Sens unique
(Ni la route, ni l'amour)
Un cupidon des plus doués passe, puis Stiles renverse la tête en arrière pour fanfaronner :
« Ah ! Je te l'avais dis, que tu l'avais bien élevé. »
Derek ne répond rien, les yeux fixés sur son ancien loupiot. Il a des milliards de questions à poser, et celles-ci concernent plus la sécurité d'Isaac que sa curiosité personnelle. Il a envie de lui dire qu'il s'est fichu dans la merde, il pense brusquement qu'il n'aurait jamais dû remettre les pieds à Beacon Hill, pas maintenant. Il pense aux lames des hunters, au tranchant des pointes d'acier, aux épées dignes de Saint Michel, aux pics, aux filins d'aciers, aux cordes de nylon au ras des herbes. Il voit Isaac ensanglanté dans une boue noire d'hémoglobine. Il se voit sans fils, une fois de plus.
Stiles devine la tension, colle sa nuque sur sa main puissante d'une manière qu'il essaye de rendre naturelle. Le ton de Derek n'en est pas moins inflexible :
« Tu comptes rester longtemps en ville ?
— Quelques jours je pense, on a pas pris grand chose avec nous mais j'ai des gens à voir, répond le jeune alpha en fronçant les sourcils. On comptait plus ou moins sur votre canap, je dois avouer.
— Pour ça tu négocieras avec Cora, mais le problème est pas là.
— Cora ? T'as recruté de la minette pour ta meute ? »
Stiles se brosse le visage de deux mains aussi constellées que dans le souvenir d'Isaac.
« C'est vrai, va falloir te briefer... » gémit-il en se massant les pommettes, en remontant dans ses cheveux en bordel.
Les yeux d'Isaac passent de l'un à l'autre. Légèrement derrière lui, Laurence sent de nouveau l'inquiétude poindre. Il y a clairement quelque chose qui cloche chez les amis de son alpha, et il n'est pas certain que le garçon en statue grecque soit près à l'entendre. Il croiserait presque les doigts s'il était superstitieux, mais sa crédulité lui a déjà causé suffisament d'emmerdes pour qu'il ne se risque pas à défier le destin. Le dos courbé, les coudes sur les genoux, Isaac relève la tête :
« Il se passe quoi ? »
Stiles inspire profondémment, comme avant une explication à se vider les poumons, mais Derek prend les devants :
« L'année a pas été facile. On a eu... des soucis avec une meute. Une meute d'alphas. Ils ont eu Erica, ils ont manqué Boyd et Cora de peu. »
Sa soeur, articule muettement Stiles à l'adresse d'Isaac, mais l'attention du charmant s'est fait gober par Derek sitôt que celui-ci a entamé son last time in Beacon Hill.
« Scott est en vie, répond l'alpha premier à la question laissée en suspend par la mine désorientée de son vieux môme. Mais ça aussi, ça s'est joué à pas grand chose. Ca fait un moment maintenant, bien sûr, mais on en a bien chié, et c'était hard de leur faire leur fête à trois. »
Putain de merde. Le reproche n'en est peut-être pas un, mais il prend suffisament aux tripes pour inciter Laurence à se rapprocher de son packmaster. Il a entendu parler d'Erica, il sait que la princesse de cuir a compté, qu'elle a été soeur de douleur et de famille, que sa mort signifie quelque chose. Isaac ne le regarde pas. Lui ne sait pas quoi dire, car il n'a pas cette habitude, celle de dire, car chez lui tout passe dans les yeux, dans les traits, et qu'il ne se sent pas assez familier avec la troupe pour déballer ses discours. Alors il se tait, et c'est Stiles qui reprend la parole :
« Au final, Argent a rameuté des cousins pour qu'on en finisse avec eux en échange d'un genre d'accord de paix avec les garous restants, et faut avouer qu'ils nous ont donné un beau coup de patte. Le truc, c'est qu'on se croyait tranquilles une fois notre beau poto l'aveugle décapité, mais qu'on s'était plantés. Tout le monde a pas digéré de laisser partir la moitié des monstres – vous me passerez l'expression – du coin, et y a eu un genre de mutinerie chez les hunters, une scission alors qu'on était enfin ok pour se foutre la paix. Pour faire vite, disons que depuis quoi, deux mois ? une partie de la joyeuse famille Argent s'est remise à tuer du loup-garou à l'ancienne, et que c'est pas beau à voir.
