Au dessus de toutes les ombres vogue le Soleil
Et les étoiles à jamais demeurent :
Je ne dirai pas « Le jour est fini »,
Je ne ferai pas aux étoiles mes adieux.
Perdu dans ses pensées, Bilbo s'amusait à faire des ricochets dans une mare dont l'eau croupie était brunâtre, mais il ne put retenir un glapissement de terreur lorsque, soudain, la voix de Thorin, étouffée, lointaine et chuchotante, s'éleva derrière lui :
— Ça n'a pas été simple, mais j'ai trouvé un passage pour traverser les Montagnes.
— Ça fait deux jours que je t'attends !
Se jetant sur ses pieds, le plus petit se dressa face à l'endroit où se tenait certainement l'âme du nain, les bras croisés. Mais il sursauta à nouveau lorsque la voix reprit, dans son dos :
— Ces montagnes sont infranchissables. Je n'ai relevé que trop peu de galeries qui débouchent sur le Gorgoroth… Et aucune d'entre elles n'est déserte…
— Comment ça ?
— A deux jours à l'Est d'ici, un couloir facile d'accès passe à travers la roche, mais des centaines de gobelins y vivent. De l'autre côté, à cinq jours pour toi, il existe un tunnel qui passe sous la terre et débouche non loin de Barad-Dur.
— Mais… ?
— Des araignées. Aussi grosses que leurs cousines des forêts, si ce n'est plus… Vives et affamées. Le troisième, plus loin, n'est pas sans danger lui non plus.
A l'annonce des araignées, il avait frissonné, mais il se reprit et demanda en baissant les yeux :
— Qu'y a-t-il ?
— Shélob y vit.
— Shélob ?
— Immonde descendante d'Ungoliat. Elle revêt la forme d'une araignée géante. Mais elle est vieille. Ses reflexes et ses sens sont amenuisés. Tu es trop silencieux pour la réveiller.
Le visage de Bilbo s'assombrit et, terne, il s'assit sur la roche noire et humide, demandant d'une petite voix :
— Mais si elle se réveille ?
— Je serai là.
— Si elle a faim, ce n'est pas toi qu'elle voudra manger…
Bougonnant pour lui même, Bilbo attrapa son sac et, sans attendre, se remit sur la route. Cela faisait quelques jours, de toute manière, qu'il avait passé à se reposer en attendant que Thorin revienne de sa mission d'éclairage, il ne voulait pas attendre ici davantage.
Un éclat attira son regard et, sans un mot, il profita, le temps d'un instant, de voir la silhouette du nain à porté de vue, à peine quelques secondes, avant qu'il disparaisse à nouveau.
L'approche du Mordor et, surtout, de l'essence maléfique de Sauron qui y régnait, affectait le monde éthéré. Les ténèbres étaient tellement concentrés sur ces terres qu'ils mettaient à mal le frêle voile qui séparait le monde de la matière avec celui du néant, poreux et déchiré par endroit. Bilbo ne pouvait percevoir ces creux lui-même, mais il arrivait que l'âme du nain devienne visible à l'œil nu. Chose immatérielle parmi la matière.
Intouchable et silencieux, jamais visible très longtemps, mais présent, ce peu suffisait à Bilbo car, le plus souvent, il n'était tout simplement pas là.
Libéré de l'espace et du temps, Thorin sentait toutefois le danger qui irradiait de ces terres, mortel pour Bilbo, ineffable pour lui.
Surtout que sa présence ne manquait pas d'attirer l'attention de l'œil, qui était, pour l'instant, toujours focalisé sur la Lothlorien et Erebor, dont les troupes s'unissaient afin de servir de diversion.
Ils s'étaient arrangés pour faire courir le bruit que l'anneau s'en était retourné près de l'Arkenstone, à Erebor, et, depuis, le Mordor concentrait ses forces et sa vile attention sur les royaumes du Nord, qui se préparaient, encore une fois, à la guerre.
