras, et pousse son cou du bout du nez.

- Idiot.

- Ta soupe était bonne. Il en reste ?

- Je viens de finir de nettoyer la cuisine, ne me dis pas que tu as faim...

- Hmm.

John soupire, se redresse en ébouriffant les cheveux de Sherlock, et se dirige vers la cuisine. Il prend le reste de soupe dans le frigo, et allume le gaz.


Notes de l'auteur :

Et voilà pour cette histoire. Quand j'ai écrit "Du sommeil", honnêtement, je ne m'attendais pas à ce que ça devienne une série entière, mais finalement, c'est ce qui s'est passé, et ce n'est pas plus mal. Merci à tout le monde d'être resté avec moi jusqu'à la fin, et d'avoir dit des choses si gentilles dessus.