— On se doutait qu'il devait se passer un truc pas net, avoue Isaac en croisant enfin le regard de son béta, qui acquiesce silencieusement comme à son habitude. Les chasseurs se sont mis à décamper de Washington il y a quelques semaines, et même s'ils nous fichaient globalement la paix, c'est vrai que c'était un peu trop beau qu'ils soient simplement partis en vacances.
— Je te le fais pas dire, convient Derek. Vous feriez mieux d'y aller, crois-moi, vaut mieux pas qu'ils vous tombent dessus et qu'ils vous prennent pour des renforts ou quoi.
— Là je saisis pas, on pourrait très bien être des renforts, justement, nan ? Si vous êtes dans la merde ? Laurence est le seul à être venu avec moi, mais... je pense qu'il y a moyen de déplacer les autres, on est cinq en tout, je peux les appeler, on...
— C'est hors de question. Ce ne sont plus tes affaires.
— Déconne pas, tu penses franchement que...
— Je suis sérieux, Isaac. Vous feriez mieux d'y aller. »
Le ton est monté en flèche sans que personne ne puisse y faire quoi que ce soit. Et ce n'est pas uniquement l'alpha qui parle ; c'est le père, l'ami, c'est Derek tout entier qui congédie Isaac de manière un brin expéditive. Comme pour ne pas lui laisser le temps de répliquer, comme en point final à leur conversation, le maker passe dans la pièce voisine, leur épargne son regard contrarié.
« Je vais courir, » lâche-t-il d'une voix rauque à l'adresse de Stiles avant de faire claquer une fenêtre derrière lui.
Celui-là n'a pas le temps de lui reprocher son attitude comme il meurt d'envie de le faire, ni seulement de lui demander de faire attention à lui ; il soupire en cueillant de nouveau son visage dans la coupe de ses mains puis s'excuse à sa place, explique qu'il est sur les nerfs comme jamais, que ce n'est pas le bon moment, qu'ils n'y sont pour rien, et vous voulez boire quelque chose ? Isaac se laisse tenter par une bière. Il s'agit plus de laisser à Stiles l'occasion de s'accorder quelques secondes seul que d'un véritable coup de soif, mais l'attention est appréciée d'un sourire muet. Le fils du sheriff revient avec trois bières au bout d'un moment durant lequel Isaac et Laurence échangent brièvement sur la situation, puis les bouteilles décapsulées se cognent dans des bruits de xylophone avant d'être entamées par les garçons.
Stiles s'essuie la bouche du revers de la manche. Dans la pièce voisine, la fenêtre ouverte claque un coup contre son cadre.
« Il fait le fier mais il est super content de te revoir, lâche-t-il avec un regard presque désolé. Il a pas dormi de la nuit, je pense qu'il avait senti que tu rentrais. Mais restez là ce soir, vous emmerdez pas à chercher un hôtel ou quoi, il a dit ça pour pas vous mettre en danger, tu le connais. Moi, je suis pas convaincu que vous serez plus en sécurité loin de ses griffes, je lui en parlerais quand il fera plus la gueule.
— Merci... Ca fait longtemps que t'habites là ? demande Isaac avec un sourire qui combine la reconnaissance et la curiosité.
— Oh, euh... techniquement ça fait un moment, c'est un peu compliqué peut-être.
— Y a un problème ? »
Stiles sourit la tristesse.
« Pas comme tu le penses, confie-t-il entre ses mains. J'aimerais pouvoir l'aider, tu vois ? J'aimerais arrêter d'être le guignol en fond de scène dont il faut sauver le cul toutes les deux secondes. »
Il se mord les lèvres, fait rouler ses veines sur le dessus de ses mains, croise et décroise les pieds. Ses yeux se perdent loin, dans les reliefs de l'appartement, et cette gêne apparente donne à ses intentions une clarté sans pareil. Ce que comprend Isaac n'est pas tout à fait à son goût, mais croiser le regard soucieux de Stilinski suffit à lui indiquer qu'il est sur la bonne piste.
« Stiles, putain... Derek te mordra jamais, c'est pas possible. Il voudra pas. Il te tuera pour vouloir ça, même. Tu peux pas lui demander ça, merde !
— Je comptais pas exactement sur lui, s'amuse faussement le garçon en pointillés. Cora voudrait pas mais Scott le ferait peut-être, et sinon, il reste Peter. Peter le ferait.
— T'as jamais eu de pire idée que ça... » accuse Lahey en secouant la tête.
