Je suis attaché à mon lit.
Par des menottes, c'est le meilleur moyens qu'ils ont trouvés pour que je ne m'enfuie pas. C'est comme ça, les organisateurs des Hunger Games ont décidé que j'étais suspect, que Night était suspect, alors ils ne me laisseront pas partir. Du moins pas avant que la situation soit éclaircie.
C'est la pensée principale qui occupe mon esprit. Elle éclipse cette autre pensée qui semblerait être plus importante et qui devrait m'emplir de joie.
Night a gagné les Hunger Games.
J'ai du mal à m'y faire. Vraiment. Depuis des années, c'est le moment que j'attendais, et je pensais que ce serait pour moi une libération, un poids en moins sur l'estomac, enfin savoir que j'ai réussi à sauver quelqu'un. A en sauver au moins un. Et maintenant que c'est fait, je ne sens rien. Juste de la peur, la peur que tout cela ait été inutile, la peur de ne pas avoir été à la hauteur, la peur que ça n'en ait pas valu la peine. Je me dis que c'est dû à la situation, que si ça avait été lors d'autres Hunger Games, lors d'une édition ''normale'', j'aurais vraiment été satisfait, soulagé, heureux, et tous les adjectifs positifs qui vont avec. Mais je ne peux même pas en être sûr. Je ne ressens juste rien.
Et ce sentiment de peur ne me quitte pas, même si j'ai l'impression que le Capitole ne fera rien. Je sais qu'il est un spécialiste quand il faut se débarrasser d'éléments gênants, même s'il n'y a que des doutes à leur égard. Mais s'il y a une discipline où il est vraiment le meilleur, c'est quand il s'agit de dissimuler des informations. Bien sûr, le Capitole pourrait nous éliminer, moi, Night, voire même Cashade... Mais ça ferait pas mal de morts à planifier, et ça éveillerait des soupçons, tandis qu'en ne faisant rien, il y aura juste un héros supplémentaire à Panem. Et les héros ont une très bonne image.
Ce soir, Night va passer à la télévision, pour raconter ce qu'il a vécu dans l'arène. Et après, je vais sûrement le revoir. Et ça, je ne peux pas... Je vais lui dire, et je ne vois pas comment il peut bien le prendre. Il va m'en vouloir, m'injurier, me frapper s'il le faut, mais jamais il ne pourra me pardonner. Jamais. Ce que j'ai fait me dégoûte, et je dois maintenant en affronter les conséquences, et ça ne fait qu'amplifier le mal-être dans lequel je me trouve. Et dire qu'on a gagné les Hunger Games...
– Arrête de faire cette tête, Keen... t'a la mine d'un rat mort...
Cashade est toujours à mes côté. Elle voudrait me remonter le moral, mais elle a bien conscience qu'elle ne peut rien y faire. Alors elle reste là, à côté de mon lit d'hôpital, fait quelques commentaires sur ce qu'il se passe. Elle a également conscience que ça ne sert à rien de s'embêter, on n'a plus notre destin en main. Maintenant, le Capitole nous surveille trop, tout repose sur Night, et ce qu'il va dire. Ce n'est pas pendant l'interview de ce soir que les questions gênantes vont venir, mais elles arriveront tôt ou tard...
Et le temps passe, et la soirée arrive. Le plateau est grand, éclairé d'un bleu lumineux, l'ambiance est très apaisante, c'est important pour un tribut qui a craint la mort pendant deux semaines. Caesar se présente, avec sa plus belle coupe de cheveux teinté d'un sulfureux rouge orangé, rappelant les couleurs de l'arène. Il est devant une immense assemblée de curieux. C'est un moment que le Capitole attend, les gens sont friands des anecdotes racontées par les acteurs eux-mêmes, et comme il n'en reste plus qu'un seul encore en vie...
Et le show commence, c'est parti.
– Bonjour, chers téléspectateurs ! s'exclame Caesar avec un enjouement non dissimulé. Aujourd'hui, je sens comme une exaltation en moi, et je sens que c'est la même chose pour vous tous ici. Car aujourd'hui, nous accueillons une personne vraiment pas comme les autres, et j'avoue que je n'aurais jamais imaginé la recevoir ici. Mesdames et messieurs, un tonnerre d'applaudissements pour Night Greyhill !
