Bonjour tout le monde !Wala, la suite ! (on en déduit que j'ai été à moitié raisonnable, j'ai pas publié hier parce que j'ai bossé et que j'avais pas relu, mais je le fais aujourd'hui)

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Résu : Heero est un prof de danse marié et père de famille, et c'est aussi un chacal. Duo est une proie un peu trop facile. Deuxième chapitre parce que j'aime pas quand ça finit mal...

Persos pris à Gundam & Co, as usual... Titre de la fanfiction = titre d'une chanson des Beatles. Titre de ce chapitre et du précédent = titres de deux chansons de John Lennon (restons dans la même branche à peu de choses près !)

Merci : à Candy l'Orny qui m'a conseillé de l'écrire, il y a... deux ans. Ce que j'ai fait. Ce qui m'a fait tellement de bien.

A cause de : beaucoup de choses à l'époque : une situation particulière, un moral pas au top, besoin de tout faire sortir comme ça. Aujourd'hui ? Parce que ça fait deux ans maintenant, y'a prescription. Je l'ai relue hier, j'ai eu envie de la poster alors que c'était pas le cas avant.

Pour : moi, à l'époque. Pour vous maintenant, si ça vous plaît bien sûr !

Sorry d'avance pour les éventuelles fautes d'orthographes, accord, grammaire, conjug'... Français mon amour ! Mais je n'ai plus d'excuse, je suis censée le maîtriser normalement.

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Sur ce, bon lecturage les amis !


Hello, Goodbye

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Chapitre 2 : Mind Games

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« Bon. Voilà. Je ne sais pas comment commencer. J'ai jamais su... »

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J'ai froid. Depuis trois jours, j'ai froid.

C'est pas un problème de chaudière.

C'est pas un problème de thermostat.

C'est pas un problème de couverture.

J'ai froid dedans.

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« Je prends une responsabilité. Tu vois ? Je suis sûr que tu ne m'en pensais pas capable, depuis le temps. Depuis le temps. Je prends une décision, et je compte m'y tenir. Ça doit te paraître bizarre... »

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J'ai froid comme si j'étais un gouffre, un grand vide sous ma peau, une caverne que le Soleil ne vient jamais réchauffer.

J'ai des envolées lyriques.

Et pourtant je suis à terre.

Atterré.

Depuis trois jours.

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« C'est de ta faute. Tout. T... - voix qui se casse puis reprend- Tout. Lâcheté...»

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Depuis trois jours où j'ai écrit cette foutue lettre.

Où je l'ai postée.

Où je ne l'ai pas relue avant de la poster.

Depuis trois jours où je me suis enfermé dans mon appartement, dans mon nouvel appartement, duquel je ne suis pas sorti depuis.

Depuis trois jours où les seuls moments où j'ai quitté mon lit étaient quand j'ai eu besoin de pisser et de boire. Et encore : juste de remplir ma bouteille d'eau posée à côté de mon oreiller pour être sûr de faire l'effort de boire sans en faire trop, d'efforts.

Depuis trois jours où la sonnerie du téléphone me laboure le crâne, où celle de l'entrée me donne l'impression qu'on arrache mon cerveau, où le vibreur de mon portable posé sur ma table de nuit me vrille les tympans. Mais il est trop loin. Il faudrait que je me retourne, que je tende le bras, pour l'éteindre, alors je préfère souffrir du bruit.

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« Tu veux que je te rafraîchisse la mémoire ? J'ai tout mon temps, et ne t'en fais pas, je me souviens de tout – de tout. C'est moi, ça, le souvenir de tout, de tout ce qui me paraît important, de ce qui l'est moins, de ce que je pourrais vouloir oublier. Non, non, je ne veux pas oublier ça. Même si c'est le souvenir, le problème. La première fois qu'on s'est vu, c'était y'a quatre ans... »

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Je préfère souffrir du bruit, pourtant tous ces bruits me rappellent l'extérieur, me rappellent qu'il y a un au-dehors, alors que c'est précisément ce que je voudrais oublier.

Les sonneries et le vibreur me tuent parce qu'ils s'enchaînent, vu que je n'y réponds pas. Ils me tuent parce que, même si ces trois derniers jours, je les ai passé dans mon lit, j'ai pas dormi.

Ou très peu.

Non. Je suis pas là pour ça.

Je suis pas en train de me laisser crever dans mes draps pour le plaisir de 72 heures de sommeil.

Plutôt pour oublier la raison pour laquelle j'ai pratiquement pas pu dormir en 72 heures.

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« Je devrais pas te dire tout ça : tu vas croire que je ne sais pas ce que je veux. Mais justement. Tout ça, c'était pour te faire comprendre ce que je vois de toi. Tu es beau, putain, je... »

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Pour me donner le temps de passer à autre chose, de me relever.

De me dire que j'ai pas fait une grosse connerie.

La plus grosse connerie de ma vie.

Pour me donner le temps d'oublier ces quatre dernières années. De t'oublier.

Je n'ai jamais regardé en arrière. Ça fait trop mal, de revenir sur ses sentiments, d'analyser après-coup le pour et le contre, parce que même si on a fait ce qu'on a considéré être le meilleur choix, on voit forcément ce qu'on n'a pas. Ce qu'on aurait eu en prenant une autre décision.

Je n'ai jamais regardé en arrière, je n'ai jamais remis en question mes choix, surtout pas sentimentaux, parce que mes décisions sont toujours réfléchies, et que si j'ai fait tel choix, c'est que tout m'y poussait.

Si j'ai décidé de casser avec quelqu'un, c'est que je vivais suffisamment mal la relation pour me poser la question de la remettre en question.

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« Tu te rappelles pourquoi c'est si important, le fait que vous me rameniez ? Bien sûr, sinon tu ferais un piètre amant, hein ? Dis, dans ''amant'', il y a ''am-'' de ''amour''. Il faut être amoureux pour parler d'un amant ? Enfin, peu importe, à vrai d... […] Je ne mérite pas mes réussites, d'une manière globale. Elles ne devraient pas me revenir. Tu ne devrais pas me revenir à moi. Tu ne dois pas revenir chez moi... »

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Je ne regarde jamais en arrière, je ne remets jamais en question mes décisions. Jamais. C'est un... principe.

Et pourtant, depuis trois jours, une petite voix n'arrête pas de me dire que j'ai fait une connerie.

Que j'ai pris la mauvaise décision. Que j'ai tout foutu en l'air.

Je ne reviens pas sur mes choix, sur mes sentiments, sur mes ruptures. Jusqu'à aujourd'hui.

Jusqu'à il y a trois jours.

Mais je ne suis pas revenu sur mes sentiments, il y a trois jours.

Je ne suis pas revenu sur une rupture, après avoir lâché la lettre dans la boîte.

Il n'y avait pas de sentiment.

Il n'y avait aucune liaison, donc pas de rupture.

Je reviens sur des choses qui n'ont jamais existé mais qui font mal, putain, qui font mal...

Sur du vide. Sur un gouffre.

Je suis un gouffre, une caverne que le Soleil jamais ne réchauffe.

Sur du froid.

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« Alors j'ai été votre recours : j'ai appris à faire la danseuse. Y'a des coups du sort, comme ça. Dès les premiers cours de débutants, j'ai été ''danseuse''. J'ai appris la base... »

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Ce froid que j'essaie de supprimer en me couvrant de trois couvertures, deux couettes, deux pulls.

Ce froid qui me bouffe de l'intérieur, qui m'empêche de dormir.

Ce froid qui me démontre la hauteur de mon doute, moi qui ne doute jamais.

Non, même pas mon doute, en fait : ce froid me prouve à quel point est grande la certitude que j'ai d'avoir fait la connerie de mon cinquième de siècle de vie.

Oui, mais non.

Je sais pourquoi j'ai pris cette décision.

Je sais pourquoi j'ai ''cassé''.

J'ai une raison pour t'avoir envoyé cette lettre, cette putain de lettre.

J'en ai même plusieurs, puisque j'ai déjà essayé de me détacher de toi d'autre fois. Mais il y en a une plus forte que les autres, qui à elle seule m'aurait fait cassé de toute manière.

La raison ? Ça.

Le froid, le doute, la certitude, la connerie... Tout ça.

Tout ce que je savais que ça risquait de me provoquer de t'écrire et t'expédier ma longue lettre pleine d'accusations, de rappels, de ressentiments...

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De sentiments.

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« ...quand je me disais que j'étais trop dans tes bras : trop bien, trop confortable, trop dominé consentant quand tu me dirigeais, trop souvent. Trop, quoi. Je crois que t'as dû le remarquer une fois. Et c'est la semaine après cette fois où je crois que je me suis fait griller, que les choses ont un peu commencé à changer. Peut-être une coïncidence, c'est ce... »

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De sentiments.

Justement.

Putains de sentiments qui me font souffrir aujourd'hui.

Des sentiments que j'aurais pas dû avoir. Que j'avais pas le droit d'avoir.

Que j'ai pas le droit d'avoir. A cause de la situation.

Ce sentiment que tu ne vois plus la personne uniquement pour la raison qui faisait que tu la voyais avant : la simple envie de coucher avec. L'attirance physique.

On a appris à se connaître, on a vu nos côtés négatifs, nos côtés positifs, nos caractères de merde, nos aspects sympas, agréables, gentils. On s'est pris nos coups de gueule, on a balancé, j'ai essayé de te lâcher avant pour d'autres raisons que la dernière, tu m'as pas laissé partir.

On a vu de l'autre ce qu'aucun coup ne devrait voir de l'autre. Quand le plan ne devrait voir que le cul, nous on s'est trop regardés en face. On a trop vu.

On a appris à se connaître.

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« Et ta joue contre la mienne, je n'ai pas pu me dire que c'était une coïncidence, c'était trop gros. Surtout deux fois de suite. C'était doux, c'était même tendre. C'était devant ta femme, occupée ailleurs, certes, mais quand même. Et pourtant, tout comme tu n'as fait aucun mouvement pour t'écarter, je n'ai pas coupé le contact entre notre peau. J'aurais dû, hein ? C'est là que... »

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On se connaît, intimement, personnellement. Il y a toujours plein de choses que j'ignore de toi, de ta vie, de ton passé, de ce que tu veux de ton futur.

Mais je te connais.

Et c'est le fait que j'ai envie de connaître toutes ces choses que je ne sais pas qui m'a fait partir. Enfin, ''partir'', c'est un bien grand mot. Ne plus revenir, disons.

C'est le fait que 'Léna, ta femme, Réléna de son vrai nom, prenne de plus en plus de place dans ma tête.

Plus à cause de la culpabilité que j'avais de lui prendre son homme, comme avant. Enfin, plus seulement la culpabilité. Aussi l'impression qu'elle me dérange quand je ne suis qu'avec toi. Que sa simple existence, que son simple statut de Madame Yuy me gêne.

Je ne supporte plus de savoir que tu es à quelqu'un d'autre.

Un simple coup ne pense pas comme ça.

Un plan cul s'en fout de ta vie.

Un plan baise ne sait pas que tu as une femme.

Un régulier, s'il le sait, n'en a cure : tu gères ta vie comme tu le veux.

Un amant, une maîtresse peuvent espérer que tu vas finir par quitter l'autre pour eux.

