Prologue
Shizuo était figé. Il n'entendait plus rien, ni les mafieux derrière lui en train de décamper en vociférant, ni les sirènes d'ambulances, de pompiers et de polices qui montaient jusqu'à lui. Il ne remarqua même pas lorsque les rafales du cinquantième étage emportèrent la cigarette qu'il avait allumée d'une main tremblante, par automatisme, et qui avait pendouillé de façon précaire à ses lèvres. Ses yeux ne voyaient pas les murs défoncés, l'altitude, les lumières aveuglantes de la ville en contre-bas. Tout son corps était engourdi. Il avait la tête qui tournait. Une seule phrase se répétait dans sa tête. "Vous vous foutez de moi..." C'était impensable. Impossible. Les possibilités qu'il se tranche lui-même volontairement la main d'un acte réfléchi étaient infiniment plus grandes que... les possibilités qu'une telle chose se produise... et pourtant... Il était là. Debout devant les répercussions des faits. Il avait assisté à la scène. Il en avait été l'instigateur. Il mit une main à sa bouche en sentant soudain des haut-le-coeur. Il était responsable. C'était sa faute. S'il n'était pas monté... s'il... Non. Il n'y croyait pas. Serrant les dents et les poings, il se précipita vers les escaliers, dont il avait défoncé la porte à peine quelques instants plus tôt. Il se précipita en bas, jusqu'au rez-de-chaussée... et les faits étaient là. Bien réels. Il avait peine à respirer. Ses yeux ne quittaient pas la scène horrible. Il ne remarqua pas Celty et Shinra qui arrivèrent plusieurs minutes plus tard, mais il ne résista pas quand ils le poussèrent doucement dans une voiture. C'était juste pas possible...
[T. -6h]
Shizuo ouvrit les yeux en grognant doucement. C'était son jour de congé, un rare jour de congé, mais ces derniers temps il n'arrivait tout simplement pas à se détendre. Il n'arrivait pas à dormir, il arrivait à peine à manger... Il avait une sorte de fourmillement dans l'estomac et n'arrivait tout simplement pas à tenir en place. Heureusement, les affaires étaient tranquilles en ce moment, et on lui accorda... ou plutôt on l'obligea à prendre un congé... Il avait avalé des comprimés et était tombé comme une masse dans son lit peu après, où il avait dormi d'un sommeil sans rêve. Mais maintenant il était réveillé. Il avait la bouche pâteuse, les yeux secs... et un mal de crâne... en plus d'une légère nausée qui lui durait depuis quelques jours. Avait-il choppé un truc? Pas impossible, mais si c'était le cas, il devait faire tout en son pouvoir pour ne pas que Shinra le sache... le jeune docteur pourrait bien entrer de force dans son appartement et tenter de le disséquer dans son sommeil... Il n'était pas méchant, loin de là, mais il avait tendance à pousser sa chance un peu trop loin par moment. Après avoir avalé un grand verre d'eau, puis un repas sommaire, Shizuo décida d'aller prendre un peu l'air. Il s'habilla donc et sortit.
[T. -4h]
Shizuo s'arrêta devant le restaurant de sushi russe. Simon n'était pas à son poste habituel à attirer les clients. Il haussa un sourcil, mais continua sa promenade.
[T. -3h30]
Il décida de s'asseoir au parc un moment. La nausée l'avait repris de plus belle et ne semblait pas vouloir lâcher. De plus, tout semblait puer. Avec agacement, il alluma une cigarette et la fuma d'un trait, puis en alluma une autre. Il ne savait pas ce qu'il avait, mais il avait hâte que ça parte.
[T. -3h15]
Il sursauta lorsqu'un écran fut présenté juste devant ses yeux. Il se retourna vivement et vit Celty assise à côté de lui, sa moto pas très loin. Il reporta son regard sur l'écran et lut. "Ça va?" Il fronça ses sourcils en secouant la tête.
"Si au moins je savais ce que j'ai...", murmura-t-il.
Il regarda la jeune femme sans tête taper, puis elle lui présenta à nouveau l'écran. "As-tu consulté un docteur?"
Un sourire amer lui étira les lèvres. "Je pense que je vais passer... ça lui ferait trop plaisir de pouvoir m'osculter..."
La main de la Dullahan se posa sur son épaule et elle serra doucement, puis elle tapa à nouveau et lui présenta l'écran. "Je dois y aller. J'ai du boulot. On peut en parler après?"
Shizuo laissa sa cigarette tomber au sol et il l'écrasa avec sa chaussure en secouant la tête. "Nan, t'inquiète... ça va passer..."
Elle se leva, puis sembla hésiter un moment avant de partir. Il la regarda aller, jusqu'à ce qu'elle tourne un coin et disparaisse, ne laissant derrière elle que des hénissements fantôme le la fraîcheur de sa main sur l'épaule du blond...
[T. -45 mins]
Shizuo avait arpenté une bonne partie d'Ikebukuro, mais il n'avait toujours pas trouvé ce qui clochait chez lui. Ça ne pouvait pas être la nourriture, ou l'air, ou... Il vit un groupe de jeunes traverser la rue en le regardant avec étonnement.
"Ça doit être un jour chanceux!", s'exclamait l'une des jeunes filles.