C'était la raison pour laquelle Bilbo était le plus souvent seul, totalement seul, sans le moindre moyen de communiquer avec Thorin qui craignait que la perversion de Sauron le touche. Car le Seigneur des Ténèbres savait lire en lui, il connaissait les mots, les images à utiliser, pour le fragiliser chaque jour un peu plus, lui mettre en tête que la meilleure chose qu'il avait à faire, était de s'emparer de l'anneau pour lui amener, ou, pire, pour l'utiliser à son compte.
Revenir à la vie, retrouver les siens, réparer ses erreurs et profiter, enfin, de ce qui lui a été arracher lorsqu'il était encore en vie et dont il n'avait jamais pu profiter, l'Arkenstone, la couronne, le trône… Serrer à nouveau Bilbo dans ses bras, lui apporter confort et soulagement, lui épargner cette quête si difficile…
Toutes ces choses, si ambitieuses, qu'il ne pourrait avoir, Thorin n'en avait pas ressenti l'envie au début, au moment ou il était revenu.
Mais la proximité de l'anneau avait attisé ces désirs, au point de les rendre douloureux, essentiels et, surtout, réels. Désirs attisés en même temps que montait une certitude en lui : s'il possédait l'anneau, alors il aurait tout.
Il savait qu'il devait résister, mais en avait-il la force ?
Plus il s'en détournait, et plus ses envies, pâles échos attisés de ses désirs d'autrefois, le mordaient cruellement.
Et plus ses pensées caressaient l'idée d'utiliser l'anneau pour les combler, et plus elles s'adoucissaient, voluptueuses et aguichantes, comme de doux rubans de soie qui caressaient son âme et susurraient qu'il pourrait, enfin, gouté à tout ce que la mort, et même la vie avant elle, lui avait arraché.
Démunie de tout, il était bien plus facilement tenté que pouvait l'être Bilbo, qui, lui, n'avait besoin de rien d'autre que sa tranquillité et son confort, chose que l'anneau ne pouvait proposer. Si ce n'était la présence de Thorin, rien ne lui manquait. Malheureusement, c'était déjà une faille conséquente dans laquelle le fiel de Sauron se déversait, ancrant son emprise dans le cœur pourtant droit du hobbit.
Toutefois, ils approchaient du but et Sauron venait à peine de retrouver son ancienne forteresse, chassé de Dol Guldur par le conseil blanc plus d'une année auparavant. Mis à part les clans des orcs du Nord, il avait peu de troupes et d'armées à disposition et n'était pas organisé, mais Bilbo répugnait tout de même à traverser le Gorgoroth.
Durant la quête d'Erebor, il avait été entouré de la compagnie des nains, ses amis. Ici, il était seul. Seul et désespéré, avec l'anneau comme unique présence et, parfois, le cri lugubre d'un nazgul qui s'élevait au loin.
Même quand Thorin était là, il se sentait seul.
Surtout quand Thorin était là, en fait. Sa présence n'en était pas vraiment une.
— Il me faudra marcher combien de temps ?
— Quelques jours, vers le Sud.
— Et… Ce passage… il est facile d'accès ?
Il ne reçut pas de réponse et, à son tour, garda le silence.
Il avait très bien compris que, s'il arrivait si bien à percevoir la présence des spectres, c'était tout simplement parce qu'il avait l'anneau avec lui et qu'il utilisait, inconsciemment, son pouvoir pour interagir avec Thorin. Mais s'il se fermait à l'artefact ennemi, pour se préserver de son poison corrosif, il n'avait aucun moyen d'entrer en contact avec le nain ou même de ressentir sa présence. Ca lui était très difficile et il ne parvenait jamais à rester hermétique très longtemps, surtout pas après ce si long voyage qu'il avait fait en sa compagnie. Marcher seul sans pouvoir interagir avec Thorin semblait bien au delà de ses forces.
Toutefois, il sentait bien à quel point l'anneau tentait de corrompre le nain, et il n'ignorait pas ce qu'il s'était passé au terme de la quête d'Erebor. Il savait que celui dont il était amoureux n'était pas sans failles et sans faiblesses et, plus ses pas l'approchaient de la destination, moins il se sentait en sécurité lorsque le roi déchu était à proximité.
