Le monde a changé. Je le vois dans l'eau. Je le ressens dans la terre. Je le sens dans l'air.
Beaucoup de ce qui existait jadis est perdu.
Car aucun de ceux qui vivent aujourd'hui ne s'en souviennent.

Tout commença lorsque les grands anneaux furent forgés.
Trois furent donnés aux Elfes, immortels, les plus sages et les plus respectables de tous les êtres.
Sept aux seigneurs Nains, grands mineurs et sculpteurs de la montagne.
Et neuf, neuf anneaux furent donnés à la race des Hommes qui par-dessus tout désiraient le pouvoir.
Car au travers de ces anneaux fut transmis la force et la volonté de gouverner chaque race.

Mais ils furent tous dupés...

Car un autre anneau fut forgé. Sur les terres du Mordor, dans les flammes de la montagne du destin
Sauron le Seigneur des Ténèbres forgea en secret un maître anneau pour gouverner tous les autres.
Dans cet anneau, il déversa sa cruauté sa malveillance et sa volonté de dominer toute vie.

Un anneau pour les gouverner tous.

Chapitre 1: Un funeste anniversaire

Un soudain petit vent se leva, les feuilles de ses cahiers remuèrent, la flamme des bougies chancela et les rideaux frémirent. Quelque part, une porte claqua. Bilbo reposa sa plume d'une main lourde. Un an. Cela faisait un an aujourd'hui et il avait l'impression d'y être encore. Il entendait le fracas de la bataille, les hurlements de douleurs, le choc des armes... Puis le silence. Ce silence abominable qui avait prit place dans la tente où gisait Thorin, auprès des corps sans vie de ses neveux. Il y a un an, Bilbo avait posé ses doigts sur les paupières du grand nain pour lui fermer les yeux à tout jamais. Thorin venait de pousser son ultime soupir. Et Bilbo n'avait toujours pas fait son deuil.

La légère brise revint et se plaça sous forme d'un petit tourbillon dans un coin de la pièce, éteignant les bougies au passage. Bilbo serra les dents lorsqu'il entendit un murmure glacé hurler de douleur.
Kili non plus n'avait pas fait son deuil et son âme à vif se tordait de chagrin. Le hobbit n'avait jamais eu aucun moyen d'affirmer que cette présence tourmentée qui ne le lâchait plus depuis son retour d'Erebor, depuis ce jour maudit, était bien le neveu de Thorin. Mais le cambrioleur n'avait pas besoin d'arguments pour le confirmer, il le savait, au fond de lui, que ce souffle maudit n'était autre que l'âme brisée du jeune nain.

Le cambrioleur était celui qui avait accroché son dernier soupir, celui qui lui avait tenu la main en lui murmurant des mots rassurants à propos de rivages blancs et de contrées verdoyantes, qui lui avait caressé son front brûlant pour le réconforter jusqu'à la fin. Mais Kili n'était pas parti : il avait vu son frère mourir, il avait vu la lame d'Azog se planter dans son cœur, le tuant sur le coup et il était mort en même temps que lui. Non pas physiquement, mais son âme s'était arrachée de son corps et voulut suivre celle de son frère. Elle était partie trop vite, elle s'était égarée et, lorsqu'elle retrouva le chemin de son corps, il était trop tard, il ne pouvait plus l'accueillir. Et l'esprit damné de Kili se trouva à errer désespérément entre deux mondes, avec comme seul point d'ancrage la lumière qui brillait autour du hobbit et qui l'appelait comme un phare.

« Ils étaient fiancés tu sais ? Fili avait fait sa demande la veille du départ. Il avait mis du temps à convaincre Thorin et sa mère, mais au final, il avait tellement supplié et menacé son oncle que celui-ci avait consenti à lui accorder la main de Kili. De toute façon, il avait compris que s'il ne le faisait pas, son héritier l'aurait renié. C'était la première chose que nous aurions fêté en prenant possession d'Erebor. »

Non, Bilbo ne le savait pas et que Balin le lui apprenne ne lui fit pas particulièrement du bien. Les savoir séparés ainsi dans la mort alors qu'ils s'aimaient bien plus que de raison, c'était d'une cruauté sans nom. Sentir l'âme en détresse du plus jeune se tordre de douleur à quelques mètres de lui et ne pouvoir rien faire, c'était d'une cruauté sans nom. Mais le semi-homme avait appris à faire avec, du moins, il l'avait accepté.
De temps en temps, Kili partait à la recherche son frère, à la recherche du chemin. Mais le plus souvent, il était là, à errer sans but dans les pièces de l'habitation du cambrioleur, soufflant ses bougies, avivant le feu, faisant voler les feuilles distraitement. Il arrivait qu'il disparaisse des jours ou des semaines pour revenir ensuite bredouille auprès du semi homme, telle la pauvre âme en peine égarée qu'il était. Et le hobbit ne pouvait que le plaindre.