Quelqu'un qui a des sentiments comme moi ne peut plus accepter de te voir quand il sait que tu retrouves ta femme le soir. Il n'accepte plus de ne pas être le seul. Il ne veut pas ton divorce envisagé, il veut que tu l'aimes aussi et que ça se traduise par le fait que la rivale n'existe même plus dans ton cœur, dans ta tête, à aucun moment.

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« Intensité. Le romantisme, c'est pas vraiment mon truc. On en a déjà parlé, tu sais ce que je pense de l'amour... Et les phrases du style ''plus rien n'existait à part eux'', ça m'a toujours fait rire. Mais pas ce soir-là. Pas ce soir-là, parce que je l'avais devant mes yeux, je le vivais – voix qui faiblit – Plutôt, je vous voyais le vivre. C'était impressionnant, vraiment... J'aurais jamais cru ça, mais quand vous dansez, tu as beau être celui qui guide, les regards dominants viennent clairement de elle. Les tiens sont... Tendres, pas soumis, mais pas loin... »

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Je ne supportais plus l'ombre de 'Léna.

Est-ce que c'est pour ça que je t'ai écrit cette lettre ? Plus ou moins. Pas parce que 'Léna est trop présente, mais parce que le fait que je puisse le penser me montre à quel point j'éprouve pour toi des sentiments qui ne devraient pas exister dans notre situation.

Il ne peut pas y avoir de sentiments entre nous.

Peut-être de l'amitié, et c'est ce que ça fut à une époque, je crois. Quand on a commencé à se connaître sans plus, quand on ne faisait encore que coucher ensemble quand on se voyait, parlait entre deux portes, sans rechercher la conversation. Juste voir comment l'autre va, être un peu influencé par son humeur.

Puis le moment où j'ai vu que la relation devenait trop dominé/dominant pour continuer à se développer en amis. Il n'y avait plus rien, plus que du sexe. Après la première fois où j'ai essayé de ne plus te voir.

Puis le moment où je t'ai haï. Une journée. Où j'ai compris que je ne pourrais pas supporter que quelqu'un qui m'a fait du mal comme tu m'en as fait ce jour-là puisse être à un moment ou à un autre mon ami. La deuxième fois où j'ai essayé de ne plus te revoir. Le lendemain, tu t'es fait à peu près pardonner.

Disons que tu t'es assuré qu'on continuerait à se voir malgré ce que tu m'avais fait, malgré le fait que tu ne prenais jamais mon avis en considération, que tu ne me laissais jamais le choix.

Je t'ai pardonné, mais ça m'a pas empêché de me dire que je ne pourrais pas te considérer comme un pote. Jamais.

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« quand je me suis tourné vers toi pour te saluer, mon sourire d'au revoir s'est fait happé par tes lèvres, et mon champ de vision était bleu, bleu comme tes yeux. Tes mains n'étaient plus sur le volant, parce que quand j'ai répondu à ton baiser, elles se sont posées une sur mon épaule, l'autre sur ma cuisse. Je n'aurais sans doute pas dû... »

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Et justement, à partir de ce jour-là, tu as pris mes envies pour argent comptant. Tu me faisais des propositions au lieu d'à peine me parler des décisions qui nous touchaient tous les deux. J'avais le choix.

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A partir de ce moment-là, tout a évolué.

En m'empêchant encore une fois de partir, de cette manière, tu as fait ce qui rend la situation insupportable aujourd'hui. Invivable.

Ingérable. Pour moi.

Tu as fait que j'ai été obligé de te demander de ne pas venir, de ne pas revenir me voir, demande que je t'ai faite dans cette lettre il y a trois jours.

Demande ? Non. Simple compte-rendu d'une décision.

Simple constat qui ne demande pas d'assentiment.

Oui, j'avais envie de savoir si ça t'a fait mal de lire ça.

Oui, j'avais envie de savoir si tes sentiments étaient comme les miens ou si tu n'étais pas impliqué dans notre relation qui se transformait un peu trop en liaison, impliqué comme j'étais en train de le devenir.

Mais je sais que tu aimes 'Léna. Je l'ai bien vu, il y a trois ans. Quand vous dansiez ensemble, vous respiriez, vous suintiez votre amour, c'en était presque écœurant pour moi.

Tu aimes 'Léna, je n'étais utile pour toi que pour ton équilibre. Tu vas trouver un autre contre-poids, un autre jeune de quinze ans ton cadet, ou une minette de vingt piges, vu ton physique ça sera pas difficile, ou tu vas construire des maquettes de vieux rafiots pourris dans des bouteilles en verre, ou tu vas te mettre au golf...

Tu ré-aimeras peut-être un peu mieux ta femme, tes gosses te trouveront plus présent, tu seras plus passionné avec la première, plus attentionné avec les suivants...

Et je serai loin.

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« 'Léna. Qu'est-ce que c'était dur pour moi de la revoir à chaque fois, tous les mardis soirs. La faire danser, vous voir danser, et repenser aux minutes volées que je passais avec toi, à ce qu'on faisait de ces moments. Son sourire quand je la regardais un peu trop longtemps, sourire qu'elle m'adressait. Sa voix confiante quand elle me parlait – voix qui se casse un peu -... »

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Je serai loin, je serai guéri des sentiments certainement. J'espère.

J'ai toujours surmonté sans problème mes relations, mes ruptures. Presque jamais je n'ai pleuré, je suis toujours passé au-dessus... Je suis toujours passé à autre chose rapidement.

Pas que j'ai beaucoup pu avoir de relations ces dernières années : tu as tout fait pour que ce ne soit pas le cas. Mais j'en ai eu avant.

Je t'ai déjà dit que je tombais amoureux après avoir commencé à être avec quelqu'un. Que c'est quand je veux tomber amoureux que je finis par y arriver, ou que je réussis à penser l'être. Forcément, c'est plus simple de se détacher dans ces cas-là.

J'ai toujours surmonté sans problème mes ruptures.

Jamais, jamais je n'ai passé trois jours dans un lit à ne pas dormir après avoir avorté une relation avec quelqu'un avec qui je ne peux pas en avoir.

Jamais je me suis laissé survivre en regardant le mur face à moi, à la lumière dans la journée, dans la presque-nuit le soir, dans le noir la nuit, dans le presque-jour le matin.

Jamais je me suis laissé aller comme ça.

Je ne pleure pas.

Je ne pleure jamais. Je suis trop faible pour pleurer.

Et pourtant je retiens mes larmes.

Surtout depuis tout à l'heure.

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« ...j'ai rajouté : ''Je... – voix qui se casse, qui se brise. Qui a du mal à dire. A lire – Je suis pas comme toi, moi. Je peux pas voir quelqu'un que j'aime après avoir baisé avec un autre dans la journée. J'en suis pas capable, je culpabilise, les personnes que je connais comptent pour moi.'' Là, tu t'es énervé pour de vrai, tu m'as pris par le col, tu... tu m'as embrassé. Violemment, brusquement. Une espèce de vengeance... Aucune tendresse, pas de gentillesse, non, tu prenais parce que tu savais que je ne voulais pas te... te donner, parce que tu savais que j'étais encore sous ton influence, parce que tu savais que, malgré le fait que je puisse avoir des sentiments pour un autre, j'étais encore accro à ton corps. J'ai faiblement résisté, et quand tu m'as plaqué contre la porte en continuant de m'embrasser, j'ai fini par y répondre, à tes baisers. Lâchement. Je suis faible. Avec ton corps, je suis faible... C'était bon, et pourtant c'était amer, c'était à la limite du violent. Une... Une vengeance de ta part, tu savais que je ne me pardonnerais pas d'avoir fait ça à mon nouveau copain, et que je casserais avant même d'avoir eu le temps d'essayer de tomber amoureux. Tu... Tu me l'as dit, d'ailleurs, pendant que tu me baisais, dans tous les sens... du terme. Tu as susurré, tu as feulé : ''Tu... Tu m'as dit que tu tombais p... pas amoureux. Que si ça arrivait, c'était toujours à l'expérience, à force de voir l'autre et de vouloir l'aimer... Je... Je vais pas te laisser tomber amoureux. Je v... veux pas que tu tombes amoureux. Je veux... pas que tu vois quelqu'un d'autre.''... »

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Surtout depuis tout à l'heure.

Je sais pas quelle heure il était. J'en ai toujours aucune idée.

La sonnette d'entrée a encore vrillé mon cerveau. J'ai pas plus répondu que les autres fois. Une fois. Deux fois. Trois fois.

Puis plus rien. Exactement comme toujours depuis trois jours. Tout de suite, mon portable qui a sonné, par contre. Puis de nouveau ma sonnette. Mais depuis ma porte. Celle de mon appartement je veux dire, pas d'en-bas. Comment je le sais ? Parce que ça a toqué juste après.

Tiens, la personne était rentrée dans l'immeuble ? Soit elle avait sonné chez un autre appartement de l'immeuble pour se faire ouvrir, soit elle avait les clés. Ce qui veut dire que c'était Quat'.

Forcément, y'a qu'à lui que j'ai donné les doubles de mon studio.

Y'a qu'en lui que j'ai assez confiance pour le faire.

Il était donc rentré dans l'immeuble alors que je lui avais pas ouvert, et il espérait que j'allais me bouger pour lui ouvrir la porte. Ou alors c'était un sursaut de respect pour ma vie privée. Du vrai respect, ou vouloir faire croire que c'en est. Me laisser encore la possibilité de croire que je peux encore ouvrir de ma propre volonté avant qu'il décide d'ouvrir avec ses doubles.

J'allais pas me lever. J'allais pas me bouger.

Du coup j'ai entendu les clés tourner dans la serrure et la porte s'ouvrir.

La lumière s'est allumée, et je me suis rendu compte que, en effet, il faisait bien sombre juste avant. La nuit était presque tombée. Je ne voyait presque plus la couleur de mon mur.

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« Je savais combien je faisais une erreur, que j'aurais dû te planter là, que peut-être tu m'aurais laissé, que mon ex m'aurait certainement aidé à te repousser s'il avait vu que je me débattais. Encore une fois, je t'ai docilement et faiblement suivi. Tu m'as emmené devant un hôtel trois étoiles. Je t'ai dit que j'étais ni ta pute ni ta maîtresse vénale, que... »

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Je tournais le dos à la porte, toujours les yeux sur le mur à trente centimètres devant moi, contre mon lit.

En temps normal, j'aurais balancé un ''Tranquille, Quat'. Tu te fais pas chier.''

Oui, mais j'avais pas la volonté de parler.

Et puis il avait l'odeur.

L'odeur.

Dès que la porte s'est refermée, ton odeur a tout envahi. Comme dans ta voiture, comme dans ma chambre, chez mes parents, à une époque...

Je savais que c'était pas Quat'. Je savais que tu n'étais pas Quat'.

Mais j'ai pas parlé pour autant.

Je me suis pas retourné.

Non.

Tout était dit, je n'avais plus rien a te dire. Plus rien de plus que ce que je t'ai dit dans la lettre, plus rien de plus que ce que j'y ai fortement sous-entendu.

Rien de plus que ce qui est politiquement correct dans notre situation.