La salle réagit immédiatement à l'entrée du jeune vainqueur. Les médecins du Capitole l'ont rabibochés, comme ils le font toujours, personne ne serait capable de discerner sur lui qu'il vient juste de quitter l'arène.
Il s'assoit sur le grand siège qui fait face à Caesar. Son expression est difficile à lire, comme l'avait été celle de Sun : il essaie de sourire au public, mais ce sourire semble faux. Sans attendre, Caesar commence à poser ses fameuses questions, celles que se posent les gens du Capitole, tout en essayant de ne pas brusquer son interlocuteur.
– Alors, comment te sens-tu après ces Jeux ? Qu'est-ce que ça fait d'avoir gagné cette fantastique édition des Hunger Games ?
Night met du temps pour répondre.
– Je ne m'y attendais pas vraiment. Au départ, je voulais juste essayer de survivre, je voulais qu'on s'entraide, moi, Epsilon et Riley. Et puis ils sont morts et... Les choses ont changées. Après, j'ai vraiment eu envie de gagner, de montrer qu'on pouvait se battre contre le mauvais sort. Et petit à petit, j'ai commencé à y croire, avec le nombre d'adversaires qui diminuait. Et, maintenant que j'y suis arrivé, je me sens... bien... C'est comme un soulagement, d'être encore en vie, et de pouvoir vous parler maintenant.
Une réponse convenue qui convient parfaitement aux gens du Capitole. Night suit un plan bien précis, celui d'être le plus irréprochable et le plus normal possible. Puis se fondre dans le groupe des autres anciens vainqueurs. Vu la situation dans laquelle on est, ça vaut mieux pour tous.
Et l'interview continue ainsi, pendant de longues minutes. Pas une parole de travers, pas un seul mot déplacé, s'il y a une chose que je peux apprécier chez les Greyhill, c'est leur sens de la dissimulation.
Et ce jusqu'à la fin. Et c'est là que Night décide de prendre les devants.
– Merci, Night, tes impressions nous ont été d'un grand intérêt, dit Cashade. Tu es vraiment exceptionnel !
– A vrai dire, je ne vous ai pas vraiment tout dit... lâche Night.
Cela a pour effet d'éveiller l'intérêt de Caesar, et de tout le monde en fait.
– Tu as quelque chose de plus à nous avouer ? dit le présentateur en se léchant les babines.
– En fait, c'est un petit peu compliqué à comprendre... Vous vous souvenez, après que j'ai été empoisonné, je suis resté longtemps à moitié conscient, allongé par terre ?
– Bien sûr que oui, nous pensions tous que tu n'allais pas survivre !
– Eh bien il s'est passé quelque chose... Je ne sais pas ce que ces produits m'ont fait, mais je me suis senti bizarre. Je me sentais mal, très mal, j'agonisais et, soudain, j'ai senti que quelque chose se passait...
– Et... Que se passait-il ?
Caesar est tellement curieux qu'il semble rapprocher son fauteuil de celui de Night.
– Je me suis senti mieux. Mais il n'y a pas que ça, c'est... Ah, c'est difficile à expliquer mais... Ma perception des choses était différente, j'étais comme dans un état second, je ne comprenais pas pourquoi, mon esprit me disait inconsciemment d'aller dans une certaine direction. c'est comme si j'avais acquis une capacité d'intuition hors du commun. Je sais que ça peut paraître de la folie, mais... Par exemple, quand le tribut du 6 m'a menti en me disant qu'il avait tué le garçon du 12, je l'ai tout de suite senti qu'il me mentait. Et je lui ait dit que c'était la fille du 3 qui l'avait tué, totalement au hasard. Et au final ça s'est avéré être vrai.
– Tu veux dire que tu as acquis... Des capacités extrasensorielles ?
– Je ne sais pas, ça me paraît tellement faible, mais il y a comme quelque chose...
– Eh bien mesdames et messieurs, cette année nous avons un tribut voyant !
La foule crie et applaudit. C'est donc comme ça que Night a décidé de se défendre, c'est de la folie ! Faire passer les choses qu'il n'était pas censé savoir pour une inspiration surnaturelle, c'est...