Il marcha quelques jours, en silence, suivant les directives de Thorin qui disparaissait, parfois, pour se rendre à Erebor ou ailleurs, supervisant la guerre, veillant sur ses neveux qui, à peine ressuscités, croisaient déjà les armes contre ces mêmes créatures qui leur avaient pris la vie.
— Les armées du Nord sont mises à mal. L'ennemi attaque sur tous les fronts sans leur laisser de répit.
Encore, Bilbo manqua de pousser un glapissement surpris lorsque Thorin parla tout d'un coup à côté de lui après plus d'une journée d'absence, et il entendit, sans mal, la requête que le roi avait tu.
— Navré, mais je ne peux pas aller plus vite…
Bougonnant, il continua de marcher, trébuchant sur les pierres aiguisées et cherchant son chemin malgré les ténèbres qui l'entouraient et qui refusaient de se lever, même lorsque le jour était à son apogée.
— L'escalier n'est plus très loin.
— L'escalier ?
— Il te faudra grimper pour rejoindre l'antre de Shélob. Je t'y attendrai.
— Comment ça. Tu ne restes pas avec moi ?
— Cette région est maudite et gouvernée par les spectres noirs. Ils ne peuvent te voir, mais moi, ils ne me manqueront pas. Autant ne pas attirer l'attention sur toi.
Bilbo baissa piteusement le museau et ne dit rien, de toute manière, il savait que ses mots resteraient sans réponse, car le nain était déjà reparti.
Il ne mit pas longtemps à trouver les entailles dans la roche qui servaient d'escalier et, retenant un soupir de désespoir face à l'ampleur de l'escalade qui l'attendait, il commença à grimper en serrant les dents.
A cause de cet état crépusculaire qui durait du matin au soir et du soir au matin, il n'avait plus la notion du temps, mais il mit bien deux jours à attendre le sommet, transit et fatigué.
Arrivé face à l'antre, ne sentant pas la présence de Thorin, il ne sut se décider à y entrer seul, l'air suintant de puanteur qui en ressortait suffisait à lui hérisser l'échine.
Il préféra attendre en se reposant et, lorsqu'il se réveilla, le bruissement particulier de l'air froissée lui arracha un maigre sourire.
— Tu es là.
— Toi aussi…
Bilbo, qui avait fait quelques pas vers l'entrée de la sombre galerie, s'immobilisa en fronçant les sourcils, pas certain d'avoir bien entendu le murmure respectueux du nain, mais, plus proche que ce qu'il avait pensé, celui-ci reprit :
— La première fois que je t'ai vu, je ne t'ai même pas pensé capable d'atteindre les Monts Brumeux sans faire demi-tour à la première difficulté… Et maintenant, te voilà… Plus loin de chez toi que je ne l'avais jamais été d'Erebor… Face à des dangers qui dépassent l'entendement…
Le murmure se tut quelques secondes, et Bilbo baissa les yeux en haussant les épaules, sentant la présence de Thorin si proche de lui mais hors d'atteinte. L'air se froissa à nouveau et l'âme du nain s'approcha doucement :
— Tu es bien plus surprenant que ce que Gandalf avait laissé entendre lorsqu'il t'a présenté à nous comme simple cambrioleur…
Il tressaillit légèrement lorsqu'il sentit un souffle froid sur sa joue et il ferma les yeux, profitant de la caresse qui éveilla sa peau comme si des doigts de chair l'avait touchée.
— Tu es surprenant, tout simplement…
Thorin était proche de lui, il le sentait. Sur sa joue, la caresse se déploya et, les yeux résolument fermés, il entrouvrit les lèvres, sentant comme une respiration régulière s'échouer contre elles, l'enivrant douloureusement. Ses vêtements se froissèrent lorsqu'une caresse descendit sur sa taille et, gardant les paupières closes, il eut soudain l'impression de se trouver face à un corps de chair, dont les mains parcouraient le sien avec délicatesse.