Ce qui veut dire qu'en fait j'ai tellement plus à te dire, tellement de choses que je ne peux pas te dire avec l'ombre constante de ta femme, de tes enfants.

Je me suis pas retourné.

Non.

Que tu me voies dans cet état, c'est la dernière chose que je voulais. La dernière chose que je veux.

Que tu me voies prostré là, visiblement depuis trois jours, visiblement sans avoir bougé, après t'avoir dit que je savais ce que je faisais, ce que je voulais dans ma lettre.

Tu étais là, tu sentais ce que je ressens, même si je ne t'avais rien dit, même si tu ne m'avais pas encore vu en face. Tu étais là alors que je t'avais demandé de ne pas revenir. Alors que je t'ai à peu près explicitement montré où notre relation péchait, et pourquoi il fallait que je ne te voie plus.

Après t'avoir expliqué que ça me ferait forcément mal de te revoir, quoi qu'il se passe.

J'ai peur de ce qui risque de se passer.

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« Je te l'ai dit, je t'ai dit que je ne t'aimais pas, je t'ai dit que si je t'aimais, je ne prendrais pas le risque de coucher avec toi, que je ne voulais pas t'entendre dire que tu étais perdu comme si tu hésitais entre ta femme et moi, que si tu divorçais, on ne se reverrait pas. Je ne voulais pas être à l'origine de votre divorce. Je ne veux toujours pas être à l'origine de votre divorce. On n'avait jamais autant parlé que cette fois-là, tout en couchant ensemble. Tu as réussi à me récupérer, cette fois-là... »

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Je t'ai dit que ça me ferait du mal, mais tu es là. Tu n'en as pas tenu compte. Je croyais que tu observais mes préférences pour prendre tes décisions, mais je remarque avec douleur que non. Que tu vis pour toi.

Quand on aime quelqu'un, on n'essaie pas de lui faire mal, si ? On le fait passer avant soi, non ? Avant nos sentiments, nos besoins...

Tu ne m'aimes pas.

Je le savais, mais ça fait toujours plus mal d'en être assuré.

Ça fait toujours mal d'avoir l'impression que l'autre te le dit, te le montre.

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Tu as eu un temps d'arrêt, après avoir fermé la porte. Peut-être que tu me cherchais des yeux, peut-être que tu m'avais très bien trouvé et que tu cherchais à voir si j'étais endormi, peut-être que tu attendais que je dise quelque chose.

Puis tu t'es avancé vers le matelas. Vers moi.

Lentement.

De nouveau tu t'es arrêté devant le lit. Dans mon dos. Je sentais ta présence.

Jamais on a été tous les deux dans une pièce où il y avait un lit sans la volonté d'y coucher ensemble.

Et pourtant, je sentais bien que t'étais pas là pour ça, pas plus que moi. Même sans te voir, je pouvais le dire.

J'ai senti le lit s'affaisser dans mon dos : tu t'étais assis.

J'ai senti un mouvement dans mes cheveux complètement décoiffés et éparpillés sur mes diverses couvertures : ta main les rassemblait sur mon épaule.

J'ai senti une fraîcheur au cou : tu venais de descendre un tout petit peu les couvertures.

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J'ai pris conscience que je puais le non-sommeil, que je cocottais le mec qui a passé trois jours dans un futon sans se lever, sans se laver.

J'ai pris conscience que j'avais beau me sentir froid à l'intérieur et ne pas avoir réussi à me réchauffer, j'ai dû transpirer comme un goret, forcément. Avec 20°C dans mon appartement et mes couvertures en plus.

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« Quat' que je vois encore assez souvent, plus encore à l'époque, après avoir vécu à travers moi avec délice nos débuts à toi et moi, voyait que c'était pas sain. Même si je n'étais pas malheureux, vu que je me prenais plus la tête avec toi, tu étais devenu mon régulier et je cherchais pas plus et rien d'autre, même si je n'étais pas mal dans notre relation, il trouvait que c'était spécial, peut-être pas très ''normal'', pas très bon... »

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''Hey.''

Ta voix était basse à ce moment-là, tendre. Triste.

Tu avais dû voir que je ne dormais pas, peut-être ma respiration qui s'était emballée, au moins qui était plus rapide que la normale.

Tu as posé une main sur mon épaule, au-dessus des couvertures.

Je ne t'ai pas répondu, ni à ta parole, ni à ton geste.

Le mur qui avait repris sa couleur bleue avec la lumière allumée, devant moi.

Rien d'autre.

Je ne t'ai pas répondu, tu as attendu une dizaine de secondes, puis ta main est partie.

J'aurais voulu qu'elle reste. J'aurais voulu que tu ne la retires pas, que tu me dises ce que j'ai besoin d'entendre, que tu me rassures.

Le problème, c'est que ce que j'ai besoin d'entendre, c'est quelque chose que tu ne pourras jamais me dire, que tu ne pourras pas faire.

Je veux pas t'entendre dire que tu m'aimes. Surtout pas. Pas maintenant, pas comme ça, alors que la situation est la même, que même s'il y avait des sentiments, il resterait des unions légales, des liens de sang... Des connexions. Et de l'amour pas envers moi.

Je veux pas t'entendre dire que tu m'aimes. Surtout pas. Je ne te croirais pas : si tu m'aimais, tu ne serais pas là à essayer de me faire parler, à m'imposer ta présence, à être aller jusqu'à extorquer mes clés à Quat', alors que ta situation familiale n'a pas changée.

Justement. Ce que j'ai besoin d'entendre, même si une partie de moi ne le veut pas par scrupules, c'est précisément ce que j'ai toujours eu peur de t'entendre dire, avant. Ce que j'ai toujours refusé par... principe.

Comme j'aimerais entendre que tu n'as plus de femme, que tu as divorcé, que vous vous êtes quittés, que tu es libre. A moi.

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« Tu m'as dit que tu ne voyais pas ce qu'il y avait de malsain dans notre relation, que même si tu avais clairement abusé l'an dernier, que tu t'en voulais encore et que tu te dégoûtais quand t'y repensais, tu trouvais que notre relation actuelle, était simple et sans ambiguïté. Qu'on savait tout les deux où était notre place, qu'on se prenait pas la tête, que tous mes arguments touchaient à des problèmes de quand j'avais dix-sept et dix-huit ans, à cette époque où tu étais conscient que tu abusais de ton influence, de l'effet que tu voyais que tu me faisais. Que j'avais pris confiance, que j'avais de la personnalité et du caractère, maintenant, que j'avais évolué en deux ans, ce qui était vrai, et que tu respectais mes choix même si tu contre-argumentais à ce moment-là, parce que pour moi comme pour toi, c'était con d'arrêter ça, que tu trouvais un équilibre entre ta vie d'homme marié et notre relation, que je ne semblais pas souffrir dans cette histoire,et que si ç'avait certainement été le cas il y a quelques mois, tu ne serais plus capable de me faire revivre ça. Vrai ? Faux ? J'en savais rien. Et honnêtement, je m'en foutais : t'avais pas essayé de me toucher, de faire céder mon corps avant ma volonté, cette fois-ci, et ça confirmait ce que tu disais. Et comme tu le disais, je ne souffrais pas, je ne souffrais plus comme à une époque où j'étais complètement dépendant de cette relation. De ta volonté... »

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Comme j'aimerais, et en même temps qu'est-ce que je m'en voudrais. Pour 'Léna ? Peut-être un peu, mais après tout, je t'ai toujours poussé vers elle. Ça, c'est de ta faute.

Non. Pour tes gosses, en fait. Pour les quatre mômes que t'as eu avec elle qui seraient partagés entre Papa et Maman, qui verraient leur temps divisé en une-semaine-sur-deux, une chez l'un, une chez l'autre, les Noël une fois sur deux... Tout ça. Tout ce que je me dis que j'ai eu la chance de ne jamais vivre.

De toute façon, je ne veux pas penser à ça. A ce que je veux entendre tout en espérant que jamais je l'entendrai, alors qu'avant j'espérais juste ne jamais l'entendre, sans rien vouloir d'autre. Que ton corps.

Je n'ai pas le droit d'y penser. Tu aimes 'Léna, tu aimes tes gamins, tes mignons gamins que j'ai déjà vus une fois ou l'autre, quand vos parents ne pouvaient pas les garder pendant les répèt' de gala. Y'a trois ans, déjà. Ils ont dû bien grandir...

Je n'ai pas le droit d'y penser.

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Comme je n'ai pas réagi, au bout de dix secondes, tu as retiré ta main. J'ai entendu un bruit de papier plié, ou déplié, enfin du papier qu'on bouge, quoi.

Plusieurs feuilles.

Beaucoup de feuille.

J'ai eu peur. Peur de ce que c'était.

Je crois que j'ai tout de suite deviné ce que c'était.

Mais tu étais là pour quoi, au juste ? Pourquoi tu avais cette lettre avec toi ? Pourquoi tu la faisais revenir dans mon appartement, putain ?

Qu'est-ce que je t'avais fait, bordel, pour que tu viennes avec ces feuilles que je voudrais oublier, comme toi, comme ta vie, ta famille, la danse, tout ce qui m'a fait plonger dans cette connerie d'histoire, où j'ai trouvé mon compte à un moment, où ça n'a clairement pas été le cas à d'autres, où j'ai fini par ressentir au lieu de juste sentir ?

T'étais là pour quoi, au juste ? Pour me la rendre ? Pour me répondre ?

Tu venais de me caresser les cheveux, de me dire un petit ''hey'' gentil, de t'asseoir à quelques centimètres de moi seulement, que si je bougeais un tout petit peu mon dos, je serais contre toi, tout ça juste pour me rendre ma lettre et te barrer ?

T'es vraiment un fumier. T'es venu me frapper quand j'étais à terre, tu sais très bien que j'ai cassé parce que je t'... apprécie un peu trop, et tu viens, tu t'imposes, et tu as la lettre avec toi, et quoi que t'en fasses, je t'en veux.

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« Tu m'as fait danser. J'avais un peu perdu, parce que danser de temps en temps aux soirées où il y a rarement du rock, ben ça entretient pas le talent. Tu te moquais gentiment de moi quand je ratais une figure que j'arrivais à faire avant. Et puis quand j'ai repris mes bases, tu as lancé Suzette, j'ai encore ri, et ce coup-ci tu ne m'as pas demandé pourquoi, tu m'as juste semblé tout fier de ton idée. - voix qui chante les paroles - ''Elle me dit « fais-moi du bien », je lui dis « oui, sans problème »...''J'ai retrouvé les regards que j'avais complètement oubliés de quand on dansait ensemble. Je n'avais pas vraiment repensé à nous jusqu'à maintenant, je ne suis pas vraiment dans le souvenir, j'avance dans ma vie en me retournant rarement. »

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Je t'en voulais. Je savais pas ce que t'allais en faire, de ma lettre, je me demande si j'espérais pas que tu l'aies brûlée, que tu l'aies déchirée d'un geste théâtral après l'avoir lue, empli de désespoir. Oui mais non, on n'est pas dans un film. Une lettre de vingt copies doubles, tu la ruines pas d'un mouvement de tristesse. Au mieux, t'as l'air ridicule parce que tu t'es fait mal aux jointures des doigts sans l'avoir abîmée.

Et surtout, t'avais pas de raison d'être désespéré, hein ?

