1er juillet 1999.
7h30.
Rome.
Quatre ans…
Quatre ans de dur labeur et Lovino n'avait pas reçu d'autre lettre de son frère durant tout ce temps. Sa propre patience l'étonnait, mais il avait le défaut de vivre dans ses songes aussi… Et si cette lettre n'était qu'un mirage ? Et si elle n'avait en fait jamais existé ? Accoudé sur la petite véranda en bois de la demeure de l'espagnol chez lequel il avait établi résidence, l'italien regarda l'horizon, le regard visiblement dans le vague.
« Lovi'… Tu viens prendre le petit-déjeuner ? »
L'interpeller se retourna pour voir Antonio installer tout ce qu'il fallait pour le repas du matin. Du pain, de la confiture, du jus d'orange, du sucre, du café, du lait, et bien entendu, des tomates. Parce que les tomates avaient leur place à tous les repas ! Enfin bref, le chef de la production s'installa à table, un sourire serin fixé sur la figure. Si ces quatre ans n'avaient eu aucun effet sur lui, on ne pouvait pas en dire autant de l'ainé des Vargas. Il avait grandi, avait pris des traits plus adultes, son teint doré avait rattrapé celui de l'espagnol et ses mains étaient devenues plus rugueuses à cause du travail. Ce dur labeur dans les champs l'avait modelé et ses vingt ans arrivés se lisaient sur son corps. Oh il ne paraissait pas plus vieux, mais on voyait bien qu'il n'avait pas passé ces quatre dernières années derrière les bancs de l'école.
« Tu t'inquiètes encore pour ton frère hein ? … Ne t'inquiètes pas, il ne devrait plus tarder maintenant. »
L'italien s'installa à table et commença à manger ses tartines en l'ignorant. Avec tout ce temps passé avec lui et lui seul, il n'avait pas pu s'empêcher de lui faire quelques confidences. Aussi l'espagnol savait pratiquement toute sa vie, des anecdotes et d'autres histoires qu'il avait écouté avec patience et compréhension. Ce petit là, Lovino… Antonio l'appréciait beaucoup. Pas de messes basses, toujours sincère, colérique mais mignon, facile à gêner… En fait, l'espagnol luttait depuis un petit moment contre les sentiments trop forts qui avaient fini par l'habiter. Il était trop jeune et c'était un garçon qui plaisait aux filles. Combien l'avait-il vu revenir la nuit, les jours de repos, avec une fille à son bras ? Chaque semaine, c'était une demoiselle différente, si bien qu'à cette allure, il aurait vite fait de s'être tapé toutes les jeunes filles de la capitale. Et en plus de ça, l'espagnol avait toujours pensé l'avoir aperçu discrètement, jusqu'à la dernière fois. L'ainé des Vargas, cette nuit là, avait retourné son regard émeraude vers le sien, caché derrière sa fenêtre. Il l'avait vu, il le savait depuis longtemps, il n'était pas surpris. Pourtant ce sujet n'avait jamais été abordé, tout simplement parce qu'Antonio pensait ne pas avoir son mot à dire. Jalouser ces filles, être heureux d'être à son contact, sentir le manque sans lui… Il avait pourtant l'âge d'être son père ! Et c'était un homme qui plus est !
« … Je ne peux pas m'empêcher d'être inquiet. »
Les premiers mots de la journée étaient arrivés d'un souffle, coupé rapidement par une gorgée de café. D'un sourire réconfortant, l'espagnol caressa les cheveux de son jeune employé et maintenant ami proche. Tant qu'il pouvait l'apaiser, il laissait le temps à Feliciano d'arriver à son propre rythme.
1er juillet 1999.
10h30.
Vienne.