Il aurait voulu savourer l'instant et se plonger dans ces bras si forts, prier pour qu'il ne s'arrête jamais, s'il n'était pas en train de sentir, nocive et insidieuse, la volonté de l'anneau qui battait contre sa poitrine et qui lui susurrait de l'utiliser pour ramener Thorin sur ce plan-là, pour toujours. Tout ce qu'il avait à faire était de donner l'artefact à son amant, et il serait là, palpable et vivant.
Il déglutit et se rendit compte combien son cœur battait fort, sans parvenir à taire ces voix aiguisées qui tentaient de le soudoyer. Contre lui, les caresses du nain devinrent rêches alors qu'il sentait qu'elles avançaient vers sa gorge, jusqu'à toucher l'anneau qui tinta lugubrement contre la chaine.
Thorin l'entendait aussi, son appel, si doux et si entêtant, il lui suffisait simplement de s'emparer de l'anneau, et Bilbo ne serait plus jamais seul. Ce pouvoir était là, à porté de main, offert et accessible, représentant tout ce qu'il avait perdu.
— Non !
Le charme se rompit cruellement au moment où il sentit Thorin effleurer l'arme de l'ennemi et, farouchement, il fit un pas en arrière. La chaîne se cassa à cet instant et le bijou tomba lourdement au sol, dans un bruit sourd.
Bilbo resta immobile un instant, incapable de discerner la présence de Thorin qu'il avait repousser en même temps que la tentation de l'anneau et, vivement, il ramassa l'objet avant de reculer en jetant un œil inquiet autour de lui.
— Thorin, tu es là ?
Un courant d'air putride le ramena à la réalité et, la gorge sèche, il se tourna vers les galeries sombres qui s'enfonçaient dans les montagnes, puis s'y précipita sans attendre.
Toutefois, il y faisait trop noir pour qu'il puisse se mouvoir facilement et, posant sa main contre la pierre froide et humide, il avança à tâtons, la tête tournant à cause de l'odeur nauséabonde qui régnait en ces lieux.
Il marcha ainsi quelques heures, descendant toujours plus profondément dans les ténèbres qui se fermaient sur lui, incapable de discerner les différents embranchements où les galeries dérobées. Il se sentait au seuil du désespoir et, malgré ses membres lourds et fatigués, il se forçait à continuer d'avancer pour ne pas se laisser submerger par la peur et l'horreur de sa situation.
Contre lui, l'anneau pulsait intensément et, à chaque nouveau pas qu'il faisait, il se trouvait déchiré entre son désir de l'utiliser pour conjurer Thorin afin de l'avoir à ses côtés et la crainte de voir en lui un nouveau danger qu'il devait impérativement repousser.
Ce fut lorsqu'il commença à entendre des bruissements suspects dans l'ombre qu'il sentit qu'il ne pourrait pas faire face seul au danger, et il s'immobilisa pour chuchoter :
— Thorin ?
— Je suis là.
— Je ne sais pas quoi faire…
— Continue. Le chemin que tu suis est le bon.
Il hocha la tête et inspira pour se donner plus de courage, remarquant d'une petite voix :
— Je ne suis pas seul dans ces galeries.
— Je sais. Reste silencieux, ne touches à rien d'autre que la pierre.
Il acquiesça une nouvelle fois en continuant de marcher et, pour se détourner de l'angoisse qui montait en lui, il reprit en chuchotant :
— Sais-tu où elle est ?
— Son nid est en amont, elle s'y trouve.
— Que fait-elle ?
— Elle veille.
A peine rassuré, il resta silencieux et continua d'avancer difficilement, suivant les conseils de Thorin qui le guidait à travers les galeries. Les parois qui l'entouraient étaient maintenant poisseuses, couvertes d'une substance qu'il ne voulut pas identifier et il se sentit presque soulager lorsque les couloirs s'évasèrent soudainement et que l'air commença à se purifier.
— Arrête toi.