Génial. Les gens du Capitole sont exubérants, et l'exubérance apprécie le paranormal. Et il n'y avait pas d'autres choses qui pouvaient expliquer le comportement de Night dans l'arène, au lieu d'avouer à tous qu'il a triché. En faisant cela , il passionne encore plus les gens du Capitole, il devient une attraction incontournable, un truc contre quoi les dirigeants du Capitole ne peuvent rien, car même s'il est possible qu'ils ne croient pas un mot des paroles de Night, s'ils n'ont aucune preuve de tricherie, ils vont devoir se ranger à la seule explication qu'ils ont : celle de l'intuition miraculeuse.
L'interview se finit là. Night, dans un dernier sourire à la foule, s'en va sous les plus grands viva que le Capitole puisse offrir. Et je me rends compte qu'enfin, je peux peut-être souffler. Je repasse dans ma tête tous les éléments de l'affaire, et je ne trouve rien qui puisse pousser le Capitole à continuer l'enquête. Il n'y a pas de preuve, et le seul doute pour lequel on m'a arrêté vient d'être effacé par Night. Il reste juste l'accident d'hovercraft à expliquer, mais plus rien n'indique que c'est moi qui l'ait provoqué.
– Dis, Cashade...
– Oui ?
– Est-ce que tu penses comme moi ?
– Bien évidemment.
– Ça peut vraiment marcher ? Je veux dire... Ça te paraît possible ?
J'essaie d'être évasif, on peut être écoutés.
– Ben... C'est vrai que Night agissait bizarrement à la fin. Ça pourrait tout expliquer.
– Et si ça explique tout...
– Oui, on va te relâcher.
On est d'accord. Il n'y a plus qu'à croiser les doigts, et attendre.
Et on n'a pas à attendre très longtemps. Un peu moins d'une heure plus tard, un pacificateur entre dans la chambre, et s'approche de mon lit.
– Vous êtes libre, dit-il en décrochant ses menottes. Vous n'êtes plus suspect. Restez cependant au Capitole quelque temps, au cas où on aurait des questions. Vous avez de nouveaux appartements, vous n'avez qu'à me suivre.
Une simple formalité d'usage. Les seules paroles qui me touchent sont ''vous êtes libre'' et ''vous n'êtes plus un suspect''. C'est donc vraiment la fin, maintenant. Mes poignets sont désormais libres, le Capitole ne me touchera plus, ni personne d'autre, on peut enfin dire qu'on est vraiment les vainqueurs.
On sort de la chambre, et on suit le pacificateur jusqu'à nôtre nouvelle maison pendant quelques temps, qui n'est pas très loin, et nous y entrons. C'est bien plus dénué que les appartements qu'on avait, planchers et meubles de bois, enfin il ne fallait pas s'attendre qu'ils nous mettent dans une suite aussi somptueuse que celle qu'on a explosée. On a réussi à faire ce que personne n'avait encore fait, et sûrement ce que personne ne fera plus, car je doute qu'un mentor puisse un jour faire autant de délits que moi pour finalement en sortir indemne. En moins, un certain soulagement commence à faire son trou, un léger sentiment de joie, enfin. Un sentiment qui est de courte durée.
Au centre de la pièce principale, assit sur un fauteuil se tient Night.
Je ressens une décharge d'adrénaline dans les veines, et je remarque à peine les deux pacificateurs qui l'escortent. Il est serein, contrairement à moi, qui commence à paniquer, je redoutais ce moment, mais je ne m'attendais pas à être dans un état pareil.
– Maintenant, nous allons vous laisser, dis le pacificateur qui nous accompagnait. Vous allez pouvoir savourer votre victoire avec votre tribut !
Et les pacificateurs se dirigent vers la porte, nous laissant seuls, Cashade, Night et moi. Cashade prend immédiatement la parole.
– Ouais, c'est ça, seuls... Avec tout le ramdam qu'ils ont fait sur nous, sûr qu'ils ont posé des micros ! dit-elle bien distinctement.
Elle fait bien d'intervenir, je n'y aurais pas pensé. Il y a des doutes sur nous, et il serait logique que le Capitole nous espionne en secret, et en faisant mine de se plaindre, Cashade nous dit "fermez-la". Mais je ne peux ne rien dire, en gardant le silence, je ne fais qu'aggraver mon cas. Je regarde alors Night, qui semble plutôt sourillant.