« Feliciano Vargas. »
L'appeler se leva de sa place. Habillé d'un beau costume noir digne des grands jours, Feliciano resserra sa cravate et s'approcha de l'estrade. Lui aussi avait grandi, mais sa peau était restée d'un teint pâle et aussi douce que durant son enfance. Il était devenu un adulte raffiné dont les doigts fins ne semblaient s'appliquer qu'à des tâches de précisions et de soin. Aujourd'hui était un jour important, même ses parents adoptifs le regardaient au loin dans l'estrade. Pour la première fois de sa vie, le petit italien allait être diplômé. Montant les marches qui allaient le mener à la récompense de ces années de travail scolaire, le temps lui semblait comme passer au ralenti.
« Félicitations, vous venez à présent d'obtenir votre Reifeprüfung d'option arts et musique avec une très bonne mention. »
Prenant enfin le diplôme qui correspondait au baccalauréat qu'on lui tendait à bout de bras, le cadet des Vargas semblait enfin voir le bout du tunnel. Enfin il allait pouvoir partir, quitter ce pays et rejoindre son frère. L'italien pria intérieurement que son italien n'avait pas été détérioré avec le temps.
« Qu'allez donc vous faire pour la suite de vos études, monsieur Vargas ? »
« Je vais… Partir à Rome m'inscrire dans une école d'art. »
Roderich et sa femme au loin semblaient surpris. Et pour cause, il ne leur avait jamais parlé de ce projet, en fait, depuis la seule fois il y a quatre ou cinq ans que Feliciano avait demandé à rejoindre l'Italie et avait affronté un non catégorique, il n'avait jamais réessayé de poser son choix. Aujourd'hui il ne leur demandait pas, il leur imposait son choix. Pour ou contre, le cadet des Vargas était à présent majeur et ce choix n'appartenait qu'à lui. Rejoignant ses parents, ils quittèrent le bâtiment et prirent leur voiture dans le silence le plus complet jusqu'à ce que la voix hongroise céda à la tentation avant même d'avoir pu même rejoindre la maison.
« Tu… Tu as vraiment l'intention de nous quitter ? »
« … Je ne veux pas couper les ponts avec vous. Mais je veux retrouver mon frère, ce choix ne m'a jamais quitté. Vous serez toujours mes parents pour moi, mais je vous en prie, ne rendez pas la situation plus difficile… J'aimerai… retrouver la seule famille de sang qu'il me reste. »
L'autrichien n'avait pas cillé, aussi lire dans ses pensées fut une tâche complètement impossible pour sa femme qui pourtant le connaissait pourtant mieux que personne. Après cinq longues et interminables minutes sans pouvoir quitter la voiture et son ambiance pesante, la voix du père de famille s'éleva enfin.
« Je ne peux rien y faire, tu es un adulte. Jeune et inexpérimenté certes, mais un adulte quand même. Je n'ai pas le pouvoir de t'arrêter, mais tu sais que je n'approuve pas. Aussi tu vas en subir les conséquences. A partir d'aujourd'hui, je ne te financerai plus rien, nourriture, logement, école, voyages, loisirs… Ma punition sera de te voir assumer tes décisions en devenant complètement indépendant. »
Le cadet des Vargas esquissa un léger sourire. Non, sa réaction ne l'avait pas surpris. En fait, son père adoptif était finalement très prévisible malgré l'image d'homme sévère qu'il reflétait.
« Je m'en doutais père. Aussi j'ai fait quelques économies ces dernières années, mon billet pour Rome a déjà été acheté et je me suis déjà inscrit à l'université là-bas. J'espère à présent y trouver un job d'étudiant. »
« Quand pars-tu ? »
Elizaveta s'était retourné vers son fils de cœur en se mordant la lèvre, visiblement très inquiète. Ah… même si ses loisirs n'avaient rien de féminin, Feliciano ne pouvait pas s'empêcher d'être triste pour elle. Elle avait été une très bonne mère, elle aurait mérité de pouvoir en avoir de par elle-même. Et le seul enfant qu'elle avait finalement réussi à avoir après des mois de procédures administratives épuisantes voulait à présent la quitter. Il en était désolé… Mais il ne faisait pas ses choix en fonction des autres parce qu'au fond, son plus grand défaut était d'être un pur égoïste.
« … Demain. »