Je t'en voulais de l'avoir ramenée ici, de lui avoir fait faire le retour quand la poste s'était chargée de l'aller. Est-ce que tu allais simplement la poser et partir ? Je suis sûr que, pour peu que je m'endorme dix minutes après ça, j'arriverais à me poser la question de est-ce que je l'ai bien envoyée, au final, est-ce que j'ai pas rêvé tout ça.

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Ta main a quitté mon épaule, j'ai entendu les plissements et les bruissements du papier.

Puis ta voix.

Je crois que je ne t'avais jamais entendu lire, avant ça.

''Bon. Voilà. Je ne sais pas comment commencer. J'ai jamais su...''

J'ai entendu ta voix, j'ai reconnu mes mots. J'ai reconnu des mots qui sont typiquement les miens, même si je ne m'en souvenais pas exactement. J'ai beaucoup écrit, il y a trois jours, je ne me suis pas relu, je n'ai pas retenu tout ce que je t'ai dit.

Mais cette phrase, ces phrases-là, et les autres qui coulaient de ta bouche, avec ta voix de quelqu'un qui lit, je les ai tout de suite reconnues.

Je me suis revu devant mes feuilles vierges, les trois premières que j'avais prévues, toutes celles que j'ai dû rajouter parce que c'était beaucoup plus long que ce que je pensais, parce que tout ce que je voulais te dire coulait de mon stylo sans s'arrêter.

Je me suis revu, au début, ne sachant pas comment commencer. Utiliser mes allocutions préférées : bon, voilà.

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Puis j'ai compris que tu allais me lire toute ma lettre.

C'est là que les larmes sont montées dans mes yeux.

C'est depuis ces putains de cinquante minutes où tu lis, où tu ne t'es pas interrompu, que je me bats pour pas qu'elles descendent sur mes joues, sur mon nez vu que je suis couché sur le flan.

Que je contrôle ma respiration. Et ne me voyant pas de face, tu ne peux pas le voir, cet effort que je fais.

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« ...quand on a redansé, juste après, à ma demande, il y avait une espèce d'intimité dans nos regards, un truc un peu trop proche qu'on n'avait pas vraiment eu avant. Et j'arrive pas à savoir si ça me plaît où pas. Oui, parce qu'on danse souvent, quand on se voit, maintenant. Et je sens que les choses ont évolué, et je ne sais pas si c'est bien ou pas. Tu sais, tu m'as déjà dit que tu pouvais divorcer de 'Léna. Je t'ai dit que c'était hors de question, et ça fait longtemps que tu n'en as pas reparlé. Je ne sais pas si c'est bien, la direction que prend notre relation... »

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Tu lis. Tu lis depuis tout à l'heure. Tu laisses tes émotions transparaître à la lecture.

Les passages où je ne fais que décrire, ta voix est monotone, pas désagréable, comme si tu lisais n'importe quoi.

Elle se serre quand tu lis les questionnements que j'ai eu, mes doutes, mes scrupules, mes craintes.

Mes ressentis négatifs, ceux où je t'accuses à demi-mot tout en m'en gardant, tout en m'accusant moi, ma faiblesse, en lisant ça ta voix se brise, parfois. Tu dois te reprendre sur certains mots.

Mes sentiments actuels, je ne les ai pas écrits. Ils se sentent. Je ne m'en étais pas vraiment rendu compte en écrivant, je n'ai pas relu. Mais ma lettre suinte de tout ce que je ressens maintenant. Je t'ai dit tellement plus que ce que je voulais te dire...

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Tu lis. Tu lis depuis tout à l'heure. A part quand ta voix se brise d'émotion, de rancœur envers toi-même, vu les passages où ça arrive, tu lis sans jamais avoir à reprendre un mot, sans jamais hésiter.

Mon écriture est loin d'être merdique, mais comme toutes les écritures, tout n'est pas toujours évident à comprendre.

Mais non. Tu lis comme si tu l'avais lue plusieurs fois. Comme si tu connaissais tous ces passages.

Et ça me fait mal, je ne sais pas quoi en penser. Je ne sais pas pourquoi tu l'as lue plusieurs fois, cette putain de lettre. Pourquoi tu sembles la connaître si bien.

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« Bon. Voilà. J'ai fait le tour. Enfin, autant que c'est possible de faire le tour d'une relation de trois ans, qui en est une sans en être une. J'en ai fait le tour en te la rappelant, même si je me doute que tu te souvenais d'à peu près tout. Mais j'ai remarqué, cette première fois où on a dansé, que j'avais oublié beaucoup de choses sans les oublier véritablement, puisqu'elles sont revenues tout de suite à mon esprit, et que cette prise de conscience, de ce que je ressentais alors par rapport à maintenant, ça a fait évoluer notre relation, dernièrement. Alors je voulais que tu te souviennes aussi... »

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J'en peux plus.

J'en peux plus de cette situation.

La situation de toi avec ta femme et tes gosses, celle que je pensais avoir enfin réussi à fuir, mais que tu es là, donc que je me reprends en pleine face.

La situation de toi, ici, à quelques centimètres, lisant, éprouvant ma lettre.

J'en peux plus de t'entendre lire tout ça. Toutes mes pensées intimes, que je ne suis même pas sûr que je réussirais à les réécrire aussi bien, aussi complètes aujourd'hui, malgré les trois jours que je viens d'avoir pour y penser.

J'en peux plus de t'entendre lire tout ça, d'imaginer ce que tout être normal à ta place, qu'il aime ou non celui qui l'a écrit, doit ressentir en lisant ça. Je crois que j'avais besoin de te faire mal. C'est obligatoire, non ? vu tout ce que j'ai écrit, vu tout ce que je t'ai balancé.

Quand on aime, on n'essaie pas de faire mal à l'autre, si ? On le fait passer avant soi, non ? Avant nos besoins, nos sentiments...

Qu'est-ce que je suis con. Quand on aime, on est égoïste.

Je t'ai écrit ça comme une lettre de rupture, mais tout ce que je voulais, c'était une réponse. Je t'ai écrit ça comme une lettre de rupture, mais en l'entendant, je vois à quel point c'est une lettre de demande, de demande de plus, de demande... d'engagement. Une déclaration.

Est-ce que tu l'as senti aussi, est-ce que c'est pour ça que t'es là, ici, aujourd'hui ?

J'ai voulu te faire mal, assez mal pour que t'aies besoin de me parler, de te justifier, de me dire ce que tu penses, comment tu te positionnes, toi, dans toute cette histoire.

Je suis transparent.

J'avais besoin que tu m'en parles, besoin de savoir. J'avais besoin de te faire suffisamment mal pour que, même sans connaître vraiment mon nouveau lieu de vie, même sans avoir les clés et sans que j'ouvre moi-même à mes visiteurs, tu cherches à tout prix à me retrouver, à me parler.

Quand on aime, on aime pour soi, en premier.

J'ai eu l'impression de jouer au preux chevalier en t'envoyant ça, en te disant que je ne voulais pas te faire le mal que je commençais à éprouver, en te disant que je pensais à 'Léna et tes enfants avant tout.

Et c'est sûrement ce que j'aurais continué à penser si tu n'étais pas venu.

Mais là, je me rends trop compte que j'espérais exactement me retrouver dans cette situation.

J'avais besoin de savoir, moi qui te dis que je m'en fous, moi qui te dis tout ce que je ne sais pas de toi dans cette lettre en concluant par un ''je ne veux pas savoir'' à chaque élément nouveau que j'ignore.

Je suis transparent.

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« Et je me rends compte que je n'en veux plus, de cette relation. Vraiment. Je me rends compte que 'Léna me dérange de plus en plus, et c'est pas normal. Je me rends compte qu'on se parle de plus en plus, et c'est pas normal. Je me rends compte que ce dont je me rends compte ne peut que me faire du mal. Alors j'ai décidé de changer de méthode : le SMS expéditif, la rencontre en personne, ça n'a pas marché. J'espère que 'Léna ne va pas lire en même temps que toi cette lettre, que tu auras la bonne idée de regarder de qui elle est avant de la lire près d'elle, de te douter qu'il ne faut pas qu'elle la voie. Tu sais où me trouver, je sais où te trouver, mais je n'ai pas envie qu'on se retrouve. Je disparais de ta vie avant qu'il ne soit trop tard pour toi comme ça l'est déjà pour moi. Je déteste les trucs sentimentaux, je déteste me dire que tu vas lire cette phrase juste au-dessus, mais je pense qu'elle résume ma situation, ta situation, ce qu'il risque d'en advenir si on continue à se voir. Je suis égoïste, j'ai peur d'avoir mal, alors je casse. Je romps. Et je me dis que, pour qu'il soit nécessaire de rompre, c'est que c'est déjà trop tard, en partie... »

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Non. Non en fait. Quand tu lis ce passage, je vois quand même que je suis un minimum conscient de mon propre égoïsme, de ma peur de me faire mal... Mais ça revient au même, hein ?

La seule chose que j'avais pas prévue, dans ta venue, la seule chose que je ne voulais surtout pas, c'était réentendre ma lettre. C'était prendre conscience de ce que je te disais sans te le dire. Ce que j'ai toujours fait.

Entendre cette lettre, ça me fait voir ce que je voulais vraiment, ce que je voulais inconsciemment. Ça me fait mal. Je me découvre manipulateur involontairement.

Je ne veux plus entendre cette lettre.

Je n'arrête pas de t'y dire au revoir, depuis tout à l'heure, et j'espère intérieurement que chaque salutation sera la dernière, que tu vas interrompre ta lecture, que ce sera la fin.

Que tu vas me dire quelque chose.

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Je ferme les yeux, j'en peux plus d'entendre ça. D'entendre mes mots, mes pensées, mes ressentis dans ta bouche.

Si j'avais vraiment voulu casser pour de vrai, je ne t'aurais pas dit tout ça, hein ? Tu l'as compris, n'est-ce pas ? Que, même si je te disais avoir pris une décision et vouloir m'y tenir, tout ce que je voulais, cette fois-ci, c'est que toi tu reviennes vers moi, pour une fois, que toi tu viennes me rechercher, me vouloir.

Et tu es là.

Et je t'ai manipulé.

Et je me hais.

Je me hais de ce que je te balance, quand j'aurais pu te dire des choses fausses, de fausses raisons pour ne plus vouloir te voir. Te mentir, que tu te dises que je me foutais de ta gueule, que si je pensais ça, c'était clair qu'on n'avait plus rien à faire ensemble.

Mais non. J'ai fait étalage de mes sentiments.

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« Alors, salut Heero. T'as été un peu tout pour moi, un mec qui m'attirait, qui m'a fait me poser des questions sur ma sexualité, un mec qui m'a fait me poser des questions tout court, un gars de qui j'ai été un peu trop dépendant, un gars nocif, un manipulateur, un connard, un enfoiré, un plan, une pause dans mes révisions, un partenaire d'instants volés, un partenaire de danse, un mec que j'ai haï, un mec que j'...apprécie un peu trop aujourd'hui. Par rapport à la situation. A ta situation. A ma situation. Alors à plus, Heero. ''A plus'' comme ''peut-être à un jour où on se verra par hasard''. ''A plus'' comme ''je ne veux plus te voir volontairement, je ne veux plus te voir tout court''. Tu ne dois pas revenir. Je ne veux plus te voir, Heero. Tu es mon cancer, Heero Yuy. Nocif. Je ne veux pas savoir ton âge. Je ne veux rien savoir de plus que ce que je sais, que ce que je sens, que ce qui ne me fait pas encore mal mais qui me fera souffrir sûrement d'ici peu... »

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J'ai fait étalage de mes sentiments, je te dis que je ne veux plus te revoir, mais tout crie le contraire. T'es pas dupe. T'es un homme dit mature, père de famille, tu l'as très bien compris, hein ?