– Monsieur Spencey... J'ai gagné ! s'enjoue-t-il.
Je le regarde, je ne sais pas comment réagir, la seule chose que je peut laisser transparaître, ce n'est pas la joie habituelle d'un mentor retrouvant son tribut vivant, mais un profond désarroi, et une profonde peur. Et Night le remarque, il le remarque même trop bien. Peu à peu, il se demande d'où vient le silence qui s'est mis en place. Le doute s'installe, et il n'est pas difficile de deviner à quoi ce doute fait référence.
– Monsieur Spencey, ne me dite pas que...
Il se retient, mais la question sous-entendue est limpide. La mort de son frère jumeau est la seule chose qui peut créer un tel désarroi chez moi, et il devait le craindre dans l'arène, je lui avait dit que je pourrais le sauver, mais je n'avais aucune garantie de pouvoir le soigner correctement Et maintenant, tout me retombe dessus, je vais devoir avouer mon échec Alors je prends mon courage à deux mains, tout le courage que j'ai et qu'il m'a fallu pour survivre à une édition et résister au job de mentor, et je lui dis :
– Oui. On n'a rien pu faire.
Tout s'effondre. Les jambes de Night vacillent, il perd la notion de ce qui est autour de lui, alors que l'émotion le submerge. Il sait, et la réalité a un goût très amer, insupportable, Il commence à avoir du mal à respirer, c'est une situation qu'il a tout fait pour éviter, car il savait qu'il ne pourrait pas vivre avec. Alors il essaie de se raccrocher à un semblant d'espoir, même s'il n'y en a plus.
– Mais c'est impossible... Comment est-ce arrivé...
Cashade répond en pensant aux micros, en essayant de dissimuler le vrai thème de la conversation.
– C'est incroyable comment tu as survécu au poison. Il n'y avait vraiment aucune chance que tu y survive.
Non, on n'a pas pu sauver Sun, on a tout essayé, mais c'était insuffisant. Alors que je contemple Night qui s'effondre, je ne peux que partager son sentiment d'effroi. Les larmes commencent à envahir ses yeux, et le premier sentiment de surprise et de rejet fait place à un vide, un vide immense que rien ne pourra plus remplir. La seule chose qui lui reste, c'est le désespoir, et la haine.
– Vous lui aviez promis... sanglote-t-il.
Et on y arrive, le moment difficile, celui où je vais devoir faire face à mes actes. Je ne peux qu'essayer de me défendre.
– Je suis désolé, j'ai fait tout ce que j'ai pu...
– Mais vous lui aviez promis !
Ça y est, il est en colère, et ce n'est en tout cas pas moi qui pourrait le calmer. Et au diable les micros, même si on est écouté, je doute qu'ils puissent un jour faire le lien avec ces bribes de conversation.
– Moi, j'ai fait ma part du contrat ! poursuit-il. J'ai gagné les Hunger Games, je suis parvenu à revenir en vie, tandis que vous...
– J'ai fait bien plus que ce que personne n'aurait jamais fait pour toi ! je riposte. Et ce n'est pas de ma faute si des tributs sont envoyés dans l'arène et n'en reviennent pas vivants ! Si j'avais pu faire plus, je te jure que je l'aurais fait.
– Vous aviez bien réussi à me sauver moi !
– Mais ça n'a rien à voir...
– Si ça a tout à voir, c'est exactement la même chose !
Night s'arrête soudain, il est dans le déni, et il commence à dire n'importe quoi, il voudrait chercher un coupable, une raison, une explication, mais il n'en a pas, il n'y a que le Capitole et le mauvais sort, tous deux tellement puissants et tellement inatteignables. Alors il baisse la tête, se retourne, et sanglote. Je ne peux rien faire pour le consoler, mille et un sentiments passe par sa tête, et mes paroles ne pourront que lui faire encore plus de mal. Entre lui et moi, le lien est rompu. Cashade qui prend alors les choses en main, elle se rapproche de Night et met sa main sur son épaule.