Il est sérieux à en crever, et le problème tient au fait que Stiles semble l'être autant que lui. Ce n'est pas un coup de sang, c'est une décision mûrement réfléchie, et l'idée qu'un gars aussi hyperactif, éparpillé et surtout humain que lui puisse en venir à de telles extrémités l'inquiète sur la situation politique de la team des lycans de BH. Il ne peut bien sûr pas deviner les corps tranchés au niveau du nombril, les tripes pendantes, le retour aux bonnes vieilles techniques de Gerard, les chasseurs déchiquetés en retour et l'état dans lequel a fini la Camaro après s'être retrouvée au milieu d'un champ de bataille, mais il se doute que c'est la merde, et la belle. Et il a raison.
« Je suis sérieux, précise Twenty-Four en relevant les yeux vers ce mec un peu sympa, un peu connard, carrément éléctron libre avec qui les discussions n'avaient jamais été autrement que douloureuses.
— Je sais, putain, je sais ça, Stiles ! »
L'échange de regards est troublant. Ils se revoient dans le cimetière, un peu à l'écart de la ville, et Laurence disparaît. Ils se revoient l'un dans les bras de l'autre, ramassés dans la terre, après le passage d'un chauffard de minuit. Ils se revoient se chamailler, se battre plus sérieusement, puis au lendemain convenir d'un accord commun : celui de la vie d'Isaac. Il voudrait lui renvoyer la balle, se foutre des conséquences, penser que c'est pour le mieux...
Mais « C'est une idée abominable, » répète-t-il en se brossant la barbe courte du bout des doigts.
Le bruit ne l'apaise pas. Il lui faudrait Lau, mais Lau n'interviendra pas, ne le cherchera même pas des yeux. Il ne joue pas at home, et il faut prendre les choses en main :
« Ca va pas du tout, Stiles.
— J'ai presque envie de te croire, avoue l'autre en se mordant les lèvres de plus belle. Je sais que je le regretterais. »
Il n'y a aucun moyen de déceler si la conjugaison est plus favorable au conditonnel ou au futur, mais Stilinski met de toute façon fin à la conversation après avoir englouti un longue gorgée de bière froide :
« Dis rien à Derek, s'il te plaît. Je lui en ai pas parlé et je veux pas qu'il sache avant que je sois sûr. Je vais te raccompagner en bas, ajoute-t-il en se levant et en posant sa bouteille sur la table.
— Je croyais qu'on pouvait...
— Lau reste ici. (Regard de connivence :) T'inquiète, darling, on prend super soin de nos hôtes, même Lydia s'est jamais plainte d'une nuit chez nous, et pourtant je te raconte pas la furie que ça peut être quand on parle de réception ! J'pense juste que y a quelqu'un que ton padre aimerait revoir. T'es sage, je remonte tout de suite, à plus. »
Isaac se laisse entraîner par le bras sans vraiment réagir, les yeux froncés. Le regard qu'il lance à son béta signifie j'arrive tout de suite, mais quelle que soit l'intention dont il est porteur, c'est un mensonge. L'humeur a changé du tout au tout, ils viennent d'entrer dans une ère d'hystérie incompréhensible, d'hyperactivité Aderrallesque comme jamais. Il ne saisit pas réellement ce qui est sur le point d'arriver. Les escaliers se dévalent en quatrième vitesse, les protestations du bouclé n'y changent rien, c'est comme si leurs pieds glissaient sur les marches – d'ailleurs ils manquent à plusieurs reprises de se rétamer, entre deux « Tu vas voir! » joyeux de Stiles, et Isaac n'attend que cela, de voir.
Mais c'est pire que ça. Ce n'est pas voir. C'est se déchirer.
Scott McCall attend au pied de l'immeuble, le portable dégainé.
Isaac ne perçoit pas Stiles s'éclipser derrière lui pour remonter les marches et raconter des anecdotes foireuses à Laurence sur son alpha. Il s'etouffe dans les bras de Scott sans comprendre pourquoi ils se sont ouverts à lui. Ils n'étaient pas si proches que cela, si ? Il ne sait pas, il ne sait plus rien. Il en chialerait de rage. Un an de cavale, trois solitaires mordus, deux recrutés et une tuée auraient dû régler ça. Il avait compté dessus. Il s'était tué à ne plus penser à Scott, il s'était torturé à effacer son prénom de tous les mots qui commençaient en s, à troquer son portable contre un nouveau, vierge de tentation. Il avait presque fini par réussir, par oublier de se demander chaque soir ce que faisait le BFF et prétendant de Stiles.