C'est pour ça que t'es là.

Dis-moi que t'es là pour ça, j'ai besoin de l'entendre.

J'ai besoin d'entendre que tu as su lire entre les lignes, que tu m'as compris là où je ne voulais pas te dire les choses... J'ai l'impression que me dire que tu as su voir tout ce que j'ai fait exprès de ne pas te dire clairement me rassurera.

Tout en sachant que ça n'avancera à rien. Que tout sera pareil.

Que ce sera même pire de penser que je ne peux tout simplement pas être avec un homme qui me comprend comme tu m'aurais compris, que j'ai raté ma chance, que je vais devoir continuer à chercher. Peut-être ne pas trouver. Tout en sachant que tu existes, et que je ne peux pas profiter de ta présence, de ton existence.

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« Bon, voilà. Je ne savais pas par où commencer. Je ne sais jamais par où commencer, quel que soit le domaine. Je t'ai toujours laissé commencer, faire, jusqu'à il y a peu. Je ne savais pas par où commencer, alors j'ai commencé par nos débuts. Et maintenant, je sens que c'est à moi de finir. A moi de mettre un terme à tout ça, parce que tu ne le feras pas, mais je risque de te demander plus contre mon gré d'ici peu. De briser le pacte qu'on avait enfin réussi à équilibrer... »

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Je me souviens de ce passage. C'était à la fin.

A la presque fin.

Ça va se terminer, cette lecture interminable, mon calvaire va se terminer. Le tien aussi, parce que ça a été dur pour toi, non ? A ta voix, à ce que je connais de ta personnalité, tu as été touché par cette lettre, touché comme meurtri, comme ému... Je te fais quand même une déclaration à demi-mot...

Je me fais des films. Je me refais des films, comme je m'en suis fait avant qu'on commence à se voir en dehors des cours de danse. Tu n'as pas de raison de te sentir flatté par cette déclaration. Enfin oui, flatté, tu peux l'être. Mais pas ''content'', pas ''gratifié'' par ça.

Je ne suis que moi, au final. Je me suis toujours demandé pourquoi tu avais pris tous ces risques pour continuer envers et contre tout à me voir, quand je ne voulais plus, quand 'Léna avait pu douter un moment peut-être qu'il y avait quelqu'un d'autre.

Quelqu'un qui n'aime pas celui qui se déclare peut se sentir gratifié par ça, s'il estime qu'il ne ''mérite'' pas l'autre. A une époque, dans une autre vie, celle où je savais que je n'avais pas de sentiment pour toi, j'aurais été flatté et gratifié que tu me dises que tu m'aimes. Même si les conséquences de ces mots m'auraient fait peur.

Toi, tu n'as pas de raison d'être gratifié par mes sentiments. Parce que je ne suis que moi.

Quat' me dit souvent que c'est triste que je pense comme ça. Mais il est pareil, alors c'est pas lui qui me fera changer mon point de vue.

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« Alors je m'éloigne, je pars. Je pourrais te remercier pour tout, te dire que tu vas me manquer. Je ne sais pas si je dois te remercier, tu m'as été aussi mauvais que bon, dans tous les sens du terme, et encore aujourd'hui c'est le cas, vu comme les choses ont évolué pour moi. Te dire que tu vas me manquer ? Je te l'ai dit : j'avance, je ne regarde pas en arrière. Ça passera. Comme tout. Au revoir, Heero Yuy. Embrasse 'Léna de ma part. Duo. »

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Je sors de mes pensées en entendant mon nom comme signature de la lettre.

La fin.

''Duo...''

Tu as repris ta voix basse, tendre. Triste.

Et moi je me recroqueville. Mon premier mouvement, je le calcule pas, j'aurais préféré ne toujours pas bouger, ne pas te donner d'idée de mon état actuel.

Mais c'est un réflexe. Je me plie en deux sous les couvertures, mon cou se cache de nouveau dans les tissus.

Mon nom dans ta bouche, après tout ça.

Mon nom dans ta bouche, alors que je m'en veux, que je t'en veux, que je voudrais que tu partes autant que tu restes.

''Duo.''

Et tu insistes.

Et tu récidives.

Tu as décidé de me tuer jusqu'au bout. Tu as décidé de me faire mourir de culpabilité, de honte...

Culpabilité ? Parce que tu es là parce que je l'ai voulu inconsciemment, parce que ma lettre te repoussait dans les mots, mais t'appelait dans le message. Parce que j'ai dû te faire mal.

Honte ? Parce que je n'ai menti à aucun moment, dans ma lettre. Parce que tout ce que j'y ai dit est vrai. Parce que je me suis mis à nu, je t'ai dit tout ce que je ressens... Je ne me suis jamais senti plus nu qu'aujourd'hui devant toi, et pourtant...

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''J'ai trente-trois ans depuis deux mois et une semaine. Je suis informaticien et ma boîte me laisse choisir mes horaires tant que je fais mes heures.''

Tu... Tu me racontes ta vie, là ? Tu me réponds ?

Je ne veux pas entendre ça. Je ne veux pas entendre ça !

Je me recroqueville encore, je voudrais que tu partes, juste que tu partes. C'est tout ce dont j'ai besoin, là. Etre de nouveau seul, dans le noir.

Je voudrais que tu le comprennes dans mon mouvement de renfermement sur moi.

Mais je sens ta main dans mes cheveux, dans mes cheveux que tu es en train d'arranger, de ranger sur mon épaule.

Tu me caresses les cheveux, en partant du crâne. Tu me donnes encore de la tendresse, tu me choies encore... Je me dégoûte pas assez, non, il faut en plus que tu me montres que tu ne m'en veux pas.

''Chhh... Quand je rentrais chez moi, au début, je m'en voulais. Mais mon envie de toi était trop forte. Et puis je me suis senti de moins en moins coupable. J'ai senti qu'elle aussi avait une liaison. Bien après moi, peut-être à cause de moi. Mais ça m'a déculpabilisé un peu... Cet homme à qui j'empruntais son appartement quand tu étais au lycée et qu'on n'avait pas forcément beaucoup de temps, il savait très bien. C'est un collègue, il ne connaît pas 'L... Réléna. Il savait très bien que j'y amenais quelqu'un d'autre. Les regards dont tu n'étais pas sûr au début, ils étaient là. Un peu la première année. Comme tu l'as dit, t'as développé ta musculature et t'as commencé à ressembler vraiment à un homme au milieu de la deuxième année...''

''Tais-toi.''

''...Tu as commencé à devenir séduisant. Et j'ai compris que je me suis senti séduit aussi parce que tu savais que tu pouvais attirer les hommes depuis peu. Que tu étais attiré par les hommes.''

''Je... Je veux pas le savoir.''

''Ma petite vie de père de famille et mari les soirs et le week-end ? Au début c'est vrai que concilier ma vie privée et ma liaison avec toi, c'était pas évident pour moi, et puis au final, ça s'est équilibré. Quand on s'est vus en journée plutôt que les soirs. Quand tu séchais les cours... Quand je te faisais sécher.''

''Je t'ai dit que je voulais pas le savoir.''

''… Elle est partie.''

J'arrête de respirer.

Elle est partie. Qui ? Réléna est partie ?

D'où elle est partie ? Pourquoi elle serait partie ? Est-ce que c'est vraiment ce que t'es en train de me dire ?

''Elle est partie il y a deux jours. Elle avait quelqu'un d'autre, je te l'ai dit. Lundi soir, je suis rentré chez moi, et il y avait un homme dans notre chambre. Il a pas trop su comment réagir en me voyant, et le pire c'est que moi non plus j'ai pas su quoi faire. J'avais pas le droit de m'énerver, hein ? Avec toi, depuis trois ans... C'est tout ce que j'ai pensé en le voyant finir de se rhabiller complètement mal-à-l'aise : que j'avais pas le droit d'en vouloir à ma femme. Réléna est arrivée en sous-vêtements, et c'est là que ça m'a fait un peu mal. C'était plus qu'un mot, ''coucher avec quelqu'un d'autre'', c'était concret... Depuis qu'on s'était mariés y'avait que moi qui l'avait vue en sous-vêtements et sans sous-vêtements. Elle m'a juste dit ''Salut, Heero.'' Comme si c'était normal, comme si je devais m'y attendre.''

''Comment il s'appelle ?''

''On s'en fout !''

''…''

''Je... Je crois qu'elle l'a appelé Wu Fei quand elle lui a dit de sortir l'attendre dans sa voiture.''

''… Continue.''

''Elle m'a demandé si je réagissais pas. Elle m'a dit qu'elle était dans la même situation que moi. Qu'elle s'était mise dans la même situation que moi pour ne plus avoir le droit de m'en vouloir. Elle m'a dit qu'elle était tombée amoureuse de lui, et qu'elle sentait que moi aussi je m'éloignais d'elle, par rapport au début où elle avait senti qu'il y avait quelqu'un mais où j'étais encore à elle, apparemment. ''Les femmes sentent ces choses là'', elle m'a dit. Elle m'a dit aussi qu'elle avait mis cartes sur table, qu'elle aussi voulait savoir qui était cette autre personne. Que je savais pour elle. Je... Je lui ai montré ta lettre, je l'avais reçue le jour-même.''

''… Tu lui as montré ma lettre.''

Je vais me faire descendre dans mon sommeil. Je vais me faire enlever, séquestrer, torturer jusqu'à ce que mort ne s'en suive pas, pour pouvoir me faire encore torturer le lendemain.

Oui, je sais, je devrais être fou de joie en sachant que vous n'êtes plus ensemble. Je devrais t'embrasser, te faire la fête, remuer la queue, aboyer, ronronner même, peut-être. Ben tiens.

Pauvre 'Léna. Non, non, pas pauvre Heero, pas pauvre toi, certainement pas. Enfin peut-être un peu. Mais pauvre 'Léna, qui s'est obligée à se détacher de l'homme qu'elle a aimé assez pour se marier et fonder une tribu avec, qui a été obligée de se détacher en allant voir ailleurs. Et même si tu sais que l'autre en fait autant, c'est pas ça qui te déculpabilise, quand tu aimes.

J'espère vraiment que son Wu Fei l'aime pour de vrai. Pauvre 'Léna.

Tu lui as montré ma lettre.

Non, c'est vrai que là, l'information qui me reste le plus en travers de la gorge, c'est ça.

Ma lettre. Moi, à nu, exposé à un homme d'abord, puis à sa femme.

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Alors, après un effondrement de trois jours, après une apathie de trois jours, après le moral aussi à plat que mon encéphalogramme quand je couche avec toi, c'est la colère qui vient.