L'âme du guerrier n'était pas toujours tourmentée, parfois, elle était juste là et n'exprimait aucune émotion. Parfois même, il arrivait que Bilbo retrouve l'esprit du nain tel qu'il l'avait connu pendant la quête. Dans ces cas là, elle était taquine et mettait le bazar dans le Smial du hobbit, faisait voler ses affaires, brisait les meubles, faisant fuir les invités et entretenait plus encore la mauvaise réputation du Sacquet. Le semi-homme n'en prenait pas ombrage, au contraire, rien ne le mettait plus en joie et il riait aux éclats des frasques du spectre.
Mais aujourd'hui était un jour spécial. Pour lui autant que pour Kili. Il y a un an, le jeune nain avait perdu la vie et s'était vu refuser la mort, se trouvant séparé de son frère et de son oncle par la même occasion.

- Ca va aller Kili, tu le retrouveras, vous serez de nouveau réunis, pour l'éternité.

Bilbo doutait que l'âme puisse l'entendre ou le comprendre, mais il était déjà arrivé qu'il réussisse à calmer avec les mots cette douleur brute qui fluctuait parfois trop fortement pour que le hobbit puisse le supporter. Une douleur qui était un propre écho à celle plantée dans le corps du cambrioleur : la douleur de l'absence. Irrémédiable, irremplaçable, fatale. Il ne s'agissait pas là de la perte d'un être cher, il s'agissait de la perte de l'être aimé. Le plus souvent, cette douleur restait sagement dans un coin de son cœur pour le laisser vivre sa vie. Mais aujourd'hui, la peine était trop lourde.

Comment reprendre le cour de son ancienne vie,

Comment continuer lorsque dans son cœur,

On commence à comprendre,

Qu'on ne peut plus retourner en arrière.

Il y a des choses que le temps ne peut cicatriser,

Des blessures si profondes qu'elles se sont emparées de vous...

Bilbo n'avait pas mis longtemps avant de comprendre ce qu'il ressentait réellement pour Thorin, par contre, il avait pris du temps avant de l'avouer à voix haute, avant de le déclarer au premier concerné. Mais avouer son amour à un corps immobile en tenant une main inerte et pleurant au dessus d'un visage glacé lui avait laissé un goût amer. Thorin était parti et n'avait pas emporté avec lui les sentiments qu'il avait volé au cambrioleur.

Le calme et la sérénité revinrent subitement dans la salle : Kili venait de partir. Le laissant seul, seul avec ses regrets et sa propre douleur. Le hobbit n'aimait pas le savoir loin. D'étranges rumeurs couraient en ce moment. On parlait d'ombres noires qui venaient de l'est, de spectres sinistres qui agissaient au nom du seigneur des ténèbres. Le nain avait beau être déjà mort, il restait une âme perdue et sans défense face aux forces obscures qui se mouvaient.

Bilbo amena sa main à sa poche et caressa du bout des doigts l'anneau qui s'y trouvait. Des murmures stridents sifflèrent à ses oreilles. Il entendit des voix sinistres lui parler, l'appeler, sans qu'il n'en comprenne le sens mais qui l'envoûtèrent plus que de raison, susurrant des promesses vides auprès de son âme.

Un vent violent fit claquer une fenêtre, plusieurs feuilles tombèrent au sol et le hobbit reprit ses esprits pour se rendre compte que la nuit était déjà bien avancée. Il ne l'avait même pas vu tomber.

Il se leva, troublé, referma la fenêtre et parti se faire cuir quelque chose à manger.

Kili n'était pas revenu et, bizarrement, cela manqua à Bilbo. Ce n'était rien d'autre qu'une faible présence tourmentée, douloureuse et apeurée, mais c'était une présence tout de même que le hobbit avait appris à apprécier.
Surtout que, plus ça allait, plus il lui semblait que l'âme perdait la douleur et la detresse pure qui le caractérisait depuis sa mort pour prendre en quiétude et en détermination.