Les choses qu'il avait eues pour le prince charmant, quelles qu'elles soient, s'étaient estompées avec le temps. Il n'y avait plus pensé. Il y avait eu tour à tour Grace à enterrer, Lau et David à élever, Sam et Nan à gérer. La liberté au vent, le passé s'était pris les pieds dans ses robes, l'avait délaissé, et lui s'était retrouvé noyau d'une meute. Il avait, bien sûr, continué de songer de temps à autres à ceux qu'il avait laissés derrière lui, en espérant que Stiles saurait gérer la colère de Derek, en se disant que Scott se résignerait, finirait par être heureux autant entre les bras qu'entre les cuisses d'Allison. Il avait oublié ce qu'il ressentait : il n'avait plus été capable de poser de mots dessus. Il s'était dit qu'il s'était planté. Qu'il avait cru.
Mais Scott. Aujourd'hui : Scott.
Scott le martyrise. Scott est comme aux premiers jours de tendresse. Scott est tout. Isaac ne sait pas comment tout a pu lui revenir en pleine poire de cette manière, comment les sentiments ont pu s'échapper des filets où il les croyait morts, secs, noyaux de bois. Scott le submerge en tsunami. Scott est partout. Scott est déjà sous sa peau, Scott transpire déjà par ses pores, Scott lui coule en salive dans la bouche.
Il ne sort que difficlement de ses bras, le souffle court, sans parvenir à baisser les yeux vers son visage. Pas besoin d'ascenseur ou d'autre type d'espace réduit, il étouffe littéralement sur place. Scott s'en rend compte, pose une main sur son épaule :
« Ca va? »
Alors il voit. Les yeux soucieux en amande, les sourcils froncés à peine. La mâchoire fuyarde. La peau à la nougatine de baptême.
« Ca va... »
C'est Scott.
« Je crois qu'on a des choses à se dire, nan ? »
Scott.
« Isaac ? »
Leurs yeux se rencontrent.
« Scott. »
Ces chapitres sont des caprices. Parce que pour une fois, les choses doivent de bien se finir, notamment parce que cette fic est à cadeau à l'adorable Exces et que la cruauté ne me va qu'un temps. J'ai envie de rendre les gens heureux, et mes personnages comme mes lecteurs font partie de l'équation. Je mourrais donc d'envie d'écrire ce chap, et je ne le regrette pas, j'ai pris mon pied. J'ai sauvé les boys. J'ai enfoncé des portes, dans tous les sens du terme, ok, mais j'ai adoré gérer ce va-et-vient entre Isaac, Laurence (OC), Derek et Stiles de manière à dévoiler au maximum la perception que chacun a de la situation. Travailler sur le temps, trouver la juste évolution.
Ce que sous-entend Stiles lorsqu'il dit que sa relation avec Derek est un peu compliquée, c'est qu'ils n'ont pas refonctionné immédiatement après le départ d'Isaac. A mon goût, ils ont eu droit à un nouveau faux-départ avant de se reprendre sérieusement en main, cette fois-ci.
Je crois que Scott avait fini par être heureux avec Allison, que Stiles a retrouvé pleinement son statut de BFF. Ca a bien dû cafouiller un moment, mais les choses sont réglées maintenant. Allison fait partie du camp des good hunters, bien entendu, mais la guerre lycans/chasseurs ne pouvait pas leur permettre de continuer sans entrer en conflit d'intérêt. Scott n'est pas amoureux d'Isaac, ne me croyez tout de même pas comme ça. Pour autant, je pense que quelque chose est possible. Je pense qu'après s'être expliqués, ils tenteront le coup, ne serait-ce que parce que Scott est un sauveur, qu'il a dû s'en vouloir mortellement d'apprendre avoir été à l'origine d'autant d'emmerdes. Ses raisons de laisser une chance à Lahey sont peut-être mauvaises, je ne sais pas, en tous cas je suis persuadée que le résultat peut être beau.
Mais tout cela ne sont que mes solutions.
Je sais que je tranche mes fins toujours brusquement, mais c'est quelque chose de réellement important pour moi. Laisser une part d'imagination, ouvrir. Permettre une suite si j'en ai un jour envie. Il fallait réellement finir sur un prénom. C'est une histoire d'amour, je crois.
Mille merci à mes lecteurs, reviewers, à Exces la parfaite à qui cette fic entière est dédiée ! Prenez soin de vous.