Je te l'avais écrit que je voulais pas que 'Léna lise ça. Je l'avais écrit en te disant que c'était pour vous, que cette lecture la ferait certainement partir, mais tu ne t'es pas dit que ça pouvait aussi être parce que je ne voulais pas qu'elle lise ça ? Que je ne voulais pas qu'elle sache tout ce que je ressens ?

Tu abuses, Yuy, tu abuses. Tu fais chier.

Elle est partie le jour où t'as reçu ma lettre, et tu viens me voir ? Et si elle était pas partie, est-ce que tu serais là, hein ? J'ai pas le droit de me poser cette question, je devrais juste être heureux que tu m'aies cherché ?

Mais je suis pas ta maîtresse, putain !

Quand on baisait ensemble, je ne t'aimais pas, je ne te demandais rien. Quand j'ai décidé de couper les ponts y'a trois jours, c'est justement parce que je t'aimais. Et toi ? Tu te pointes comme une fleur parce que t'es un pauvre mari perdu parce que bientôt divorcé ? Tu viens chercher un peu de réconfort chez Duo le gros Nounours sans volonté, que tu sais que t'as encore le pouvoir de reprendre ?

Mais t'es là pour quoi, au juste ?

Me dire que t'es seul maintenant ? Me dire que, maintenant, tu veux bien de moi à plein temps ? Que ton équilibre femme-amant vient de s'effondrer donc que tu te raccroches à la branche de treize ans plus jeune que toi, la seule branche qu'il te reste ?

Et moi je suis quoi là-dedans ? Une bouée de secours ? Ça fait trois jours que je me laisse crever en me disant que j'ai fait la connerie du siècle, que j'aurais dû continuer à te voir comme si de rien n'était, que j'aurais réussi à me contrôler et à me comporter comme un régulier et non comme un amoureux, et tout ça pour quoi ? Pour me rendre compte que, quand ça va bien, je suis le joujou de monsieur, qu'il me parle pas de sa vie, qu'il se confie pas, mais que dès qu'il est largué je suis l'oreille que j'ai jamais été, je suis celui qui devrait t'écouter, qui devrait te réconforter, peut-être ? Qui devrait te faire la fêfête en remuant la queue-queue, hein ?

Comment tu veux que je la prenne, moi, cette nouvelle ? Elle est partie ? Et après ? Où on en serait, nous deux, toi et moi, si elle était pas partie ?

Tu te rends compte comme ta présence ici, depuis que t'es là, m'a fait espérer des conneries, m'a fait mal, comme j'ai eu que des pensées contradictoires, des sentiments contradictoires, je m'en suis voulu, je t'en ai voulu, je m'en suis voulu encore plus de te reprocher des choses pour lesquelles tu n'étais pour rien... Tout ça en une heure.

Tu me fais chier, Yuy, tu me fais chier ! Tu voudrais pas partir ? Me laisser seul ? J'aimerais être seul, putain, j'aimerais ne plus avoir de sentiments, ne plus penser, ne plus t'imaginer... Mais comment t'as fait, putain ? Comment t'as fait pour que je tombe amoureux de toi alors que je l'ai pas cherché, comment t'as fait pour qu'avant même que je sorte avec toi je décide de rompre et que ça me fasse aussi mal ? Comment t'as fait ça ? Qu'est-ce que tu m'as fait ?

Qu'est-ce que c'est plus simple de ne tout simplement pas aimer.

Qu'est-ce que c'était plus simple avant... Tu me les brises, dégage de chez moi, dégage d'ici...

Et puis qu'est-ce que tu fous là, déjà ? Comment t'as eu mes clés ? Qu'est-ce que t'as fait à Quat' pour qu'il te laisse les avoir ? Qu'est-ce que tu lui as dit ? Tu te tapes les blonds aussi, maintenant ? T'as encore cassé un autre couple ? Tu te disais peut-être que maintenant que t'as plus le brun au long cheveux, t'avais le blond ? Qu'est-ce que tu lui as dit à lui ? Que tu voulais plus qu'il voie Trowa ? Que t'es suffisant pour lui ? Qu'il te connaît pas encore, mais que de toute façon t'es libre, sans femme ni gosses ni amant donc que vous pourrez passer du temps ensemble, pour peu qu'il sèche ses cours ?

.

Dans ma tête, j'en suis resté au ''tu lui as donné ma lettre''. Et comme tu réponds pas, depuis tout à l'heure, je me relève sur le coude et je me tourne vers toi, je tourne vers toi mon visage énervé, mon visage de trois jours sans sommeil ni bouffe, que je le sens pas, là, que j'ai juste envie de te faire bouffer tes yeux.

Ton visage à toi est blanc. Blanc de chez blanc. Tu croises mon regard, baisses les yeux. J'ai cru les voir mouillés. Peut-être, peut-être pas, je m'en fous, pourquoi tu chiales, d'abord ? De quel droit ?

''C'est injuste, ce que tu me dis...''

.

Non. Non, ce que je pense est peut-être injuste, ce que j'ai dit est une simple question à propos de ma lettre que t'as montrée à ta...

Oh.

.

''Que... Qu'est-ce qui est injuste ?''

''Tout ça. Tout ce que tu m'as dit, sur 'Léna, sur Quat', sur toi, sur moi. Pas moyen de te faire parler depuis tout à l'heure, et tout ce que tu me balances d'un coup...''

''… Je voulais pas te dire tout ça. Je croyais pas l'avoir dit.''

''Tu le pensais. Tu le penses. On pense pas toujours ce qu'on dit, mais vu que tu pensais pas l'avoir dit...''

''Ça ne veut pas dire que c'est exactement ce que je pense.''

''… Et ça veut dire quoi, ça ? Tu me balances que tu ne veux plus me voir, tu me dis à demi-mot que 'Léna souffre bien plus que moi, que je suis un connard qui compte sur ton meilleur ami pour baiser si par hasard je t'avais plus, que je serais capable de baiser avec lui pour avoir les clés de ton appartement... Pour moi comme pour ton pote, c'est dégradant ce que tu penses... Quoi d'autre, tu t'attends à ce que je l'ai tabassé parce qu'il voulait pas me les donner, tes clés ? Et là tu essaies de me dire que c'est pas ce que tu penses, que j'aurais pas dû entendre ça... Qu'est-ce que je fous là au juste, c'est ça que tu veux savoir ? Je viens parce que j'ai pas réussi à te joindre juste après avoir lu ta lettre, tu répondais ni à ton portable ni à ton fixe. T'étais pas chez toi, tes parents ont pas voulu me dire où t'étais, j'ai juste vaguement compris que t'avais déménagé de chez eux, que si tu m'avais pas donné ton adresse, c'était pas à eux de le faire. Ce que je conçois. J'ai le numéro d'aucun de tes potes, aucun contact en commun avec toi qui aurait pu savoir où t'habitais. Je me suis inquiété, connard. Je me suis inquiété parce que, ouais, je suis pas con, j'ai compris ce que t'essayais de me dire dans ta lettre. Je l'ai même relue, relue, relue pour voir si tu me disais pas dedans où t'étais. Mais ouais, j'ai compris que tu cassais parce que tu veux pas t'engager, parce que tu sais que c'est pas possible avec ma famille, qu'on se ferait forcément souffrir, que c'est pas correct pour 'Léna... J'ai compris que tu voulais plus qu'on se voit parce que tu pouvais plus te comporter comme un plan cul. ''Je t'ai dit que si je t'aimais, je prendrais pas le risque de coucher avec toi...'' Et avec ce genre de phrases, avec toutes les phrases de ce type que t'as écrites, tu me fais croire que tu t'attendais pas à ce que je veuille te parler, à ce que je veuille te dire quelque chose, n'importe quoi, que je pense pareil que toi, qu'il ne faut plus qu'on se voie, ou alors qu'il faut au contraire qu'on se voit plus pour voir comment ça évolue ? Je me suis demandé... Et quand j'ai entendu que tu répondais pas au téléphone, que tu avais besoin que je te voies en face, j'ai encore plus compris.''

''Je... J'ai pas fait exprès d'écrire ça... De te faire venir. J'ai pas relu ma lettre. Je viens juste de le comprendre en t'entendant la relire... Le téléphone... Je pouvais pas répondre, je pouvais pas bouger.''

Je m'adosse contre le mur, derrière moi, maintenant que je me suis assis dans mon lit. Je laisse ma tête aller en arrière contre la tapisserie bleue, je ferme les yeux. J'ai mal à la tête.

Je ne vais pas pleurer. Je ne vais pas pleurer.

Je respire trop fort.

''Tu pouvais pas bouger ? Et là, t'as bien bougé, non ?''

''Tu... Tu m'as énervé. Tu as donné ma lettre à 'Léna.''

''Et alors ? Tu te sens trahi dans ta virilité de petit homme qui se confesse sans le faire ? C'est pas moi qui avait le plus de risques à prendre en la lui donnant, avec tout ce qu'elle y a lu, tout ce qu'elle a appris ? Elle devait savoir, Duo. C'était le meilleur moyen, non ? Tu lui as résumé, tu m'as mâché le travail. Tu veux que je te dise ? Lundi, je l'ai appelée trois fois dans la journée parce que je venais de recevoir ta lettre, que j'arrivais pas à te joindre. Ça faisait deux ans qu'elle avait pas entendu parler de toi vu que t'as plus cours avec nous, et je lui ai demandé tes coordonnées, si par hasard elle t'avait pas vu dans la rue... Elle a très bien compris. Quand elle a lu ta putain de lettre, elle m'a dit ''Il t'aime. Cherche-le bien, il doit s'en vouloir autant qu'à toi, en ce moment.'' Elle savait que c'était toi. Elle a été touchée par ta lettre, abruti, elle a vu que tout est ma faute... Qu'une grande partie l'est, en tout cas. Elle devait la lire, cette lettre. Tu l'as écrite autant pour elle que pour moi.''

Est-ce que je l'ai écrite pour 'Léna ? Non. Non, je ne crois pas. Même si je me justifie beaucoup par rapport à elle...

''… Comment t'as eu mes clés ?''

''Quat'. 'Fin Karim. J'avais pas son numéro, mais lui il avait le mien. Je savais même pas où il étudiait, j'ai pas pu l'attendre devant sa fac comme je l'ai fait avec toi y'a deux ans, comme tu me le rappelles aimablement dans ta lettre. Lui, il avait mon numéro. J'ai eu un appel de lui il y a trois heures, il me disait qu'il avait pris mon numéro dans ton portable au cas où il sentait que je devenais trop nocif avec toi. Qu'il avait de quoi me menacer. J'ai commencé à lui dire que je savais pas pourquoi tu répondais pas au téléphone, enfin si, que je savais mais que j'y étais pour rien... Je me suis écrasé devant un jeune de vingt ans, il m'a fait peur ton pote. Mais il m'a dit qu'il savait très bien aussi pourquoi, que tu lui avais dit que tu comptais m'envoyer une lettre pour ne plus me voir. Et que justement, ça l'inquiétait que tu ne sois pas heureux, libéré après l'avoir fait. Que tu lui avais pas dit pourquoi tu voulais ''casser'', mais qu'il a réussi à deviner tout seul, que c'était une connerie, que tu t'en mordrais les doigts. Alors il m'a donné ton adresse, on s'est vus et il m'a passé les clés. T'as un très bon meilleur ami, Duo. Tu pensais vraiment qu'il me donnerait les clés après une partie de jambes en l'air ? Qu'il voudrait ça ? Que je voudrais ça ? Ou c'est l'énervement qui t'as fait penser tout haut de travers ?''