A l'ordre implacable, il se figea, ses sens en alerte. Thorin n'était, tout d'un coup, plus là, et il resta pétrifié un long moment, avant que le chuchotement du nain souffla à son oreille.
— Des orcs viennent de pénétrer dans les tunnels… Trop loin pour t'inquiéter, mais Shélob les a entendu, elle vient de se mettre en chasse. Ta trace est encore fraiche et plus alléchante que celle de ces créatures putrides, elle ne la manquera pas.
— Que dois-je faire ?
— Court.
Le chuchotement presqu'éteint claqua pourtant comme un coup de tonnerre et le hobbit ne manqua pas de se ruer vers la sortie qu'il devinait proche. Il ne se passa pas longtemps avant qu'il n'entende, derrière lui, le bruit immonde du chuintement arachnéen répercuté par l'écho des couloirs, et son sang se glaça.
— Thorin !
— Je sais. Ne t'arrête pas, je m'en occupe.
Un tourbillon se leva à ce moment et Bilbo continua de courir, laissant Thorin derrière lui.
Le fracas qui suivit fut épouvantable et Bilbo ne se risqua pas à ralentir son allure. Il déboucha soudainement à l'air libre, au milieu des roches et crevasses des montagnes noires, discernant, plus loin, la sombre tour de Cirith Ungol.
Il venait de pénétrer au Mordor, à son plus grand désarroi, lui qui rêvait tant de retrouver son canapé et sa cheminé.
Essoufflé, il continua d'avancer, tâchant de rester discret et silencieux, n'ignorant pas qu'il se trouvait sur une terre emplie de dangers.
Mais le son lointain du combat entre l'âme damnée de Thorin et de la descendante d'Ungoliat cessa brusquement pour laisser place à un silence angoissant, si bien qu'il s'immobilisa, inquiet et indécis. Toutefois, un trait de soulagement le prit lorsqu'il perçu la froissement caractéristique de l'air qui annonçait la présence de l'âme du nain à ses côtés :
— Que s'est-il passé ?
— Ce monstre est bien plus puissant que ce que j'ai déjà affronté. Sa magie est ancienne et effacée, mais très noire et imperméable. Je t'ai simplement offert un sursit en la retardant et effaçant ta trace. Reste sur tes gardes, Bilbo.
Il hocha la tête et reprit sa route, à peine rassuré par la présence de Thorin, silencieuse et invisible.
— Et les orcs ?
— Avec un peu de chance, elle se focalisera sur eux.
— Ce ne sont pas les seuls qui trainent par ici… Comment vais-je-
— Tait-toi.
L'ordre implacable suffit à sceller les lèvres du plus petit qui, comprenant le danger, s'accroupit pour se cacher derrière une faille tandis que l'âme du nain s'évaporait soudainement.
Il fut alors enveloppé dans un silence si dense qu'il en eut la chaire de poule et, dégainant Dard, il tenta de percevoir le moindre son aux alentours.
Le plus discrètement possible, il se remit en mouvement, marchant silencieusement à travers les rochets sombres et érodés, sa main tenant fermement la garde de son épée.
Il se sentait observé, traqué, et à chaque foulée, il jetait un œil par dessus son épaule, sursautant au moindre éboulement de gravier qui se faisait entendre.
— Bilbo, à terre !
Quelque chose le percuta brutalement et il se retrouva face contre sol, expulsant un souffle douloureux face à la violence de l'impact. Lorsqu'il se redressa, il se trouva face à un monstre ignoble et puant, criant de rage et de fureur alors qu'il était repoussé par la force brute de Thorin qui se tenait entre Shélob et sa proie.
— Pars, Bilbo !
Le hobbit ne contesta pas et se faufila à travers les failles de la région. Gardant une allure soutenue, il dévala le flanc des montagnes, le corps battant et les veines gorgées de peur. Toutefois, il se stoppa net lorsqu'il se trouva face à la vieille tour de Cirith Ungol.