– Rentre au District 7, Night, dit-elle. Ta mère a encore besoin de toi, il va falloir qu tu sois fort.
Night reste immobile, longtemps, rien ne se passe. Puis, quand il est enfin près, il relève la tête et, sans m'adresser un coup d'œil, il s'en va, le souffle toujours saccadé par l'émotion. Mais, juste avant de sortir, il s'arrête, et m'adresse ces dernières paroles :
– Désolé mais... Il va me falloir du temps...
Non, le pardon ne sera pas facile.
– Juste... du temps...
Même moi, j'aurais du mal à me pardonner.
Et Night s'en va, sans le moindre regard. C'est peut-être tout ce dont je mérite, après tout...
Le soleil va bientôt se coucher sur la cité du Capitole. Lentement, je regarde la ville, j'essaie de me vider la tête, mais c'est impossible, trop de choses me passent à l'esprit. Je me suis éloigné des habitations, j'ai réussi à trouver un endroit dans les montagnes bordant le Capitole où il n'y a pas l'ombre d'un bâtiment, où je suis seul, loin des autres, et d'ici, je peux contempler le paysage, tranquille, personne n'est là pour m'embêter.
Un peu plus tôt, j'ai recroisé Daril, sans doute pour la dernière fois. Car il m'a avoué que les Pacificateurs n'allaient pas tarder à découvrir que c'était lui qui pilotait la moto qui a fait monter quelqu'un dans l'hovercraft qui s'est écrasé, et donc qu'il se savait en danger. Et il m'a dit adieu. Il prévoit de partir, de se cacher, il vivra le restant de ses jours dans les forêts bordant les districts, où bien il se fera une nouvelle identité, j'ai confiance en lui, je n'ai jamais croisé quelqu'un d'aussi débrouillard.
Mais tout ça ne fait que s'ajouter à la liste des choses qui me tiraillent l'esprit. J'ai également gâché la vie de Daril, mon ami. Oui, peut-être qu'il n'aimait pas son job de Pacificateur, oui, peut-être que c'est le genre de personne qui aime les challenges, mais ce n'est pas de bonnes excuses. Sun, Night, Epsilon, Daril, et tant d'autres... La liste des personnes qui ont souffert, ou que j'ai fait souffrir pendant ces Hunger Games s'allonge, et devient trop longue pour que je puisse le supporter.
Mais qu'est-ce que j'ai pu bien faire pour en arriver là ? Comment est-ce que j'ai pu faire du mal à autant de personnes ?
– Keen, si tu crois que t'isoler est la solution à tous tes problèmes...
Je me retourne. C'est Cashade. Elle me lance un regard dur, j'ai tenté de l'éloigner de moi, mais elle m'a retrouvé, après tout, c'est une chasseresse, retrouver ses proies est sa spécialité. Mais aujourd'hui, j'ai vraiment besoin qu'on me laisse seul. Je ne supporte plus de parler, j'ai l'impression que j'aurais mieux fait de me taire jusqu'à maintenant.
– Cashade, s'il-te-plaît, laisse moi...
– Hors de question que je te laisse tout seul, pas dans ton état.
– Mais j'ai besoin d'être seul !
– C'est ça, pour que tu fasse des conneries...
Je la regarde droit dans les yeux. Je sais à quoi elle pense.
– J'en ai déjà fait tellement...
– Arrête de te faire du mal, me dit-elle fermement. J'étais là avec toi pendant tout ce temps, et je te jure que tu n'as pas mal fait.
– Pas mal fait... Pas mal fait ! C'est tout ce que tu trouves à me dire ! Des gens sont morts !
– Je n'étais pas d'accord avec tout ce que tu as fait, mais toutes tes actions étaient dans le but d'aider tes tributs, les enfants de ton district ! Tu ne peux pas te reprocher ça !
– Ah bon ?! Et j'étais tellement obnubilé par l'idée de vouloir les aider que je leur ai demandé de se liguer avec un traître !
– Riley nous as tous trompés, il aurait trompé tout le monde...
– Et j'ai été incapable d'aider Epsilon !
– Tu ne pouvais rien pour elle, les Hunger Games n'étaient pas pour une fille comme elle.
– Et envoyer Night dans l'arène, ça je n'y pouvais rien ?!