"Oui! C'est pas tous les jours qu'on voit trois légendes d'Ikebukuro en moins d'une heure!", disait une seconde.
"En plus Izaya-kun a regardé dans notre direction! Kyah!", renchérissait la première.
Shizuo se crispa. Il sentit sa rage monter, exponentiellement. Voilà qui expliquait ses nausées, l'odeur pestilentielle qui régnait sur tout Ikebukuro, son manque d'appétit... Le nom de l'informateur glissa de ses lèvres en un grognement féroce alors que ses sens semblaient s'aiguisés. Il se tourna dans une direction. Son instinct lui disait que le noiraud était par là, et c'est également de là que semblaient venir les jeunes filles... ainsi que l'odeur horrible. Il se mit en route, les gens s'écartant de son chemin par peur de dommages colatéraux...
[T. -5 mins]
Lorsque Shizuo arriva enfin devant l'immeuble d'où provenait l'odeur, il avait pratiquement l'écume aux lèvres. Il entra et se dirigea directement vers les escaliers de secours, qu'il monta quatre à quatre. Quel étage...? Sur quel étage était ce foutu... D'un coup de pied, il défonça la porte menant qu cinquantième étage, sans réfléchir. Il attrapa une machine distributrice qui traînait sur son passage et défonça la première porte qu'il rencontra... et il était là, entouré par des hommes en costume noir et verres fumés, des membres de la mafia. Ces maudits yeux carmins se tournèrent vers lui avec cette lueur amusée et ces lèvres s'étirèrent sur ce maudit surnom qu'il lui avait donné...
"Ah, bonsoir, Shizu-chan. Je me demandais justement quand tu allais arriver. Est-ce que tes sens se sont émoussés?", demanda le noiraud.
"IIIIIIIIZAAAAAAAYAAAAAA!", hurla Shizuo en lançant la machine distributrice vers l'informateur...
...et c'est là que tout a basculé. Il aurait dû être capable l'éviter. Mais un des mafieux avec qui il avait été en discussion le poussa, lui faisant perdre l'équilibre... et il se prit la machine de plein fouet. Il aurait dû être capable y survivre. Se relever comme si de rien était. Il l'avait déjà fait. Mais les murs n'étaient pas faits pour résister à un tel choc. Deux furent défoncés. Il aurait dû être capable se relever même de ça... mais le second mur était le mur extérieur. La machine et l'informateur tombèrent dans le vide. Du cinquantième étage. Et s'écrasèrent sur la chaussée, en bas. Un poids lourd transportant des poutres de métal passait par là. Le conducteur appuya sur les freins de toutes ses forces... mais il était trop tard. Il passa sur le corps de l'informateur avant de dérapper. Une des chaînes retenant les poutres, étant un peu rouillée, céda soudainement et les poutres tombèrent au sol, heurtant au passage quelques voitures qui explosèrent. Personne n'aurait pu survivre à ça. Pas même Shizuo lui-même. Et pourtant... c'était trop bête. Trop impossible. Izaya Orihara ne pouvait pas être mort... juste comme ça. Il se pointerait dans quelques jours, comme neuf, pour le faire chier. Les jours passèrent. Shinra n'essaya même pas de le disséquer. Celty ne sortit même pas chercher sa tête. Au bout de trois jours, il sembla enfin sortir du choc, alors que Celty servait le thé. Un fou rire s'éleva de sa poitrine. Un rire amer, tendu.
"Yo, Shinra! Arrête de te foutre de ma gueule. Il est où?", grogna Shizuo en se levant et en allant vers son ami. "Je sais que c'est impossible qu'il soit mort cette nuit-là. On parle d'Izaya Orihara, quand même! Arrête de faire chier et dis-lui de se grouiller à pointer sa petite gueule d'emmerdeur, qu'on puisse oublier toute cette mascarade."
Shinra fronça les sourcils en déposant sa tasse de thé, l'air sombre. "Non, Shizuo. C'est pas une blague. Izaya... est véritablement mort. Il ne reviendra pas. Il faudra que tu t'y fasses, comme nous tous."
Les yeux de Shizuo s'élargirent. Il recula de quelques pas et se laissa retomber sur le sofa alors que Celty lui apportait une tasse de thé. Il ne pouvait pas y croire. Il ne voulait pas y croire. Alors Izaya était réellement mort? Il avait... tué... Izaya...? Il porta une main à sa bouche alors que Celty s'asseyait près de lui, qu'elle posait une main sur ron épaule. Personne ne le blâmait. Ils savaient tous qu'il avait voulu tuer Izaya, mais... mais il ne voulait pas. Il n'avait pas voulu le tuer. Enfin si. Mais... Il avait besoin d'un verre. Non. Il aurait sans doute bientôt une visite des policiers. Il avait été présent au cinquantième étage quand Izaya... Il en avait même été la cause... Il avait commis un meurtre. Un homicide involontaire... restait un homicide... Il se pencha en avant, appuyant ses coudes sur ses genoux et enfouissant son visage dans ses mains alors que Celty lui frottait le dos. La réalisation venait de le frapper comme un mur de béton.
"Merde... j'ai vraiment... tué Izaya...?"
Celty se tourna vers Shinra, qui la regardait, mais aucun mot ne fut dit alors qu'on cogna à la porte...