''…''

''Du coup je suis venu directement. Et puis je t'ai vu, là, comme une loque, à pas bouger. Dans le noir. Tu dormais pas, tu respirais, mais t'étais pas vivant non plus. Tu m'as pas répondu. La seule chose que j'aie pu faire, que j'aie su faire pour te ranimer, c'est te lire ta putain de lettre que je me trimbale partout, que j'ai constamment un kilo de paperasse sur moi depuis deux jours. 'Léna, c'est parce qu'elle a senti que j'étais complètement ailleurs lundi, ailleurs qu'elle, qu'elle a décidé de me... présenter son amant. Elle a senti que ça allait pas, qu'elle devenait gênante pour moi, que je le devenais pour elle. C'est pour moi qu'elle est partie. Pour nous. Je t'aurais retrouvé avec ou sans elle, crétin d'ado. Je t'aurais peut-être pas dit les mêmes choses exactement dans les deux cas, dans un je t'aurais dit qu'on savait tous les deux que y'a des obstacles, qu'on pouvait toujours voir comment les choses continuaient d'évoluer, continuer à se voir, à entretenir nos sentiments, et que je verrais avec ma famille, au bout d'un moment, si les choses changeaient vraiment. Là, ce que je peux te dire maintenant, avec la situation actuelle, c'est que y'a rien qui nous empêche de voir comment vont nos sentiments. Que je ne dois plus jouer au bon petit mari qui n'a rien à se reprocher le soir. Que je peux vraiment me poser des questions sur ce que je ressens quand je te vois, quand je te parle, alors qu'avant je m'en empêchais.''

''…''

''Tu sais, les regards que tu sentais à la danse, que j'ai essayé de restreindre quand j'ai clairement vu que c'était réciproque... C'était principalement physique pour moi, mais pas seulement. J'avais envie de te connaître. Ça a commencé par ton corps, et puis tu te confiais. Moi je le faisais pas, parce que je ne pouvais pas me le permettre. Tu m'avais dit plusieurs fois que tu m'aimais pas, que ça serait jamais le cas. Qu'il fallait que tu te forces pour tomber amoureux de quelqu'un, et visiblement t'avais pas envie de te forcer avec moi. Je vais pas te dire que j'étais amoureux de toi, dès le début, que tout ce que tu m'as dit m'a fait terriblement mal, que j'ai souffert. Non. J'ai été jaloux de ton copain, des différents copains que je sais que tu as eu. Mais, surtout, ça m'a empêché de me poser des questions que tu me dises, que je voies que tu ne voulais pas m'aimer. Dans ta lettre, tu me dis que toi, tu as tes réponses à tes questions, que c'est pour ça que tu veux plus me voir. Pour moi, pour pas me faire de mal. Mais qu'est-ce que tu sais de ce que je veux ? Hein ? Qu'est-ce que tu en sais ? Non, tu deviens pas l'oreille que t'as jamais pu être, dès l'instant où ma femme se barre. Tu deviens la personne avec qui j'ai jamais pu me confier parce que c'était trop risqué, avant. Mais maintenant, je peux. Je sais ce que tu ressens, j'ai du mal à saisir ce que tu veux. Je comprends juste que, vu comme tu me dis ça, ça t'a fait mal que je ne te parle jamais de moi. C'est pour ça que je t'ai dit tout ça, mon âge, mon boulot, toutes ces choses qu'en tant que régulier, tu voulais pas savoir, mais qu'en tant que participant à un couple, tu dois savoir.''

''… couple ?''

''Mais oui, putain, Duo. Couple. Tu crois que je suis là pour quoi ? Pour te raconter une histoire et te dire bonne nuit ? Tu crois que j'ai pas arrêté de chercher à te joindre depuis deux jours pour le simple plaisir de te dire ''Hey Duo, c'est moi, l'homme que tu veux plus revoir. Sache que je n'ai rien à te dire, bon ben, à plus, comme tu dis, hein'' ?''

''…''

''Duo, qu'est-ce que t'es con. Ouvre les yeux un peu. Tu m'as dit ça, que tu tombais amoureux après sortir avec quelqu'un, à force de le voir, par expérience, quand tu avais envie de tomber amoureux de lui. Tu m'as haï, t'as jamais cherché à m'aimer, au contraire, tu savais que c'était la pire chose qui pouvait t'arriver.''

''Je veux pas être amoureux de toi. Comment t'as fait ça ? Tu me soûles, 'Ro, tu me fais chier.''

''Et oui, c'est dur de se rendre compte qu'on est comme tous les autres, qu'on peut tomber amoureux sans en avoir envie, hein ? Tu te croyais à l'abri de l'attachement affectif... Et moi qui me suis empêché de me poser tout un tas de questions parce que tu me laissais de toute façon pas le choix de le faire, depuis plus de deux ans, parce que je savais que ce que je retirerais comme réponse serait néfaste pour mes deux... couples, parce que tu attendais pas ça, parce que j'aurais pas pu rester avec 'Léna... quand j'ai lu ta lettre, j'ai eu mes réponses sans le vouloir. 'Léna l'a senti, même par téléphone. Et maintenant que je sais ce que tu ressens, que y'a plus l'obstacle de ma famille, que je sais que tu es tombé amoureux de moi sans l'avoir cherché, que tu es vraiment tombé amoureux, que t'as pas juste essayé de te jeter du haut d'une échelle pour essayer de ressentir ce que ton partenaire ressentait aussi, tu voudrais que je te laisse partir, que je te laisse casser, te casser, me repousser ? Ça va pas bien dans ta tête ?''

''Y'a encore des obstacles.''

''Qu'est-ce que tu veux dire ? Ma femme est partie avec son amant, mes enfants sont chez leurs grands-parents le temps que ça se tasse...''

''On a treize ans d'écart, Heero...''

''Je préfère quand tu m'appelles 'Ro.''

''On a treize an d'écart... 'Ro. On peut pas devenir un vrai couple... Tes potes, déjà, ça va leur faire un choc en voyant que t'es avec un gars... Si le gars a vingt ans en plus, il vont croire que c'est le cap de la... trente-cinquaine. Et puis peut-être que tu vas te remettre avec 'Léna, peut-être que ça aussi c'est juste une passa...''

''Arrête Duo, arrête ! Pourquoi t'essaies toujours de tout compliquer, hein ? Pourquoi tu crois pas qu'on peut être heureux, toi et moi, maintenant ? Pourquoi tu veux pas croire qu'on a tout pour essayer de l'être, que tous les vrais obstacles, pas ceux que tu inventes là, tout de suite, que tous ces vrais obstacles n'existent plus ? Ça t'a jamais dérangé la différence d'âge, que je sache.''

''C'est pas pareil pour un couple que pour le sexe... Pourquoi tu souris ?''

''Rien. C'est le mot ''couple'' dans ta bouche, dans ce contexte. Ça me fait sourire.''

''… Bref.''

''C'est un problème dans un couple, la différence d'âge, quand y'en a un que ça bloque, et souvent c'est le plus vieux que ça bloque. Personnellement ça me dérange pas. Et toi ?''

''… Non.''

.

Je rêve. C'est pas possible.

J'ai pas ouvert les yeux, mais une main sur mon bras m'oblige à le faire, et je te vois, là, tout près, trop près. Trop prêt.

Je ne le suis pas encore, moi, prêt, à ce changement de statut. A ce changement de relation.

Tu sembles le comprendre, tu te contentes de m'embrasser le front.

''Ce que pourront penser les gens, je m'en tape, tu commences à me connaître. Mes amis ? Ils n'ont pas à juger, ils le feront peut-être à un moment ou à un autre, en tout cas tu dois pas t'en inquiéter. Ça ne touche qu'à nous.''

.

J'ai rouvert les yeux, je vois mon studio dans son entier, je te vois toi. Il y a de la lumière, je suis assis, je bouge. Le tic-tac de l'horloge, il est 20h05. Le ciel noir par la fenêtre, le bruit de la circulation.

La chaleur ambiante.

Je reconnecte avec le monde extérieur que j'ai essayé d'oublier pendant 72 heures.

J'ai soif, j'ai faim, j'ai mal partout.

Comment j'ai pu ne pas le sentir avant ?

Mon portable sur ma table de nuit a tout plein de messages à me délivrer, il m'attend, il n'a jamais eu un tel manque d'attention depuis qu'il m'appartient, le pauvre.

Comment j'ai pu l'ignorer ?

Comment j'ai pu vouloir rejeter le monde extérieur jusqu'à ce que Yuy s'en suive aussi longtemps ?

Comment on peut être autant dépendant de quelqu'un ?

''C'est... C'est nocif d'être amoureux. Ça te rend dépendant, c'est pas bien, c'est dangereux.''

''Il faut voir les dangers comparés aux avantages. Tu as toujours fermés les yeux sur les avantages. T'as toujours géré tes sentiments de manière rationnelle, t'as toujours observé ce que tu avais à gagner d'une relation avant de t'y lancer. T'as jamais ressenti ça avant, l'impression que tu contrôles rien, que tu décides pas. Bien sûr que ça fait peur. Bien sûr que t'en veux pas. C'est pas dans ta nature. Mais c'est pas en refusant la relation que tu vas y échapper. Tu vas pas m'échapper comme ça. Et c'est parfois bon d'être dépendant de quelqu'un, tu sais...''

''Et c'est ton expérience d'homme de trente-trois ans qui te permet de parler de l'amour comme ça ?''

Tu te marres, et je me surprends à sourire, et je me rends compte que j'ai les joues toutes sèches, toutes craquantes. J'ai peut-être pleuré à un moment, en fin de compte.

''Non, ça c'est mon expérience d'être humain de base, que je suis sûr que n'importe qui autour de toi te dira la même chose... Demande à Quat' ce qu'il en pense, de pourquoi il est sorti avec Trowa.''

''Tu sais que je suis sorti aussi avec Trowa ?''

''… Toi et Quat', toi et Trowa, Trowa et Quat'... Ouch, spé comme relation.''

''C'était y'a longtemps... Juste après que je casse avec Quat' en fait. Mais il a pas eu de chance, c'était un moment où y'avait quelqu'un d'autre que je venais de rencontrer... Puis y'avait tes regards, c'était trop tôt pour Quat', pour moi... En plus il pouvait lui plaire...''

''T'as pas réussi à l'aimer ?''

''Non, je sais pas si c'était le mauvais moment, où si on n'était pas compatibles, mais j'ai pas réussi à rester avec. Et puis je voyais que Quat' en souffrait, et mon amitié avec lui prévaut sur tout le reste. Mais ça m'a fait plaisir quand j'ai su qu'ils étaient ensemble. Je crois que Quat' voulait ça depuis super longtemps. J'aurais préféré qu'il me le dise, il n'a jamais voulu. J'aurais préféré qu'ils se mettent ensemble avant.''

''Et tu me dis ça parce que... ?''

''Parce que si on sort ensemble, tu vas forcément les rencontrer, c'est mes meilleurs potes. Donc j'aime autant que t'apprennes ce genre de choses par moi que par eux.''

