Chapitre 16 : Changement

Le jour les trouva toujours enlacés, près des braises encore fumantes. Arthur se réveilla en premier et pour la deuxième fois en deux jours, il regarda son serviteur dormir. Le brun avait fini sur le ventre et repoussé quelque peu la couverture. Surement parce qu'Arthur lui tenait paradoxalement trop chaud. Il portait sa sempiternelle tunique bleue et avait gardé son éternel foulard rouge autour du cou. Le prince hésita quelques secondes, il avait envie de le toucher. Sa main se posa finalement entre les omoplates de son serviteur et il lui caressa doucement le dos. Le brun soupira dans son sommeil et un petit sourire vint éclairer son visage.

« Merlin. » Murmura le blond en dessinant des arabesques compliquées du bout de ses doigts.

Seul un grognement lui répondit.

« Il faut que l'on se remette en route. »

À contre cœur, le jeune sorcier ouvrit les yeux et s'étira. Le Prince retira sa main et se leva sans plus attendre. Ils emballèrent leurs affaires et remontèrent à cheval une dernière fois. Leur interlude touchait à sa fin et Merlin allait bientôt devoir affronter les regards et les jugements des autres. Cette perspective ne le réjouissait pas, mais il devait le faire pour Arthur, pour Gaïus et pour le bien du royaume. Un peu avant midi, ils franchirent les portes de Camelot, au pas. Les gardes hésitèrent quelque peu sur la conduite à tenir mais les laissèrent finalement entrer. Arthur s'était absenté six longs jours. Le médecin de la cour, qui partait acheter des ingrédients sur le marché, fut le premier à repérer Merlin. Il se précipita à leur rencontre. Ils descendirent de cheval l'un après l'autre et le vieil homme put enfin serrer son protégé dans ses bras.

« Je savais qu'il te retrouverait. » Lui dit-il à l'oreille.

Le brun lui répondit par un grand sourire quand il le lâcha pour saluer le Prince. Un silence gênant s'installa alors. Le médecin scrutait Arthur, incertain quant à la conduite à tenir. Il fut donc soulagé quand le blond aborda un autre sujet que le cas de Merlin.

« Comment va mon père ? »

« Son état a empiré, j'en ai peur. Il ne parle pas et refuse de s'alimenter correctement. À ce rythme, il ne tiendra plus longtemps, Sire. »

« Vous voulez dire qu'il peut en mourir ? Mais il n'est pas malade ! » S'inquiéta Arthur.

« On peut malheureusement mourir de chagrin, Sire. Il se laisse dépérir. Il faut se préparer au pire. La trahison de Lady Morgana fut celle de trop. »

Les deux hommes se regardèrent longuement sans prononcer une parole. Ils savaient très bien ce qu'ils pensaient, au fond. Il valait mieux pour Merlin et pour le bien du royaume, qu'Uther ne s'en remette pas. Mais l'admettre à haute voix serait comme une trahison, une de plus. Gaïus connaissait le souverain depuis tellement longtemps. Il savait qu'il n'y avait pas toujours eu que du mauvais en lui. Et Arthur aimait son père, malgré ses erreurs de jugement, ses défauts, son emportement quand il s'agissait de magie. Mais tous deux tenaient peut-être encore plus à Merlin. Chacun à sa manière. Le jeune sorcier observa cet échange muet, sans oser se manifester. Il n'était pas dupe et supportait mal de mettre deux des rares personnes qui comptaient vraiment dans sa vie, dans cette position. Il garda donc le silence et accueillit, avec un grand soulagement, le palefrenier qui vint récupérer leur cheval et, par là même, les ramena à la réalité. Le jeune homme, qui était brun et devait avoir à peu près le même âge que Merlin, prit les rênes de l'animal, s'inclina respectueusement devant le Prince et contre toute attente, se courba également devant le sorcier, avant de se diriger vers les écuries. Merlin resta bouche bée devant cette marque de respect totalement injustifiée. Aux dernières nouvelles il n'était toujours qu'un simple serviteur.