Je suis à bout de nerf, ma respiration est saccadée, et Cashade est de plus en plus désespérée.
– Tout le monde fait des erreurs, dit-elle solennellement. Mais, même si j'étais contre, ça avait une chance de marcher... Et tu as réussi à sauver Night, c'est quand même le plus important, non ?! Tu ne peux pas te reprocher de t'être battu jusqu'au bout pour sauver les jumeaux !
– Oui...
Je soupire un peu. J'y ai évidemment pensé, et repensé, et à chaque fois, une évidence m'est apparu à l'esprit.
– Oui, mais pour sauver mon tribut, j'ai dû sacrifier les autres tributs, ceux des autres districts...
– Oh, mais, ça, c'est pareil pour tous les autres mentors...
– Vingt-quatre tributs sont morts cette année, vingt-quatre, contre vingt-trois habituellement ! Et ça, c'est de ma faute !
– Mais Keen... Ils allaient mourir...
– Et les pacificateurs que j'ai tué dans l'hovercraft ?! Eux, ils méritaient de mourir ?! Il étaient 10 dans cet hovercraft, et aucun ne s'en est tiré ! Même si c'était des pacificateurs, c'était des hommes qui n'avait pour unique tort d'avoir été embrigadé par le Capitole, et ils sont morts ! Et c'est moi qui ait fait ça pour un seul tribut !
Cashade ne peut rien répondre à cela. Je suis tellement énervé, et dire qu'elle voulait juste me remonter le moral, c'est complètement raté. J'arrive à me calmer un peu, mais c'est difficile. J'ai la haine contre tout, contre les autres, contre moi-même...
– Je sais que tu as des raisons de t'en vouloir, poursuit Cashade qui n'a pas abdiqué. Mais je voudrais quand-même que tu te rendes compte que tout s'est enchaîné et que ce n'est pas de ta faute. S'il y a des morts, ce n'est pas parce que tu l'as voulu, c'est le Capitole qui l'a décidé, en créant les Hunger Games. Quoi qu'on fasse, il y aura toujours des morts, on n'est que des outils à cette immense tuerie, et je peux t'assurer que tu as fait ce que tu pouvais faire de mieux.
Cashade soulève un point intéressant, mais ce n'est pas suffisant pour me donner du cœur, car c'est là aussi un point auquel j'ai longtemps pensé.
– Oui, et c'est pour ça qu'on doit se soumettre, hein ? On doit se laisser faire face au Capitole ?
– Keen, ne lance pas ce débat...
– Si on réfléchissait tous un peu, on refuserait le combat, on refuserait ce duel affreux, on dirait à nos tributs de ne pas se battre, tous, et il n'y aurait pas de Jeux !
– Bien sûr que non, le Capitole enverrait les tributs dans l'arène même s'il ne veulent pas se battre...
– Oui, et dans l'arène, il n'y aurait pas de combat, les tributs s'allieraient tous dans la paix, sans se battre.
– Mais c'est ridicule ! Le Capitole les pousseraient à se battre ! Ou même... Il les tuerait !
– Oui, le Capitole les tuerait, les 24 tributs, l'un après l'autre, en moins d'une minute s'il le faut.
Silence. Cashade ne voit pas où je veux en venir, mais c'est pourtant très clair.
– La pire édition des Hunger Games qu'on ne verrai jamais, je poursuis calmement. Et l'année suivante, ça serait la même chose. Une vraie tuerie, 24 tributs alignés refusant de se battre qui se font descendre par les Pacificateurs. Et l'année suivante, tout s'arrêterait. Car l'intérêt des Hunger Games, c'est le spectacle, et une simple exécution n'intéresserait personne, et même pire, les Districts commenceraient à se rebeller devant tant de cruauté. Et voilà, fin des Hunger Games...
Cashade réfléchit à ce que je viens de dire, mais ça ne suffit pas à la convaincre.
– Mais, c'est complètement irréalisable, Keen, dit Cashade. Jamais les 24 tributs ne pourraient se mettre d'accord, et puis... Il y a toujours un vainqueur sur les 24, et, même si il n'y a pas beaucoup de chances de gagner...