Cela ne faisait même pas un an que le Mordor était de nouveau sous la juridiction de Sauron, mais plusieurs clans orcs vivaient dans la région depuis quelques centenaires et le hobbit ne manqua pas d'apercevoir la lueur des torches à travers les ouvertures du bâtiment.
Il dégaina légèrement Dard et frémit en remarquant la lueur bleutée de sa lame, toutefois, il ne laissa pas le désespoir s'emparer de lui et son œil fut attiré par la montagne solitaire qui se détachait au loin, sombre et terrible.
Las et épuisé, il se mit tout de même en route, contournant prudemment la tour noire, jusqu'à atteindre un promontoire qui lui permit de voir l'étendu de la terre qui lui faudrait traverser pour atteindre le terme de son voyage. Des vallées, des sentiers escarpés, des buissons d'épines et des bourbiers se dressaient entre lui et le feu maudit qui détruirait l'anneau. Et celui-ci était maintenant tellement lourd que Bilbo se sentait ployer sous son poids, se demandant s'il était capable de mener sa quête à bien.
— Tu peux le faire, Bilbo.
Il avait entendu Thorin arriver près de lui et ne fut pas surpris par sa déclaration feutrée, il se contenta de soupirer :
— Shélob ?
—Tu es maintenant trop loin pour représenter le moindre intérêt à ses yeux. Mais elle n'est pas le seul danger qui rôde par ici.
— Je le sais bien, Thorin.
Il avait répondu d'une voix grave, presqu'éteinte, qui attira l'attention du nain et, Bilbo continua sur le même ton :
— Je… Je suis conscients de l'aide que tu m'as apporté jusqu'ici et du soutient que tu représentes dans cette quête… Mais…
Il se tut pour prendre son inspiration, le regard rivé sur la montagne du Destin face à eux, avant de souffler d'une voix blanche :
— De tous les dangers qui me guettent, tu es certainement le pire…
— Bilbo… Tu sais très bien que, sans moi, tu ne pourras att-
— Je veux que tu partes, Thorin.
Sa voix était ferme, et il resta droit, le regard dur fixé devant lui sans ciller, malgré la larme qui roula sur sa joue alors qu'il sentait l'air frémir douloureusement :
— Je ne te laisserai pas seul dans ces Terres maudites !
— Si. Tu le feras. Car je dois détruire cet anneau et, le moment venu, tu n'auras pas le droit de m'en empêcher. Si tu restes à proximité, il s'emparera de toi.
« Si ce n'est pas trop tard » se garda-t-il d'avancer à voix haute et, une nouvelle fois, l'air se crispa autour de lui, plus dense, plus agressif :
— Il te le prendra ! C'est ce que tu veux ? Sans défense, le Mordor ne fera qu'une bouchée de toi ! Le premier gobelin qui croisera ta route te mènera à Sauron et je ne pourrai rien faire contre ça !
— Que tu sois à mes côtés ne changera rien, Thorin. Tu es mort. Tu es un fantôme qui n'a pas la moindre prise dans ce monde, si ce n'est le pouvoir que tu empreintes à l'anneau pour te manifester… Pouvoir qui te corromps un peu plus chaque jour.
— Je suis plus fort que cela… je saurai lui résister.
— Tu n'es qu'un mortel… Qui a déjà failli auparavant… La mort ne t'a pas rendu invincible, au contraire.
Une pulsion furieuse dans l'air lui répondit, mais il garda son aplomb pour assener d'une voix brisée :
— S'il te plait… Thorin… Part. Tu ne pourras plus m'aider autrement.
Sa voix se cassa alors qu'un premier sanglot laboura sa gorge mais, soudain, l'agressivité de l'air s'évapora d'un coup et il su, à ce moment, qu'il était seul.
Thorin était parti.
Merci d'avoir lu !Je vais essayer de faire en sorte que ceux qui suivent toujours malgré les monstrueux écarts de publication ne soient pas déçus par l'évolution des choses.
Ceci dit, j'ai peut-être attendu deux ans, mais ça m'a permit de retrouver une inspiration correcte pour offrir à cette fic un meilleur dénouement que ce que j'avais en tête au début.