« Je t'avais dit que les gens t'étaient reconnaissants pour ce que tu as fait. »

Il sursauta au son de la voix d'Arthur et se tourna vers lui, interloqué.

« Je ne veux pas de ça. Je ne suis pas un noble devant qui on doit faire des courbettes. »

« Ils ne savent simplement pas comment te témoigner leur respect, Merlin. Alors ils le font de la seule manière qu'ils connaissent. En parlant de ça, il faut que l'on discute de ton statut. Allons dans un endroit plus calme. »

Le Prince monta les quelques marches pour entrer dans le château.

« Mon statut ? » L'interpella le sorcier.

« Rejoint-moi dans mes quartiers dans 10 min. Je vais passer voir mon père avant. »

Et sans un mot de plus, il disparut derrière la lourde porte et Merlin se retrouva seul avec son mentor. Il se tourna vers lui, un air de profonde incompréhension sur le visage.

« De quoi parle-t-il, Gaïus ? »

« Merlin. Tu as sauvé le royaume une fois de plus. Mais maintenant tout le monde peut te voir tel que tu es vraiment. Certains te craignent, la plupart t'admirent, mais dans tous les cas, en vue des évènements, Arthur ne peut pas te garder comme simple servant. »

« Mais je ne veux pas… »

« Ce que tu ne veux pas c'est être séparé de lui. Mais, vois peut-être là, l'occasion de te tenir à ses côtés sans pour autant avoir à laver son linge ou ranger ses affaires. »

« De toute manière, il ne supportera pas un autre serviteur que moi bien longtemps. » Répondit le jeune sorcier, l'air buté, en laissant là le vieil homme.

Gaïus regarda son protégé pénétrer à son tour dans le château et quand il ne fut plus à portée de voix, il murmura, un sourire aux lèvres.

« Le pire, c'est que c'est fortement probable. »

Merlin se dirigeait vers la chambre du Prince, quand il manqua de percuter Gwen au détour d'un couloir.

« Pardon ! Je ne t'avais pas vu. »

« Merlin ! » S'écria la jeune femme en le serrant dans ses bras. Elle le relâcha finalement, l'air quelque peu gêné et lui demanda de lui raconter toute l'histoire. Ce qu'il fit sans se faire prier, en omettant bien sûr quelques détails. Il ne s'était pas confié à elle depuis longtemps et se rendit compte de sa négligence envers son amie. Après tout, elle aussi avait surement beaucoup souffert de la trahison de Morgana, de qui elle était très proche. Alors il lui demanda de ses nouvelles à son tour et comme il s'y attendait, elle était anéantie par les récents évènements. Il apprit également que c'était elle qui s'occupait du Roi. Pour qu'elle raison elle passait son temps auprès de l'homme qui avait fait exécuter son père ? Il l'ignorait et jugea préférable de ne pas lui demander. Il la quitta rapidement, il ne voulait pas faire attendre Arthur.

Arrivait devant la porte de la chambre princière, Merlin souffla un grand coup. Il redoutait, sans trop savoir pourquoi, cette conversation. Aux bruits étouffés qu'il entendait derrière le battant, il comprit que le blond était déjà à l'intérieur. Il décida de ne pas le faire patienter plus longtemps et entra sans plus de cérémonie. Levant les yeux vers lui, Arthur l'invita d'un geste de la main, à s'assoir en face de lui. Il semblait ne pas savoir par où commencer.

« Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Mon avis personnel sur la question ne rentre pas en ligne de compte, je dois avant tout penser au bien de royaume. Morgana ne restera pas sur un échec et je suis sûr que, où qu'elle soit en ce moment, elle prépare une nouvelle attaque. Je veux que l'on soit prêt à la recevoir, cette fois. Et sans ton aide, cela ne sera pas possible. Je te demande donc, d'accepter le poste d'enchanteur de la cour, comme cela se faisait avant que mon père ne condamne la magie. »

Merlin reste sans voix quelques secondes.

« Ça veut donc dire, renoncer à être votre serviteur ? »

« A t'entendre, j'ai l'impression que cela t'attriste. Pour quelqu'un qui rechigne toujours à la tâche, c'est tout de même étrange. Je pensais que tu serais content que ton statut soit reconnu. » S'étonna Arthur.