''On sort ensemble...''

''Arrête de sourire comme ça, stupid guy. Tu peux encore reculé, si le crétin d'ado de vingt ans te fait peur.''

''Reculer pour mieux sauter.''

.

Tu m'embrasses, sauvage. Oui, mais là ça me va.

Là on a parlé, pas de choses importantes en plus de ce qu'on a déjà dit, mais on a juste parlé, et ça change tout.

On a discuté, de tout, de rien, et c'était naturel. Comme dans un couple.

Alors ça m'a pas dérangé que tu m'embrasses comme dans un couple, comme quelqu'un qui embrasse pour le simple plaisir d'embrasser, pas pour embraser ni parce qu'il veut autre chose après. Pas comme avant, quoi.

Ça fait quand même bizarre, ton régulier de trois ans qui devient ton copain.

.

''Je sors avec un gars de trente-trois ans. Dis-donc. Je sais pas si je dois être fier. Grande question.''

''Ça sert à rien de se poser ce genre de question. Il paraît qu'un mec de trente-cinq ans qui arrive à avoir une gamine de vingt ans doit être fier.''

''J'suis pas une gamine.''

''Mais non, t'es un grand.''

''Non, je suis pas mature, je suis un jeunot dans l'amour – arkf arkf – j'ai pas d'expérience amoureuse à proprement parler... Mais je suis pas une fille. T'as pas à être fier. Ah ah ! En fait, tu t'es fait avoir, t'as été lâché par l'amazone pour l'ado boutonneux. T'as perdu au change.''

''Evite, Duo, évite. C'est pas encore cicatrisé, l'Amazone. T'es un petit pansement, ça va finir par disparaître comme tout, mais t'as vu juste dans ta lettre.''

''Quand j'ai dit que vous vous aimiez ?''

''Oui. Qu'on s'aimait. J'ai toujours de l'affection pour elle, j'imagine encore que j'ai dû la faire souffrir... C'est pas cicatrisé.''

''…''

''D'ailleurs. Ta lettre. On n'en a pas vraiment parlé.''

''On peut s'en abstenir.''

''Non, non. Ta lettre, la première fois que je l'ai lue, je me suis surtout rendu compte de tout ce que tu as vécu à travers ça. De tout ce que tu ressentais, de comment tu tentais de te justifier auprès de 'Léna, de tout ce que t'avais à perdre, mais que t'arrivais pas à suivre ta volonté.''

''… Non. Non, c'est pas que j'arrivais pas à suivre ma volonté. C'est que je la suivais trop. Je te voulais. Ma volonté, c'était t'avoir. Ma raison et mes désirs, c'était toi. Y'a que la morale qu'a eu un peu de mal à suivre.''

''Bref. J'ai vu tout le mal que ça t'a fait, beaucoup plus que de bien, et j'aurais dû m'en rendre compte avant, toutes les fois où tu as voulu qu'on ne se voit plus. J'aurais pas dû penser qu'à moi. Je suis désolé.''

.

Je veux pas que tu t'excuses. Je veux pas que tu prennes tout sur toi, j'ai pas besoin de ça. Justement, j'aimerais mieux ne pas repenser à cet avant, à cette période où, oui, tu m'as fais souffrir, grand con que tu es. J'ai ma part de responsabilités, là-dedans, c'est pas parce que tu es le plus vieux que c'est ta faute à toi.

''Non, c'est pas parce que je suis le plus vieux, c'est parce que j'ai toujours pris l'initiative, je t'ai toujours imposé ce que je voulais. Je t'ai jamais laissé le choix, je t'ai jamais laissé prendre l'air dont tu avais besoin des fois.''

''Je l'ai accepté, tout ça.''

''Ça m'empêche pas de m'en vouloir aujourd'hui, de vouloir te dire que je suis désolé.''

''D'accord. C'est bon, tu l'as dit.''

''… Et tu me réponds rien ?''

''Quoi, tu voudrais que je te dise merci, que c'est tout ce que j'attendais ? Je viens de te dire que t'as pas de raison de t'excuser pour moi, je vais pas te dire que je te pardonne si je n'ai rien à te pardonner aujourd'hui.''

''… Dans ta lettre, tu m'as rappelé que je t'ai dit, une fois, que t'avais évolué de caractère, que t'avais mûri. Je le pensais vraiment, j'en suis toujours convaincu. T'es devenu buté, je pourrais plus t'imposer ce que je veux, maintenant.''

''On parle plus de la lettre. On oublie la lettre, elle a jamais existé.''

''Je comprends pas ce que t'as contre cette lettre. Je serais pas là si tu l'avais pas écrite. Et puis je sais pas combien de temps t'y as passé, mais tu voudrais mettre tout ça à la poubelle ?''

''Ou la brûler. Pour être sûr qu'un éboueur, que même un cafard ne pourra pas la lire.''

''Les cafards savent pas lire.''

Coups d'œil... fatigué. Baiser gentil qui y répond.

''Merci pour ta lumière, 'Ro.''

''Je comprends pas pourquoi tu veux pas que j'en tienne compte, de cette lettre. Je vois pas pourquoi tu veux même pas que j'en parle.''

''Je sais pas... C'est... J'ai tout dit, dedans, je me suis vidé, c'est comme si j'avais vomi mes sentiments, mes ressentiments... C'était nécessaire, mais c'était à un Heero d'une autre époque que je l'écrivais.''

''Je m'en fous, je la garde. Je veux pas la jeter, je veux pas la brûler. Je veux pas oublier toute cette partie de notre histoire, tout cet ''avant'', cette autre époque, comme tu l'appelles. Faut pas l'oublier.''

''Comme tu veux. Tant que tu m'imposes plus sa lecture pendant une heure. Je supporterai pas ça une deuxième fois. Bark bark bark.''

''… D'ac'. Bon, bouge-toi maintenant. Lève-toi, mange un bout, va te laver, réapprends à vivre comme un humain. Je dois voir mes gamins normalement ce soir, j'avais dit à ma mère que je serais là pour dans une demie-heure. Tu viens avec moi ? Ou tu veux que je reste plus longtemps avec toi ce soir ?''

''… Je vais pas m'inviter... Je suis un peu trop proche des histoires de famille pour voir tes gamins et tes parents, tu crois pas ?''

''Mh... Non. En plus ma mère ne te voit plus à la danse, elle est triste, elle t'aimait bien.''

''Elle aimait bien 'Léna aussi.''

''Elle te préférera, t'en fais pas. Y'aura pas la jalousie féminine. Pourquoi tu détournes les yeux ?''

''Le futur. Ça me fait bizarre. Avec toi. On a jamais pensé au futur, ni au futur en tant que ''chose'', ni au futur en tant que temps de conjugaison.''

''Tout change.''

''I guess...''

''You know. Mind game, de Lennon ? Ça te dit quelque chose ?''

''Lennon ? C'était trop lent pour qu'on danse dessus. Mais ouais, je connais.''

''Love is the answer...''

''And you know that for sure.''

''Love is the flower... You cannot let it, you cannot let it go...''

''J'aime bien quand tu chantes. Mais c'est cul-cul au possible comme paroles.''

''Ouaip. C'était un grand, il avait compris beaucoup de choses, Lennon. Comme le fait que l'amour sans romantisme, c'est que moyennement viable. T'en fais pas, tu vas apprendre. Allez, lève-toi, mange, je te dis, ça fait trois jours que tu te laisses crever de faim. Faut que t'aies une tête humaine, que tu fasses pas peur à mes petits.''

''… D'accord.''

.

Je plonge. Je plonge volontairement.

Mais j'ai déjà plongé depuis longtemps, hein ? Pas forcément de la même manière, mais faut pas se voiler la face. Je suis pas resté avec toi, dans notre situation difficile, pour le simple plaisir de me prendre la tête, si ?

Ou alors si, peut-être que je viens bien juste de plonger, de plonger comme tu ne t'es pas permis de le faire avant de lire ma lettre, plonger comme je ne me le suis jamais permis avant avec qui que ce soit d'autre. Comme j'ai jamais réussi à le faire avant.

Je plonge. Advienne que pourra.

Je me sens plus confiant qu'avec les quelques copains que j'ai eu jusqu'à maintenant... Pas comme si tu n'avais pas été là en même temps pour m'empêcher de les revoir... Mais tomber amoureux avant de sortir avec la personne plutôt que l'inverse, ça rassure sur la suite, non ?

En plus, c'est pas comme si on se connaissait pas, comme si on avait encore des côtés négatifs qu'on ne connaît pas de l'autre. Bon, si, y'a toujours des choses à découvrir...

Mais ta possessivité n'a plus de secret pour moi. Je sais que tu sais devenir violent. Je sais que tu sais quand t'as dépassé les bornes. Je sais pas mal de trucs sur toi, au final.

.

''Tu penses trop, Duo. Tu penses trop.''

''M'appelle pas Duo. Duo, c'est mes profs ou les gens qui me connaissent pas. Même mes parents m'appellent pas Duo.''

''Comment alors ? Chéri ? Mon cœur ? Mon amour ?''

''Boark... Non. Non, pas dans le cul-cul, s'teu plait, ça va pas le faire.''

''Bon, on verra. Prends ton manteau, on décolle. Tu vas pouvoir survivre à ma voiture qui sent trop moi et un peu 'Léna aussi ?''

''… C'est pour ça que je voudrais que cette lettre n'existe pas.''

''Mais non, mais non, j'arrête. Viens. On verra plus tard pour ton surnom.''

''Oui. On verra.''

.

.

J'aime bien le futur.

J'aime bien être dans sa voiture, sur le siège avant, sans me dire que c'est la place de sa femme. J'aime bien sa main qui se pose négligemment sur ma cuisse à chaque feu rouge.

J'aime bien ses petits sourires.

J'aime bien me dire que je vais rencontrer ses gosses pour de vrai, pas comme un des danseurs lointains du groupe de papa et maman. J'ai un peu peur, mais j'aime bien savoir que je commence à rentrer un peu dans sa famille.

J'aime bien me dire qu'il a déjà rencontré Quat'. Que Quat' a su faire le pas de le rencontrer alors qu'il était quand même resté sur son idée que c'était pas sain pour moi de le fréquenter, au final.

J'aime bien les gens qui m'entourent.

.

Quat'. Faut que je l'appelle. J'ai pas le courage d'écouter tous mes messages vocaux, ni de lire tous les SMS que j'ai reçus, mais faut que je l'appelle.

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''Love is the answer, and you know that for sure. Love is the flower, you cannot let it go...''

Arf, j'ai cette chanson à la con en tête, maintenant.

Tu te marres quand je la chante, chacal.

.

''Love is the answer... Mmh mh...''

Rah, bordel. Je suis contaminé.

.

.

Wala !

.


Je me répète, mais : wala !

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Je pouvais pas la laisser se terminer mal, cette histoire. Je sais pas faire ça... :D

Bon. J'espère que ça vous a plu, que vous vous dites pas "tout ça pour ça, au final ?"

J'espère aussi que j'ai pas trop laissé d'indicatif qui devrait être du subjonctif, aussi, mais à la limite c'est moins grave...

.

Bonne soirée les gens !

.

Naus