Lorsqu'il était dans le smial, l'esprit de Kili tournait de moins en moins en rond comme il avait coutume de faire au tout début. Il restait souvent de longues heures, immobile ou frémissant. Ce qu'il faisait ou à quoi il pensait, le semi homme n'en avait aucune idée, mais il appréciait grandement cette présence.
Il dîna rapidement puis parti se coucher. Alors qu'il s'abandonnait au sommeil, un souffle traversa la pièce et Bilbo prit la peine de souhaiter une bonne nuit au jeune nain qui revenait hanter sa maison.

Les jours qui suivirent furent semblables aux autres : Bilbo se levait, déjeunait puis partait marcher. De temps en temps, Kili le suivait tranquillement, souffle éthéré qui s'accrochait à ses pas et le hobbit lui parlait sans vraiment savoir s'il était entendu ou écouté. Ensuite le petit cambrioleur rentrait, il passait toujours par la mare du potier, sur laquelle il s'amusait à lancer des ricochets. Arrivé chez lui, il prenait son second petit déjeuné avant d'écrire quelques vers ou alors il accordait son petit violon afin d'en tirer quelques arpèges . Depuis peu, il s'était mis à en jouer. Il sentait que le son de cet instrument apaisait l'esprit du nain qui vivait avec lui. Il n'était pas encore très dégourdi avec l'archer et tout mais il était de plus en plus à l'aise avec les mélodies et l'âme de Kili semblait réagir joyeusement dès qu'il prenait le violon pour en tirer les premières notes. Il n'avait aucune preuve, mais il le sentait, il savait que le spectre aimait l'entendre jouer.
L'après midi, Bilbo se contentait de passer des heures assis sur son banc, la pipe au bec, à discuter avec les gens qui passaient et qui n'étaient pas incommodés par la discrète présence meurtrie du jeune nain, invisible mais troublante pour les plus sensibles, même si Bilbo restait le seul à pouvoir le percevoir aussi distinctement.

Mais les jours s'assombrissaient. Les troubles qui venaient de l'Est quittaient les légendes pour devenir des rumeurs, des menaces. Les gens commençaient à s'agiter. On parlait de disparitions, de meurtres. Certains évoquaient des cavaliers noirs, montés sur de grands chevaux à la recherche d'un trésor perdu dans la Comté.

Et Bilbo s'en inquiétait. Le nom Sacquet et Culdesac revenaient trop souvent dans les conversations. Trop de murmures s'éteignaient en sa présence et il ne se sentait plus en sécurité. Cela faisait quelques jours que l'âme de Kili était partie en vadrouille et Bilbo sentait que quelque chose n'allait pas, qu'une menace pesait sur lui. Quelque chose qui était lié à cet anneau dont les voix de plus en plus fortes murmuraient sournoisement dans son esprit.

Il se mis à scruter le Sud, s'attendant à voir à tout moment un vieillard au chapeau pointu remonter laborieusement le sentier qui menait à son Smial, apporter conseils, nouvelles et protection. Mais Gandalf ne venait pas. Bilbo était seul.

Il entendait dans son sommeil les sabots lourds de chevaux de combat sillonner la Comté et plus d'une fois il fut réveillé en sursaut par un cri effroyable qui déchirait lugubrement la quiétude de la nuit, lui striait l'esprit et emplissait son cœur d'un effroi glacé qui le tenait jusqu'à ce que le soleil se lève. Plus que jamais la présence réconfortante de Thorin lui manquait. Avoir un stratège et guerrier pareil à ses côtés, cela changeait toute aventure en promenade de santé et les pires inquiétudes se trouvaient reléguées bien loin dans les esprits.

Lui n'était qu'un petit cambrioleur, que pouvait-il faire face aux sinistres forces qui s'étaient mises en marche ?

Dorénavant, il portait Dard en permanence à sa ceinture et la petite armure de Mithril qui lui avait été offerte ne le quittait plus, il dormait même avec. Il avait aussi un sac de voyage prêt à être attrapé qui se tenait à sa porte, au cas où il serait encore une fois confronté à un départ précipité, pour aller où, il n'en avait aucune idée, mais quelque chose lui soufflait que, dans peu de temps, le propriétaire de l'anneau viendrait récupérer son bijou et que ce jour là, il ne sera plus en sécurité nulle part.