« Détrompez-vous, Sire. Je serais plus qu'heureux de devenir votre enchanteur personnel. Je ne veux juste pas… » Il laissa sa phrase en suspens.

« Tu ne veux juste pas quoi ? » Demanda le Prince, troublé par le soudain silence de son ami.

« Je ne veux pas… passer moins de temps à vos côtés que d'habitude. » Admit-il, rougissant malgré lui.

« Merlin, je… Tu seras toujours à mes côtés. Je t'emmènerai partout où j'irai, je te demanderai conseil dès que j'en aurais besoin, comme je l'ai toujours fait. Sauf que cette fois, personne ne pourra me le reprocher ou mettre ta parole en doute, parce que tu ne seras plus un simple serviteur. Tu comprends ? »

« Je comprends tout ça. Mais je ne veux pas qu'un autre que moi, s'occupe de vous. Je ne veux pas qu'un autre que moi, vous réveille le matin ou vous serve vos repas. Je ne veux pas qu'un autre… »

Il se rendit compte que des larmes traitresses débordaient de ses yeux bleus, sans qu'il puisse les retenir. Il se sentait ridicule et égoïste de penser à lui alors que Camelot était en danger. Il n'osait plus regarder son Prince. Il ne le vit donc pas se lever, ni s'approcher. Ce n'est que quand il sentit les lèvres d'Arthur sur les siennes qu'il comprit qu'il l'embrassait pour la troisième fois. Mais ce baiser n'était ni dicté par la colère, ni par l'angoisse. Il était doux et sincère. Une langue mutine vint gentiment taquiner la sienne et il fondit littéralement dans les bras d'Arthur. Puis le blond se détacha de lui, mais resta assis à ses côtés.

« Tu te mets dans cet état parce que tu as peur que je me rende compte que tu es le pire serviteur que la Terre ait porté ? Trop tard, je le sais déjà depuis longtemps. » Plaisanta-t-il.

« N'importe quoi ! Vous ne tiendrez pas deux jours, sans moi. » Répliqua le brun, de nouveau souriant.

« Le pire, c'est que tu es surement dans le vrai. Mais je me dois de renoncer à tes services. Tu ne peux pas conserver les deux statuts, Merlin. Ce serait comme… comme si je demandais à Sir Leon de laver mon linge et de faire mon lit. » Expliqua le Prince, souriant à cette image. « Ce n'est pas logique. Mais en contrepartie, on pourrait… je ne sais pas… dîner ensemble tous les soirs. Je peux t'inviter à ma table sans faire jaser, maintenant. » Proposa-t-il.

« J'accepte alors. » Répondit Merlin, un énorme sourire dévorant son visage. « Comme ça vous pourrez vous plaindre de votre nouveau servant. » Rigola-t-il.

Arthur goûta à la plaisanterie, mais reprit bien vite son sérieux.

« Bien. La question étant réglée, je vais, de ce pas, organiser une cérémonie, demain, pour te faire enchanteur devant la cour. »

Merlin fût soudain pris de panique.

« Demain ? Mais si entre-temps, le Roi… »

« Tu as entendu Gaïus. » Le coupa le Prince. « J'ai peu d'espoir que mon père revienne à la raison. En attendant, je me dois de prendre les meilleures décisions. J'assure officiellement la régence du trône, Merlin. Je ne porte peut-être pas encore la couronne, mais c'est tout comme. Je vais en discuter avec mes conseillers, mais, après ta fuite, je t'assure que je n'ai entendu personne critiquer ce que tu as fait. Tout va bien de passer. »

Rassuré par ces paroles, Merlin accepta l'offre, puis prit congé pour le reste de la journée. Arthur avait beaucoup à faire et pour sa part, il était épuisé. Il rentra au laboratoire de Gaïus, qu'il trouva vide. Il alla s'effondrer sur son lit, s'endormant du sommeil du juste, heureux qu'Arthur prenne le chemin de la réhabilitation de la magie, au royaume de Camelot.