– Oui, c'est l'espoir. Et c'est à cause de ce petit espoir qu'on encourage nos enfants à s'entre-tuer. Mais si on réfléchissait un peu, on se rendrait compte qu'il n'y a aucun espoir, et que même si on gagne, on reste les esclaves du Capitole. Et j'ai moi aussi fait partie de leur jeu.
– Mais maintenant, c'est fini ! Tu n'es plus mentor, c'est...
– Oui, Night va prendre ma place, et je lui souhaite d'être meilleur que moi... Et de résister.
– Mais toi, Keen, tu as résisté.
– Oui.
Moi et Cashade, on se regarde longuement. Aucun mot ne peut exprimer ce que je ressens, je suis perdu, mais dire ces mots m'a un peu retrouvé. Cashade n'a pas tort : en me soustrayant aux règles, du Capitole,je suis devenu une anomalie. Et j'ai fait des choses exceptionnelles. Mais pour se battre contre le Capitole, et arriver à un meilleur avenir, on ne peut qu'additionner les pertes et, même si on n'arrive pas à se libérer, on a fait ce qu'il fallait qu'on fasse. Je n'ai été que l'artisan de quelque chose qui me dépassait.
– Je te laisse, Keen, dit Cashade. Je ne sais pas ce que tu vas faire mais évite de me faire de la peine, car je ne le supporterai pas, et tu sais comment je suis quand je suis énervée.
– Oh, ne t'en fais pas. Je suis trop gentil pour ça.
Elle me sourit, et s'en retourne au Capitole, s'éloignant lentement. Moi, je m'assois, j'ai plein de choses à penser, mais j'ai encore du temps devant moi, tellement de temps. Maintenant, plus personne ne viendra me dire ce que je dois faire. Je suis libre.
FIN
Et voilà...
Tout d'abord, merci à tous mes lecteurs et tous mes reviewers pour avoir lu et commenté mon histoire. Pour moi, le premier but de cette fanfiction était d'être lu par des personnes intéressées, et non des amis à qui on forcerait la main.
Un avis général serait d'ailleurs très apprécié ! Qu'est-ce qui vous a plu ? déplu ? un passage préféré ? Un personnage favori ? Dites moi tout !
J'espère que vous avez aimé, j'ai tout fait pour que ce soit une histoire spéciale, et non une fanfic qui ne fait que réutiliser les codes et personnages du livre d'origine. Je me suis en quelque sorte amusé un maximum avec les règles de l'univers. C'est d'ailleurs quelque chose que j'aimerai plus voir, et ce pas seulement dans les fanfics.
Ensuite, on m'a demandé d'où venait l'idée de cette fanfic. Et j'avoue que c'est une question que je me pose souvent quand je vois une autre histoire, je me demande quel a été le point de départ pour imaginer le tout. Alors je vais répondre.
Ben... Comme souvent, tout vient d'une seule et unique idée qui vient un peu de nulle part, en lisant le livre, en voyant que l'arène était un peu comme une prison, je me suis posé la question de savoir si on pouvait s'évader sans se faire repérer par le Capitole. Et je n'ai trouvé qu'une seule solution : se faire remplacer. D'où les jumeaux, d'où l'hovercraft, d'où le braille... En fait, tout tourne autour du chapitre de l'échange, même le concept de base de se concentrer sur le mentor, qui était la seule personne à pouvoir tout voir.
Après, il n'y a plus qu'à creuser pour obtenir toute l'histoire, avec le concept, tout vient tout seul. Il y a juste deux trois trucs que je voulais ajouter (comme une arène apocalyptique ou une grosse scène d'action en hovercraft). Voilà, pas grand chose à ajouter.
Sinon, on m'a aussi demandé si j'allais écrire d'autres fanfics des Hunger Games. La répons est non. J'avais une bonne idée de base pour cette histoire, je savais qu'elle allait apporter du suspens, de belles scènes et de bons rebondissements, et je n'ai pas fait cette fanfic des Hunger Games pour faire une fanfic des Hunger Games. Donc je ne devrai pas en faire d'autre, à moins d'une idée exceptionnelle.
Et bien c'est tout. Et encore merci beaucoup pour ce bel accueil, ça a été pour moi ma meilleure expérience en tant qu'auteur !